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  • Le “Hirak” dans le Rif marocain continue sa résistance et la contestation s’étends ! (ESSF)

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    Depuis plus de six mois, un mouvement de contestation populaire massif s’est développé dans la région du Rif au nord du Maroc, et a culminé par un rassemblement de plusieurs dizaines de milliers de manifestant·e·s à dans la ville de al-Hoceima le 18 mai dernier.

    Tout a débuté en octobre 2016 lorsqu’un jeune pêcheur, Mohsen Fikri, a été broyé dans une benne à ordures à al-Hoceima. Les populations locales du Rif se sont alors organisées dans des comités locaux, demandant le jugement des responsables de ce décès et de celui de cinq autres Rifains tués dans une agence de la Banque Populaire lors des manifestations populaires du 20 février 2011. Le mouvement de protestation réclame aussi la levée de la militarisation de la province d’al-Hoceima, l’arrêt des poursuites et du harcèlement contre les petits paysans, la libération de tous les prisonniers·ères politiques du Rif et l’augmentation et l’amélioration des services de santé, d’éducation, culturelles, et les infrastructures qui font défaut dans la région.

    Contre les politiques d’austérités

    Ces mobilisations sont le résultat de l’autoritarisme de la monarchie marocaine et surtout des politiques néolibérales destructrices au niveau social pour les classes populaires, encouragées et imposées par les institutions financières et commerciales internationales et les gouvernements des puissances impérialistes. Cela s’est en effet traduit par des politiques démolissant le tissu productif, par le pillage des ressources maritimes et forestières, la faiblesse des principaux services publics et l’absence d’emploi pour les jeunes.

    Ces dynamiques populaires sont également liées à la question Amazigh au Maroc, dont la région du Rif est peuplée. En plus de la justice sociale et la dignité, les manifestant·e·s demandent en effet que les services locaux de la fonction publique recrutent des habitant·e·s de la région, et l’adoption de l’amazigh comme langue de l’administration locale. Les autorités monarchiques ont en effet l’habitude d’envoyer des fonctionnaires et policiers d’autres régions du Maroc non Amazigh pour contrôler et intimider les habitant·e·s locaux, souvent en toute impunité. Le Rif a d’ailleurs des spécificités historiques, longtemps exclu par la monarchie, il a une longue histoire de résistance : de la création de la République du Rif avec Abdekrim el Khattabi, au soulèvement au lendemain de l’indépendance contre le pouvoir central, au cœur des révoltes contre les politiques d’ajustement structurel, particulièrement mobilisé durant le M20 Février. Le drapeau amazigh est d’ailleurs très présent dans les manifestations, associés aux slogans sociaux et démocratiques contre les autorités centrales de Rabat.

    L’Etat autoritaire marocain tente de son côté de réprimer et diffamer le mouvement de contestation pour qu’il ne soit pas suivi dans d’autres villes et régions du Maroc qui vivent dans les mêmes conditions de marginalisation, de paupérisation et de répression. Le pouvoir présente notamment les manifestant-es comme des « séparatistes » financés par l’étranger qui contestent l’autorité et l’intégrité territoriales. La répression est également très dure de la part des forces répressives et « balatgias » (voyous employés par le régime) contre les manifestant.es.

    Ces politiques répressives et autoritaires n’ont néanmoins pas permis de mettre fin au mouvement, qui s’étends même avec des discours et mobilisations de soutien en faveur du mouvement populaire dans le Rif à travers plusieurs villes du pays. Le 28 mai au soir, des rassemblements de solidarité ont eu lieu dans plusieurs villes (Tanger, Nador, Marrakech, M’diq), y compris devant le parlement à Rabat, avec le mouvement du Rif. Plus de 40 personnes du « Hirak » ont été arrêtées par les autorités depuis le début du mouvement du Rif, dont Nasser Zefzafi, le leader de la contestation populaire, incarcéré le 29 mai sous prétexte qu’il avait 3 jours plus tôt interrompu le prêche de l’imam à la mosquée qui accusait les manifestations d’apporter la « fitna » (discorde) dans le Royaume. Le soir même de son arrestation, près de 3000 manifestant·e·s réclamaient sa libération dans les rues d’al-Hoceima et « la liberté, la dignité et la justice sociale ». D’autres manifestations ont également eu lieu dans la région, plus précisément à Nador et dans les villes d’Atroukoute et Imzouren. Ce mouvement de contestation populaire s’est poursuivi toute la semaine.

    Le vendredi 2 juin, une grève générale a été lancée depuis la ville d’Al-Hoceïma à l’initiative du « hirak », contre les politiques autoritaires du gouvernement et la libération des activistes du mouvement incarcérés. La grève a été suivi dans plusieurs villes proche d’Al-Hoiceima. Les prêches officiels dans les mosquées ont également été boycottés dans al-Hoceima et ses environs. Cette journée fut marqué par de nombreux affrontements entre manifestant-es et forces répressive de l’état.

    Le 5 juin, c’était le tour de deux membres de premier plan du « Hirak » (mouvement) d’être arrêtés : Nabil Ahamjik, considéré comme le numéro deux du mouvement, et Silya Ziani, l’une des nouvelles figures des manifestations. Ces arrestations n’ont qu’attiser la colère de plusieurs milliers de manifestant-es qui continuent de se réunir chaque soir à Al-Hoceima et ses environs.

    La contestation est loin d’être finie, et la détermination des manifestant-es du Rif persiste. La solidarité se développe en même temps progressivement à travers le pays, malgré les tentatives de la monarchie marocaine d’empêcher tout effet boule de neige à travers le pays. L’extension est la clé de la réussite et de la survie du mouvement. On a notamment observé des manifestations et grèves dans plusieurs villes du pays ces derniers jours pour protester contre leurs marginalisations économiques et sociales. Le 6 juin, une grève et des manifestations ont par exemple eu lieu dans la ville de Imintanoute, proche de Marrakech, contre le coût élevé des factures d’eau et d’électricité qui ont augmenté de plus de 50 %, en plus d’autres revendications sociales et économiques comme la construction d’un hôpital. La contestation continuait dans la ville.

    Solidarité avec la lutte pour la liberté, la dignité et la justice sociale des classes populaires du Rif et du Maroc !

    Joe Daher mercredi 7 juin 2017

    https://syriafreedomforever.wordpress.com/

    http://www.europe-solidaire.org/

     

    Lire aussi:

    Au Maroc, le «Hirak» des manifestants de la région du Rif gagne tout le royaume (Médiapart)

     

  • Quand Zoulikha, dite «Toute fine», slame contre le harcèlement de rue en Algérie (TV5 Monde)

    Les Algérien-nes appelés aux urnes le 4 mai 2017 pour renouveler leurs député-es à l'Assemblée populaire nationale, peinent à se mobiliser. Dans la morosité ambiante, les femmes s'invitent dans le scrutin, pour le pire et le meilleur. L'occasion d'aller à la rencontre de Zoulikha qui slame contre le harcèlement de rue et au delà pour faire résonance aux maux de ses concitoyennes.

    Sur le site de Intymag, un webzine lancé en mars 2016 par un collectif de journalistes algériennes afin de rendre compte de la condition des femmes en Algérie et plus largement au Maghreb, Zoulikha se présente sobrement, économe de mots, elle qui pourtant les manie avec succès, à l'écrit ou en rimes slamantes.

