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Histoire

  • Il y a 55 ans, jour pour jour, un commando de l'OAS a méthodiquement assassiné : Marcel BASSET, Robert EYMARD, Mouloud FERAOUN, Ali HAMMOUTENE, Max MARCHAND, Salah OULD AOUDIA

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    Le Blog des Amis des Pieds-Noirs Progressistes et de tous les Pieds-Noirs non extrémistes nostalgériques

    Il y a 55 ans, jour pour jour, un commando de l'OAS a méthodiquement assassiné : Marcel BASSET, Robert EYMARD, Mouloud FERAOUN, Ali HAMMOUTENE, Max MARCHAND, Salah OULD AOUDIA

    " Ils étaient six, Algériens et Français mêlés. Tous inspecteurs de l’Education nationale, réunis le 15 mars 1962, trois jours avant la signature des accords d’Evian, à Château-Royal dans le quartier d’El Biar, près d’Alger. Parmi eux, Max Marchand, leur responsable, un Normand passionné d’Algérie, et Mouloud Feraoun, l’écrivain kabyle. Ils dirigent des centres sociaux lancés en 1955 par Germaine Tillion, où l’on crut jusqu’au bout à l’alphabétisation et à la formation professionnelle des jeunes et des adultes pour apprendre, enfin, à vivre ensemble un peu moins mal. Un commando Delta de tueurs de l’OAS, commandé semble-t-il par l’ex-lieutenant Degueldre, les déchiqueta à l’arme automatique, ce jour-là, comme des chiens, dos au mur, pour qu’un dernier espoir s’éteigne. " [Jean-Pierre Rioux]

    ********************

    Lettres de Mouloud Feraoun et ses amis

    Par Kader Bakou

    En ce jour du 14 mars 1962, Mouloud Feraoun ne sait pas qu’il vient d’écrire la dernière page de son journal et de sa vie :

    «A Alger, c’est la terreur. Les gens circulent tout de même, et ceux qui doivent gagner leur vie ou tout simplement faire leurs commissions sont obligés de sortir et sortent sans trop savoir s’ils vont revenir ou tomber dans la rue.
    Nous en sommes tous là, les courageux et les lâches, au point que l’on se demande si tous ces qualificatifs existent vraiment ou si ce ne sont pas des illusions sans véritable réalité. Non, on ne distingue plus les courageux des lâches. A moins que nous soyons tous, à force de vivre dans la peur, devenus insensibles et inconscients. Bien sûr, je ne veux pas mourir et je ne veux absolument pas que mes enfants meurent, mais je ne prends aucune précaution particulière en dehors de celles qui, depuis une quinzaine (de jours) sont devenues des habitudes : limitation des sorties, courses pour acheter en «gros», suppression des visites aux amis. Mais, chaque fois que l’un d’entre nous sort, il décrit au retour un attentat ou signale une victime.»

    Le lendemain, il a une réunion au centre social de Château-Royal, sur les hauteurs d’Alger. Le 15 mars 1962 à 10h45, un commando de l’OAS fait irruption dans la salle de réunion.

    Les assassins font sortir six hommes et les fusillent. Les victimes sont Mouloud Feraoun, Marcel Basset, Robert Eymard, Ali Hammoutène, Max Marchand et Salah Ould Aoudia.

    Le fils de Mouloud Feraoun écrit à Emmanuel Roblès : «Mardi, vous avez écrit une lettre à mon père qu’il ne lira jamais… C’est affreux ! Mercredi soir, nous avons — pour la première fois depuis que nous sommes à la villa Lung — longuement veillé avec mon père dans la cuisine, puis au salon. Nous avons évoqué toutes les écoles où il a exercé (…) C’était la dernière fois que je le voyais. Je l’ai entendu pour la dernière fois le matin à huit heures. J’étais au lit. Il a dit à maman : «Laisse les enfants dormir.» Elle voulait nous réveiller pour nous envoyer à l’école. «Chaque matin, tu fais sortir trois hommes. Tu ne penses pas tout de même qu’ils te les rendront comme ça tous les jours !» (…) Je l’ai vu à la morgue. Douze balles, aucune sur le visage. Il était beau mon père, mais tout glacé et ne voulait regarder personne.»

