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Maroc

  • Maroc : Vers une nouvelle vague révolutionnaire ? (ESSF)

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    Les ingrédients d’une crise politique majeure s’accumulent

    De la journée du 18 Mai à la manifestation nationale du 11 juin, la situation sociale et politique est marquée par l’accélération des contradictions. Le pouvoir est réellement mis en difficulté et les ingrédients d’une crise politique majeure s’accumulent.

    Vers une crise de l’hégémonie du pouvoir

    Face à la profondeur de la mobilisation populaire dans le Rif, le pouvoir a cherché à la diviser et à l’isoler sans succès réel. Il espérait que le temps jouerait en sa faveur et que le mouvement faute de débouchés, s’épuiserait de lui-même. La contestation dévoile une crise profonde de la façade démocratique, de ses relais institutionnels, des dispositifs hégémoniques des dominants :

    - Les partis du système, associés à la gestion d’un système clientéliste, répressif et corrompu, sont discrédités. Le système politique officiel est contesté dans les urnes par un boycott massif et dans la rue. Les péripéties qui ont accompagné la formation du nouveau gouvernement, loin des résultats des urnes exprimées dans le cirque électoral de novembre 2016, ont fait la démonstration que les partis ne sont rien d’autre que des exécutants dociles, l’antichambre du clientélisme et des gratifications royales. Il n’y a même plus de forces politiques du système qui peuvent vendre la possibilité de réformes dans le cadre de la continuité, à l’instar du PJD il y a quelques années ou avant eux de l’USFP. La monarchie a épuisé ses médiations à force de domestiquer le champ social et politique en ne lui laissant aucune autonomie.

    - Ce n’est pas un hasard si le mouvement actuel refuse de négocier sans conditions et s’adresse directement à la monarchie. Ce qui et mis au-devant de la scène, c’est le dévoilement de la façade : le monarque est le pouvoir réel. Une nouvelle séquence, en termes d’horizon politique, commence à être posée et qui aura un effet majeur sur les perspectives d’ensemble, quelle que soit l’issue de cette lutte. Lorsque les demandes sociales et démocratiques sont adressées directement à la monarchie qui n’a même plus de fusible à présenter, elle devient la cible potentielle. Ce qui est nouveau ou du moins se manifeste avec une nouvelle ampleur, c’est la combinaison de la crise sociale et de la crise politique.

    - Autre fait qui a son importance symbolique et politique. La vague de répression actuelle a été initiée après l’interruption du prêche d’un imam officiel qui a tenu un sermon contre le Hirak. Nasser Zefzafi posait la question de savoir si « les mosquées sont la maison de dieu ou celle du makhzen ? » suivi par un mouvement de boycott des mosquées du pouvoir. C’est sans doute la première fois que la contestation s’immisce sous cette forme dans l’un des dispositifs les plus ancrées de la légitimation pré-moderne de la monarchie (où le roi s’affirme comme « commandeur des croyants »). Par ailleurs, le discours de la contestation puise, non pas dans les référents théologiques de l’islam politique organisé ou d’Etat, mais dans les ressorts culturels de l’islam populaire mis au service des luttes sociales et démocratiques. Il s’agit d’un discours politique laïc dans son contenu social et démocratique et les explications rationnelles des motifs de la lutte, mais qui s’irrigue en partie de la religion comme culture et langue intégrée dans le vécu populaire. Cette symbiose est corrosive pour le pouvoir. C’est donc autant les éléments de légitimité moderne de la façade démocratique que traditionnelle qui sont fissurés par la contestation actuelle.

    - L’autre bras du système, la répression organisée ou la menace de son emploi, produit un effet contraire. La peur du makhzen a largement reculé. Réprimer frontalement, provoquer un massacre, c’est prendre le risque d’un embrasement général et l’effondrement de la façade démocratique. La monarchie deviendrait la cible directe. L’image d’un royaume stable sur l’échiquier régional, « en transition démocratique », en mesure de respecter, dans un contexte de paix sociale, les conditions exigées par le FMI et les multinationales, volerait en éclat. Les ressources externes à la reproduction de la domination sur le plan interne se trouveraient considérablement affaibli, voire remises en cause en se combinant à des processus ouverts de délégitimation interne.

    - Le système témoigne d’une faiblesse grandissante. La nature même de la propagande contre le Hirak est révélatrice : la théorie du complot légitime la répression et révèle que face aux tensions sociales, le pouvoir ne véhicule plus la promesse d’un changement social et d‘une auto reforme. Le mythe d’une unité nationale menacée sonne creux tellement les injonctions sont multiples : un jour le mouvement serait à la botte des services secrets algériens, un autre il serait financé par le Polisario, une autrefois des accointances existeraient avec le chiisme sur fond de lourds motifs d’inculpation et de suspicion. Ce discours de fabrique de l’ennemi intérieur se nourrit d’une réactivation d’un racisme culturel latent. Le pouvoir en crise n’incarne plus un idéal type qui permet une identification positive permettant de temporiser les attentes qui émergent de la société. Les illusions tombent.

    - Il a perdu la bataille de la communication. On ne peut plus étouffer à l’heure des réseaux sociaux la réalité de la contestation et de sa parole. Les medias aux ordres ne sont plus en mesure d’invisibiliser et de détourner le sens des révoltes populaires et quand ils le font, ils renforcent la conviction que ce système n’est pas prêt au dialogue, ni à se reformer, parce qu’il ment et le mensonge est disséquée, analysée, contestée donnant des raisons supplémentaires à la détermination d’en finir avec lui.

    L’échec politique du pouvoir

    - La vague répressive qui a suivi le 26 Mai a visé le noyau dur de la direction du Hirak espérant ainsi désorganiser le mouvement. Cette stratégie ne marche pas :

    a) Le Hirak a fait émerger une nouvelle direction civile organiquement liée au mouvement de contestation car il a produit une large couche de militant-es anonymes ayant fait leurs armes dans l’expérience de masse de la confrontation avec le pouvoir. Signe de l’enracinement de la protestation même si celle-ci devient plus difficile

    b) La contestation s’est enracinée dans une activité quotidienne. Elle a également stimulé la solidarité dans tout le pays et le début d’extension géographique au-delà du Rif.

    c) La répression a fait émerger dans la lutte un mouvement de femmes à l’avant-garde du combat pour la libération des détenus mais aussi comme acteur dans la mobilisation.

    d) Il n’y aucun changement au niveau des exigences du Hirak. C’est l’ensemble des revendications portées depuis plusieurs mois qui constituent le socle de la lutte. La question de la libération des détenus porte à un niveau supérieur la combinaison de la lutte pour la liberté politique et la satisfaction des revendications sociales.

    e) Le dialogue est toujours refusé pour les mêmes (bonnes) raisons : tant qu’il n’y a pas de libération de tous les détenu-es, la levée de la militarisation, la reconnaissance des représentant-es décidés par le Hirak lui-même. Pas plus qu’il ne s’agit d’un dialogue en échange de l’arrêt de la mobilisation ou avec les personnages de la façade ou pour des objectifs contraires à la satisfaction des revendications assorties de mécanismes de garanties et de contrôle

    Le pouvoir a été mis en échec sur le plan politique. Entre le 18 mai et le 11 juin se sont succédés les appels de solidarité alors que le niveau de répression dans le RIF a imposé une chape de plomb. Celle ci vise à rendre impossible tout rassemblement ou manifestation massive et empêcher une activité de masse quotidienne. Tout en continuant la vague d’arrestation des animateurs de la mobilisation (plus de 120 aujourd’hui). Les mobilisations dans le reste du pays ont également été fortement réprimées. C’est dans ce contexte que l’appel à une initiative centralisée à rabat a vu le jour avec pour slogan fédérateur « Nous sommes un seul pays, un seul peuple, Tous contre la Hogra ».

    Cette initiative a été soutenue par un arc de force assez large regroupant des secteurs militants du mouvement social, la gauche non gouvernementale, les forces de la gauche radicale, l’opposition islamiste indépendante, les associations des droits de l’homme, les coordinations locales de soutien au RIF, les courants amazighs. Son objectif était de contrer la propagande du pouvoir contre le prétendu séparatisme, de situer le terrain du conflit sur le refus de la Hogra et des questions sociales, d’apporter une solidarité à la mobilisation du rif et d’exiger la libération des détenus et l’arrêt de la répression. Mais derrière ces objectifs, il s’agissait aussi de vérifier les possibilités de la construction d’un mouvement au niveau national. Malgré le contexte du ramadan, La manifestation ouverte par le comité des détenus des familles du Rif fut un véritable succès avec une participation de 100 à 150000 manifestants.

    Comme lors du M20F, les organisations n’apparaissent pas en tant que telles, même si on pouvait signaler l’imposante démonstration de force d’Al adl wal ihsanne. Mais l’essentiel est dans le fait que cette initiative a pu unifier les slogans sur des bases progressistes de revendications des droits pour tous et toutes contre la hogra et la repression. Elle annonce la constitution d’un front pour la défense des libertés, de la dignité et la justice sociale comme l’affirme son communiqué final, s’engageant dans toutes les régions du pays à construire les mobilisations. En tout état de cause, le pouvoir est maintenant confronté à deux processus qui doivent se combiner : le maintien de la résistance populaire dans le rif, le réveil social et démocratique dans les autres régions du pays.

    Le HIRAK Et le M20F

    - Nombre de manifestant-es actuell-es, slogans et le recul de la peur sont liés à l’expérience de 2011. Mais la comparaison s’arrête là. L’inquiétude du pouvoir n’est pas seulement que le Hirak puisse inciter d’autres populations à revendiquer mais que se cristallise une nouvelle vague révolutionnaire portée, cette fois çi, par un mouvement populaire sans médiations , sans revendications gérables pour le système, sans cibles secondaires ou dérivatifs, plus articulé à la population et aux urgences sociales dans leur globalité. Ce qui se profile est un mouvement qui tire sa légitimité et sa radicalité de la lutte pour mettre fin aux politiques d’austérité et à la militarisation et répression. Lorsque les demandes sociales sont traduites en revendications concrètes et claires, nul alchimie et tour de passe-passe électorale ou constitutionnel ne peut y répondre. Lorsque la lutte exige la fin de la militarisation, elle va plus loin que le dispositif en vigueur, elle touche l’architecture interne de l’appareil répressif et un système basé sur la violence de l’état. Quand la lutte exige la fin du règne de l’austérité, de la Hogra et de la répression, elle trace des lignes de fracture avec l’ordre établi qui ne peuvent être désamorcée sur le champ institutionnel.

    - Le pouvoir ne peut satisfaire les revendications. Le faire, c’est indiquer que par la lutte collective, il est possible de gagner. Le faire suppose une réorientation globale des politiques publiques. Une équation impossible pour le pouvoir associé organiquement à un capitalisme patrimonial fondé sur la dépossession continue, la dépendance et l’impunité économique de la caste dirigeante. La situation est telle, que de simples concessions minimes ou formelles, ne serait-ce que pour gagner du temps, relève maintenant d’une inefficacité politique. Car des secteurs de la population ont aussi assimilé l’expérience du 20 février et de sa suite. Les concessions accordées sont faites pour être reniées. Les changements constitutionnels ou du personnel politique, les élections ne changent rien au rapport de l’Etat à la société. Le dialogue social c’et échanger la lutte contre une promesse qui n’aboutit jamais. D’une certaine manière, le pouvoir a fait trop peu ou trop tard. [1] Sa stratégie de concessions partielles, de récupération/neutralisation des directions, d’éparpillement des revendications, sa guerre d’usure est sans effet.

    Par bien des aspects, le Hirak est un mouvement plus radical que le M20F.Il faut saisir la dynamique de lutte comme un processus ouvert de radicalisation qui, de la défense des questions sociales et démocratiques élémentaires en vient à contester progressivement la gestion sécuritaire et politique de ses demandes et de ses donneurs d’ordre. Ce qui nourrit cette radicalisation ce ne sont pas des mots d’ordre politiques centraux mais la contradiction concrète entre les revendications portées et la nature répressive et antipopulaire du pouvoir dans un contexte d’affrontement de masse qui passe par des phases multiples. Nous sommes loin de la simple revendication de la justice pour Fikri et le combat aujourd’hui est global bien que limitée par la situation d’isolement de la région. Dans ce contexte comment poser la question de la construction d’un mouvement populaire global ?

    Enjeux et défis de phase qui s’ouvre

    La possibilité qu’émerge une dynamique nationale victorieuse nécessitera d’éviter les pièges et la répétition des erreurs ou limites du M20F :

    - Il s’agit de mettre en cœur de la mobilisation les urgences sociales et démocratiques concrètes, de décliner la lutte contre la Hogra sur le plan local. En somme de combiner la défense des droits fondamentaux (« la fin du règne de la prédation de l’austérité de la hogra et de la répression ») en les associant aux besoins concrets et préoccupations immédiates des masses populaires.

    - De refuser les mots d’ordres qui canalisent la lutte populaire vers des objectifs constitutionnels (une constitution démocratique ou une monarchie parlementaire) ne traduisant pas concrètement, à cette étape, la nécessité de se mobiliser et d’en finir avec le makhzen de la prédation et de la répression, de répondre aux urgences sociales, et qui diviseraient le mouvement sur la nature des « solutions politiques ».

    - De refuser les officines politiques, les pseudos dialogues avec les marionnettes du pouvoir, les médiations et relais du système. Les demandes sociales et démocratiques doivent être orientées vers le pouvoir réel et les véritables centres de décisions à l’image des exigences du Hirak dans le Rif.

    - De structurer le mouvement à travers à des fronts de lutte locaux qui ne se résument pas à un cartel d’organisations ou des réseaux militants. Il s’agit d’avancer vers des cadres de mobilisation de masses, d’unité d’action populaire, réellement participatifs et inclusifs, vers un mouvement structuré par en bas, qui ne dépende pas de l’agenda des organisations, mais développe ses propres forces et directions de luttes. Cet enracinement populaire et local, où ceux et celles qui luttent, élaborent leurs revendications et dirigent leur lutte, est la condition d’une représentation organique du mouvement, y compris à l’échelle nationale. C’est ce processus qui permettra de massifier la mobilisation et de maintenir l’unité des forces qui luttent réellement pour le changement. Sans la prise en compte de cette dimension, c’est rester à une vision des rapports entre mouvements sociaux/populaires et forces politiques, contestable, historiquement dépassé et qui constitue un problème et non pas un début de solution.