    La jeune femme vient de rejoindre, en février 2017, le magazine en ligne pour "apporter du réconfort, du courage et de la volonté [aux lectrices de Inty]. On partage un peu toutes et tous les mêmes peines. Je veux leur parler de mes peines pour qu’elles s’y reconnaissent. Je veux qu’elles aient foi en elles et qu’elles ne se limitent pas et qu’elles détachent leur envie des conventions sociales et autres. Je veux du courage et de l’investissement pour toutes. Je veux leur montrer qu’elles peuvent faire autant que moi j’ai pu. Je veux leur ouvrir une brèche d’expression."

    J'ai pour passion l'expression
    Zoulikha Tahar, dite Toute Fine, slameuse

    Zoulikha Tahar, de son nom de scène, Toute Fine, dit encore qu'elle est "doctorante en deuxième année, mécanique des matériaux." Qu'elle a 24 ans et "pour passion l’expression". 

    Toute Fine est sa voix, toute fine sa silhouette, toute fine sa délicatesse dans un tempo musical qui mêle Orient, Maghreb et Europe. Zoulikha slame la tête couverte d'un foulard coloré, loin des clichés, libre de toute entrave. La plateforme culturelle ONORIENT.com lui a consacré un long article biographique en janvier 2017 : "Elle refuse les clichés et les cases dans lesquels les gens aiment classer les autres. Ni revendication identitaire, ni symbole religieux proclamé, Toute Fine aime considérer le voile comme un medium d’expression, un message fort, une façon de jouer avec l’identité, les traditions, comme objet esthétique à part entière. En d’autres termes, elle a fait du voile une arme à son arsenal, une arme d’expression et de jeu. A contre-pied des clichés et des préjugés, elle reprend un vêtement devenu dominant dans l’espace public pour s’amuser et montrer sa singularité. Finalement, c’est un peu cela la démarche artistique de Toute Fine, prendre sa souffrance et les travers de sa société, pour en faire des armes douces et fines dirigées vers la société."

    L'un de ses combats prioritaires, c'est de mettre le doigt sur la plaie ouverte du harcèlement de rue, fléau en Algérie aussi. Et d'ouvrir une brèche dans le patriarcat. Mais sans stigmatiser les hommes, parce que, dit-elle, "Le problème ce n'est pas l'homme mais la culture et l'éducation qu'on lui impose". Et de citer des proverbes algériens qui montrent l'enfermement dans lequel grandissent les filles, et en miroir les normes de virilité supérieure auxquelles doivent se plier les garçons.

    Ces sujets, "une vue sur les jeunes Algériennes", ont pourtant fait défaut lors de la campagne électorale des législatives du 4 mai 2017 en Algérie. Pourtant, l’enjeu est d’importance. L’hebdomadaire Jeune Afrique nous apprend que si « en 2012, les députées algériennes étaient les championnes du Maghreb en nombre de sièges obtenus au Parlement, cinq ans plus tard, leur influence au sein de l'institution est contrecarée par le conservatisme grandissant de la société. (.../...) Avec 143 femmes élues sur un total de 474 sièges, les Algériennes ont, à l’époque, surclassé les Tunisiennes [et même les Françaises avec 26%] − qui se sont rattrapées en 2014 en s’octroyant 30,88% des sièges au Parlement − et carrément battu les Marocaines (17% des sièges en 2011, 21% en 2016). Mais c’est un pourcentage en trompe-l’œil, car beaucoup de partis politiques ne conçoivent la participation féminine que pour faire du « remplissage. »

    Au delà de ce quasi universel plafond de verre, les droits des femmes se sont invités dans la campagne de façon tragiquement anecdotique. Avec la proposition d'un chef de gouvernement "inspiré" pour "inciter" les époux récalcitrants à aller voter, et des affiches électorales amputées des visages de candidates.

    Battre son mari... pour qu'il aille voter - le mythe de la mégère

    L'édition maghrébine du Huffington Post suit avec beaucoup d'attention la campagne électorale. Et voici que ses journalistes nous révèlent ce dérapage commis au plus haut niveau de l'Etat : "Dimanche 30 avril 2017 à Sétif, dernier jour de la campagne électorale des législatives du 4 mai, le Premier ministre Abdelmalek Sellal a refait des siennes en appelant les femmes à... battre leurs maris qui refusent d'aller voter. Blagueur comme à son habitude, M. Sellal a appelé à réveiller les maris tôt le 4 mai, à ne pas leur préparer de café et à les "traîner" aux bureaux de vote. "Et celui qui ne vote pas, frappez-le avec un bâton!", a conseillé le Premier ministre à une audience féminine présente lors d'un discours qu'il a prononcé à Sétif (ville de petite Kabylie à l'Est d'Alger où le 8 mai 1945 des manifestations autour de la fin de la seconde guerre mondiale furent réprimées dans le sang, point de départ de la guerre d'indépendance, ndlr)."

    Femmes sans visages

    La chaîne de radio internationale RFI met au jour une autre particularité qui nous laisse pantoises : "Sur les affiches du Front des forces socialistes, un parti de gauche laïc, pour ses candidates femmes aux élections législatives, pas de photo, mais un dessin et un blanc à la place du visage. Relevé par la presse, l'affaire fait réagir le parti qui évoque une « initiative malencontreuse » et affirme se battre pour l'émancipation des femmes. La Haute autorité de surveillance des élections commence par demander le remplacement des affiches. Mais deux jours plus tard, le président de l'instance fait volte-face : « Ces partis ont bien le droit de ne mettre que le nom des candidates, réagit-il. Cela est lié à leur politique de la communication. Nous ne voulons pas porter atteinte aux mœurs et aux traditions algériennes. »"

    Le collectif pour les Droits et la Dignité de la femme algérienne (CDDFA) avait réagi dès le 15 avril 2017 pour faire part de sa stupéfaction : "un phénomène inattendu et pour le moins consternant retient l’attention d’une bonne partie de la société civile, celui de présenter pour la première fois dans l’histoire de notre pays, des candidates appartenant à diverses formations politiques dans une posture des plus inquiétantes, à savoir "sans visages", complètement couvertes ou présentées de dos. Nous, les initiatrices du Manifeste pour l’intégrité et la dignité de la femme algérienne, regroupées en un Collectif portant le nom de CDDFA (Collectif pour les Droits et la Dignité de la femme algérienne), une fois de plus, nous nous indignons fortement des pratiques alarmantes et réductrices de l’image de la femme par des partis politiques candidats aux législatifs algériennes."

    Cette année, sur plus de 11000 prétendants aux 462 postes de députés, 30% sont des femmes. On leur souhaite bon courage et bonne chance.

    Le slogan officiel des élections « <em>Fais entendre ta voix</em> » a été détourné sur les réseaux sociaux en « <em>Montre ton visage </em>» en réponse aux femmes candidates qui n’ont pas souhaité apparaître en photo sur les affiches.
    Le slogan officiel des élections « Fais entendre ta voix » a été détourné sur les réseaux sociaux en « Montre ton visage » en réponse aux femmes candidates qui n’ont pas souhaité apparaître en photo sur les affiches.
    (Twitter)
     
    Reportage Les Hauts parleurs/TV5MONDE, Djamila Ould Khettab, Amina Boumaza
     
    03 mai 2017 Sylvie Braibant
     
  • O Limoeiro

    "O Limoeiro"

    Salma, uma viúva Palestina, vê a sua plantação de limoeiros [herdada do seu falecido pai] ser ameaçada quando o novo vizinho, o Ministro da Defesa de Israel, se muda para a casa ao lado.

    A Força de Segurança Israelita logo declara que os limoeiros de Salma colocam em risco a segurança do Ministro e, por isso, precisam ser derrubados. Salma, após muitas recusas, leva o caso ao Supremo Tribunal de Israel para tentar salvar a plantação, e com isso assegurar e manter em paz a sua vida, a sua história, o seu passado e futuro.

