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Il y a 55 ans, jour pour jour, un commando de l'OAS a méthodiquement assassiné : Marcel BASSET, Robert EYMARD, Mouloud FERAOUN, Ali HAMMOUTENE, Max MARCHAND, Salah OULD AOUDIA

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Le Blog des Amis des Pieds-Noirs Progressistes et de tous les Pieds-Noirs non extrémistes nostalgériques

Il y a 55 ans, jour pour jour, un commando de l'OAS a méthodiquement assassiné : Marcel BASSET, Robert EYMARD, Mouloud FERAOUN, Ali HAMMOUTENE, Max MARCHAND, Salah OULD AOUDIA

" Ils étaient six, Algériens et Français mêlés. Tous inspecteurs de l’Education nationale, réunis le 15 mars 1962, trois jours avant la signature des accords d’Evian, à Château-Royal dans le quartier d’El Biar, près d’Alger. Parmi eux, Max Marchand, leur responsable, un Normand passionné d’Algérie, et Mouloud Feraoun, l’écrivain kabyle. Ils dirigent des centres sociaux lancés en 1955 par Germaine Tillion, où l’on crut jusqu’au bout à l’alphabétisation et à la formation professionnelle des jeunes et des adultes pour apprendre, enfin, à vivre ensemble un peu moins mal. Un commando Delta de tueurs de l’OAS, commandé semble-t-il par l’ex-lieutenant Degueldre, les déchiqueta à l’arme automatique, ce jour-là, comme des chiens, dos au mur, pour qu’un dernier espoir s’éteigne. " [Jean-Pierre Rioux]

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Lettres de Mouloud Feraoun et ses amis

Par Kader Bakou

En ce jour du 14 mars 1962, Mouloud Feraoun ne sait pas qu’il vient d’écrire la dernière page de son journal et de sa vie :

«A Alger, c’est la terreur. Les gens circulent tout de même, et ceux qui doivent gagner leur vie ou tout simplement faire leurs commissions sont obligés de sortir et sortent sans trop savoir s’ils vont revenir ou tomber dans la rue.
Nous en sommes tous là, les courageux et les lâches, au point que l’on se demande si tous ces qualificatifs existent vraiment ou si ce ne sont pas des illusions sans véritable réalité. Non, on ne distingue plus les courageux des lâches. A moins que nous soyons tous, à force de vivre dans la peur, devenus insensibles et inconscients. Bien sûr, je ne veux pas mourir et je ne veux absolument pas que mes enfants meurent, mais je ne prends aucune précaution particulière en dehors de celles qui, depuis une quinzaine (de jours) sont devenues des habitudes : limitation des sorties, courses pour acheter en «gros», suppression des visites aux amis. Mais, chaque fois que l’un d’entre nous sort, il décrit au retour un attentat ou signale une victime.»

Le lendemain, il a une réunion au centre social de Château-Royal, sur les hauteurs d’Alger. Le 15 mars 1962 à 10h45, un commando de l’OAS fait irruption dans la salle de réunion.

Les assassins font sortir six hommes et les fusillent. Les victimes sont Mouloud Feraoun, Marcel Basset, Robert Eymard, Ali Hammoutène, Max Marchand et Salah Ould Aoudia.

Le fils de Mouloud Feraoun écrit à Emmanuel Roblès : «Mardi, vous avez écrit une lettre à mon père qu’il ne lira jamais… C’est affreux ! Mercredi soir, nous avons — pour la première fois depuis que nous sommes à la villa Lung — longuement veillé avec mon père dans la cuisine, puis au salon. Nous avons évoqué toutes les écoles où il a exercé (…) C’était la dernière fois que je le voyais. Je l’ai entendu pour la dernière fois le matin à huit heures. J’étais au lit. Il a dit à maman : «Laisse les enfants dormir.» Elle voulait nous réveiller pour nous envoyer à l’école. «Chaque matin, tu fais sortir trois hommes. Tu ne penses pas tout de même qu’ils te les rendront comme ça tous les jours !» (…) Je l’ai vu à la morgue. Douze balles, aucune sur le visage. Il était beau mon père, mais tout glacé et ne voulait regarder personne.»

Pour Jean El-Mouhoub Amrouche, l’acte de l’OAS qui avait ciblé trois Français et trois Algériens était bien calculé : «Traîtres à la race des seigneurs étaient Max Marchand, Marcel Basset, Robert Eymard, puisqu’ils proposaient d’amener les populations du bled algérien au même degré de conscience humaine, de savoir technique et de capacité économique que leurs anciens colonisateurs français. Criminels présomptueux, Mouloud Feraoun, Ali Hamoutene, Salah Aït Aoudia, qui s’étant rendus maîtres du langage et des modes de pensée du colonisateur, pensaient avoir effacé la marque infamante du raton, du bicot, de l’éternel péché originel d’indigénat pour lequel le colonialisme fasciste n’admet aucun pardon.» Après ces remarques amères, Amrouche conclut : «Voilà pourquoi les six furent ensemble condamnés et assassinés par des hommes qui refusent l’image et la définition de l’homme élaborées lentement à travers des convulsions sans nombre parce qu’il faut bien nommer la conscience universelle.»