    - De développer et élargir l’unité , en incluant d’une manière stable les différents mouvements sociaux et les secteurs syndicaux sans attendre l’aval des bureaucratie ou leur bon vouloir pour donner consistance à un véritable front social, démocratique et populaire tournée vers l’action. L’unité en ce qui concerne les forces politiques doit être sans exclusive mais sans concessions sur le fond : 1) l’unité pour la défense des revendications sociales et démocratiques immédiates de l’ensemble du peuple sans restreindre la lutte actuelle à des objectifs limités : libération des détenus, arrêt de la répression, solidarité avec le Rif. 2) l’unité sur la nécessité de construire un rapport de force sur la durée par les mobilisations jusqu’à la satisfaction des revendications. 3) l’unité sur la nécessité de respecter l’indépendance organisationnelle du Hirak, des mouvements populaires et de leurs structures propres.

    - L’enjeu est de surmonter les inégalités de rythmes, la diversité des configurations sociales et culturelles, faire face aux manœuvres du pouvoir, imposer le droit de manifestation. Mais si des « temps forts « nationaux sont nécessaires, nous ne pouvons oublier une leçon du M20F : des manifestations massives et régulières ne suffisent pas à déplacer le rapport de force. Il nous faudra, chemin faisant, développer des formes de luttes qui impulsent la désobéissance généralisée, les occupations des espaces publics, les arrêts et grèves sur les lieux de travail.

    - Il y a également un enjeu de solidarité internationale. Si la lutte du Rif a une relative visibilité médiatique sur le plan international, l’axe essentiel ne peut se réduire à mobiliser les communautés immigrés, les réseaux militants marocains existants, il faut mener une bataille de longue haleine et publique, visant inclure les forces progressistes des pays en question, dans le soutien concret au combat populaire et contre les complicités des Etats avec le pouvoir en place. Il s’agit de traquer le régime au niveau de ses appuis internationaux étatiques, de construire un courant d’opinion publique solidaire, de briser l’image d’un roi moderne qui camouffle une tyrannie réelle et un système maffieux.

    Rassembler la gauche de lutte

    Dans l’ensemble de cette séquence, Les courants de la gauche radicale et de lutte devraient s’unir sans préalables ou conditions. Cette unité ne peut se limiter à se coordonner ponctuellement dans des initiatives conjoncturelles de soutien à la mobilisation. L’enjeu est que se développe une expression politique commune permanente dans les batailles explicites ou implicites à venir et autour de quelques repères fondamentaux : aucune solution aux revendications populaires n’est possible sans une large mobilisation unitaire et combative, sans la perspective d’un affrontement majeur avec le pouvoir de la minorité maffieuse et prédatrice, sans mettre fin au makhzen et à toutes ses institutions. Nul ne peut se substituer au peuple et aux exploités dans la lutte pour la justice sociale, la dignité et la liberté ou décider à leur place ou parler en leur nom. Nous luttons pour que le mouvement populaire se représente lui-même, construit ses organes de lutte et de décisions en toute indépendance du pouvoir, ses relais et des partis, et mène la lutte jusqu’au bout pour la fin du règne de l’austérité, de la Hogra et de la matraque. Qu’ils soient organisés ou non, il s’agit de rassembler tous ceux et celles qui luttent pour une société sans discrimination et oppression, tournée vers la satisfaction des besoins sociaux, les libertés collectives et individuelles, des droits pour tous et toutes et l’égalité effective, tous ceux et celles qui luttent pour une autodétermination démocratique et sociale du peuple, une répartition égalitaire des richesses, pour agir ensemble, ici et maintenant. Quelque soient les différences passées ou actuelles, l’émergence d’un pôle dans la lutte clairement progressiste et radical est un atout pour la défense des intérêts généraux des classes populaires, la dynamique de la mobilisation, et la construction à terme d’une alternative politique plus crédible.

    Cette unité ne signifie pas masquer nos différences, mais à partir d’un socle commun défendue publiquement, nous pouvons les discuter sereinement, en partant des enjeux concrets et possibilités de la lutte. Nous ne pouvons prétexter la présence massive de AWI et de tactiques différentes vis-à-vis de ce courant pour paralyser l’expression collective, unitaire et indépendante de la gauche de lutte et les possibilités d’interventions communes. Nous ne pouvons non plus nous borner à construire des cartels d’organisations alors que l’enjeu pour une victoire réelle est que naisse un mouvement de masse indépendant, auto organisé, coordonné démocratiquement et qui compte sur ses propres forces. La gauche de lutte doit s’appuyer avant tout sur le peuple et les catégories populaires qui restent aujourd’hui majoritairement peu ou pas organisées. C’est aussi cela la leçon du Rif. La gauche de lutte doit aider que s’exprime une radicalité, non pas minoritaire mais de masse, évitant le piège de ceux, qui affolés devant les batailles qui peuvent venir, cherche encore une fois les compromis qui donneront une bouée d’oxygène au pouvoir actuel et à la perpétuation de la situation telle qu’elle est. C’est aussi cela la leçon du Rif. La gauche de lutte doit aider à ce que s’affirme un combat global qui vise à obtenir la victoire, loin des stratégies de pression, de calculs tactiques et de démonstration de force où se marchandent d’éventuels compromis ou retrait de la lutte demain. En tout état de cause, ne répétons pas l’erreur du M20F où les courants militants politiques et sociaux de la gauche de lutte sont entrés dans la bataille en rang dispersés et divisés, sans capacité de peser dans l’élargissement aussi bien du rapport de force que des perspectives d’émancipation sociale et démocratique. Notre responsabilité est collective et elle est clairement engagée vis-à-vis de notre peuple. La gauche réelle en sortira renforcée et reconnue où durablement défaite.

    Chawqui Lotfi

    note:

    [1L’envoi d’une délégation interministérielle après la manifestation du 18 mai supposée faire la démonstration que le gouvernement cherche des solutions a été accueillie comme il se doit. Un ouvrier du port de Hoceima a expliqué au ministre de l’agriculture et de la pêche, qu’il n’avait pas le temps d’écouter (ses balivernes). Le ministre de l’éducation a été accueilli par des manifestations, les étudiants l’obligeant à se présenter au milieu d’eux et à répondre à leurs interventions, le faisant quitter précipitamment les lieux. Le ministre de l’intérieur visitant une zone marquée par un conflit issue de l’expropriation de paysans dans la province de Hoceima , a été encerclé par les habitants devant son refus de s’expliquer devant eux tous, en plein air et face aux médias. Les habitants ont bloqué aux milieux de slogans son hélicoptère pendant deux heures. Ces faits peuvent apparaitre anecdotiques mais révèlent un fait : la fracture entre les élites et le peuple, le recul de la peur, l’insolence rebelle des pauvres quand ils ont conscience de leurs droits.

    http://taharour.org/

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article41302

    Lire aussi:

    Maroc : contre le chômage et la pauvreté mobilisation dans le Rif (Lutte Ouvrière)

     

  • Le “Hirak” dans le Rif marocain continue sa résistance et la contestation s’étends ! (ESSF)

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    Depuis plus de six mois, un mouvement de contestation populaire massif s’est développé dans la région du Rif au nord du Maroc, et a culminé par un rassemblement de plusieurs dizaines de milliers de manifestant·e·s à dans la ville de al-Hoceima le 18 mai dernier.

    Tout a débuté en octobre 2016 lorsqu’un jeune pêcheur, Mohsen Fikri, a été broyé dans une benne à ordures à al-Hoceima. Les populations locales du Rif se sont alors organisées dans des comités locaux, demandant le jugement des responsables de ce décès et de celui de cinq autres Rifains tués dans une agence de la Banque Populaire lors des manifestations populaires du 20 février 2011. Le mouvement de protestation réclame aussi la levée de la militarisation de la province d’al-Hoceima, l’arrêt des poursuites et du harcèlement contre les petits paysans, la libération de tous les prisonniers·ères politiques du Rif et l’augmentation et l’amélioration des services de santé, d’éducation, culturelles, et les infrastructures qui font défaut dans la région.

    Contre les politiques d’austérités

    Ces mobilisations sont le résultat de l’autoritarisme de la monarchie marocaine et surtout des politiques néolibérales destructrices au niveau social pour les classes populaires, encouragées et imposées par les institutions financières et commerciales internationales et les gouvernements des puissances impérialistes. Cela s’est en effet traduit par des politiques démolissant le tissu productif, par le pillage des ressources maritimes et forestières, la faiblesse des principaux services publics et l’absence d’emploi pour les jeunes.

    Ces dynamiques populaires sont également liées à la question Amazigh au Maroc, dont la région du Rif est peuplée. En plus de la justice sociale et la dignité, les manifestant·e·s demandent en effet que les services locaux de la fonction publique recrutent des habitant·e·s de la région, et l’adoption de l’amazigh comme langue de l’administration locale. Les autorités monarchiques ont en effet l’habitude d’envoyer des fonctionnaires et policiers d’autres régions du Maroc non Amazigh pour contrôler et intimider les habitant·e·s locaux, souvent en toute impunité. Le Rif a d’ailleurs des spécificités historiques, longtemps exclu par la monarchie, il a une longue histoire de résistance : de la création de la République du Rif avec Abdekrim el Khattabi, au soulèvement au lendemain de l’indépendance contre le pouvoir central, au cœur des révoltes contre les politiques d’ajustement structurel, particulièrement mobilisé durant le M20 Février. Le drapeau amazigh est d’ailleurs très présent dans les manifestations, associés aux slogans sociaux et démocratiques contre les autorités centrales de Rabat.

    L’Etat autoritaire marocain tente de son côté de réprimer et diffamer le mouvement de contestation pour qu’il ne soit pas suivi dans d’autres villes et régions du Maroc qui vivent dans les mêmes conditions de marginalisation, de paupérisation et de répression. Le pouvoir présente notamment les manifestant-es comme des « séparatistes » financés par l’étranger qui contestent l’autorité et l’intégrité territoriales. La répression est également très dure de la part des forces répressives et « balatgias » (voyous employés par le régime) contre les manifestant.es.

    Ces politiques répressives et autoritaires n’ont néanmoins pas permis de mettre fin au mouvement, qui s’étends même avec des discours et mobilisations de soutien en faveur du mouvement populaire dans le Rif à travers plusieurs villes du pays. Le 28 mai au soir, des rassemblements de solidarité ont eu lieu dans plusieurs villes (Tanger, Nador, Marrakech, M’diq), y compris devant le parlement à Rabat, avec le mouvement du Rif. Plus de 40 personnes du « Hirak » ont été arrêtées par les autorités depuis le début du mouvement du Rif, dont Nasser Zefzafi, le leader de la contestation populaire, incarcéré le 29 mai sous prétexte qu’il avait 3 jours plus tôt interrompu le prêche de l’imam à la mosquée qui accusait les manifestations d’apporter la « fitna » (discorde) dans le Royaume. Le soir même de son arrestation, près de 3000 manifestant·e·s réclamaient sa libération dans les rues d’al-Hoceima et « la liberté, la dignité et la justice sociale ». D’autres manifestations ont également eu lieu dans la région, plus précisément à Nador et dans les villes d’Atroukoute et Imzouren. Ce mouvement de contestation populaire s’est poursuivi toute la semaine.

    Le vendredi 2 juin, une grève générale a été lancée depuis la ville d’Al-Hoceïma à l’initiative du « hirak », contre les politiques autoritaires du gouvernement et la libération des activistes du mouvement incarcérés. La grève a été suivi dans plusieurs villes proche d’Al-Hoiceima. Les prêches officiels dans les mosquées ont également été boycottés dans al-Hoceima et ses environs. Cette journée fut marqué par de nombreux affrontements entre manifestant-es et forces répressive de l’état.

    Le 5 juin, c’était le tour de deux membres de premier plan du « Hirak » (mouvement) d’être arrêtés : Nabil Ahamjik, considéré comme le numéro deux du mouvement, et Silya Ziani, l’une des nouvelles figures des manifestations. Ces arrestations n’ont qu’attiser la colère de plusieurs milliers de manifestant-es qui continuent de se réunir chaque soir à Al-Hoceima et ses environs.

    La contestation est loin d’être finie, et la détermination des manifestant-es du Rif persiste. La solidarité se développe en même temps progressivement à travers le pays, malgré les tentatives de la monarchie marocaine d’empêcher tout effet boule de neige à travers le pays. L’extension est la clé de la réussite et de la survie du mouvement. On a notamment observé des manifestations et grèves dans plusieurs villes du pays ces derniers jours pour protester contre leurs marginalisations économiques et sociales. Le 6 juin, une grève et des manifestations ont par exemple eu lieu dans la ville de Imintanoute, proche de Marrakech, contre le coût élevé des factures d’eau et d’électricité qui ont augmenté de plus de 50 %, en plus d’autres revendications sociales et économiques comme la construction d’un hôpital. La contestation continuait dans la ville.

    Solidarité avec la lutte pour la liberté, la dignité et la justice sociale des classes populaires du Rif et du Maroc !

    Joe Daher mercredi 7 juin 2017

    https://syriafreedomforever.wordpress.com/

    http://www.europe-solidaire.org/

     

    Lire aussi:

    Au Maroc, le «Hirak» des manifestants de la région du Rif gagne tout le royaume (Médiapart)

     

  • Maroc. Vague d'arrestations massives visant des manifestants dans le Rif (Amnesty)

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    Depuis une semaine, les autorités marocaines procèdent à une vague massive d'arrestations, visant de nombreux manifestants, militants et blogueurs dans la région du Rif, dans le nord du Maroc, qui font suite à des mois de contestations réclamant la fin de la marginalisation des habitants et un meilleur accès aux services dans la région, a déclaré Amnesty International.  

    Dans certains cas, les personnes arrêtées sont privées de la possibilité de consulter rapidement leur avocat en garde à vue. Dans d’autres, les avocats qui ont pu voir leurs clients au tribunal d’Al Hoceima ont déclaré qu'ils présentaient des blessures visibles et avaient affirmé avoir été frappés lors de leur arrestation. En outre, on craint que des manifestants et des blogueurs pacifiques relayant les manifestations sur les réseaux sociaux ne figurent parmi les accusés, probablement pour des charges liées à la sûreté de l'État.