     

  • Gilbert Achar Interview (BBC)

     
     

    Gilbert Achcar, Professor of Development Studies and International Relations, at SOAS, University of London, speaks to medyascope.tv’s Isin Elicin on Donald Trump's election, on the global rise far right, on the latest developments in Turkey and its aspirations to become a leader in the region, on Kurds, on Syria & This interview also aims to serve as an introduction to his latest book, "Morbid Symptoms: Relapse In the Arab Uprising"

    14/11/2016London

  • Professor Gilbert Achcar (PBS)

     
     
    November 11 2016
     
    PBS est la chaîne publique des USA, une référence

  • Un seul héros : le peuple ! Appel à soutien (Bretagne Info)

  • “Je suis le peuple”, la révolution égyptienne vue du village (Télérama)


     
    Ici pas d’images d’affrontements ou de répression : ce documentaire adopte le regard d’un paysan pour devenir une chronique d’une culture politique à venir. A l’occasion du Festival des Etoiles organisé par la Scam les 5 et 6 novembre prochains, Télérama.fr diffuse le documentaire d’Anna Roussillon.
     
    Rencontre avec la réalisatrice.
     

    Comment vit-on les soubresauts de la révolution égyptienne lorsque l’on passe le plus clair de son temps courbé sur les rigoles d’irrigation de son champ, à des encablures de la place Tahrir ? Somptueux premier long métrage d’Anna RoussillonJe suis le peuple adopte le point de vue de Farraj, paysan de la vallée de Louxor, propose un éclairant contre-champ aux images habituelles d’affrontements, de chars, de répression. Tourné sur la longueur, son film se révèle la chronique d’une culture politique naissante, scandée de doutes, d’enthousiasmes, de revirements et de désillusions… Deux ans et demi après la fin du tournage, et la chute de Mohammed Morsi, entretien avec sa réalisatrice.

    Comment est née l’idée de ce documentaire ?

    Il est le fruit de multiples bifurcations. En 2009, j’ai rencontré Farraj un peu par hasard, dans un champ où il venait de creuser des rigoles d’irrigation. J’étais en repérage à Louxor pour un projet de film sur le tourisme de masse et je ne parvenais pas à trouver la porte d’entrée pour mettre en images mon sujet. Farraj m’a présenté sa famille, quelques voisins. Sans idée précise, j’ai commencé à filmer son quotidien. Puis je suis revenue le voir à l’été 2010, et début janvier 2011, quelques jours avant la révolution. Je lui ai annoncé que je voulais faire un film avec lui sur la façon dont on vit à la campagne en Egypte. Les contours étaient flous. Le 27 janvier, veille du « Vendredi de la colère » où la révolution a démarré, j’ai repris l’avion pour Paris. L’idée était de préciser le projet, de déposer les dossiers pour les subventions et de revenir…

    L’irruption de la révolution modifie votre projet. Vous décidez de la saisir par le prisme du quotidien de Ferraj, à des centaines de kilomètres des événements. Un sacré pari ?

     Le lendemain de mon retour en France, la révolution a commencé. Il était impossible de faire comme s’il ne s’était rien passé. Plusieurs possibilités s’offraient à moi : rallier le Caire et documenter ce qui s’y déroulait, ou faire tout autre chose. Il était plus intéressant de tenter de saisir le processus depuis un endroit où il n’y avait personne, pas de caméra. Le sud du pays est resté assez calme par rapport au Delta où sont implantées les grandes usines textiles et où la tradition militante est forte.

    Je voulais voir comment les gens que je connaissais allaient se sentir reliés –ou pas- à ce qui se passait, à l’effervescence révolutionnaire. Cela m’a décidée à rester au village et à regarder, à partir de là, comment Farraj allait construire sa compréhension des événements qui se déroulaient à des centaines de kilomètres et qu’il suivait à la télévision.

    Il y avait, c’est vrai, une part de pari. Avant la révolution, nous n’avions jamais parlé politique avec Farraj. Mais, instinctivement, j’ai senti que quelque chose était possible. La forme précise du film s’est imposée au fur et à mesure.

    Vous avez passé votre enfance au Caire. Sans la maîtrise de l’arabe et la connaissance du pays, un tel film aurait-il été possible ?

    Je ne pense pas. La conversation politique avec Farraj, qui structure le documentaire, les échanges relatifs à la vie quotidienne auraient été impossibles. Mais au-delà de la langue, il y a cette espèce de rapport « entre-deux » que j’ai avec l’Egypte. Je ne suis ni complètement égyptienne ni complètement étrangère. Je connais bien le pays, je parle arabe… cela a permis de construire un espace intime.

    Farraj s’avère un observateur boulimique et plutôt fin de la chose politique, un débatteur ardent.

    C’est un moment très particulier que celui où un édifice politique est en train de craquer. Farraj comme beaucoup de gens rencontrés au village passait ses nuits devant la télé pour tenter de comprendre cet immense ébranlement et pouvoir en parler. Cela devenait l’un des attributs nécessaires à un homme de mettre des mots sur les événements. Une façon de se construire une image de responsable en étant capable d’élaborer un discours. En cela, Farraj est représentatif de cette vague qui a emporté tous les Egyptiens. Pour une fois, chacun était concerné par quelque chose qui excédait la famille, le village.

    L’intrusion de la révolution a modifié son rapport au politique ?

    Leur village est dans une zone très touristique. Le monde extérieur arrive par les touristes, la télé. Les habitants ne sont donc pas déconnectés. Mais c’était la première fois que Farraj faisait l’expérience de projeter ses espoirs dans un processus politique. Comme nombre d’Egyptiens.

    Pendant deux ans et demi, de la chute de Moubarak à celle de Morsi, j’ai cheminé avec lui. Moi aussi, j’ai beaucoup bougé. C’était important pour moi que cela prenne la forme d’une conversation. Pas plus que lui, je ne savais ce qui allait se passer. On a avancé ensemble, y compris de façon conflictuelle. Nous n’étions pas toujours d’accord. J’ai essayé de rendre compte d’une autre réalité que celle des activistes de Tahrir habituellement filmés. Loin des images d’affrontements avec la police, de chars dans les rues… J’ai fait le choix de chroniquer la construction d’une nouvelle culture politique. Je voulais voir comment se transmet une onde de choc à des kilomètres de son épicentre.

    Vos échanges avec Farraj et la voisine sont d’une grande liberté, empreints de profondeur, d’humour, de complicité joyeuse.

    Ma relation avec Farraj est de l’ordre de l’amitié. A chacun de mes séjours, j’ai habité chez lui et sa femme Harajiyyé. Cette intimité a rendu les choses naturelles. Quant à Bata’a, la voisine, elle est la seule femme du village à avoir accepté de jouer le jeu, de discuter politique, à sa façon, avec moi. J’ai un statut un peu particulier. Je n’ai pas d’enfants, je ne suis pas mariée, je ne corresponds pas du tout à la trajectoire des femmes au village. Quand elle me taquine, c’est sa manière à elle de me dire que ce n’est pas évident pour elle d’être filmée, d’avoir une parole publique autour des questions politiques. A chaque fois avec elle, il y avait une espèce de négociation, un truc sourd.

    Le film oscille entre deux temporalités : l’étirement d’un quotidien immuable fait de rituels, de tâches au village qui s’oppose à la frénésie révolutionnaire de la capitale vécue à travers le poste de télévision. Mais les deux mondes ne sont pas étanches, l’onde de choc se propage.