Mouloud Mammeri écrira plus tard : «Le 15 mars 1962, au matin, une petite bande d’assassins se sont présentés au lieu où, avec d’autres hommes de bonne volonté, il (Mouloud Feraoun) travaillait à émanciper des esprits jeunes; on les a alignés contre le mur et… on a coupé pour toujours la voix de Fouroulou. Pour toujours ? Ses assassins l’ont cru, mais l’Histoire a montré qu’ils s’étaient trompés, car d’eux, il ne reste rien… rien que le souvenir mauvais d’un geste stupide et meurtrier, mais de Mouloud Feraoun la voix continue de vivre.» Le fils du pauvre repose du sommeil du juste.

http://lesoirdalgerie.com/

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 Au cours de la nuit qui suivit cet assassinat, Germaine Tillion a écrit le texte suivant qui est paru dans Le Monde du 18 mars 1962.

La bêtise qui froidement assassine

"Mouloud Feraoun était un écrivain de grande race, un homme fier et modeste à la fois, mais quand je pense à lui, le premier mot qui me vient aux lèvres c’est le mot : bonté...

C’était un vieil ami qui ne passait jamais à Paris sans venir me voir. J’aimais sa conversation passionnante, pleine d’humour, d’images, toujours au plus près du réel - mais à l’intérieur de chaque événement décrit il y avait toujours comme une petite lampe qui brillait tout doucement : son amour de la vie, des êtres, son refus de croire à la totale méchanceté des hommes et du destin.

Certes, il souffrait plus que quiconque de cette guerre fratricide, certes, il était inquiet pour ses six enfants - mais, dans les jours les plus noirs, il continuait à espérer que le bon sens serait finalement plus fort que la bêtise...

Et la bêtise, la féroce bêtise l’a tué. Non pas tué : assassiné. Froidement, délibérément ! ...

Cet honnête homme, cet homme bon, cet homme qui n’avait jamais fait de tort à quiconque, qui avait dévoué sa vie au bien public, qui était l’un des plus grands écrivains de l’Algérie, a été assassiné... Non pas par hasard, non pas par erreur, mais appelé par son nom, tué par préférence, et cet homme qui croyait à l’humanité a gémi et agonisé quatre heures - non pas par la faute d’un microbe, d’un frein qui casse, d’un des mille accidents qui guettent nos vies, mais parce que cela entrait dans les calculs imbéciles des singes sanglants qui font la loi à Alger...

Entre l’écrivain Mouloud Feraoun, né en Grande-Kabylie ; Max Marchand, Oranais d’adoption et docteur ès lettres ; Marcel Basset, qui venait du Pas-de-Calais ; Robert Aimard, originaire de la Drôme ; le catholique pratiquant Salah Ould Aoudia et le musulman Ali Hammoutène, il y avait une passion commune : le sauvetage de l’enfance algérienne - car c’était cela leur objectif, l’objectif des Centres Sociaux : permettre à un pays dans son ensemble, et grâce à sa jeunesse, de rattraper les retards techniques qu’on appelle "sous-développement". Dans un langage plus simple cela veut dire : vivre.

Apprendre à lire et à écrire à des enfants, donner un métier à des adultes, soigner des malades - ce sont des choses si utiles qu’elles en paraissent banales : on fait cela partout, ou, à tout le moins, on a envie de le faire. [...]

Et c’était de quoi s’entretenaient ces six hommes, à 10 heures du matin, le 15 mars 1962 ..."

Germaine Tillion

Jean-Philippe Ould Aoudia, fils de Salah Ould Aoudia, a publié, une enquête sur l’assas- sinat de Château-Royal (éditions Tiresias). Jean-Philippe Ould Aoudia enquête minutieuse- ment, recoupe les documents, vomit les clauses des amnisties successives qui rendent le crime innommable et font taire les proches des victimes. Il n’a qu’un but : traquer les assas- sins de son père à El Biar, relire cette tuerie planifiée, établir les complicités en hauts lieux, pointer du doigt les inconscients et les aveugles, reconstituer l’atmosphère d’affolement à Alger au printemps de 1962, qui laissait proliférer l’exécution à la raflette entre deux anisettes et l’attentat méthodique des commandos surentraînés. [d’après Jean-Pierre Rioux, Le Monde du 20 mars 1992]

Une association et un livre pour ne pas oublier :

- l’association Les Amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs Compagnons,
siège social : UNSA-Education - 87 bis rue Georges Gosnat - 94 853 Ivry-sur-Seine ;

- L'assassinat de Château-Royal, de Jean-Philippe Ould Aoudia - introduction de Germaine Tillion, préface d’Emmanuel Roblès et postface de Pierre Vidal-Naquet - (Éditions Tirésias, 1992 -  http://www.editionstiresias.com)

http://www.dandelotmije.com/

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