    Pour Jean El-Mouhoub Amrouche, l’acte de l’OAS qui avait ciblé trois Français et trois Algériens était bien calculé : «Traîtres à la race des seigneurs étaient Max Marchand, Marcel Basset, Robert Eymard, puisqu’ils proposaient d’amener les populations du bled algérien au même degré de conscience humaine, de savoir technique et de capacité économique que leurs anciens colonisateurs français. Criminels présomptueux, Mouloud Feraoun, Ali Hamoutene, Salah Aït Aoudia, qui s’étant rendus maîtres du langage et des modes de pensée du colonisateur, pensaient avoir effacé la marque infamante du raton, du bicot, de l’éternel péché originel d’indigénat pour lequel le colonialisme fasciste n’admet aucun pardon.» Après ces remarques amères, Amrouche conclut : «Voilà pourquoi les six furent ensemble condamnés et assassinés par des hommes qui refusent l’image et la définition de l’homme élaborées lentement à travers des convulsions sans nombre parce qu’il faut bien nommer la conscience universelle.»

    Mouloud Mammeri écrira plus tard : «Le 15 mars 1962, au matin, une petite bande d’assassins se sont présentés au lieu où, avec d’autres hommes de bonne volonté, il (Mouloud Feraoun) travaillait à émanciper des esprits jeunes; on les a alignés contre le mur et… on a coupé pour toujours la voix de Fouroulou. Pour toujours ? Ses assassins l’ont cru, mais l’Histoire a montré qu’ils s’étaient trompés, car d’eux, il ne reste rien… rien que le souvenir mauvais d’un geste stupide et meurtrier, mais de Mouloud Feraoun la voix continue de vivre.» Le fils du pauvre repose du sommeil du juste.

    http://lesoirdalgerie.com/

    *******************

     Au cours de la nuit qui suivit cet assassinat, Germaine Tillion a écrit le texte suivant qui est paru dans Le Monde du 18 mars 1962.

    La bêtise qui froidement assassine

    "Mouloud Feraoun était un écrivain de grande race, un homme fier et modeste à la fois, mais quand je pense à lui, le premier mot qui me vient aux lèvres c’est le mot : bonté...

    C’était un vieil ami qui ne passait jamais à Paris sans venir me voir. J’aimais sa conversation passionnante, pleine d’humour, d’images, toujours au plus près du réel - mais à l’intérieur de chaque événement décrit il y avait toujours comme une petite lampe qui brillait tout doucement : son amour de la vie, des êtres, son refus de croire à la totale méchanceté des hommes et du destin.

    Certes, il souffrait plus que quiconque de cette guerre fratricide, certes, il était inquiet pour ses six enfants - mais, dans les jours les plus noirs, il continuait à espérer que le bon sens serait finalement plus fort que la bêtise...

    Et la bêtise, la féroce bêtise l’a tué. Non pas tué : assassiné. Froidement, délibérément ! ...

    Cet honnête homme, cet homme bon, cet homme qui n’avait jamais fait de tort à quiconque, qui avait dévoué sa vie au bien public, qui était l’un des plus grands écrivains de l’Algérie, a été assassiné... Non pas par hasard, non pas par erreur, mais appelé par son nom, tué par préférence, et cet homme qui croyait à l’humanité a gémi et agonisé quatre heures - non pas par la faute d’un microbe, d’un frein qui casse, d’un des mille accidents qui guettent nos vies, mais parce que cela entrait dans les calculs imbéciles des singes sanglants qui font la loi à Alger...