    Mon intention était d’entremêler ces deux temporalités à l’origine très hétérogènes que sont la chronique politique depuis le village et la vie quotidienne. La vie quotidienne sans la politique est devenue impossible avec la révolution. Mais la politique sans la vie quotidienne ne me semblait pas très intéressante. Ce qui donne beaucoup de profondeur au discours de Farraj est qu’on sait d’où il parle. On voit son travail, sa famille, ses rythmes, ses responsabilités. C’est dans ce cadre que s’inscrit sa réflexion politique..

    D’abord pro puis anti-Morsi… Farraj épouse les mêmes interrogations, les mêmes doutes, les mêmes désillusions, les mêmes revirements que des millions d’Egyptiens.

    C’est vrai. Mais les positions de Farraj différaient de celles des autres habitants du village. La zone est très touristique, et la rumeur voulait que les Frères musulmans interdisent le tourisme, l’alcool. Alors, lors de la présidentielle, les gens n’ont pas voté Morsi. Mais, en dépit de ce positionnement différent, Farraj est représentatif de ce qui a mû les Egyptiens : le fait de se sentir enfin concerné par ce qui se passe, de détenir un vrai pouvoir entre les mains en allant voter.

    Au fil du film, on assiste à un lent murissement, à l’émergence d’une nouvelle conscience politique, à une réflexion globale sur ce qui fait une société.

    Ce qui m’intéresse, c’est là où ça frotte entre les deux consciences politiques : l’ancienne et la nouvelle. Les nouveaux idéaux qui fleurissent, à ce moment-là, n’effacent pas le rapport qu’avaient, avant, les gens à l’Etat. On le voit dans le film au moment de la contestation du projet de réforme de la Constitution voulu par Morsi –NDLR, qui prévoyait de renforcer ses prérogatives–, la peur revient très vite. Cela fait partie de l’ancienne culture d’avoir peur de la chose politique, de s’en tenir le plus loin possible pour vivre tranquillement.

    Le film se termine avec la reprise en mains du pouvoir par Sissi. La malédiction qu’est la confiscation du pouvoir par les militaires depuis l’Indépendance se poursuit…

    Quand le tournage se finit, je ne sais pas ce qui va se passer. A ce stade, la tournure que vont prendre les événements n’est pas claire. Même si le retour des militaires au pouvoir n’est jamais une bonne nouvelle. Et la situation actuelle n’est pas rieuse.

    Mais, comme pour la Tunisie, je suis persuadée que ce qui s’est passé a profondément modifié le rapport des Egyptiens à l’autorité, à l’Etat. A l’heure actuelle, cette mue est un peu en sommeil tant il est redevenu dangereux de s’intéresser à la politique. J’ai pu le constater lorsque Farraj est venu, en janvier dernier, à Paris pour la sortie du film. Dans la salle, de nombreux spectateurs voulaient l’interroger sur la situation. Il s’y est refusé. Une réaction très significative du retour de la peur. Pourtant, j’en suis persuadée, les ferments de la révolution sont là, qui ne demandent qu’à être réactivés.

    Votre film est dédié à votre père et aux révolutionnaires égyptiens.

    Les deux ne sont pas liés. Mon père est décédé il y a une dizaine d’années. Il travaillait sur l’Egypte, il était politologue. La dédicace est une façon de le rendre un peu présent. J’aurais aimé qu’il voit le film.

    Les révolutionnaires ? Ce film est ma façon de prendre part au grand récit de cette période. Plus il y aura de récits, plus cela rendra compte de la profondeur, de la complexité des dynamiques à l’œuvre à ce moment-là. Le film est aussi la trace de mon enthousiasme.

    Marie Cailletet  03/11/2016 – Télérama

    http://www.anti-k.org/

  • Ghouta (Syrie)

  • Cent ans après les accords Sykes-Picot : L’Orient arabe trahi (Aurdip + MEE)

    L'accord impliquait 3 impérialismes

    Colloque de CVPR PO au Sénat

    Le CVPR PO (Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche Orient), en partenariat avec le site ORIENT XXI, organise un colloque, à l’occasion du centième anniversaire du "soulèvement arabe " contre les Turcs.

    « Un siècle après les accords Sykes-Picot »

    « L’ORIENT ARABE TRAHI »

    8 octobre 2016 au Palais du Luxembourg (Salle Clemenceau)

    Programme

    8h30 à 9h00 : Accueil des participants : contrôle à l’entrée du Palais du Luxembourg ; installation dans la salle Clemenceau.

    9h00 précises : ouverture du colloque.

    Remerciements par le président du CVPR PO, Me Maurice Buttin. Interventions de M. Alain Gresh, directeur du journal en ligne ORIENT XXI ; de Mme Nathalie Goulet, sénatrice, qui parraine et préside le colloque ; de l’ambassadeur de Palestine S.E.M. Salman El Herfi ; du président qui présentera les objectifs du colloque.

    Séance de la matinée. 9h30 à 12h00. Modérateur : Maurice Buttin

    Situation du Proche-Orient avant 1947

    9h30 à 10h00 : La renaissance des nationalismes juifs et arabes avant 1914.
    Intervenante : Sandrine Mansour, historienne au CRHIA Université de Nantes, conseillère pour des coopérations entre la France et la Palestine.

    10h00 à 10h30 : Les accords Sykes-Picot vus par les Arabes.
    Intervenante : Najwa Barakat, journaliste, romancière libanaise.

    10h30 à 11h00 : De la Déclaration Balfour au partage de la Palestine ou comment le projet sioniste est passé de l’utopie à l’inévitable en trente ans.
    Intervenant : Thomas Vescovi, professeur, et chercheur en Histoire contemporaine, diplômé de l’Université Paris VIII

    11h00 à 11h30 : La résistance arabe face à l’idéologie occidentale et les intérêts des élites locales
    Intervenant : Boutros Hallaq, professeur émérite de l’Université Sorbonne Nouvelle Paris III.

    11h30 à 12h00 : Débat entre les intervenants et avec les participants.

    De 12h00 à 13h30 déjeuner au restaurant du Sénat ou libre.

    13h30 à 14h00 : Accueil des participants ; contrôle à l’entrée du Palais du Luxembourg ; installation dans la salle Clemenceau.

    Séance de l’après-midi : 14h00 à 17h00. Modérateur Alain Gresh.

    Les conséquences aujourd’hui de la duperie d’hier

    14h00 à 14h25 : Le partage. Israël. Résistance palestinienne. Du refus israélien de facto de tout Etat palestinien.
    Intervenant : Hassan Balawi, ancien journaliste de la Télévision palestinienne, diplomate, mission de Palestine auprès de l’U.E. de la Belgique et du Luxembourg.

    14h25 à 14h50 : Interventions étrangères au P.O de 1947 à 2011.
    Intervenant : Philippe Gunet, général de l’armée de l’air en retraite, analyste politique spécialisé sur les questions de Défense et de Sécurité au Proche et Moyen Orient. Membre du comité de rédaction du journal en ligne ORIENT XXI.

    14h50 à 15h15 : Le Proche-Orient depuis les indépendances : entre rêve d’unité et divisions.
    Intervenante : Agnès Levallois, consultante, spécialiste du monde arabe contemporain, chargée de cours à Sciences Po, vice-présidente de l’IrEMMO.

    15h15 à 15h40 : De quoi l’Etat islamique est-il le nom ? Entre utopie violente et désillusions (2014-2016)
    Intervenante : Myriam Benraad, politologue, spécialiste de l’Irak et du Moyen-Orient à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM - CNRS) et maître de conférences à l’Université de Limerick en Irlande. Directrice du mastère sur la Paix et le développement.