    « Cette vague d'arrestations ressemble fort à une tentative délibérée de punir les manifestants dans le Rif pour les mois de dissidence pacifique. Les autorités marocaines doivent respecter les droits à la liberté d'expression et de réunion. Les personnes accusées d'une infraction reconnue par la loi doivent bénéficier du droit à un procès équitable. Les autorités doivent veiller à ce que les militants pacifiques ne soient pas inculpés d'accusations forgées de toutes pièces en vue de les sanctionner pour leur participation aux manifestations dans le Rif », a déclaré Heba Morayef, directrice des recherches pour l'Afrique du Nord à Amnesty International.

    La récente vague de manifestations a éclaté après qu’un leader des contestations Nasser Zefzafi a publiquement pris à parti, lors de la prière du midi à la mosquée d'Al Hoceima le 26 mai, un imam qui aurait fait des déclarations hostiles aux manifestations populaires dans le Rif. Une vidéo de l'incident a ensuite été partagée sur les réseaux sociaux et il a été arrêté quelques jours plus tard.

    Entre le 26 et le 31 mai, les forces de sécurité ont appréhendé au moins 71 personnes en marge des manifestations à Al Hoceima et dans les villes voisines d'Imzouren et de Beni Bouayach. Certaines manifestations ont dégénéré en jets de pierres sur les forces de sécurité qui ont parfois réagi à coups de canons à eau et de gaz lacrymogènes. Des blessés ont été recensés dans les deux camps. Cependant, de nombreux militants, dont des manifestants pacifiques et des blogueurs qui avaient relayé les événements sur les réseaux sociaux, ont été arrêtés après la fin des manifestations.

    Au moins 33 personnes comparaissent devant les tribunaux, inculpées par le procureur général du roi à Al Hoceima. Elles sont notamment accusées d'assaut et insulte contre des représentants de l’État, jet de pierres, rébellion et rassemblement non autorisé. Une demande concernant la libération de 26 personnes placées en détention provisoire a été refusée et l'affaire est reportée au 6 juin. Elles sont détenues à la prison locale d'Al Hoceima.

    Selon les avocats, plusieurs accusés ayant comparu devant le procureur général du roi à Al Hoceima présentaient des blessures visibles sur le visage et le corps. Les accusés leur ont raconté que les policiers les avaient battus, frappés, leur avaient donné des coups de pied et des claques lors de leur arrestation et durant leur transfert aux postes de police. Beaucoup ont relaté avoir été insultés ou menacés, notamment de viol, par les policiers qui les ont arrêtés. D'autres ont signé des procès-verbaux d'interrogatoire pour s'apercevoir ensuite que des pages y avaient été ajoutées sans leur consentement. Le procureur général du roi a ordonné des examens médicaux dans plusieurs affaires.

    Les avocats ont déclaré qu'ils n'avaient pas pu rendre visite à leurs clients pendant leur garde à vue au poste d'Al Hoceima. En effet, la police judiciaire d'Al Hoceima n'a pas informé les proches des détenus de l'endroit où ils se trouvaient, et ils n’ont donc pas pu donner d’instructions à leurs avocats. En outre, les avocats n'ont pas pu obtenir l'autorisation du procureur général du roi de rendre visite à leurs clients en garde à vue avant l'expiration du délai de 24 heures après l'arrestation, comme l'exige pourtant le droit marocain.

    Sur les 71 personnes arrêtées entre le 26 et le 31 mai, 31 ont été transférées à Casablanca pour être interrogées par la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ), organe national chargé des crimes graves, notamment des infractions liées à la sûreté de l'État et au terrorisme. Bien que les détenus n'aient pas encore été inculpés, il est à craindre qu’ils ne soient accusés d'atteintes à la sûreté de l'État.

    « Nous déplorons que les autorités envisagent de porter des accusations liées à la sûreté de l'État pour sanctionner des militants ayant pris part aux manifestations », a déclaré Heba Morayef.

    Les avocats n'ont pu rendre visite qu'à 22 détenus sur les 31 transférés à Casablanca le 1er juin. La plupart ont affirmé que des policiers les avaient insultés, menacés et parfois roués de coups de pied, lors de l'arrestation, durant le transfert vers le poste d'Al Hoceima ou au poste. Toutefois, ils ont décrit des conditions de détention décentes pendant leur garde à vue à la Brigade nationale de la police judiciaire. Ils seront rapidement rapatriés à Al Hoceima pour une audience devant le procureur général du roi à la cour d'appel d'Al Hoceima.

    Les avocats n'ont pas encore pu rencontrer un groupe de sept autres détenus, dont le leader des contestations Nasser Zefzafi, les magistrats ayant retardé leur entrevue. Ces détenus devraient recevoir la visite de leurs avocats le 5 juin. Deux personnes arrêtées le 31 mai n’ont toujours pas rencontré leur avocat.

    Au titre du Code de procédure pénale du Maroc, la police peut maintenir en garde à vue un détenu sans inculpation jusqu'à trois jours pour des infractions de droit commun, jusqu'à huit jours pour des infractions liées à la sûreté de l'État, et jusqu'à 12 jours pour des infractions liées au terrorisme. La loi autorise les magistrats à retarder l'accès aux avocats, pour les besoins de l'enquête.

    « Le risque d’atteintes aux droits humains est maximal au cours des premières heures suivant l'arrestation, surtout si les détenus sont coupés du monde extérieur – aussi est-il essentiel d'informer les familles et de pouvoir consulter rapidement un avocat », a déclaré Heba Morayef.

    Amnesty International demande aux autorités d'inclure dans la réforme de la procédure pénale le droit pour tous les suspects d'être assistés d'un avocat pendant les interrogatoires de la police.

    Peu après l'incident à la mosquée d'Al Hoceima qui a déclenché la vague de protestations, les forces de sécurité ont perquisitionné le domicile du leader contestataire Nasser Zefzafi en son absence, abîmant des biens et confisquant des livres appartenant à ses parents âgés avec qui il vit. Quelques jours plus tard, le 29 mai, il a été arrêté au terme d'une traque compliquée, au cours de laquelle les maisons voisines ont été réquisitionnées, et transféré par hélicoptère au siège de la BNPJ, à Casablanca.

    Amnesty International craint que les conditions de son arrestation et les déclarations officielles reprenant en détail les infractions dont il est soupçonné alors qu'il n’est pas encore inculpé ne bafouent son droit à la présomption d'innocence et celui des militants arrêtés avec lui. Des images et des vidéos divulguées de son arrestation, sur lesquelles on le voit cagoulé et contraint de baisser la tête, laissent à penser qu'il a pu être traité de manière dégradante.

    2 juin 2017

    https://www.amnesty.org/fr/

  • « Au Maroc, depuis toujours, le Palais surveille le Rif comme le lait sur le feu » (Cetri.be)

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    Le chercheur Pierre Vermeren, de l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, analyse le mouvement populaire qui secoue la ville d’Al-Hoceïma depuis maintenant sept mois.

    Sa mort atroce a soudainement réveillé le Rif marocain. Mouhcine Fikri, vendeur de poisson, a été broyé par une benne à ordure le 28 octobre, en tentant d’empêcher la destruction de sa marchandise – 500 kilos d’espadon, pêchés illégalement – saisie par la police. Depuis, les habitants de la ville d’Al-Hoceïma manifestent pacifiquement contre, pêle-mêle, l’autoritarisme, la corruption, le chômage de masse, la pauvreté… Et désormais contre la répression : une trentaine de leaders du Hirak (« le mouvement ») ont été arrêtés ces derniers jours, dont la figure centrale de la contestation, Nasser Zefzafi, 39 ans, après deux jours de cavale. Pierre Vermeren, chercheur spécialiste du Maroc à l’université Paris-I, revient sur les origines de cette révolte.

    Sept mois après la mort de Mouhcine Fikri, le mouvement continue. Comment l’expliquez-vous ?

    Il y a eu une réelle émotion populaire. Les autorités marocaines l’ont compris, et elles ont voulu donner l’image, pour une fois, d’une réaction exemplaire. Des ministres ont été tout de suite envoyés au chevet de la famille Fikri. La justice a fait son travail, il y a eu des condamnations. Le Palais a imaginé que la situation allait se calmer d’elle-même. Mais les Rifains sont têtus. Le mouvement a fait boule de neige, et il a même pris de l’ampleur car il est à la croisée de deux phénomènes. L’un est assez récent : la parole s’est libérée depuis les printemps arabes, les gens osent désormais dénoncer les abus à voix haute. L’autre est historique : c’est « l’esprit rifain ».

    C’est-à-dire une tradition de révolte ?

    La réputation des Rifains, dans tout le Maroc, est celle d’un peuple dur, têtu, querelleur, qui fait un peu peur. Le Rif est la province la plus densément peuplée du Maroc. Cette région de montagne méditerranéenne a son histoire propre : c’est une société quasi-insulaire. Cette forme de marginalité s’appuie sur un passé dont les Rifains sont très fiers. La guerre du Rif notamment – et l’éphémère République d’Abdelkrim [de 1921 à 1927, ndlr] – sont très présents dans les mémoires. Cela ne veut pas dire que les Rifains sont républicains, mais ils sont fiers du défi que leur région a lancé au colonisateur et au Palais. Al-Hoceïma avait été un haut lieu des « émeutes du pain » en 1984. En 2011, pendant le printemps marocain, c’est la seule ville où il y a eu des morts [cinq personnes avaient été tuées dans l’incendie dans une agence bancaire en marge d’une manifestation].

    C’est aussi l’une des régions les plus pauvres du royaume…

    Ce qui était une spécificité culturelle du Rif est devenu une spécificité économique. Les seules ressources sont l’argent de l’émigration, de la contrebande, et la culture et le trafic de haschich. C’est en grande partie de la responsabilité d’Hassan II, car après la Révolte du Rif de 1958-1959 et sa répression extrêmement brutale, le roi a puni la région pour avoir osé se soulever contre l’Etat marocain. Il ne s’y est pas rendu une seule fois, il ne lui a laissé aucun investissement. La seule porte de sortie, c’était la culture du kif, dont le privilège avait été accordé par le père d’Hassan II aux Rifains. Le trafic va croître, l’implantation va devenir gigantesque : il y a aujourd’hui des dizaines de milliers d’hectares, qui nourrissent 800 000 paysans.

    Mohammed VI a essayé de rompre cet isolement. L’un de ses premiers voyages a été pour la patrie d’Abdelkrim, où il a annoncé la prise en compte du fait culturel berbère. Sur le plan politique, il s’est entouré de nombreux conseillers rifains. Sur le plan économique, il a donné à l’Agence des provinces du nord beaucoup de moyens. Mais les investissements se sont concentrés dans les deux villes qui sont aux extrémités de la région : Tanger et Oujda. Entre les deux, il y a plus de 500 kilomètres. Une autoroute a été construite, mais ça ne donne pas à manger et ça ne crée pas d’activité.

    La question sociale est donc au cœur du mouvement de contestation d’Al-Hoceïma ?

    Les grandes villes du royaume se sont développées depuis quinze ans : Casablanca, Rabat et même Tanger. Le Rif, lui, manque encore de tout : infrastructures, fonctionnaires, emplois, etc. Le fossé se creuse entre ces deux Maroc. Jusque-là, l’émigration était une soupape. Le Maroc a échappé au pire dans les années 80, 90, 2000 car des millions de gens ont pu partir. Or les migrations se sont arrêtées depuis la crise européenne de 2008. Les jeunes sont maintenant coincés. C’est un facteur à prendre en compte pour expliquer l’actuelle explosion de colère.

    Le leader du mouvement, Nasser Zefzafi, a été arrêté après avoir interrompu un imam pendant son prêche, vendredi. Le conflit a-t-il aussi une dimension religieuse ?

    Oui, et c’est une ligne rouge pour le roi. L’Etat renvoie aux Rifains l’image de séparatistes, d’« ethnicistes » qui déstabilisent le royaume. L’imam a reproché aux manifestants d’Al-Hoceïma d’encourager la fitna [la discorde], une accusation gravissime. Quand ils réclament des hôpitaux, des écoles, moins de corruption, les autorités peuvent difficilement les arrêter. En revanche, l’accusation de fitna a permis à l’Etat d’intervenir. La société rifaine est très conservatrice. Sa diaspora, aux Pays-Bas, en Belgique, est travaillée par un islam politique, voire salafiste. L’Etat accuse implicitement les Rifains d’être des mauvais musulmans, corrompus par un islam rigoriste. Mais la grande question est celle de la commanderie des croyants [le statut d’autorité religieuse suprême conféré au souverain marocain]. Le nationalisme rifain, historiquement, n’est pas antireligieux – bien au contraire – mais il est en rupture avec cette allégeance au sultan. Or pour le Palais, si les gens refusent l’allégeance et la prière au nom du commandeur des croyants, le système s’écroule.
    Quand Nasser Zefzafi dénonce des imams « à la solde du Palais », il y a tout ce sous-entendu derrière. Et chaque Rifain le sait.

    L’arrestation des leaders peut-elle porter un coup d’arrêt à la contestation ?

    L’Etat a choisi d’effectuer son coup de filet au premier jour du ramadan, un mois de nervosité, propice aux débordements. Je vois deux scénarios possibles. Privé de ses meneurs, le mouvement peut doucement s’essouffler. Ou au contraire, il peut déraper et basculer dans la violence. Au moindre incident (un manifestant tué, une bavure policière), la situation peut dégénérer. Depuis toujours, le Palais surveille le Rif comme le lait sur le feu. La province est hypermilitarisée. Pour l’instant, la mobilisation reste cantonnée à Al-Hoceima, qui est somme toute une petite ville de province, mais si elle devait s’étendre aux grandes villes du Nord, en particulier Nador, peut-être trois fois plus grande et mal contrôlée par la police, les autorités commenceraient à paniquer.

    Célian Macé 2 juin 2017

    http://www.cetri.be

  • Nawel Ben Aissa, une voix vive du Rif (Cadtm)

     

    Le Maroc vit actuellement une vague de protestation sociale très large initiée par le mouvement de contestation populaire dans le Rif au nord du Maroc.