    Entre l’écrivain Mouloud Feraoun, né en Grande-Kabylie ; Max Marchand, Oranais d’adoption et docteur ès lettres ; Marcel Basset, qui venait du Pas-de-Calais ; Robert Aimard, originaire de la Drôme ; le catholique pratiquant Salah Ould Aoudia et le musulman Ali Hammoutène, il y avait une passion commune : le sauvetage de l’enfance algérienne - car c’était cela leur objectif, l’objectif des Centres Sociaux : permettre à un pays dans son ensemble, et grâce à sa jeunesse, de rattraper les retards techniques qu’on appelle "sous-développement". Dans un langage plus simple cela veut dire : vivre.

    Apprendre à lire et à écrire à des enfants, donner un métier à des adultes, soigner des malades - ce sont des choses si utiles qu’elles en paraissent banales : on fait cela partout, ou, à tout le moins, on a envie de le faire. [...]

    Et c’était de quoi s’entretenaient ces six hommes, à 10 heures du matin, le 15 mars 1962 ..."

    Germaine Tillion

    Jean-Philippe Ould Aoudia, fils de Salah Ould Aoudia, a publié, une enquête sur l’assas- sinat de Château-Royal (éditions Tiresias). Jean-Philippe Ould Aoudia enquête minutieuse- ment, recoupe les documents, vomit les clauses des amnisties successives qui rendent le crime innommable et font taire les proches des victimes. Il n’a qu’un but : traquer les assas- sins de son père à El Biar, relire cette tuerie planifiée, établir les complicités en hauts lieux, pointer du doigt les inconscients et les aveugles, reconstituer l’atmosphère d’affolement à Alger au printemps de 1962, qui laissait proliférer l’exécution à la raflette entre deux anisettes et l’attentat méthodique des commandos surentraînés. [d’après Jean-Pierre Rioux, Le Monde du 20 mars 1992]

    Une association et un livre pour ne pas oublier :

    - l’association Les Amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs Compagnons,
    siège social : UNSA-Education - 87 bis rue Georges Gosnat - 94 853 Ivry-sur-Seine ;

    - L'assassinat de Château-Royal, de Jean-Philippe Ould Aoudia - introduction de Germaine Tillion, préface d’Emmanuel Roblès et postface de Pierre Vidal-Naquet - (Éditions Tirésias, 1992 -  http://www.editionstiresias.com)

    http://www.dandelotmije.com/

  • Présentation du livre de Hocine Aït Ahmed : « L'affaire Mécili » (Algeria Watch)

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    avec Annie Mécili, veuve d'Ali Mécili, José Garçon, journaliste et François Gèze, éditeur à La Découverte

    jeudi 29 juin à 19 h

    LIBRAIRIE RESISTANCES : 4 Villa Compoint 75017 PARIS

    Le 7 avril 1987, Ali Mécili, avocat au barreau de Paris, figure marquante de l'opposition démocratique au régime d'Alger, était assassiné devant son domicile parisien. Deux mois plus tard, la police française arrêtait le tueur, un petit truand algérien aux ordres de la Sécurité militaire, les services secrets de l'armée algérienne. Mais au lieu d'être remis à la justice, il était... réexpédié à Alger. Et, depuis trente ans, ce crime qui déshonore la Ve République est resté impuni. D'où l'importance de ce livre, publié pour la première fois en 1989, pour comprendre la vraie nature du régime algérien et les réseaux secrets de la "Françalgérie".

    Grande figure de la lutte d'indépendance algérienne et opposant historique au régime militaire qui contrôle l'Algérie, Hocine Aït-Ahmed (1926-2015) y retrace en détail les circonstances du meurtre de son ami, ainsi que l'attitude scandaleuse des autorités françaises. Mais aussi, à travers le parcours d'Ali Mécili, la lutte d'opposants courageux contre un "pouvoir de l'ombre" qui a confisqué dès 1962 la lutte de libération du peuple algérien. Et, dans une postface inédite, il évoque le "bain de sang" dans lequel ce pouvoir a plongé son pays à partir de 1992, et l'incroyable omerta qui continue depuis à recouvrir, en France comme ailleurs, les crimes contre l'humanité d'une junte de généraux corrompus.