    15h40 à 16h00 : pause

    16h00 à 16h25 : Décomposition des Etats et recompositions
    Intervenant : Yves Aubin de la Messuzière, ancien ambassadeur de France, spécialiste du monde arabe.

    16h25 à 16h50 : Débat entre les intervenants et avec les participants.

    16h50 à 17h00 : Conclusions Pierre Lafrance, ambassadeur de France.

    Ce colloque, placé sous le patronage de la sénatrice Nathalie Goulet, le samedi 8 octobre 2016, de 9 h à 17 h au Palais du Luxembourg (Salle Clemenceau- 262 places).

    Le Bulletin d’inscription, ci-après, obligatoire, et le règlement, doivent être adressés au secrétariat du CVPR PO : chez Maurice Buttin, 54 rue des Entrepreneurs 75015 Paris.

  • Les mille visages de la contestation en Arabie saoudite (Orient 21)

    Contestation musicale...

    Peu d’informations circulent sur la contestation en Arabie saoudite.

    Pourtant, celle-ci est ancienne, multiforme, souvent menée par des islamistes qui réclament des réformes, la fin de la répression, une lutte réelle contre la corruption et même l’établissement d’une monarchie constitutionnelle. À toutes ces demandes, le pouvoir répond par la répression.

    Quelques mois après la destruction des tours jumelles de Manhattan le 11 septembre 2001, un prince saoudien, doté des responsabilités politiques, déclara au cours d’une interview : «  Nous qui avons fait nos études en Occident sommes pour la démocratie que dis-je  ? nous sommes de vrais démocrates. Mais si nous donnons au peuple le droit de vote, pour qui pensez-vous qu’il votera, sinon pour les islamistes  ? Comment voulez-vous que nous introduisions la démocratie en Arabie  ? Ce n’est pourtant pas l’envie qui nous manque  »1 Ce point de vue sous-entend que les islamistes sont les ennemis de la démocratie, même si, pour arriver au pouvoir, ils empruntent la voie démocratique. Pourtant par là aussi, peut-être à son insu, le prince reconnaissait la légitimité des islamistes ainsi que l’impopularité de la famille royale.

    La crainte que les islamistes ne viennent troubler la vie politique saoudienne a provoqué des mesures de répression sans précédent depuis la révolution iranienne de 1979 et l’occupation de la grande mosquée de la Mecque par des salafistes armés la même année. Au cours des dernières décennies, des dizaines de milliers de personnes ont été embastillées et des milliers d’autres assassinées au nom de la stabilité du régime. Et pourtant, il existe en Arabie saoudite bon nombre de mouvements sociaux qui s’inspirent pour partie de l’islamisme dans ses formes diverses et qui cherchent à créer des mouvements de masse et à organiser des protestations contre cet environnement si répressif. Ces mouvements n’ont guère de relais institutionnels puisque les partis politiques ont été interdits en 1932, les manifestations et les grèves en 1956. Et depuis 2014, toute action collective est assimilée au terrorisme et réprimée en conséquence. Malgré tout, ces mouvements, souvent issus de l’islam politique, parviennent à faire descendre des gens dans la rue et à les envoyer aux urnes pour contester telle ou telle orientation de l’État. Ils luttent pour imposer des réformes, dénoncer les abus de pouvoir, revendiquer une monarchie constitutionnelle et le respect des droits humains. Cet article a pour objet d’expliquer la réussite de quelques-uns de ces mouvements et l’échec des autres, et d’évaluer leur éventuel apport à l’avenir de la politique saoudienne.

    Sahwa, l’«  éveil islamique  »

    Al-sahwa al-islamiyya, «  l’éveil islamique  » (couramment appelé «  Sahwa  »), est l’un des mouvements sociaux les plus anciens d’Arabie saoudite. C’est l’expression saoudienne de réseaux transnationaux composés d’activistes égyptiens, syriens, irakiens, indiens, yéménites et saoudiens, venus de divers horizons politiques, certains étant des immigrants entrés dans le pays à partir de 1952. Dans le passé, la famille royale Al-Saoud a accueilli favorablement les Frères musulmans d’Égypte et de Syrie en exil, tout en interdisant la création d’une confrérie saoudienne.

    Les Frères musulmans saoudiens sont répartis entre quatre groupements informels, dont deux dans le centre du pays, l’un dans la province orientale (Al-Charqiya), et un autre dans le Hedjaz. À partir des années 1970, les Frères musulmans ont été actifs dans le système éducatif et dans les médias. Ils se faisaient les défenseurs d’une culture islamique plus inclusive et plus moderne que celle de l’enseignement religieux officiel. Ils critiquaient aussi l’influence d’experts étrangers au sein des institutions de l’État.

    Dans les années 1960 et 1970, en même temps que les Frères musulmans, des groupes salafistes ont émergé dans le cadre de la Sahwa.

    Nés d’une volonté de réinterpréter les textes religieux où l’État puise sa légitimité, ils se sont divisés aussi en plusieurs groupes, et leur interprétation du dogme va du quiétisme aux doctrines révolutionnaires. l’État tire sa légitimité, mais eux aussi se sont divisés en plusieurs groupes, dont les interprétations des dogmes vont du quiétisme aux doctrines révolutionnaires. Certains salafistes soutiennent l’État et sa politique religieuse, d’autres critiquent les institutions religieuses officielles. Les uns demandent des réformes politiques tandis que d’autres appellent à combattre par les armes l’État et ses soutiens occidentaux. Ils sont unis par une tendance à récuser l’impératif d’action politique organisée, sommant l’individu de se modifier lui-même d’abord pour devenir un musulman régénéré. Les Frères musulmans, en revanche, croient en la nécessité de l’organisation politique et en la possibilité de réformer la société de bas en haut. La Sawha se compose aussi bien de salafistes que de Frères musulmans.

    Comment des islamistes peuvent-ils s’opposer à un État qui doit sa légitimité à son adhésion bruyante à l’orthodoxie sunnite la plus stricte  ?

    Les salafistes comme les Frères musulmans soutiennent que la famille Al Saoud a abusé de la religion en la transformant en outil de pouvoir. Contre cet assujettissement du religieux au politique, ils espèrent utiliser la capacité des réseaux religieux comme remparts potentiels contre l’autoritarisme. Les islamistes croient que mobiliser ainsi les réseaux religieux permettra d’opposer la loi de Dieu aux méthodes de la famille royale, y compris sa coopération avec les États-Unis et l’Europe, perçue comme une tentative de recoloniser le Proche-Orient.

    Des militants de la Sahwa ont pris part aux protestations de masse contre la première guerre du Golfe (1990-1991), lorsque l’Arabie saoudite servait de base arrière aux armées occidentales déployées contre Saddam Hussein. Les islamistes saoudiens réclamaient la rupture des accords militaires avec les États-Unis et l’Europe, ainsi que l’indépendance de la magistrature, le respect des droits humains, la liberté d’expression, l’interdiction de la torture, une extension de l’État-providence et la fin de la corruption. Les Al Saoud ont répondu en renforçant leurs pouvoirs, avec l’adoption en 1992 de la Loi fondamentale et en réprimant le mouvement islamiste à partir de l’année suivante. Lors de leur sortie de prison à la fin des années 1990, des militants seront autorisés à participer à la mise en œuvre de réformes très limitées. Au cours du bref «  Printemps saoudien  » de 2003, ils réclameront de nouveau des changements politiques, apporteront leur soutien à une monarchie constitutionnelle et exigeront une fois de plus que les droits humains soient respectés. Les attentats de 2000-2005 visant les Occidentaux susciteront des arrestations massives et ce projet de réforme sera vite étouffé.