    L’État a répondu par une campagne de calomnie et la répression. Il a arrêté des dizaines d’activistes de ce mouvement et poursuit d’autres. Les sit-in de solidarité dans plusieurs villes sont dispersés par les forces de police. Mais ce climat de terreur renforce plutôt la détermination des citoyens et des citoyennes à combattre, exiger la libération des détenus et la satisfaction des revendications sociales. Des comités de solidarités se constituent un peu partout au Maroc.

    Le cri de Nawel Ben Aissa, militante et nouvelle figure du mouvement de contestation avec d’autres, reflète bien cet état d’esprit fort et inébranlable contre la répression. Un mandat d’arrêt a été lancé contre elle par les services de sécurité qui le lui ont délivré à la maison de sa famille. Elle a décidé de se rendre. Elle s’est effectivement rendue à la police aujourd’hui (1 juin). Elle a été relâchée, sans être poursuivie. Voilà son message d’après une retranscription de sa vidéo en Amazigh.

    Mon nom est Nawel Ben Aissa.

    Je suis mariée et je suis mère de quatre enfants.

    Je suis née, j’ai grandi sur cette terre du Rif. Cette terre broyée par la corruption, la marginalisation et l’injustice.

    J’ai participé à toutes les manifestations pacifiques, parce que je revendique mes droits, et les droits du Rif à la Santé, à l’éducation et au Travail.

    J’aime cette terre généreuse et j’aime ses gens, rifains soient-ils ou pas. J’ai appris de mon père, homme modeste et démuni, à souhaiter le bien pour tous, à apporter mon aide à tous. Et ce sont là les meurs des Rifains.

    Je revendique de simples droits totalement inexistants au Rif. Le Rif est broyé par le cancer. Ici, dans chaque famille vous rencontrer non pas un cas ; mais, des cas de cancer. C’est la conséquence de l’usage de gaz toxiques par l’occupant espagnol. Le Rif est décimé par le cancer et la marginalisation. Nous n’avons pas d’hôpitaux capables de soigner toutes ces variétés de cancers. Dans ma demeure, de sorte à les rapprocher des soins, j’ai hébergé de nombreuses victimes de ce fléau venues de lointaines montages. Des zones montagneuses enclavées, dépourvues de routes et tenues hors du monde par la pauvreté et le dénuement. Des femmes broyées par le cancer, la pauvreté, qui ne subsistent que par la charité qui leur est donnée par les bonnes âmes. Voilà la réalité du Rif, broyé dans tous les droits.

    Je manifeste pour la justice. Je manifeste pour mes droits et ceux de mes enfants. Je manifeste pour que nous puissions avoir un hôpital à même de prendre en charge tous les malades. Je manifeste parce que j’ai vu les larmes d’impuissance des cancéreux laissés pour compte ici au Rif.

    Je manifeste pour ces familles dont je sais qu’elles n’ont même une bouchée de pain, car ici, il n’y a ni travail, ni ateliers, ni usines.

    Je manifeste parce que je veux le meilleur pour ma patrie. Le meilleur se construit avec des écoles et nous n’avons pas d’université ; alors nous écourtons prématurément nos parcours d’études.

    Pour tout cela je manifeste. Je n’ai pas peur et je ne me cacherai pas, comme on me le demande. Ma protestation est pacifique et elle est de mon droit le plus absolu.

    Je ne me cacherai pas, même si cela doit conduire à mon arrestation. Je te demande pardon ma mère adorée, pardon mon père adoré, mes très chers enfants, pardon à tous ceux qui m’aiment, pour la douleur que je risque de vous causer, mais je ne vais pas me terrer comme une souris.

    Je manifeste pacifiquement pour une cause juste et si je venais à être arrêtée, comme c’est le sort de beaucoup, je sais que nous avons un Dieu qui sait ce qu’il y a dans les cœurs et qu’il ne nous abandonnera pas.

    Je manifeste pour les rêves de tous les enfants du Rif, pour les mères du Rif qui espèrent le changement, rêves d’une vie digne comme ils ne cessent de le scander dans la rue.

    Liberté ! Dignité ! Justice sociale !

    Je vous aime mes enfants. Je manifeste pacifiquement pour les droits broyés du Rif et je persévérerai jusqu’à mon dernier souffle.

    Je ne me cacherai [terrerai] pas.

    3 juin par Omar Aziki , Nawel Ben Aissa

    http://www.anti-k.org/

     

  • « La Banque mondiale est coresponsable des déboires du Maroc depuis un demi-siècle » (Cadtm)

     

    Dix ans après son dernier mémorandum économique pour le Maroc, la Banque mondiale revient à la charge avec un nouveau document intitulé Le Maroc à l’horizon 2040 :

    Investir dans le capital immatériel pour accélérer l’émergence économique. Dans cette interview accordée à l’hebdomadaire marocaine, l’économiste Najib Akesbi analyse le contexte, les visées et les incohérences de ce document « politique », loin du discours dominant.

    Finances News Hebdo : Le rapport de la Banque mondiale nous apprend-il réellement quelque chose de nouveau que nos économistes n’auraient pas cessé de marteler à tue-tête pour l’avenir du pays ? Ou fait-il du neuf avec du vieux ?!

    Najib Akesbi : Depuis les années 70 du siècle passé, la Banque mondiale (BM) produit ce type de rapport (appelé Mémorandum) à peu près une fois chaque décennie. L’avant-dernier date donc de 2006, puis celui qui l’avait précédé de 1995, etc. D’ores et déjà, il faut savoir que ce n’est pas un document académique ou scientifique ; mais politique. Fondamentalement, sa fonction première est de tracer le cadre idéologique et stratégique dans lequel la « Banque » entend contenir les orientations, et partant, les politiques publiques du pays dans le domaine du développement économique et social. Il est tout au plus destiné à justifier, disons à donner une assise réfléchie à un projet politique, à des choix de politique économique, financière, sociale… On sait notamment que la première chose par laquelle on commence ce genre de rapport, c’est sa conclusion ! On commence par fixer les principaux « messages/ recommandations » à faire passer, et ce n’est qu’après qu’on se met à chercher les « analyses » et les illustrations de nature à justifier les conclusions auxquelles on veut absolument arriver… Au demeurant, un tel rapport est toujours suivi d’une « feuille de route » (comme cela vient d’être fait le 16 mai, au lendemain de la présentation officielle du rapport…). La démarche est ainsi limpide : le « rapport » étant lu, voilà maintenant ce qu’il faut faire pour mettre en œuvre ses recommandations… Il faut dire que, s’agissant avant tout d’une « banque » qui doit faire fructifier ses fonds dans de bonnes conditions de rentabilité et de sécurité, la BM introduit ainsi son « offre » financière et indique ses « préférences » en matière de projets à financer…

    « La BM sait bien comment vendre ses « produits », grâce à des stratégies marketing bien étudiées »

    Ceci étant, un rapport de ce type, avant d’en tirer des « gains », il faut d’abord le « vendre », et la BM sait bien comment vendre ses « produits », grâce à des stratégies marketing bien étudiées. Chaque rapport est donc assorti d’un « gadget promotionnel » destiné à susciter l’intérêt, frapper l’imagination, « faire le buzz » dirions-nous aujourd’hui. Pour remonter seulement aux trois derniers rapports, je vous rappelle que celui de 1995 avait été celui de la fameuse « crise cardiaque », celui de 2006 avait piteusement confessé que la croissance au Maroc restait une « énigme », et celui de cette année nous annonce honteusement que nous avons un retard d’un demi-siècle par rapport à nos voisins de l’Europe du Sud…

    Naturellement, comme l’objet n’est pas d’aller au fond des choses, mais seulement de « faire le buzz », on oubliera vite ce qu’on a annoncé avec gravité et on passera à autre chose ! Par exemple, en 2006, la BM ne prend même pas la peine de nous expliquer ce qu’il en a finalement été de la « crise cardiaque » annoncée en 1995, tout comme en 2017, on ne sait toujours pas si la croissance au Maroc a encore quelque chose « d’énigmatique » pour elle, ou si elle a fini par en percer le secret…


    F. N. H. : Peut-on trouver des traits communs, des constantes à tous ces rapports ?

    N. A. : Oui ! Trois caractéristiques communes au moins, qu’on peut résumer ainsi.

    Premièrement, les rapports de la BM se suivent et se ressemblent, puisqu’ils sont quasiment toujours construits sur le même schéma. Vous trouverez toujours une première partie où, quelle que soit la situation, on va toujours commencer par « positiver », et donc s’appliquer à braquer les projecteurs sur quelques éléments soigneusement choisis parce que ce sont eux qui ont positivement évolué. Ensuite, on va passer à la « critique », mais une critique bien sélective puisqu’on ne va décrier que les questions pour lesquelles on a déjà toute prête une batterie de « recettes/recommandations », auxquelles précisément est consacrée la troisième partie…

    La Banque mondiale sait bien comment vendre ses « produits », grâce à des stratégies marketing bien étudiées

    Deuxièmement, les rapports se suivent et se ressemblent certes, mais ne sont jamais logiquement articulés entre eux, en ce sens qu’un rapport de ce type ne commence jamais par simplement faire le point sur le contenu du rapport précédent. Vous ne trouverez jamais un rappel de l’analyse et des recommandations qui avaient été faites, ne serait-ce que pour clarifier ce qu’il en est advenu : Qu’est-ce qui a évolué depuis le dernier rapport ? Qu’est-ce qui a été fait et qu’est-ce qui n’a pas été fait, et surtout, pourquoi ? L’intérêt d’une telle démarche est évidemment de tirer les leçons de l’expérience pour repenser ce qui devrait l’être pour l’avenir… Eh bien non, chaque rapport prétend réinventer la roue ! Comme une nouvelle naissance dans un monde à découvrir… Il n’y a donc pas d’accumulation, et donc pas de « gains de productivité » ! (pour reprendre une expression qui semble chère aux experts de la BM).

    Troisièmement, il n’y a pas d’accumulation aussi parce qu’il n’y a pas de reddition des comptes. Il est tout de même singulier de constater que la BM, qui passe son temps à donner des leçons de « bonne gouvernance » au monde entier, ne s’applique pas à elle-même les règles les plus élémentaires de cette dernière… La BM, qui finit toujours par imposer ses vues aux gouvernants, n’est jamais responsable de rien devant personne ! Vous ne trouverez jamais dans ses rapports l’ombre d’une autocritique. C’est toujours la faute aux autres !… Et comme on ne fait jamais le bilan de ce qui n’a pas marché, ne serait-ce que pour comprendre le pourquoi et le comment de l’échec, rien n’empêche que les mêmes causes ne continuent éternellement de produire les mêmes résultats…


    F. N. H. : Si le rapport de la Banque mondiale fait référence, sans la citer, à l’économie de rente, en appelant à instaurer les mêmes règles du jeu pour tous les acteurs économiques, il recommande l’allègement de la réglementation du travail. La Banque mondiale ne fait-elle pas la procession du néolibéralisme sauvage ?

    La Banque mondiale n’est jamais comptable de ses actes, alors que ceux-ci sont souvent lourds de conséquences

    N. A. : Il n’y a pas que la réglementation du travail, mais toute la panoplie des recettes néolibérales, sans cesse ressassées depuis des décennies, avec les résultats que l’on sait… Justement, si vous le permettez, je voudrais répondre à votre question, mais en montrant non seulement que nombre de recettes contenues dans ce rapport sont anciennes, mais aussi en les reliant avec l’idée que j’ai commencée à développer : la BM n’est jamais comptable de ses actes, alors que ceux-ci sont souvent lourds de conséquences… Revenons un peu sur les cinq derniers rapports (c’est-à-dire sur les cinq dernières décennies) pour rafraîchir un peu les mémoires et illustrer mes propos.

    Prenez le mémorandum de 1977 et relisez-le. Vous serez surpris de constater à quel point les auteurs ne voient absolument pas venir la crise de la dette qui va plomber le pays pour les deux décennies suivantes ! Au contraire, on donne sa bénédiction aux dérives budgétaires de l’époque, on ne s’inquiète pas trop de l’endettement qui est en train d’exploser, et on ne dit pas un mot de la réforme fiscale qui apparaissait pourtant déjà tellement nécessaire. Lorsque la crise éclate quelques années plus tard, alors et alors seulement on « se lâche » pour déplorer les dérapages antérieurs, mais surtout pour s’engager toutes voiles dehors dans l’élaboration et la mise en œuvre des tristement célèbres programmes d’ajustement structurel. Le coût social en sera terrible ? Oui, tout le monde en a convenu, mais après coup ! Vous ne trouverez dans aucun rapport de la BM des années 80 que les politiques d’ajustement structurel étaient en train de dévaster le pays socialement. En revanche, une décennie plus tard (donc seulement lorsque le mal est fait), on vous dira que la décennie 80 était « une décennie perdue », que les équilibres macroéconomiques restent fragiles, que le pays court le risque de « la crise cardiaque » (dans un rapport sur le développement rural, il est même question de « deux Maroc », pour mettre en évidence l’ampleur de la pauvreté dans les campagnes marocaines…). Bref, ça va très mal, mais surtout, à aucun moment on n’a l’honnêteté intellectuelle de lier cet état de fait aux politiques qui ont été conduites et financées par la BM ! Non, tout le monde peut être responsable, mais surtout pas la BM…

    Continuons. Toujours dans le rapport de 1995, au moment où on se lamente sur les conséquences de ce qui s’était fait, on ne dit rien sur ce qui est alors en train de se faire… Par exemple, on encourageait alors tellement les privatisations et les accords de libre-échange que bien évidemment, on ne dira rien sur les dérives que chacun pouvait déjà clairement constater (à commencer par la cession scandaleuse en 1996 de la Samir et dont on mesure aujourd’hui les conséquences…). Bien au contraire, on fait carrément dans la fuite en avant néolibérale : on prône donc déjà la « réforme du marché du travail », la suppression des « rigidités du marché », l’élargissement du « cadre incitatif » du secteur privé, l’accélération du programme des privatisations, une encore plus grande libéralisation des échanges, la libéralisation du régime de change du Dirham… Eh oui, tout y était déjà il y a plus de 20 ans !

