La tragédie qui s’est déroulée il y a un an sur le littoral espagnol révèle les risques toujours plus graves que font courir les politiques de gestion des frontières de l’Union européenne à celles et ceux qui tentent de rejoindre l’Europe.
Il y a tout juste un an, au moins 14 personnes sont mortes à quelques mètres de la plage de Tarajal, à Ceuta, petite enclave espagnole située au nord du territoire marocain.
Des vidéos de la scène et les témoignages des victimes nous ont permis de savoir ce qui s’était exactement passé ce matin-là. Pourtant, un an après cette tragédie, seule une victime a été reconnue officiellement par le gouvernement espagnol, les autres restant dans l’ombre.
Elles étaient 200 environ ce matin-là, à l’aube, à tenter de poser le pied sur le territoire espagnol. Quatorze personnes ont péri noyées, et 23 autres ont été renvoyées au Maroc après avoir été arrêtées par des gardes civils espagnols sur le sol espagnol.
Après avoir refusé à plusieurs reprises d’admettre les faits, le ministre espagnol de l’Intérieur, Fernández Díaz, et le secrétaire d’État à la sécurité, Francisco Martínez, ont déclaré devant le Congrès que des gardes civils avaient utilisé du « matériel antiémeutes » – 145 balles en caoutchouc et cinq fumigènes – pour empêcher les migrants de rejoindre le pays.
Nous savons donc que des représentants de l’État espagnol ont tiré en direction des gens qui se trouvaient dans l’eau et qui étaient également poursuivis par une patrouille marocaine. On ignore toutefois leur identité ainsi que celle des personnes qui ont ordonné cette opération.
Francisco Martínez a insisté sur le fait qu’il n’y avait pas eu de blessés parmi les personnes qui avaient atteint la côte espagnole et que les gardes civils n’avaient tiré qu’en direction de celles qui évoluaient encore dans les eaux marocaines. Pourquoi cependant personne n’a tenté de porter secours à celles qui se noyaient ?
Le ministre espagnol de l’Intérieur a déclaré que les membres de la Garde civile n’étaient pas autorisés à franchir les frontières maritimes du pays. Ces frontières les ont donc empêchés de sauver ces hommes, mais n’ont pas fait barrage aux balles en caoutchouc. Au moins 14 personnes ont perdu la vie.
Cette tragédie est l’illustration la plus brutale à ce jour de la politique de gestion des frontières mise en œuvre par le gouvernement espagnol : personne ne rentre, quel qu’en soit le prix.
Des victimes dont on ignore l’identité
Qui étaient ces gens qui ont trouvé la mort ce matin-là ? On pense connaître l’identité d’au moins six hommes, mais seul l’un d’entre eux a été reconnu officiellement – et tous les identifier semble désormais impossible. Une fois encore, nous avons les chiffres mais ils restent sans visage.
Les vidéos et les témoignages recueillis semblent indiquer que les victimes étaient, pour la plupart, de jeunes hommes des pays d’Afrique subsaharienne. On peut supposer qu’ils sont morts à la dernière étape d’un voyage entrepris il y a des mois, voire des années. Peut-être fuyaient-ils un conflit en Afrique ou au Moyen-Orient, peut-être encore cherchaient-ils à rejoindre des proches en Europe ou à échapper simplement à la faim.
Parmi les 14 morts et les 23 personnes renvoyées au Maroc après avoir rejoint le littoral espagnol, certains étaient peut-être victimes chez eux de persécutions en raison de leurs opinions politiques, de leur origine ethnique ou de leur sexualité. Dans ce cas, l’Espagne aurait été tenue – conformément à sa propre législation – de leur accorder le statut de réfugié.
Nous ne le saurons jamais. Les autorités espagnoles ont fait du refoulement avant tout interrogatoire une pratique courante à Ceuta et à Melilla, autre enclave nord-africaine du pays.
Une tragédie symbolique
Les faits survenus à Tarajal révèlent les risques toujours plus graves que font courir les politiques espagnoles et européennes de gestion des frontières à celles et ceux qui cherchent à réaliser leurs rêves d’une vie meilleure ou tout simplement à survivre. On estime que 22 000 personnes ont trouvé la mort depuis 2000 en essayant de gagner l’Europe.
Si elles avaient pu simplement solliciter l’asile en expliquant leur situation, conformément au droit international, auraient-elles risqué leur vie ?
Une année s’est écoulée, mais la politique de gestion des frontières appliquée par l’Espagne n’a pas changé. L’enquête ouverte sur les faits survenus à Tarajal semble au point mort. Les responsables de la mort de ces hommes ne seront peut-être jamais identifiés et rien ne sera probablement fait pour qu’une telle tragédie ne se reproduise plus.
La situation a toutefois évolué depuis l’année dernière. Négativement. Les autorités espagnoles comptent désormais invoquer la nouvelle Loi relative à la sécurité publique pour renvoyer automatiquement au Maroc toute personne franchissant la frontière à Ceuta et à Melilla. L’Espagne enfreindrait ainsi les normes internationales qu’elle est tenue de respecter.
Aucun texte de loi ne pourra mettre fin au drame humanitaire qui se déroule aux frontières de l’Europe. Ce n’est qu’en traitant les migrants et les réfugiés avec humanité, conformément au droit international, que nous pouvons empêcher de nouvelles tragédies sur nos rivages.
Passez à l’action
Demandez aux dirigeants de l’Union européenne d’empêcher que d’autres personnes trouvent la mort
http://livewire.amnesty.org/fr/2015/02/06/espagnemaroc-tragedie-a-la-frontiere/