    Trente années à ce jour qu'Annie Mécili, sa famille et ses amis exigent que justice soit rendue depuis l'expulsion en Algérie de l'assassin présumé par Charles Pasqua et Robert Pandraud en juin 1987. Jusqu' à l'ordonnance de non lieu de novembre 2014, confirmée depuis par la Cour d'appel de Paris et par la Cour de cassation, la raison d'Etat n'a cessé de s'affirmer et la justice ne s'est pas accomplie en France. Reste la Cour européenne des droits de l'homme qui vient d' être saisie. C'est pour soutenir ce combat et faire connaitre au grand public "L'Affaire Mécili" que les éditions La Découverte ont décidé de réimprimer ce livre.

     

    LIBRAIRIE RESISTANCES : 4 Villa Compoint 75017 PARIS
    (angle 40 rue Guy Môquet)
    Métro ligne 13 : station Guy Môquet ou Brochant
    TEL. 01.42.28.89.52 

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    http://www.algeria-watch.org

  • « 1967 Une agression planifiée depuis longtemps par Israël » (Dossier)

    Alain Gresh Spécialiste du Proche-Orient, directeur de la revue Orient XXI
    Alain Gresh Spécialiste du Proche-Orient, directeur de la revue Orient XXI
     

    Guerre des Six-Jours. Dans un entretien, Alain Gresh évoque le climat qui règne alors en France et la position de De Gaulle, qui, contre tous les partis à l’exception du PCF, condamne l’attitude de Tel-Aviv.

    Le 5 juin 1967 éclatait ce qu’on a ensuite appelé la guerre des Six-Jours. Dans quel contexte se produisent ces événements ?

    Alain Gresh Personnellement, je n’utilise pas le terme de guerre des Six-Jours parce que c’est un terme israélien qui renferme un certain mépris vis-à-vis des pays arabes. En 1967, on est en pleine guerre froide, en pleine guerre du Vietnam.

    C’est un affrontement soviéto-américain et, au Proche-Orient, un affrontement politique entre un courant nationaliste-révolutionnaire, représenté par Nasser en Égypte et le parti Baas en Syrie, et les pays arabes réactionnaires représentés par l’Arabie saoudite d’un côté et Israël de l’autre.

    La guerre israélo-arabe de 1948 s’est terminée par des accords d’armistice, pas par des accords de paix. Il y a des conflits permanents notamment entre Israël et la Syrie dans la zone démilitarisée. En 1966, une fraction radicale du parti Baas a pris le pouvoir à Damas, qui proclame la nécessité de libérer la Palestine. Ce qui inquiète les Israéliens. Les tensions sont fortes, l’aviation israélienne abat des avions militaires syriens. C’est donc une période particulièrement tendue et l’Égypte de Nasser décide de fermer le détroit d’Akaba et de demander le retrait des troupes de l’ONU qui stationnent là depuis la guerre de 1956. Jusqu’en 1956, ce détroit était fermé aux navires israéliens.

    Un des résultats de la guerre de 1956, une guerre d’agression israélo-franco-britannique, est d’obtenir l’installation des forces des Nations unies qui permettent, entre autres, le passage des navires israéliens. Dans le cas de cette escalade entre Israël et les pays arabes, Nasser demande à l’ONU de retirer partiellement ses troupes. En fait, elles vont être retirées totalement. En solidarité avec la Syrie, le président égyptien va faire entrer une partie de son armée dans le Sinaï.

    À partir de là, il va y avoir une campagne de presse, notamment en France, disant qu’Israël est encerclé.

    Et, le 5 juin 1967, Israël détruit au sol l’aviation égyptienne et syrienne, ce qui est le déclenchement des hostilités. Au départ, les Israéliens affirment que ce sont les Égyptiens qui ont attaqué. France Soir titre même sur l’attaque égyptienne et l’on sait aujourd’hui que c’est faux. Mais l’argument qui va prévaloir est qu’Israël était menacé d’extermination. En France, il y a une véritable émotion autour de cette question. On assiste à de grandes manifestations de soutien à Israël. Or on sait par les archives et les déclarations des généraux israéliens qu’à aucun moment ils n’ont cru qu’ils étaient menacés d’extermination ! C’est une guerre qu’Israël a planifiée depuis très longtemps pour reconquérir Jérusalem et l’ensemble de la Palestine historique. L’armée égyptienne est vaincue très rapidement, l’armée syrienne aussi. Israël sort grand vainqueur de cette guerre, a la main sur la Palestine historique, occupe le Golan et le Sinaï.