    L’économie politique existe depuis trois siècles, et l’économie des institutions depuis au moins trois décennies, alors que la BM ne semble l’avoir découvert que depuis quelques années !

    Dans le rapport de 2006, on va reconnaître qu’on n’y comprend rien ! On peut y lire que la problématique de la croissance au Maroc reste « une énigme »… Et pourtant, comme si de rien n’était, on reprend les mêmes recettes et on recommence : gel du salaire minimum, baisse de l’impôt sur les sociétés et de l’impôt sur les hauts revenus (on redécouvre Laffer !), accélération de la libéralisation des importations, flexibilité « proactive » du Dirham permettant « une dépréciation réelle du taux de change »… Dans le même temps, obsédés par le « moins d’Etat » et le dogme de réduction des effectifs de la fonction publique, on va imposer la non moins tristement célèbre opération dite « DVD », qui, outre son coût financier exorbitant, reviendra à dépouiller l’administration et l’Université de leurs meilleures compétences. Puis, bien évidemment, on attendra dix ans et le prochain rapport pour se lamenter sur la « faiblesse du capital humain » et ses conséquences sur la croissance, sans songer une seule fois à mettre en relation ceci et cela !… Tout comme on ne dira rien sur les plans sectoriels qui se multiplient alors, à commencer par celui qui prétendait faire « émerger » l’industrie, et on attendra encore 2017 pour déplorer la « difficile industrialisation », voire la « désindustrialisation prématurée » du pays… On ne dira rien non plus sur les fameux « grands chantiers » dont il fallait être aveugle pour ne pas voir les dérives, mais là encore, on attendra 2017 pour « découvrir » que la part du secteur privé dans l’investissement global reste faible (après 50 ans de politiques tous azimuts de promotion de ce dernier !), et – surtout – que les investissements publics ne sont générateurs ni de croissance ni d’emplois… Pour autant, on ne retient de l’expérience aucune des leçons qui s’imposent. Dans le présent rapport, on continue donc aveuglément de prodiguer les recettes éternelles susceptibles d’améliorer le « climat des affaires » et de promouvoir le secteur privé d’une part, et d’autre part, on se garde bien de discuter les raisons profondes, c’est-à-dire de « gouvernance », qui condamnent la plupart des « grands chantiers » à l’échec. Mais pour cela, peut-être faudra-t-il attendre le mémorandum de 2027 ?!


    F. N. H. : Paradoxalement, le rapport prône le renforcement de l’Etat de droit, la protection des personnes et des biens. Faut-il y voir une certaine incohérence ?

    La « norme » chez la Banque mondiale, ce n’est pas de critiquer, mais plutôt « glorifier » les gouvernements sur lesquels elle tient à garder son emprise

    N. A. : Vous savez, l’économie politique existe depuis trois siècles, et l’économie des institutions depuis au moins trois décennies, alors que la BM ne semble avoir découvert ces champs de réflexion théorique et pratique que depuis quelques années ! Et encore, à sa manière… Car s’il est vrai que le rapport consacre son « épilogue » à ce qu’il appelle « l’économie politique du changement » (p.305), expliquant que la réalisation du potentiel de croissance du pays « est fortement bridée par de multiples équilibres sous-optimaux en termes d’économie politique », que « l’économie politique du changement consiste à identifier et actionner les forces qui pourraient permettre un nouvel équilibre porteur de plus de bien-être social ». Bref, a priori on n’est pas très loin d’une analyse qui emprunte à l’économie des institutions un de ses piliers, celui qui fait de la « qualité des institutions » le déterminant majeur de l’échec ou du succès des politiques de développement. On s’attend même, logiquement, à une illustration dans le cas du Maroc à travers l’Institution qui se trouve au-dessus de toutes les autres, la « monarchie exécutive » naturellement… L’institution qui, précisément, décide des choix stratégiques de politique publique, sans légitimité des urnes, sans reddition des comptes et dans la dilution des responsabilités : exactement ce qu’il ne faut pas faire quand on souhaite améliorer la « qualité des institutions » et aller dans le sens de la « bonne gouvernance »…

    Eh bien, il faut rapidement déchanter ! D’abord, à l’intention de qui se hasarderait à penser à l’alternative de la « monarchie parlementaire », on se presse de répéter à plusieurs reprises qu’il faut se garder de tout « mimétisme institutionnel »… Puis, on tombe de bien haut car on découvre qu’en fait d’institutions, il n’est principalement question que de celles… « d’appui au marché » ! Et on revient donc aux sentiers battus et bien connus : renforcement de la concurrence (« la lutte contre les rentes » n’étant abordée qu’à ce niveau), assouplissement de la règlementation du travail, flexibilité des politiques de recrutement, SMIG régional et sectoriel, libéralisation du régime de change, libéralisation du contrôle de capitaux, encore plus de libéralisation des échanges, cette fois y compris agricoles… En somme, il suffit de gratter un peu le vernis de concept qu’on n’emprunte que pour les pervertir, et rapidement on retrouve le socle des bonnes vieilles recettes néolibérales…

    Finalement, quand on a fait cette revue rétrospective, la seule question qu’on doit poser aux rédacteurs de ce rapport est la suivante : En l’absence des véritables réformes institutionnelles que vous vous gardez bien d’aborder, comment pouvez-vous croire, et nous faire croire, que ce qui n’a pas marché depuis quarante ans pourrait l’être dans les années qui viennent ?


    F. N. H. : « Les rapports de la Banque mondiale ne sont pas parole d’évangile », avait lancé récemment Moulay Hafid Elalamy. Faut-il y voir un Maroc un peu excédé par les directives de l’institution de Bretton Woods ou bien nos responsables sont-ils accablés par les failles de certaines politiques sectorielles ?

    Ces rapports ne sont pas une simple production intellectuelle, mais des supports qui vont soutenir des politiques, justifier des projets… et induire de l’endettement. […] quand le projet échoue (parce que fondé sur une étude erronée), la dette reste due et devra bien être remboursée.

    N. A. : Les réactions de certains membres du gouvernement ne sont guère crédibles et c’est le moins qu’on puisse dire. Car la « norme » chez la BM, ce n’est pas de critiquer, mais plutôt « glorifier » les gouvernements sur lesquels elle tient à garder son emprise, même lorsque chacun peut aisément constater l’inanité des « éloges » distribués… Et quand la BM, souvent à tort, distribue des « bons points », les responsables en question sont bien les premiers à en être ravis, très fiers, et du reste ne se privent guère pour le faire savoir à travers leurs médias. Alors, maintenant que pour des considérations qui relèvent de sa « cuisine politique », la BM choisit de distribuer quelques « mauvais points », on se rebiffe, on se fâche comme un mauvais joueur, et on « découvre » que les rapports de la BM ne sont pas parole d’évangile ! Fort bien. Il faudrait se rappeler de ce lumineux jugement, la prochaine fois que la BM reviendra à son « habitude », et dira plutôt du bien de telle ou telle politique du gouvernement…

    Plus sérieusement, oui, nous savons depuis longtemps que les rapports de la BM, comme je l’ai expliqué au début de cet entretien, sont tout sauf des documents « scientifiques » au-dessus de tout soupçon. Ce ne sont au fond que des outils au service d’une politique qui est celle de la BM et non des pays concernés. Plus grave, le contenu de ces rapports peut être manipulé, voire carrément falsifié, en fonction des objectifs poursuivis. Vous le savez, j’ai été moi-même avec deux autres de mes collègues témoin direct d’une véritable opération de falsification de données par des responsables de la BM dans le cadre de l’étude RuralStruc |1|

    ]]. Ce n’est pas le lieu ici de revenir sur ce litige (au demeurant confié à la Justice depuis plusieurs années), mais c’est pour dire que, au-delà d’un cas de figure particulier, la crédibilité des rapports de la BM est de plus en plus posée dans de nombreux pays… D’autant plus que l’enjeu est considérable. Car il faut tout de même garder à l’esprit que ces rapports ne sont pas une simple production intellectuelle, mais des supports qui vont soutenir des politiques, justifier des projets… et induire de l’endettement. Eh oui, et quand le projet échoue (parce que fondé sur une étude erronée), la dette reste due et devra bien être remboursée. La BM, elle, s’en lave les mains et ne s’occupe que du remboursement de sa créance. Car il faut tout de même savoir que la dette vis-à-vis de la BM est toujours remboursée sans retard et sans discussion, que le projet ainsi financé ait réussi ou échoué, que l’étude qui l’ait sous-tendu ait été sérieuse ou farfelue ! C’est dire l’extravagance des privilèges et l’impunité dont bénéficie l’institution de Washington… Or, rappelons que la BM reste aujourd’hui encore le premier créancier multilatéral du Maroc, avec une dette qui approche les 50 milliards de dirhams, et un service de la dette annuel de l’ordre de 2 à 3 milliards de dirhams. Qui est comptable de l’utilisation de ces deniers publics ? Qui demandera un jour des comptes à la BM et à nos gouvernants, juste pour savoir comment et à quoi ont servi les fonds empruntés et qu’il a bien fallu rembourser à partir des impôts que nous payons tous ?


    Interview réalisée par Imane Bouhrara, publiée sur Finance News Hebdo.

    CADTM – 2 juin par Imane Bouhrara , Najib Akesbi

    Auteur(e)s:

    Imane BouhraraFinance News Hebdo

    Najib Akesbi Économiste, professeur de l’enseignement supérieur, Rabat.

  • Maroc. Le Hirak Errif – le Mouvement du Rif – poursuit sa lutte sociale et démocratique (Al'Encontre.ch)

    La ville de Al Hoceima, située dans le nord du Maroc

    Dossier

    Le vendredi 2 juin 2017, dans la bourgade d’Imzouren, à 20 km d’Al Hoceima, la capitale du Rif. Les manifestants réclamaient la libération du leader du mouvement, Nasser Zefzafi, ainsi que celle de plusieurs dizaines d’autres personnes. Des «affrontements» ont éclaté entre les jeunes et les forces antiémeute après la prière du vendredi, boycottée par le mouvement. [Voir sur l’essor du récent mouvement le dossier publié sur le site alencontre.org en date du 2 juin 2017:

    L’«Hirak» bouscule le «Makhzen».]

    Imzouren est la ville d’origine du leader du mouvement, Nasser Zefzafi, et elle est sous tension depuis son arrestation, lundi 29 mai. L’exaspération des manifestant·e·s de cette bourgade est due au fait que les forces de police empêchent régulièrement les militants du mouvement «Al Hirak» de se rassembler sur la place principale.

    En date du 3 juin, la publication Tel quel indiquait: «Dans un communiqué publié ce 3 juin, le parquet d’Al Hoceima annonce le transfert du dossier d’instruction de cinq personnes «arrêtées à Al Hoceima et placées en garde à vue pour leur implication présumée dans des crimes d’atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat». Ces dossiers ont été transférés à la Cour d’appel de Casablanca suite à une décision de la Chambre criminelle près de la Cour de cassation. La même source précise que ces cinq personnes ont été transférées à la prison d’Oukacha à Casablanca.

    Parmi elles, le leader du mouvement de contestation du Rif, Nasser Zefzafi, qui a pu rencontrer des avocats de son comité de défense ce 3 juin au siège du Bureau national de police judiciaire (BNPJ). L’un d’entre eux, Abdessadak Elbouchattaoui, affirme que le chef de file du Hirak «est dans de bonnes dispositions physiques et mentales» dans un statut publié sur Facebook. Bien qu’il déplore «la violence physique» dont Nasser Zefzafi aurait fait l’objet à Al Hoceima, l’avocat affirme que la BNPJ de Casablanca s’est comporté avec son client dans le respect de la loi.

    Tel quel ma, du 3 juin 2017, indique que mardi 6 juin Abdelouafi Laftit, ministre de l’Intérieur, répondra aux questions des députés concernant la situation au Rif.

    Nous publions ci-dessous divers articles qui contribuent à saisir des facettes de cette mobilisation populaire dont le cours ne peut être détaché des soubassements socio-économiques et politiques qui ont nourri les «processus révolutionnaires de longue durée» dans un ensemble de régions – certes différentes – d’une même aire. (Rédaction A l’Encontre)

    *****

    La question sociale, un facteur clé pour expliquer
    l’actuelle explosion de colère

    Dans El Watan du 1er juin 2017, Pierre Vermeren, spécialiste du Maroc, explique que la question sociale est un facteur à prendre en compte pour expliquer l’actuelle explosion de colère, indiquant que les seules ressources dont bénéficie la région (du RIF) «sont l’argent de l’émigration, de la contrebande et la culture et le trafic de haschich».

    Manifestation à Al Hoceima, la police intervient

    Malgré l’arrestation de Nasser Zefzafi, le leader du mouvement Hirak Errif [Le mouvement du Rif], la contestation ne faiblit pas dans le Rif marocain, où plusieurs milliers de personnes ont une nouvelle fois manifesté pacifiquement, mardi soir, contre l’«injustice» et la «marginalisation». Les manifestants ont exigé également la libération de Nasser Zefzafi, arrêté lundi par la police pour «atteinte à la sécurité intérieure». C’est aux cris de «Pacifique», «Nous sommes tous Zefzafi», «Dignité pour le Rif» et «Etat corrompu» que les protestataires ont envahi les rues proches du centre-ville d’Al Hoceima après la rupture du jeûne.

    Selon des médias présents sur place, «ils étaient plus nombreux que la veille à descendre dans le quartier Sidi Abed, où les forces antiémeute avaient pris position en grand nombre». La manifestation s’est finalement dispersée peu avant minuit sans incident. D’après des images diffusées sur les réseaux sociaux, d’importantes manifestations ont eu lieu également dans d’autres localités de la province, comme ce fut le cas à Imzouren et Beni Bouyaach.

    La contestation a touché aussi les grandes villes du royaume. A Rabat, un sit-in d’environ 200 personnes devant le Parlement a été violemment dispersé par les policiers. Scénario analogue à Casablanca, à proximité de la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ), où Zefzafi a été transféré. Les autorités marocaines craignent visiblement le phénomène de contagion, surtout que le contexte social est tendu dans plusieurs régions du pays.