    Cependant, des candidats islamistes ont remporté les élections municipales de 2005 à Riyad, Djeddah, Dammam, La Mecque, Taëf et Tabouk.

    Ils sont parvenus à déjouer les règles draconiennes du système électoral qui interdisaient à la fois les coalitions de candidats et les programmes fondés explicitement sur la religion. La riposte des islamistes — y compris des salafistes, qui remportèrent quelques sièges à Dammam et Djeddah — a consisté à nouer des alliances clandestines, à l’aide de réseaux militants déjà en place. Mais ces élections ne présageaient d’aucune ouverture politique. Les électeurs ne désignent que la moitié des conseillers municipaux, l’autre moitié étant nommée par le gouvernement  ; et ces conseils n’ont aucun pouvoir, leur rôle est uniquement consultatif. La faible participation (environ 11 % à Riyad) montre à quel point la population s’est désintéresée d’un scrutin largement perçu comme dénué de signification. Cependant ces victoires des islamistes ont surpris et n’ont jamais été reconnues par l’État. Pour les élections suivantes, l’administration a modifié le code électoral pour empêcher une autre victoire islamiste, tout en réprimant toute action politique organisée avec une rigueur accrue.

    En 2011, à la veille des soulèvements arabes, des activistes de la Sahwa ont publié plusieurs pétitions adressées au roi Abdallah Ben Abdelaziz Al-Saoud, dont l’une, intitulée «  Vers un État de droit et des institutions  », plaidait en faveur d’élections libres et une autre, à coloration plus salafiste, s’intitulait «  Appel à la réforme  ». En 2013, ils ont apporté aussi leur soutien au président égyptien déchu, Mohamed Morsi. En février 2011, des militants salafistes ont fondé le Parti de l’oumma (Hizb al-umma) malgré l’interdiction des partis politiques, réclamant des élections libres et la séparation des pouvoirs. Les membres fondateurs ont tous été arrêtés et les réformateurs de nouveau réduits au silence.

    L’Association pour les droits politiques et civiques

    Le mouvement politique le plus important issu de l’islamisme sunnite est l’Association pour les droits politiques et civiques (jam‘iyya al-huquq al-siyasiyya wa-l-madaniyya) ou HASM, un acronyme signifiant «  détermination  ».

    Créé en 2009 par des militants de la Sahwa de haut rang, défenseurs des droits humains et membres de la société civile, HASM a «  réinventé l’islamisme en tant qu’activisme  », et esquissé «  une vision de réforme politique  ». Le mouvement réclamait la fin de la répression, prenant fait et cause pour les droits des prisonniers politiques et appelant de ses vœux une monarchie constitutionnelle.

    L’action directe non violente est au cœur de la stratégie des militants de HASM. Comme l’affirme le militant islamiste Abdallah Al-Hamid, la «  lutte par la parole  » (jihad al-kalima) ou la «  lutte paisible  » (jihad selmi) devraient être les principaux moyens de s’opposer aux injustices de l’État. Les membres de HASM ont dans leur collimateur aussi bien de ne conseiller le roi qu’en privé (nasiha), défendue par l’establishment religieux, que la répression de l’activisme politique, tolérée par le clergé. Pour eux, la répression étatique et l’interdiction des manifestations pacifiques sont les principales causes de l’escalade de la violence politique en 2003-2004, quand Al-Qaida dans la péninsule arabique (AQPA) a lancé une série d’attaques contre des conseillers occidentaux militaires et policiers à l’intérieur du royaume.

    Les procès publics des militants de HASM en 2011-2012 ont offert l’occasion d’actions collectives et de lobbying, les activistes s’en servant comme tribune pour critiquer la répression et exprimer leurs points de vue sur la réforme politique. Tous les fondateurs du mouvement ont néanmoins été condamnés à de lourdes peines par le tribunal spécial créé en 2008 pour juger les affaires de terrorisme. En 2013, ce tribunal a prononcé la dissolution de HASM2.

    La place des chiites

    La majorité des chiites saoudiens habite Al-Charqiya, la province orientale, riche en hydrocarbures. Même si les élites régnantes qualifient volontiers l’islamisme chiite saoudien de sous-marin iranien, ce mouvement a en réalité pris naissance dans les villes irakiennes de Nadjaf et Kerbala dans les années 1950 et 1960, et au Koweït dans les années 1970. Les islamistes chiites saoudiens sont affiliés au mouvement transnational Shirazi, du nom de l’ayatollah irakien Mohamed Al-Shirazi, qui a passé les trente dernières années de sa vie au Liban, au Koweït et en Iran. En 1979, les «  shirazis  » saoudiens se sont élevés contre la répression et la marginalisation dont ils étaient victimes, créant l’Organisation de la révolution islamique dans la péninsule arabique (munazhzhama al-thawra al-islamiyya fi-l-jazira al-arabiyya), rebaptisée en 1991 «  Mouvement réformiste saoudien  » (al-haraka al-islahiyya fi-l-sa’udiyya) puis se sont rapprochés de la Sahwa et de la famille royale. Le seul groupement chiite islamiste qui entretient des relations avec Téhéran est le Saudi Hezbollah, qui est beaucoup plus petit et qui a mené des opérations armées à l’intérieur du pays vers la fin des années 1980 et au milieu des années 1990.

    Des militants du Mouvement réformiste saoudien ont signé les appels nationaux en faveur de réformes politiques au cours du Printemps saoudien, et ont publié leur propre pétition, «  Partenaires dans la nation  », qui réclamait la reconnaissance officielle de la jurisprudence de l’islam chiite, l’égalité entre tous les citoyens et une meilleure représentation des chiites au sein des administrations et des tribunaux. Lors des élections municipales de 2005, les islamistes chiites ont emporté la majorité des sièges élus dans la ville de Qatif et la moitié à Hofuf. Les manifestations dans la province orientale, Al- Charqiya, ont débuté en 2006 en réaction à la guerre israélienne au Liban et en soutien au Hezbollah  ; plusieurs manifestants ont été arrêtés. En 2009, des heurts entre pèlerins chiites et sunnites en route pour La Mecque ont déclenché des manifestations de masse. Lors du soulèvement à Bahreïn en 2011, des chiites saoudiens sont descendus dans la rue par solidarité avec les protestataires du pays voisin. Un dissident shirazi, Nimr Al-Nimr a organisé plusieurs manifestations dans la ville d’Awamiya, qui se sont étendues à Qatif, Satwa et Hofuf. Les manifestations de rue et leur répression par la police se sont poursuivies tout au long de l’année 2014, avec des dizaines de militants abattus en pleine rue ou exécutés, dont Nimr Al-Nimr, mis à mort au début de 2016. Entre 2011 et 2014, ce soulèvement dans la province orientale a été l’incarnation la plus tangible d’une version saoudienne des soulèvements arabes de 2011.

    En finir avec la corruption

    Le mouvement anticorruption s’est formé au cours des violentes inondations qui frappèrent la ville portuaire de Djeddah en 2009, 2011 et 2015. Le 25 novembre (dit «  mercredi noir  »), des pluies diluviennes ont provoqué des inondations sans précédent qui ont balayé la ville, tuant entre cent et quatre cents habitants, détruisant maisons et infrastructures, surtout dans les quartiers pauvres. Militants et habitants des environs se sont organisés pour apporter des secours aux zones sinistrées, puisque les membres de la défense civile et les pompiers étaient mobilisés en vue de l’imminent pèlerinage à La Mecque. À Djeddah, les réseaux de militants propalestiniens, des militants de la conservation des monuments ainsi que des islamistes sunnites ont soutenu la mobilisation en faveur des victimes des inondations.