    Un des résultats de cette guerre de 1967, n’est-ce pas le lancement d’une politique de colonisation des territoires palestiniens par Israël ?

    Alain Gresh Ce qui est caractéristique de la politique sioniste depuis ces années, c’est la politique du fait accompli. L’idée fondamentale est que toute la Palestine est juive, donnée par Dieu. Même pour des gens qui sont des laïques et des athées. Ensuite, ils jouent avec le rapport de forces. Dès qu’ils le peuvent, ils font un pas en avant. C’est comme ça que la colonisation s’est développée après 1967. Il faut rappeler qu’il existait déjà une politique de colonisation interne à l’égard de la minorité arabe israélienne notamment par la confiscation des terres. Ça va se développer petit à petit en Cisjordanie et dans le Golan. Au départ, des raisons militaires sont invoquées mais, très vite, les colonies se répandent. Pour les travaillistes qui sont au pouvoir de 1967 à 1977, il y a l’idée qu’il faudra un accord avec la Jordanie. Après 1977, avec l’arrivée au pouvoir de la droite et de Menahem Begin, la colonisation va se poursuivre pour ne plus s’arrêter.

    En 1967, au moment de la guerre, les pays occidentaux soutiennent Israël, mais la France se démarque de cette position ?

    Alain Gresh C’est une décision prise essentiellement par le général de Gaulle. Durant la crise qui a précédé la guerre, la France essaie de jouer les médiateurs. De Gaulle reçoit des émissaires arabes à qui il demande de ne pas déclencher le conflit et fait de même avec le ministre israélien des Affaires étrangères. Et quand Israël déclenche quand même le conflit, la France, ou plutôt de Gaulle, va condamner. Il va décréter un embargo sur les armes. Ce qui est important puisque, jusqu’en 1967, la France est le principal fournisseur d’Israël, notamment des Mirage. En même temps, pour montrer qu’il n’est pas anti-israélien ou antisioniste, il va fournir les pièces de rechange à l’aviation israélienne. Il condamne car il pense que c’est une guerre d’agression qui va rendre plus compliquée la situation dans la région. L’histoire va lui donner raison. Il le fait contre l’opinion publique et contre l’ensemble de la classe politique, y compris les gaullistes qui sont pour la plupart pro-israéliens, à l’exception du Parti communiste français (PCF), qui est le seul à mettre en garde et à dénoncer la politique israélienne.

    Ce revirement de la politique française est-il de circonstance ou est-ce un véritable changement dans la durée ?

    Alain Gresh Il faut prendre en considération la vision de De Gaulle sur la Méditerranée et les relations avec le monde arabe. Dès la fin de la guerre d’Algérie, il va faire un effort pour développer les relations avec l’Algérie indépendante, avec l’Égypte de Nasser… Évidemment, il considère aussi les intérêts économiques et politiques de la France. Il ne voit pas seulement le cas israélien. Sinon, une fois de Gaulle parti, cette politique aurait changé. Or une des choses étonnantes est que, globalement, avec des nuances, la politique qu’il lance en 1967 va être celle de ses successeurs, indépendamment des sensibilités des uns et des autres. Il est vrai que lorsque Mitterrand arrive à la présidence, les Israéliens ont beaucoup d’espoirs sur l’amélioration des relations. Ce sera le cas mais ça ne changera rien fondamentalement. Giscard a ainsi inscrit dans le marbre une politique avec la déclaration de Venise. C’est une déclaration faite en 1980 par les six pays européens qui fixe deux principes pour toute solution : le droit à l’autodétermination des Palestiniens et la négociation avec l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Cela va rester même sous Mitterrand, malgré son syndrome pro-israélien. Ce sont ces principes qui vont permettre la négociation entre Israéliens et Palestiniens. Ce qui montre le rôle que la France peut jouer politiquement en fixant des orientations qui correspondent aux principes du droit international. C’est ce qui, à l’époque, explique le rayonnement de la France dans la région.