    La peur de la contagion

    L’ancien porte-parole de Mohammed VI, Hassan Aourid, a pointé, dans un article publié cette semaine sur le site Al Aoual, «les erreurs et les tergiversations de l’Etat quant à la prise en considération de la situation économique, sociale et culturelle qui prévaut dans cette région depuis longtemps». Qualifiant de «légitimes les revendications des Rifains». Il a estimé nécessaire «d’amorcer un dialogue franc dans un climat de sérénité».

    Pour lui, cela «passe par la libération de tous les détenus et la levée de toutes les poursuites, puisque ces individus ont exprimé des revendications sociales et politiques et ne sont en aucun cas des criminels». M. Aourid a insisté sur le fait, en outre, que «dans un Etat qui se veut démocratique et moderne, il ne faut en aucun cas donner la primauté au sécuritaire aux dépens de la loi et de la justice».

    Une partie de la classe politique marocaine partage ce point de vue. Les antennes à Al Hoceima de trois partis, dont celle du PJD (Parti de la Justice et du développement) au pouvoir, ont d’ailleurs publié un communiqué commun, s’alarmant d’une «situation grave» et désapprouvant «l’approche sécuritaire de l’Etat».

    A la question de savoir si l’arrestation des leaders du mouvement Hirak Errif peut porter un coup d’arrêt à la contestation qui dure depuis plus de 6 mois, le chercheur Pierre Vermeren, de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, a fait remarquer, dans un entretien accordé mardi au quotidien français Libération, que les autorités marocaines ont choisi d’effectuer leur coup de filet au premier jour du Ramadhan, un mois de nervosité propice aux débordements. «Je vois deux scénarios possibles. Privé de ses meneurs, le mouvement peut doucement s’essouffler. Ou au contraire, il peut déraper et basculer dans la violence. Au moindre incident, la situation peut dégénérer. Depuis toujours, le Palais surveille le Rif comme le lait sur le feu», avertit-il. Pierre Vermeren rappelle que «la province est hyper-militarisée».

    Le spécialiste français du Maroc note que «pour l’instant, la mobilisation reste cantonnée à Al Hoceima, qui est somme toute une petite ville de province», estimant toutefois que «si elle devait s’étendre aux grandes villes du Nord, en particulier Nador, peut-être trois fois plus grande et mal contrôlée par la police, les autorités commenceraient à paniquer».

    «Hassan II a puni le Rif»

    Pierre Vermeren souligne que la question sociale est un facteur à prendre en compte pour expliquer l’actuelle explosion de colère, indiquant que les seules ressources dont bénéficie la région «sont l’argent de l’émigration, de la contrebande, et la culture et le trafic de haschich». Pour le chercheur français, la responsabilité de la situation actuelle incombe en premier lieu à Hassan II qui a privé de manière systématique le Rif de programmes de développement.

    «C’est en grande partie de la responsabilité de Hassan II, car après la Révolte du Rif de 1958-1959 et sa répression extrêmement brutale, le roi a puni la région pour avoir osé se soulever contre l’Etat marocain. Il ne s’y est pas rendu une seule fois, il ne lui a laissé aucun investissement. La seule porte de sortie, c’était la culture du kif, dont le privilège avait été accordé par le père de Hassan II aux Rifains», indique-t-il.

    Pierre Vermeren révèle en outre que «le trafic va croître, l’implantation va devenir gigantesque: il y a aujourd’hui des dizaines de milliers d’hectares, qui nourrissent 800 000 paysans». 

    *****

    Au cœur de la Révolte du RIF

    Par Djamel Alilat

    Un reportage au Rif dans El Watan en date du 1er juin 2017.

    Partir à la rencontre des animateurs du Hirak (Le mouvement), les artistes, les intellectuels, les pêcheurs, les montagnards et les citoyens de cette vaste région pour rendre compte des réalités socio-économiques et politiques de cette région frondeuse.

    Raconter le combat de la population rifaine pour la liberté, la dignité et plus de justice sociale. Quand je propose cette idée aux responsables de mon journal, ils sont tout de suite enthousiasmés. «Tu connais bien le Maroc pour y avoir réalisé des reportages et tu y comptes beaucoup d’amis et de connaissances, donc tu es bien placé pour faire ce reportage. Vas-y», me dit-on.

    • Aéroport international de Casablanca, fin d’après-midi du jeudi 26 mai. Le policier de la PAF (Police aux frontières) marocaine ne me pose qu’une seule question: «El Watan, c’est un quotidien ou un hebdo?» Sur ma fiche de contrôle, j’avais coché «tourisme» quant aux motifs de ma visite pour éviter d’être prié de me rendre dans un bureau de la PAF pour m’expliquer longuement.

    Les formalités expédiées, je m’achète une «puce» (carte SIM) marocaine pour communiquer plus facilement avec les amis qui m’attendent et qui, justement, me demandent de venir directement à Rabat au lieu de séjourner à Casa, comme je l’avais prévu. «Prends le train directement de l’aéroport et viens sur Rabat. T’as une heure et demie de route», me dit-on. Décision est donc prise de prolonger vers Rabat.

    Arrivée vers 20h dans la capitale marocaine et première discussion dans un café non loin de la gare avec des militants et des journalistes. On me donne tous les contacts qu’il me faut dans toutes les localités que j’ai décidé de visiter. Je tiens à rencontrer Nasser Zefzafi, le leader du Hirak, mais également à me rendre à Nador, Al Hoceima, Tanger puis dans deux ou trois villages, dont Ajdir où repose l’immense Abdelkrim El Khettabi, alias «Moulay Mhand», l’icône du Rif. [Dirigeant d’un mouvement de résistance contre la France et l’Espagne au Maroc lors de la guerre du Rif entre 1921 et 1926, avec intervention de l’armée espagnole en 1925-1926; il est décédé en 1963 au Caire.]

    • On me promet un rendez-vous avec Zefzafi, mais ce ne sera pas facile, car le makhzen [le réseau de pouvoir «autour» du roi] et ses relais accusent ouvertement le mouvement d’être manipulé par Alger. S’afficher avec un Algérien, même journaliste indépendant, revient à s’exposer à cette redoutable accusation. Les militants me demandent d’être très prudent et décision est prise d’éviter les hôtels pour ne s’appuyer que sur les activistes, les amis et les connaissances.

    • La première nuit est passée chez Mounir Kejji, activiste et militant infatigable du mouvement amazigh [voir article ci-dessous]. La vie de Mounir n’est qu’une suite de combats et sa maison un véritable musée où les livres, les journaux et les revues montent en piles imposantes jusqu’au plafond. Il possède des collections complètes d’œuvres de chanteurs, comme Matoub Lounes et Aït Menguellet, tous les livres d’histoire qui parlent des Berbères où qu’ils se trouvent. Après un bac anglais et des études de droit à l’université, l’enfant de Goulmima s’est engagé corps et âme dans un combat multiple. Journaliste amateur, il collabore à des publications périodiques et des livres et réalise des documentaires. Mounir est partout.

    • Justement, il est à Al Hoceima, ce 28 octobre 2016, lorsque le malheureux poissonnier Mohcine Fikri se fait écraser dans une benne à ordures pour avoir voulu récupérer une partie de la marchandise que la police lui avait confisquée avant de la jeter dans la poubelle. C’est le point de départ de la grande révolte du Rif qui dure jusqu’à ce jour.

    Originaire d’Imzouren, à 18 kilomètres d’Al Hoceima, le papa de Mohcine est un militant du PJD, parti islamiste au pouvoir. Au père qui s’exprimait un peu trop dans les médias, au goût des autorités, le Premier ministre de l’époque, Abdelilah Benkirane, envoie un message verbal par des émissaires. «Enterre ton fils et tais-toi!» Il lui fait comprendre que le Maroc qui préparait la COP 22, un événement mondial, devait se passer de toute mauvaise image qui pouvait écorner la belle image qu’il tentait soigneusement de donner.

    «Il y a eu une grande marche de 18 kilomètres de la morgue d’Al Hoceima jusqu’au domicile de Mohcine Fikri. Au départ, on demandait que les responsables de cette tragédie soient jugés, puis, petit à petit, des revendications sociales sont venues se greffer sur cette demande et un noyau de dirigeants a émergé», raconte Mounir Kejji. Toutes les rancœurs et les frustrations longtemps contenues dans cette région berbérophone, qui rappelle à bien des égards la frondeuse Kabylie, se sont réveillées.

    • D’Al Hoceima, la révolte s’est propagée dans tout le Rif. «Plutôt que de répondre aux revendications légitimes de la population par le dialogue et la concertation, le pouvoir accuse les membres du Hirak d’être des séparatistes, des sécessionnistes, d’être manipulés par des mains étrangères», poursuit Mounir. Le feu de la révolte des Rifains couvait toujours, même après sept mois d’un combat de rue pacifique et citoyen. Le makhzen, qui comptait sur un essoufflement à long terme, cherche à présent à rattraper le temps perdu en envoyant une flopée de ministres en visite dans le Rif. Leur visite sera un flop retentissant.

    • Dans l’après-midi du vendredi, le lendemain de mon arrivée, les choses se précipitent brutalement à Al Hoceima. L’incident de la grande prière qui a vu Zefzafi répondre à l’imam, qui avait passé l’essentiel de son prêche à vilipender le Hirak, met le feu aux poudres. La presse du makhzen s’en donne à cœur joie. Un journal va jusqu’à faire le parallèle entre Zefzafi et Al Baghdadi, l’émir de Daech, qui avait un jour proclamé le califat dans une mosquée de Mossoul. Les couteaux sont désormais tirés et l’ordre est lancé: il faut coûte que coûte en finir avec cet insurgé de Zefzafi et son mouvement qui défient les autorités.

    • Train de nuit vers Nador. Je débarque avec les premières lueurs du jour dans une ville endormie un premier jour de Ramadhan. Je ne rencontre mon contact qu’à 11h. Pour les activistes du Hirak, il faudra attendre la soirée, après le ftour [rupture du jeûne lors du ramadan]. Mon projet est de partir à Al Hoceima le plus rapidement possible, mais la répression qui s’est abattue sur les militants du Hirak fait que la plupart se cachent ou sont étroitement surveillés par les services.

    Djamel Alilat

    • La patience est de mise. Je passe donc le dimanche, soit un jour de plus que ce qui était prévu, à Nador. Dans la soirée de samedi, je rencontre les activistes de Nador dans un café. Pour ces animateurs, dont la plupart viennent de la mouvance amazighe, la seule chose qui a changé par rapport à la répression qui s’est abattue sur leur mouvement est qu’il y a désormais une revendication de plus dans l’agenda déjà bien étoffé qu’ils présentent au gouvernement: la libération des détenus.

    «Pour nous, c’est juste une revendication de plus pour toutes ces arrestations. Nous sommes plus que jamais déterminés à poursuivre notre combat», souligne Saïd Fannich, animateur du Hirak dans la ville de Nador. Pour eux, la priorité est désormais de défendre les détenus en constituant des collectifs d’avocats, élaborer une nouvelle stratégie de lutte qui s’adapte à la répression et aux arrestations puis continuer à mobiliser la rue tout en informant l’opinion publique nationale et internationale.

    • Dans la journée de dimanche, un appel est lancé pour un rassemblement sur la place publique à 22h après les prières du Tarawih. Pour moi, c’est l’occasion de voir enfin le Hirak sur le terrain. Je décide d’y aller et d’observer de loin. A l’heure convenue, les citoyens commencent à se rassembler. Quand ils deviennent assez nombreux, ils s’organisent très vite. On sort les mégaphones, les banderoles et les drapeaux. Hommes et femmes se donnent la main pour former une haie autour des animateurs qui évoluent dans un grand espace. L’ambiance monte très vite.

    • A tour de rôle, les animateurs lancent des slogans que la foule reprend en chœur. «Houria, karama, adala ijtimaâiya!» (Liberté, dignité et justice sociale), «Nous sommes tous Zefzafi!» scande la foule. Fustigé en termes acerbes, le makhzen en prend pour son grade. L’ambiance est tellement chaude que j’en oublie les consignes de sécurité que je m’étais fixées pour commettre une erreur de débutant. Je me dis que je n’aurais peut-être pas l’occasion de faire des photos de manifestation et il m’en fallait absolument quelques-unes pour illustrer mon reportage.

    Au début, je demande à mon contact de me prendre quelques photos, mais il me dit: «Vas-y donc. N’aie pas peur.» Je prends deux ou trois photos avec mon téléphone, puis je sors carrément mon appareil photo et je fais quelques prises. Je n’arrive pas toujours à capter les slogans en derja marocaine et en tamazight du Rif, alors je fais deux ou trois courtes vidéos afin de décortiquer plus tard, tranquillement, ces fameux slogans.

    • C’est probablement à ce moment-là que les services me repèrent. Au bout d’une heure, le rassemblement se transforme en marche qui s’ébranle à travers les rues de la ville. Je décide de rentrer. Je regarde, de loin, la manif grossir, lorsque trois hommes en civil m’accostent pour me demander mes papiers avant de m’embarquer dans un fourgon. Direction le commissariat. Dans un minuscule bureau, ils sont quatre ou cinq policiers autour de moi.

    A vérifier le contenu de mon sac, ma sacoche, mes papiers, mon téléphone et tout ce qui leur tombe sous la main. Je décline mon identité et ma profession et leur dis que je réalise un reportage sur le Hirak du Rif. Les policiers sont indignés: un journaliste algérien qui réalise un reportage sur le Rif!! «Qu’est-ce que tu en as à faire du Rif? Occupez-vous de vos problèmes et ils sont assez nombreux!! Allez balayer devant votre propre porte!!», crie l’un d’eux.

    Les questions vont se succéder jusqu’au matin. Dans un premier temps, ils croient avoir attrapé un espion algérien venu apporter des fonds et des instructions pour déstabiliser le Maroc. «Je ne crois pas que tu sois un journaliste. Si tu l’es, pourquoi ne pas avoir demandé une autorisation pour travailler?» me dit celui qui a l’air d’être leur chef. J’explique que j’étais déjà venu faire des reportages au Maroc.