    L’étendue du désastre a conduit les habitants de Djeddah à une recherche collective des causes. Les militants montraient du doigt la municipalité, accusée d’avoir accordé des permis de construire n’importe où et d’avoir négligé la modernisation du réseau d’évacuation des eaux pluviales. Pour eux, les inondations sont une catastrophe naturelle causée par l’homme. En raison de la corruption municipale, affirmaient-ils, les zones inondables ont été loties, les canaux d’évacuation n’ont pas été entretenus et le système des égouts ne desservait que 8 % de la ville. Le 28 novembre 2009, l’avocat et militant des droits humains Walid Abou Al-Khair, représentant les familles des victimes, a porté plainte contre la ville de Djeddah. L’indignation générale a obligé le roi Abdallah à nommer une commission d’enquête, et plusieurs dizaines de fonctionnaires municipaux ont été condamnés à des peines de prison.

    Une répression tous azimuts

    Après les attentats de New York de 2001, Riyad a collaboré à la guerre contre la terreur conduite par les États-Unis, notamment en invitant des agents du Federal Bureau of Investigation (FBI) à assister aux interrogatoires de personnes suspectées de terrorisme3. Après qu’AQPA eut lancé une campagne d’attentats à la bombe contre des occidentaux en 2000-2005, des milliers de personnes ont «  disparu  » entre les mains des services de sécurité. Dès 2010, le pays comptait entre douze et trente mille prisonniers politiques. Tortures, mauvais traitements, viols, aveux extorqués étaient monnaie courante, et le sont toujours. La répression et les violences de l’État ont eu pour effet de sensibiliser le public à la situation politique et de déclencher la mobilisation des familles de prisonniers en un mouvement qui était alimenté par la répression au lieu d’être freiné par elle. Plus il y avait de détenus, plus il y avait de chances de voir des militants parmi leurs familles.

    Ce mouvement a démarré en octobre 2003 lorsqu’une grande manifestation a encerclé le lieu où se tenait le premier congrès des droits humains de Riyad4. Les parents des prisonniers politiques ont organisé des manifestations à répétition et des sit-in dans les mosquées de Riyad, devant le ministère de l’intérieur et dans plusieurs villes de province, surtout dans le centre du pays, ou le mouvement des «  partisans  » (al-munisarun) a organisé des dizaines de manifestations et a eu souvent maille à partir avec la police. Ces manifestations se sont poursuivies pendant les soulèvements arabes de 2011. Au début de cette année-là, par exemple, des dizaines de femmes se sont rendues au ministère de l’intérieur pour exiger des procès équitables pour leurs proches. Parmi d’autres slogans, elles scandaient : «  libérez nos innocents  » et «  Où sont nos enfants  ?  ».

    À la suite des soulèvements arabes, les Al Saoud ont donné un tour de vis supplémentaire à la répression. En 2014, un décret royal a défini le terrorisme comme étant «  toute action… visant à nuire à l’ordre public ou perturbant la sécurité de la société ou la continuité de l’État… ou insultant la réputation et l’honneur de l’État  »5. Cette même année, une ordonnance du ministre de l’intérieur définissait comme actes terroristes :
    - «  le fait de propager l’athéisme et la mise en doute des principes de l’islam sur lesquels la nation est fondée  » (article 1)  ;
    - «  le fait de prêter allégeance à quelque parti politique, organisation, mouvement, groupe ou individu  » (art. 2)  ;
    - «  le fait de soutenir, rejoindre ou sympathiser avec toute organisation, groupement, mouvement, rassemblement ou parti politique  », y compris sur les réseaux sociaux (art. 3)  ;
    - «  le fait d’appeler à des sit-in, des manifestations, des meetings, signer des communiqués ou inciter à y participer ou à en faire la publicité  » (art. 8)  ;
    - «  le fait d’assister à des conférences, des réunions ou des meetings […] qui sèmeraient […] de la discorde dans la société  » (art. 9).

    Selon ces définitions vagues, toute action organisée, même non violente, est désignée comme terroriste et réprimée. Les Frères musulmans eux-mêmes sont étiquetés terroristes.

    Relance des grèves

    Les syndicats ouvriers sont interdits en Arabie saoudite depuis 1947 et les grèves le sont aussi depuis 1956, après que la compagnie américaine Aramco a été paralysée par des mouvements sociaux en 1945, 1953 et 1956. Malgré cette répression de longue date, des conflits de travail sont reparus récemment en raison de la chute du prix du pétrole et la dégradation des conditions de vie, surtout parmi les ouvriers non qualifiés et les diplômés de l’enseignement supérieur. Depuis la fin des années 2000, des diplômés au chômage, des personnels hospitaliers, de l’éducation nationale et des autres services publics, et même les employés de la grande mosquée de La Mecque ont organisé des actions collectives et des grèves pour protester contre le chômage, les bas salaires, les salaires impayés ou la privatisation des entreprises publiques. L’exemple de ces travailleurs du secteur public — des Saoudiens pour la plupart, mais parfois aussi des étrangers — a été suivi dans le privé. Les restructurations économiques et les privatisations rend paradoxalement les mouvements sociaux plus efficaces : dans le contexte saoudien, les sociétés privées pâtissent davantage de la perte d’heures de travail et de bénéfices que les entreprises d’État. Les employés d’un opérateur téléphonique privé, Etihad Etisalat, ont ainsi fait grève en 2011 pour obtenir des augmentations. Le mouvement s’est répandu dans plusieurs régions et la compagnie a dû réévaluer ses échelles de salaire.

    Des ouvriers du bâtiment, secteur où l’on engage surtout des étrangers, ont également commencé à se rebiffer. Les travailleurs du Saudi Binladin Group, l’un des fleurons de la construction, font depuis 2010 des grèves à répétition contre les bas salaires, les salaires impayés et les licenciements massifs. En 2016 encore, des milliers d’entre eux ont participé à des manifestations et des grèves.

    Des succès réels mais limités

    Quatre mouvements sociaux — mouvements de réforme chiite et sunnite, mouvement contre la corruption et mouvement ouvrier — sont parvenus au cours des dix dernières années à introduire en Arabie saoudite des changements, si limités fussent-ils. Ils ont gagné dans plusieurs villes les élections municipales de 2005, fait comparaître devant les tribunaux des fonctionnaires corrompus et obligé les employeurs publics et privés à prendre en compte les revendications de leurs travailleurs.

    — Les islamistes se sont jetés à fond dans la bataille électorale de 2005 malgré la répression qui s’était abattue sur leurs mouvements et nonobstant le pouvoir limité des conseils municipaux. Leur victoire est un indice de leur capacité de mobilisation potentielle, et de la désaffection relative de la population envers la famille royale et les élites du régime. Elle a montré aussi qu’au lieu de boycotter des élections imparfaites, les islamistes pouvaient adhérer aux procédures électorales tout en contournant les règles complexes du scrutin. Le prince cité en tête de cet article avait à la fois raison et tort : des élections ont été organisées et les islamistes les ont remportées, mais elles ont surtout montré que les Al Saoud et les élites soutenues par l’État ne sont pas les seuls à vouloir jouer le jeu de la politique électorale. La participation des islamistes à ces élections et le soutien que depuis longtemps ils apportent à l’idée d’une monarchie constitutionnelle sont la preuve qu’ils tiennent les élections pour un outil de réforme légitime.