    On a néanmoins le sentiment que, depuis, il y a un véritable rapprochement de la France vis-à-vis de la politique israélienne…

    Alain Gresh Il y a un véritable tournant qui commence après 2003, même si Chirac reste sensible à la question palestinienne. Mais, avec Sarkozy et Hollande, on assiste à ce que j’appelle un « tournant silencieux ». Les responsables français affirment que la politique n’a pas changé : pour un État palestinien, condamnation de la colonisation… Mais, en fait – et c’est nouveau –, on développe les relations bilatérales avec Israël comme si la question de la Palestine n’existait pas. Avant, ces relations bilatérales dépendaient, d’une certaine manière, de ce qu’Israël faisait en Palestine. Nicolas Sarkozy disait que, pour avoir une influence, il fallait être gentil avec Israël. Mais, à la fin de son mandat, il a reconnu que cette politique était une erreur en traitant Benyamin Netanyahou de menteur. François Hollande est allé encore plus loin dans cette politique avec cette fameuse rencontre avec Netanyahou et son chant d’amour pour Israël (allusion à une soirée privée dont on a néanmoins pu voir des images sur YouTube, très certainement postées par les Israéliens, où l’on voit le président français dire son « amour » pour Israël – NDLR). En fait, c’est le retour à l’idée occidentale, à l’Otan. Israël fait partie du camp occidental, nous sommes en guerre contre l’islam et le terrorisme, et Israël est notre allié. Une argumentation que l’on retrouve aussi bien à droite (LR) qu’au PS. Là est le véritable tournant. Il est presque difficile à combattre parce que l’idée qui est développée est de laisser Palestiniens et Israéliens négocier seuls. Comme si au moment de l’invasion du Koweït par l’Irak on avait dit que l’émir koweïtien devait négocier seul avec Saddam Hussein. Et puis, il y a cette capitulation de la France. Nous sommes dans l’Otan, nous n’avons jamais été aussi suiviste des États-Unis. De Gaulle a pourtant montré que la France pouvait avoir une volonté politique et jouer un rôle.

     
    Entretien réalisé par Pierre Barbancey
    Mercredi, 7 Juin, 2017
    L'Humanité

    http://www.humanite.fr/

    Un chant d’amour et une bande dessinée

    Sans doute inspirés par les déclarations de François Hollande qui, en privé, a déclamé son amour pour Israël devant Benyamin Netanyahou, Alain Gresh et Hélène Aldeguer viennent d’éditer un ouvrage assez remarquable, car il propose en même temps une bande dessinée de qualité et un texte aussi didactique qu’agréable. Même ceux qui pensent connaître cette histoire, qui s’étend de 1967 à 2017, sont étonnés de découvrir des informations assez peu révélées. Comme par exemple cette chanson commandée à Serge Gainsbourg mais jamais enregistrée, dans laquelle il affirme être prêt à aller se battre pour Israël ! Plus sérieusement, on se plongera dans l’atmosphère d’une époque pas si révolue. Un livre à mettre entre toutes les mains.

    Lire aussi:

    Juin 1967, la guerre des Six-Jours : un tournant vers la guerre permanente au Moyen-Orient (Lutte Ouvrière)

    A 50 ans de la Guerre des Six Jours (Julien Salingue Npa)

    Comment les généraux israéliens ont préparé la conquête bien avant 1967 (Afps)

    Cette matinée incandescente qui a scellé le destin des juifs de Tunisie (Orient 21)

     

  • Israël. Cinquante ans (1967) de mensonges (A l'Encontre.ch)

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    Cela a commencé avec la question comment nommer la «West Bank» (la Cisjordanie) et Gaza. Sur la Radio d’Israël, il fut décidé d’utiliser le terme «territoires temporairement occupés». C’était le mensonge N° 1.