    Que lors du mouvement du 20 février, j’avais pris contact avec le ministère de la Communication marocain sis à Rabat Agdal. Au bureau des journalistes étrangers dans lequel je m’étais rendu, on m’avait expliqué que les autorisations n’étaient délivrées que pour les télévisions et les journalistes qui se fixaient au Maroc en tant que correspondants d’une chaîne ou d’un journal. J’avais travaillé et réalisé des reportages à Rabat et Casablanca sans aucune autorisation et sans être inquiété le moins du monde. Je leur explique également que si j’avais su qu’une autorisation était nécessaire, je l’aurais demandée et travaillé en toute quiétude.

    Mes carnets de notes sont décortiqués et analysés. Quand, bien entendu, ils arrivent à déchiffrer ma technique de prise de notes qui n’a pas grand-chose à envier à l’écriture d’un médecin rédigeant une ordonnance. Ils scannent tout et vérifient alors que je suis soumis au même feu roulant de questions sur ma filiation, mon parcours journalistique, mes relations avec les citoyens marocains que j’ai rencontrés, mes déplacements, etc.

    Les policiers sont néanmoins polis et courtois. Passé les premiers moments de tension, ils ne vont à aucun moment outrepasser leurs prérogatives. A l’aube, je suis transféré dans un autre commissariat vide, où un policier que l’on venait visiblement de tirer de son sommeil allait devoir rédiger un long rapport. A la fin, on me demande de le lire et le signer. Je ne m’y oppose pas du moment que cela reflète fidèlement mes déclarations. On me signifie que mes deux téléphones, mon dictaphone, mon appareil photo et une clé USB sont saisis sur ordre du juge.

    • Je suis également autorisé à passer un coup de fil pour prévenir une de mes relations que j’ai été arrêté. Je leur demande de prévenir l’ambassade d’Algérie, puis j’appelle Mounir Kejji pour l’informer de mon arrestation. Retour au premier commissariat. Je vais rester là toute la journée jusqu’à minuit en face de deux portraits de Mohammed VI dont l’un semble me narguer et l’autre me souhaiter la bienvenue en son royaume.

    • Vers 6h du matin, on ramène dans le bureau où je me trouve un jeune Algérien. Pâle et amaigri, il tient à peine debout sur ses jambes. Je lui cède le banc pour qu’il puisse s’allonger un peu. En l’interrogeant, j’apprends que c’est un jeune harrag [migrant clandestin] de 22 ans, originaire d’El Harrach qui a tenté sa chance à Melilla, l’enclave espagnole.

    Il a traversé clandestinement les frontières du côté d’Oujda en payant 30’000 DA à un passeur. Ses amis ont pu passer les frontières de Melilla, mais pas lui. Entre-temps, tout l’argent qu’il avait ramené avec lui avait fondu, il ne pouvait même pas se nourrir. «Le soir, je vais à la gare et quand les gens mangent, je m’assois à leurs côtés et ils m’en donnent un peu…», dit-il. Faute de pouvoir se payer un billet d’avion, il ne peut pas non plus retourner chez lui. «J’attends que les autorités marocaines m’expulsent…», dit-il.

    • Dans la cour du commissariat de police dans lequel je me trouvais, ils étaient deux Algériens à partager le sort de la dizaine de réfugiés subsahariens qui campaient là et dormaient sur des matelas crasseux dans une partie couverte du parking. Son histoire me bouleverse et les sous-entendus lourds d’allusions sarcastiques des policiers sur un pays riche qui abandonne ses citoyens font mal au cœur. J’attends que le policier ait le dos tourné pour lui glisser un billet de 100 dirhams. De quoi se payer deux ou trois repas chauds. Il est évacué, je ne sais, où au bout de deux heures.

    • Je vais passer toute la journée dans ce minuscule bureau sous la surveillance d’un ou deux policiers. De temps à autre, on vient me poser une question ou demander une précision. Dans l’après-midi, on me fait sortir pour me conduire dans une agence de la Royal Air Maroc pour avancer la date de mon retour initialement prévu pour le 1er juin. Je paie une pénalité de 450 dirhams et obtiens mon billet. «Tu prends le train de nuit accompagné d’un policier ce soir», me dit celui qui a l’air d’être le responsable du commissariat.

    A l’heure du ftour, on me ramène deux pains, une boîte de thon, une bouteille de jus et une bouteille d’eau, mais les policiers chargés de ma surveillance me disent que je peux tout comme eux commander à manger à l’extérieur en payant. Je commande une hrira (soupe) dont j’avale quelques cuillerées. Impossible de nourrir un estomac noué. Dans la soirée, je réclame la restitution de ma valise restée dans l’appartement que j’occupais. Promesse m’est faite de la ramener.

    Aux alentours de minuit, les clameurs d’une foule en colère me parviennent de plus en plus fortes. Il me faut quelques longues minutes pour comprendre que cela ne vient pas du bureau du chef où les policiers suivent en direct les manifestations, mais bel et bien de la rue. Le commissariat est en alerte maximale. Les portières claquent et les portes se ferment. La foule assiège l’édifice en criant les habituels slogans du mouvement. Pacifiquement, sans jeter de pierre ni quoi que ce soit. Au bout d’une demi-heure, les clameurs s’estompent avant de s’éteindre au loin, dans la nuit.

    On me demande alors de prendre mes affaires et de sortir rapidement. Au milieu des réfugiés subsahariens, le jeune harraga algérien et son ami me font de grands gestes d’amitié. Je prends place à bord d’une voiture de la sûreté nationale avec trois policiers. Jusqu’au matin, nous allons faire près de 650 kilomètres de Nador jusqu’à l’aéroport de Casablanca. Les policiers vont se charger de toutes les formalités du passage des douanes. Je serais escorté jusqu’à mon siège d’avion qui décolle vers 11h pour Alger.

    • Arrivé à Alger, ma première préoccupation est d’abord d’acheter un téléphone pour prévenir ma famille et mon journal que je viens d’arriver plus tôt que prévu et que j’ai été arrêté par la police marocaine et empêché de faire mon travail. Dans ce petit bureau d’un commissariat de Nador, je n’ai aucune idée de ce qui se passe ailleurs. Dès que j’en finis avec la PAF, je suis d’abord surpris de l’accueil des policiers heureux de me voir débarquer, me souhaitant la bienvenue chez moi. Puis je découvre les collègues du journal, à leur tête Omar Belhouchet, ravi de me voir revenu, les amis, les membres de ma famille, les confrères venus nombreux. Moi qui pensais être seul.

    J’en suis ému jusqu’aux larmes. Ma fatigue et mes deux nuits sans sommeil s’effacent d’un coup. Puis je prends connaissance du formidable élan de solidarité et de la mobilisation des lecteurs, des citoyens, des Algériens en général et cela fait chaud au cœur. On se dit que le travail du journaliste, malgré ses risques et ses contraintes, demeure une mission noble qui informe et unit les hommes au-delà de leurs appartenances politiques et leurs préjugés.

    Au-delà aussi des esprits et des frontières fermées. Pour tous ceux qui me disent: «Ne remets jamais les pieds au Maroc», je dirais que je ne suis pas près de sacrifier ce magnifique pays frère pour les beaux yeux du makhzen. J’ai beaucoup de considération pour ce peuple et tous les peuples du monde qui luttent pour leur liberté et leur dignité et je retournerai là bas à la première occasion. En demandant cette fois-ci une autorisation en bonne et due forme. On verra bien… (El Watan, 1er juin 2017)

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    La question amazighe

    Par Karim Oub

    Une des facettes de la contestation actuelle est liée à l’existence d’un mouvement culturel amazigh et aux luttes des populations autochtones. La défense de la culture et de la langue a aussi un fondement social et se traduit par la recherche d’une jonction entre la défense d’une identité spécifique discriminée et la lutte pour une émancipation sociale et démocratique. Cet article a été publié le 7 février 2007 dans la revue mensuelle du NPA, L’Anticapitaliste. (Réd. A l’Encontre)

    Nouvel an amazigh

    A Al Hoceima, les mobilisations contre la «hogra» (l’arbitraire et le mépris), suite à la mort du jeune vendeur de poisson Mohcine Fikri due à l’intervention des autorités locales, ont un lien avec la situation particulière du Rif et la mémoire collective de la population.

    • Le Rif, c’est l’épopée d’Abdelkrim Al Khattabi qui a fondé une république (1917-1926) dans sa guérilla anti-coloniale et témoigné toute sa vie d’une défiance vis-à-vis du makhzen; ce sont les milliers de morts en 1958, après un soulèvement populaire noyé dans le sang par Hassan II, alors prince héritier; c’est le cœur des émeutes populaires de 1984 contre les politiques d’ajustement structurel; ce sont les cinq jeunes dont les corps ont été retrouvés carbonisés pendant le Mouvement du 20 février.

    • Et c’est la persistance d’une identité amazighe. Le terme Amazigh signifie «Homme libre». Il est revendiqué face aux autres noms imposés par les différentes colonisations ou les élites, tels que «berbère». La mobilisation à Al Hoceima associe le drapeau amazigh, celui de la république du Rif et les slogans sociaux et démocratiques contre le makhzen. Cette jonction entre revendications sociales, démocratiques et culturelles renvoie à une histoire spécifique

    La population autochtone amazighe a dû faire face, pendant une longue période, aux tentatives de négation de son identité et ses formes d’organisation sociale. Les communautés paysannes regroupées en tribus (confédérées) avaient un droit d’usage collectif sur la terre et les ressources naturelles. Elles ont historiquement manifesté une autonomie plus ou moins marquée par rapport au pouvoir central. La colonisation française a visé une assimilation et une politique de déstructuration de leurs bases économiques et de leur rapport à la terre, suscitant des résistances populaires armées. Mais à l’indépendance, la question amazighe a été tout autant évacuée.

    Discrimination au nom de l’identité arabo-musulmane

    • Pour le mouvement national officiel, principalement urbain, la question amazighe était inexistante. Même Mehdi Ben Barka [1920-1965, cet opposant clé à Hassan II a été enlevé à Paris par des agents marocains en liaison avec les services français, puis assassiné; cela s’est passé à l’époque ou Georges Pompidou était premiers ministres] proclamait au lendemain de l’indépendance que «le berbère est simplement un homme qui n’est pas allé à l’école. Il s’agit là d’un problème d’instruction et d’évolution sociale, d’équipement intellectuel et d’équipement technique des campagnes.» L’identité nationale marocaine portée par des élites urbaines ambitionnait alors de sortir les campagnes de «l’arriération culturelle». N’étant ni «langue du pouvoir», ni «langue de développement», la langue et la culture amazighs ont été refoulées aux marges et folklorisées.

    • La monarchie a mis en avant le caractère arabo-islamique de sa légitimité. L’islam officiel ne peut être concurrencé par une autre langue, ni même par un islam populaire qui soit tant soit peu différent. La conception homogène de la nation marocaine, dont l’unité est matérialisée par la monarchie en tant que pouvoir indivisible sur tout le territoire, a accentué le refoulement politique et culturel des populations amazighes.

    • Les politiques linguistiques dans l’enseignement et l’administration, opposées aux langues maternelles, ont contribué à exclure socialement de larges catégories populaires. Les politiques socio-économiques ont marginalisé des territoires entiers, soit pour des motifs politiques (c’est le cas du Rif considéré comme une zone dissidente et «punie» par l’Etat), soit parce qu’ils sont intégrés au «Maroc inutile» (pour le capital local et international), en particulier dans le monde rural et dans les régions à dominante amazighe (le Souss et le Centre).

    • La question amazighe n’efface pas les influences multiples qui ont façonné la réalité culturelle, sociale et démographique d’aujourd’hui. Il n’existe quasiment plus, sauf dans des zones très restreintes, d’ethnie de «pure» appartenance amazighe ou arabe. La majorité est arabo-amazighe. Mais cela ne signifie pas évacuer l’existence d’une oppression spécifique cristallisée par l’Etat, ainsi que celle de spécificités régionales ethnoculturelles. Une communauté/peuple qui ne peut ni gouverner ni s’éduquer dans sa langue est discriminée.

    Genèse et développement du mouvement amazigh

    • Le mouvement amazigh a connu plusieurs phases. Dans les années 1960-1970, il s’est refugié dans une défense des «cultures populaires», sans avancer de revendications à caractère politique ou démocratique. Les années 1980 ont été celles d’une gestation difficile dans un contexte répressif. Ce n’est que dans la décennie suivante qu’en résonance avec la question kabyle dans l’Algérie voisine, un regroupement des différentes associations s’est produit sur la base de la Charte d’Agadir (1991). Celle-ci revendique la constitutionnalisation de la langue amazighe, son utilisation et généralisation dans l’enseignement et l’administration.

    Mais cette politisation ne s’est accompagnée que de mémorandums à destination de la classe politique et du pouvoir. La direction du mouvement ne cherchait pas la confrontation. Dans les années 2000, le pouvoir a mené une politique de cooptation. Les directions majoritaires ont soutenu la création de l’Institut royal de la culture amazighe, se contentant de l’introduction partielle de l’amazigh dans certains cours (en 2003 ) et de la création d’une chaîne de télévision à diffusion limitée (2008 ).

    • La cooptation s’est également appuyée sur une crise ouverte au sein du mouvement, entraînant nombre de ses cadres et militants à se replier sur l’associatif au plan local, financé par des organismes proches du pouvoir. Le mouvement a connu un reflux et la cristallisation de plusieurs courants : ethniciste-chauvin, autonomiste, institutionnel, démocratique radical… Cependant, en 2011, le M20F (Mouvement du 20 février) a montré la possibilité d’un mouvement populaire qui intègre les revendications spécifiques dans un combat général contre le despotisme. La reconnaissance de la légitimité des revendications amazighes faisait consensus. Cette dynamique a obligé le pouvoir à reconnaître la langue amazigh comme langue officielle sans pour autant la mettre sur un pied d’égalité, cette « reconnaissance » elle-même devant attendre des décrets d’application, qui se sont avérés par la suite sans portée réelle.

    Tâches et perspectives

    • Le pouvoir peut réprimer ou faire des concessions formelles, mais alors en contournant les revendications. La lutte pour la satisfaction des droits culturels et démocratiques ne peut s’appuyer sur le dialogue avec lui, ni se limiter à une reconnaissance officielle de la langue. Elle nécessite une rupture avec les politiques d’austérité qui asphyxient l’enseignement public, la formation des maîtres et la possibilité de généraliser son usage.