    L’État n’a jamais admis que les vainqueurs soient des islamistes  ; selon les médias officiels, ces élections n’avaient qu’un caractère technique, nullement politique, les élus aux conseils n’étaient que des technocrates sans partisans organisés. Les fonctionnaires de l’État ont retardé la première réunion de ces conseils municipaux pendant plus d’une année, voulant par là souligner leur insignifiance. En conséquence, lors des élections de 2011 et 2015, la participation, déjà faible en 2005, était encore plus basse. Pendant ce temps, l’État a poursuivi sa répression de toute action politique, identifiée au terrorisme depuis 2014.

    — Le mouvement anticorruption a conduit à une enquête publique sur les causes des inondations à Djeddah et à la condamnation de plusieurs fonctionnaires. Le succès était incomplet, cependant, car les principaux décideurs — et parmi eux des princes saoudiens — n’ont pas été inculpés. Le scandale causé par le nombre de morts n’explique pas à lui seul les résultats de la mobilisation. Les infrastructures municipales et le développement du secteur immobilier sont deux des principales voies par lesquelles la rente pétrolière est injectée dans l’économie. L’immobilier et les infrastructures sont au cœur du système de gouvernement saoudien. Les princes font don des terres en échange de la loyauté des bénéficiaires, et pour des secteurs importants du monde des affaires, ces terres sont source d’enrichissement. Les promoteurs, investisseurs immobiliers et propriétaires fonciers bénéficient tous de prêts publics gratuits et sont ainsi liés à l’État à la fois par cet endettement et par leurs espoirs financiers (les emprunts immobiliers privés n’ont été introduits qu’en 2012). De plus, en développant les villes et en les transformant en immenses banlieues, l’État a non seulement créé des occasions d’investissement, mais il a aussi rendu la mobilisation et les manifestations plus difficiles en raison de la dispersion de la population. Naguère rassemblés dans des agglomérations denses, les Saoudiens sont aujourd’hui atomisés en maisons individuelles éparpillées à travers un vaste paysage d’autoroutes, d’échangeurs et de banlieues mornes. La terre est par essence politique, elle est au cœur du système de pouvoir de la famille Al Saoud, que l’intervention du roi Abdallah à Djeddah visait à préserver.

    — Les succès du mouvement ouvrier ont été réels, mais très limités. Les grèves ayant contraint les entreprises à négocier sont rares et elles mettent en péril les ouvriers. L’interdiction des syndicats et la répression qui s’abat sur toutes les actions collectives, y compris les grèves et les manifestations, rendent particulièrement vulnérables les ouvriers les plus mal payés, dans leur immense majorité des immigrants asiatiques et arabes.

    Le plus grand échec des mouvements contestataires saoudiens est leur incapacité à surmonter les barrières géographiques et politiques pour réunir leurs forces. Les groupes islamistes sunnites sont aussi fragmentés que les groupes chiites. Les mouvements contre la répression et la corruption n’ont souvent qu’une base locale. En général, les mouvements protestataires saoudiens sont mal outillés pour s’opposer à la répression étatique. L’absence d’un mouvement national au moment des soulèvements qui ont mis fin au règne de Zine El-Abidine Ben Ali en Tunisie, de Hosni Moubarak en Égypte, de Mouammar Kadhafi en Libye et d’Ali Abdallah Saleh au Yémen est un symptôme de cette fragmentation. Certes, il y a eu des manifestations en janvier 2011 : des centaines de Saoudiens ont défilé contre la corruption et en faveur de la transparence. Pendant plusieurs jours, des manifestations ont eu lieu devant des bâtiments municipaux et des ministres clés  ; quelques immolations par le feu se sont produites entre 2011 et 2013 en réponse au suicide par le feu du vendeur ambulant Mohamed Bouazizi qui avait marqué le début de la révolution tunisienne. Les plus grandes manifestations se sont déroulées dans les zones chiites de la province orientale. Pourtant ces protestations ne se sont pas fondues en un soulèvement national. Toute possibilité de mobilisation générale a été écrasée dans l’œuf par un massif déploiement de policiers dans la capitale, la mise en détention de nombreux militants (y compris des membres du HASM et des dizaines d’activistes chiites) et par une escalade de la violence entre chiites et forces de sécurité dans la province orientale.

    Répression partout, réforme nulle part

    L’autoritarisme saoudien est peu subtil. Il consiste en une interdiction de toute action politique, un recours fréquent à la violence policière, l’opacité et la désinformation. Il y a des raisons historiques à cette situation. La famille Al-Saoud a consolidé son emprise sur le pays contre les protestations et l’insatisfaction populaires avec l’aide de la compagnie pétrolière américaine Aramco et la coopération d’experts sécuritaires occidentaux et arabes. Au cours des dernières décennies, l’État saoudien a bénéficié de l’aide jordanienne, égyptienne, française, britannique et américaine pour mettre sur pied un appareil de répression particulièrement brutal. Cette répression tous azimuts ne signifie pourtant pas que des membres des élites islamistes n’ont pas, de temps en temps, été intégrés aux ministères de l’éducation, des médias et des affaires islamiques. Mais chaque fois que des islamistes contestent l’autoritarisme et critiquent l’alliance américano-saoudienne, les Al-Saoud ont recours à des tactiques plus violentes.

    La répression des années 1990 a sans doute contribué à la radicalisation de certains secteurs marginaux de l’islamisme, à la création d’Al-Qaida ainsi qu’à une escalade de la violence dans la région et dans le monde. La guerre contre la terreur dans sa version saoudienne a été accompagnée dans les années 2000 par certaines réformes limitées, dont l’introduction de ces élections municipales. Or ces ouvertures très contrôlées n’ont pas modifié fondamentalement la formule du pouvoir. Et les lois de 2014 sur le terrorisme ont étendu la définition de celui-ci pour inclure toute contestation pacifique, toute parole politique et toute action organisée. L’État saoudien conserve entre ses mains les pleins pouvoirs, qui lui permettent d’écraser toute protestation et toute critique, si paisible ou si constructive soient-elles.

    L’arrivée au pouvoir en 2015 du roi Salman n’augure rien de bon quant à l’avenir politique, qui semble plus sombre que jamais. Son prédécesseur, le roi Abdallah était à l’origine des réformes — très limitées — des années 2000 (il a également été l’architecte principal de la guerre contre la terreur version saoudienne). À la différence de celui-ci, le roi Salman est resté muet sur les réformes politiques. Sa «  Vision saoudienne 2030  » présentée en 2016 préconise l’austérité, la diversification économique et la privatisation des services publics. Elle promet aussi davantage d’emplois et de divertissements. En l’absence de toute réforme politique et à mesure que diminuent les dépenses publiques, la répression policière demeurera l’alpha et l’oméga du système politique saoudien. Moins que jamais, les Al Saoud pourront prétendre être de «  vrais démocrates  » dans ce pays.


    1Note de terrain, Riyad, juin 2002.

    2Madawi Al-Rasheed, Muted Modernists : The Struggle over Divine Politics in Saudi Arabia, Hurst Publishing, Londres, 2015), pp. 33–34.

    3Témoignage de Thomas J. Harrington, sous-directeur adjoint de la section contre-terrorisme du FBI devant la commission des affaires étrangères de la chambre des représentants, Washington D.C., 24 mars 2004.

    4NDLR. MàJ. Un contresens s’était glissé dans la traduction Nos excuses pour cette erreur.

    5Décret royal sur les crimes de terrorisme et leur financement, publié le 31 janvier 2014.