    • Mais il faut aussi lutter pour une réforme agraire et foncière. La culture et la langue amazighes ont en effet été portées par des communautés ancrées dans les liens sociaux et matériels que permettait un régime spécifique de propriété. Les terres étaient collectives, même si les communautés en avaient seulement l’usage. Le dahir (décret) de 1919 régit le «droit de propriété des tribus, fractions, douars ou autres groupements ethniques sur les terres de culture ou de parcours dont ils ont la jouissance à titre collectif». Placées aujourd’hui sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, ces terres s’étendent sur une superficie estimée à 15 millions d’hectares. Les Amazighs sont aujourd’hui particulièrement touchés par l’intensification de l’accaparement des terres agricoles et pastorales, qui prive les populations rurales de leurs ressources naturelles (mines, forêts, parcours, eau) et de leurs moyens de subsistance, en suscitant en retour une dynamique de résistance.

    Les mobilisations à Imider [1] ont réactualisé les formes d’organisation communautaires, en associant l’ensemble des habitants à la conduite de la lutte. La culture amazighe s’assume ici comme un moyen de lutte collective sur des questions sociales, écologiques et démocratiques. A Al Hoceima, les assemblées générales se font dans la langue de l’opprimé. S’il est difficile de savoir sous quelle forme un mouvement de masse pourra s’unifier et se cristalliser, il y a d’ores et déjà une nouvelle génération qui ne se reconnaît pas dans les structures officielles du mouvement amazigh. L’enjeu est de reconstruire un mouvement combatif, indépendant, unitaire, laïc, qui sache combiner les luttes spécifiques et les luttes pour une émancipation globale.

    Celle-ci implique un Etat laïque où les formes de légitimation du pouvoir ne reposent pas sur une religion instituée. L’égalité des droits des langues et cultures ne peut reposer sur la sacralisation de la langue arabe comme langue du coran. Une résolution démocratique implique en outre une rupture avec les conceptions centralisatrices et homogènes de la nation, afin de garantir la possibilité d’une autonomie nationale-culturelle et de l’auto-administration régionale. Mais aussi et en même temps, une lutte de classe résolue contre la classe dominante quelle que soit sa coloration ethnique, pour que les classes populaires conquièrent le pouvoir réel et construisent une société égalitaire, multiculturelle, affranchie de toute forme d’oppression et d’exploitation.

    Karim Oub est un militant amazigh, maxiste-révolutionnaire

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    [1] Imider: une lutte qui a commencé en 1996, mais a pris une dimension nouvelle depuis six ans, avec l’installation d’un campement permanent des habitants des différents villages qui luttent pour le droit aux ressources, accaparées par un holding royal, et contre la pollution générée par l’exploitation de la mine.

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    Hirak Errif – le Mouvement du Rif – exige la libération des détenus. Les journalistes Rifains dénoncent les méthodes du pouvoir

    Par Aniss Z.

    El Watan du 3 juin 2017 a publié cet article dont nous reproduisons quelques extraits. «La quasi-totalité des magasins du centre-ville ont respecté jeudi 1er juin 2017 après-midi le mot d’ordre de grève générale pour exiger la remise en liberté des activistes de Hirak Errif. Le mouvement a été très suivi dans la ville voisine de Beni Bouyaach. Une importante manifestation a également eu lieu à Imzouren et ses environs, selon des images diffusées sur les réseaux sociaux.

    Nasser Zefzafi

    • Malgré les arrestations, les manifestations perdurent à Al Hoceima. De son côté, le mouvement Hirak Errif qui lutte contre la marginalisation de la région s’organise et mobilise, même privé de ses leaders. […]

    Et leur mot d’ordre de grève générale a été largement suivi jeudi dans le nord du Maroc, où les manifestations pour réclamer la libération du leader de la contestation locale se poursuivent à un rythme quotidien. L’annonce de la grève générale avait été lancée sur les réseaux sociaux par Najib Ahmajik, le n° 2 du mouvement de contestation qui est actuellement en fuite.

    Comme à chaque nuit tombée depuis presque une semaine, les manifestants se sont rassemblés de nouveau dans le quartier Sidi Abed, proche du centre-ville. Ils étaient près de 2000 à exiger de nouveau la «libération des prisonniers», brandissant en tête de cortège une banderole avec le portrait du leader de la contestation emprisonné, Nasser Zefzafi. C’est aux cris de «Nous sommes tous Nasser Zefzafi!» que les contestataires ont investi les rues.

    Le rassemblement s’est déroulé sans incident, pour s’achever peu avant minuit, indiquent des médias étrangers présents sur place. […]

    • Selon un décompte officiel, la police a procédé depuis vendredi dernier à une quarantaine d’arrestations, visant essentiellement le «noyau dur» du Hirak. Vingt-cinq des personnes arrêtées ont été déférées devant le parquet.

    L’appel des journalistes rifains

    Dans un communiqué rendu public jeudi après-midi, un groupe de journalistes rifains parmi lesquels figure Mohamed El Asrihi, directeur du site d’informations rifain Rif24, a appelé «la communauté internationale et toutes les organisations mondiales de défense des droits humains à faire pression sur les autorités marocaines afin qu’elles abandonnent les charges retenues contre les journalistes et les activistes rifains telles que les accusations d’avoir menacé la sécurité intérieure de l’Etat et d’avoir reçu des fonds étrangers».

    • Dans leur appel, ils disent souhaiter également que ces organisations poussent les autorités marocaines à arrêter les harcèlements et les arrestations qui frappent le Rif. «Nous faisons face à ces menaces et persécutions pour la simple raison que nous avons traité les événements vécus dans notre région avec objectivité et conscience professionnelle, et parce que nous nous sommes battus pour rapporter et transmettre au monde entier les vérités et la réalité telle qu’elle est, d’une manière neutre», indique la même source.

    Les auteurs du communiqué dénoncent en outre «les graves violations des droits de l’homme commises par les autorités marocaines envers les journalistes rifains et leurs familles, et leurs tentatives délibérées de faire taire les voix dissidentes et libres». (3 juin 2017)

     Alencontre le 4 - juin - 2017
     
  • Le roi du Maroc face aux révoltés du Rif (JDD)

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    Au Maroc, cela fait maintenant plus d’une semaine que des manifestations ont lieu tous les jours dans l’une des plus importantes villes de la région du Rif où l’on n’a pas oublié la mort il y a 6 mois d’un vendeur de poisson, broyé dans une benne à ordures.

    Le mouvement prend de l’ampleur, ce qui embarrasse le gouvernement et le roi Mohammed VI.

    A tous ceux qui seraient tentés de croire que ce qui se passe en ce moment dans le Rif, au Maroc, correspond à un nouveau printemps arabe, autant dire tout de suite que ce n’est pas le cas. Certes, il y a des ressemblances. Les foules réclament justice, dignité, des investissements lourds pour soutenir l’une des régions les plus défavorisées du pays, une meilleure éducation, davantage  de considération en fait de la part des autorités centrales.

    Il y a aussi le fait que le leader du mouvement, Nasser Zefsafi, un chômeur de 39 ans, est extrêmement charismatique et qu’il utilise les réseaux sociaux brillamment, y compris depuis qu’il est détenu par les forces de l’ordre depuis une semaine pour menace à l’ordre public. Mais la comparaison s’arrête là.

    Le Rif a toujours été en révolte

    D’abord parce que le Rif a toujours été en révolte. Cette région était déjà rebelle du temps du protectorat français. C’est une région de culture intensive du cannabis depuis des siècles, raison pour laquelle les Français y avaient installé leur Régie du kif et des tabacs, une région où économie et trafics ont donc toujours été liés, ce qui a maintenu vivantes des pratiques de corruption, d’abus de pouvoir, et d’impunité très fortes.

    Ensuite parce que cette révolte n’est pas arabe mais majoritairement berbère. La population locale a long- temps souffert de ne pas faire valoir reconnaître ses droits à la différence, avec sa langue et ses pratiques religieuses différentes. Il n’est pas question de séparatisme mais d’être traité au contraire sur un pied d’égalité avec les autres régions à majorité arabe qui bénéficient de programmes sociaux et d’éducation plus avantageux. Cela ne veut pas dire pour autant que rien n’a été fait. Le Roi a en effet contribué à faire évoluer les choses sur le plan économique et social mais ce n’est pas suffisamment. (Affirmation gratuite! Note du blog)

    Les provinces enclavées, un défi pour Mohammed VI

    Il y a enfin de grandes différences avec les principaux mouvements d’opinion qui ont marqué le règne de Mohammed VI. Ce qui se passe dans le Rif n’a pas grand-chose à voir ( Ah Bon? Note du blog) avec le mouvement du 20 février, qui avait mobilisé dans les grandes villes marocaines des centaines de milliers de jeunes et qui réclamaient plus de libertés individuelles et publiques, une plus grande libéralisation de la société et des réformes modernes, notamment en faveur des femmes.

    Il ne s’agit pas non plus d’un mouvement traditionaliste et religieux comme on a pu le voir aussi dans le pays et qui a contribué à porter au pouvoir un parti islamiste, le PJD. Cette révolte du Rif montre en fait une dernière facette de la société marocaine. Celle des provinces enclavées, loin des grandes cités touristiques, celle de la pauvreté, souvent cachée et occultée. Et qui pourrait bien donner du fil à retordre à Mohammed VI, qui s’était autoproclamé au début de son règne, le "Roi des Pauvres". 

    Sur le même sujet :

      1 juin 2017

    http://www.lejdd.fr/

    Commentaire:

    Nous pensons au contraire que le Rif au Maroc, s'inscrit dans la situation globale déclenchée par les "Printemps Arabes" qui malgré des reculs n'a pas fini d'agiter la région. Les pays arabes monarchiques ou républicains, partagent un mode d'exploitation similaire des masses. Extorsion des richesses appuyée par l'armée (partie prenante de l'économie y compris frauduleuse) , obéissance aveugle au FMI: destruction des rares services publics. Grave crise écologique et désertification (réchauffement climatique). La situation est explosive du Maghreb au Moyen-Orient pour des dizaines d'années. Il suffit d'une étincelle.

  • Maroc : Une mobilisation populaire massive et radicale (NPA)

    nervis.jpg

    Les nervis "baltajis" sont ressortis

    Voilà maintenant près de 7 mois que la mobilisation dans le Rif dure.

    Déclenchée en réaction à l’assassinat de Mohcine Fikri, un vendeur de poisson écrasé dans une benne à ordure, le mouvement s’est doté d’ une plateforme revendicative dans le cadre d’un processus d’assemblées populaires.

    Celle-ci fait ressortir des demandes élémentaires : la construction d’universités, d’hôpitaux, de centres de formation, l’accès aux services de base, la lutte contre le chômage et les expropriations de terre, ainsi que la levée du décret de militarisation établi dans les années 1950, la fin de la corruption, la libération des prisonniers du mouvement, la condamnation des vrais responsables de la mort de Fikri. Les comités locaux du mouvement populaire structurent à la base la mobilisation qui a essaimé, y compris dans les plus petites localités.  

    Le pouvoir a cherché à invisibiliser la lutte, comptant sur un épuisement.

    Mais en se dotant de structures d’auto-organisation, en contournant les médiations traditionnelles discréditées (partis, syndicats, société civile, élus), le mouvement était en phase directe avec les aspirations populaires. Aucune institution, aucun relais du pouvoir, aucune « opposition » n’est en mesure de canaliser la lutte, avec en toile de fond, une crise profonde de la façade démocratique.

    Cinq ans après 2011, le régime n’a jamais été aussi autoritaire, corrompu et dans l’incapacité de vendre l’illusion d’un semblant d’auto-réforme. Le rejet massif des institutions se traduit aussi bien dans les urnes que dans les mobilisations qui n’ont cessé de s’étendre sur tous les terrains et dans tous les recoins du pays. Le Rif présente par ailleurs une spécificité historique, longtemps ostracisé par le pouvoir, il a une longue histoire de résistance : de la fondation de la République du Rif avec Abdekrim el Khattabi, au soulèvement au lendemain de l’indépendance contre le pouvoir central, au cœur des révoltes contre les politiques d’ajustement structurel, particulièrement mobilisé durant le M20 Février. Ce n’est pas un hasard si l’emblème de la contestation est celui de la République du Rif et le drapeau amazigh.

    Escalade répressive

    Devant la persistance de la mobilisation, le pouvoir a cherché à la présenter comme répondant à un agenda étranger séditieux mené par des « séparatistes », et n’a cessé de déployer ses forces répressives et « balatgias ». La journée du 18 mai a été emblématique : malgré un dispositif militaire impressionnant et des barrages systématiques, des milliers de personnes les ont forcés et rejoint al Hoceima, acculant le pouvoir à assister à une manifestation de masse sans précédent doublée d’une grève générale.

    Le mouvement populaire a posé des exigences très claires : ce ne sont pas les institutions élues corrompues et les ONG bidons mais les représentants du mouvement qui doivent être à la table des négociations, et celle-ci ont pour préalable la libération des détenus, la levée de la militarisation, et pour seul objectif la satisfaction des revendications assorties de garanties. Le mouvement ne s’arrêtera pas tant que la population n’aura pas obtenu satisfaction.

    L’escalade répressive est en cours : plusieurs dizaines d’arrestations dont les animateurs du mouvement et ses porte-parole ont eu lieu, et la liste s’allonge... Depuis plusieurs nuits des heurts ont lieu. La radicalisation politique est explicite à travers des mots d’ordre qui visent la fin du makhzen ou la transformation du fameux « Dieu, la patrie, le roi » en « Dieu, la patrie, le peuple ».

    Un affrontement majeur se dessine, massif et radical, et dans de nombreuses autres villes, la contestation s’étend malgré la violence de l’État. Les prochaines semaines seront déterminantes pour la relance du processus révolutionnaire et l’affrontement avec la monarchie. La solidarité internationale pour la satisfaction des revendications du peuple du Rif, le soutien à toutes les mobilisations sociales et démocratiques et l’arrêt de la répression est urgente. 

    Chawqui Lotfi (militant de Tahadi / Émancipation démocratique)

    https://npa2009.org/

    Commentaire: Il ne fait pas de doute pour nous que le Rif est une région berbère...