    Acceptons l’idée que l’occupation est justifiée. Disons aussi qu’Israël n’a pas le choix. Décidons même de ne pas la qualifier d’occupation. Affirmons qu’elle a été reconnue par le droit international et que le monde l’a applaudie. Prétendons que les Palestiniens sont reconnaissants de sa présence. Reste cependant un petit problème qui continue à flotter sur le sujet: tout ceci repose totalement sur des mensonges.

    Du début jusqu’à la fin, sans cesse repoussée, c’est un véritable tissu de mensonges. Il n’y a pas un mot de vérité qui y soit attaché.

    Sans ces mensonges, tout ce récit se serait décomposé depuis longtemps. Sans ces mensonges, il est peu probable que cela eût pu jamais exister. Ces mensonges, dont la droite est fière de certains d’entre eux («pour le bien de la Terre d’Israël, il est acceptable de mentir»), suffisent à faire reculer d’horreur toute personne honnête. On n’a pas besoin de ces autres horreurs pour en être convaincu.

    • Cela a commencé avec la question de savoir comment qualifier les territoires. Sur la radio israélienne, on a décidé d’utiliser le terme «territoires temporairement occupés». C’était le mensonge N° 1, impliquant que l’occupation était temporaire et qu’Israël avait l’intention d’évacuer ces territoires, qu’il ne s’agissait que d’un élément de négociation dans la recherche de la paix. C’est probablement le plus gros mensonge et certainement le plus décisif. C’est celui qui a permis de célébrer son jubilé.

    La vérité, c’est qu’Israël n’a jamais eu l’intention de mettre fin à l’occupation. Son supposé caractère temporaire n’a servi qu’à tromper le monde grâce à sa vertu dormitive.

    • Le deuxième mensonge majeur résidait dans l’argument selon lequel l’occupation sert les intérêts sécuritaires d’Israël, qu’il s’agit d’une mesure d’autodéfense utilisée par une nation démunie, sans défenses, cernée par des ennemis.

    • Le troisième mensonge fut le «processus de paix», qui n’a jamais véritablement pris forme et qui, de toute façon, n’a été envisagé que pour allouer encore plus de temps à l’occupation. Ce mensonge pouvait reposer sur plusieurs appuis. Le monde en a été complice, se mentant continuellement à lui-même. Il y a eu des discussions, le déploiement de cartes (toutes similaires), des conférences de paix ont été organisées avec de nombreux cycles de négociations et des «sommets», avec des délégués qui multipliaient des allers-retours, et surtout un verbiage vide.

    Tout cela reposait sur un mensonge, l’hypothèse invalide qu’Israël eût un jour l’intention de mettre fin à l’occupation.

    • Le quatrième mensonge, évidemment, est l’entreprise de colonisation. Ce projet est né et a grandi dans un mensonge. Aucune colonie n’a été établie honnêtement, depuis la nuit passée au Park Hôtel d’Hébron [occupation du Park Hôtel, le 4 avril 1968, par le Gush Emunim – formation intégriste acteur d’une politique de colonisation – prétextant vouloir passer Pessah (Pâques) à Hébron, avant d’en faire, de suite, une ville en voie d’occupation], en passant par les «camps de travail», les «camps de protection», les «fouilles archéologiques», les «réserves naturelles», les «espaces verts», les «zones protégées lors des opérations militaires», les «terrains devant être cadastrés» [dans la foulée du système de la colonisation anglaise], les avant-postes et autres expansions – toutes ces inventions furent mises en place en un clin d’œil ou sur la base d’un hochement de tête [donc avec la dimension, souvent, de reconnaissance post-factum], et ont culminé dans le plus gros mensonge de ce contexte, celui des «terres d’Etat», mensonge qui ne peut être comparé qu’à celui des «absents présents» palestiniens d’Israël.

    • Les colons ont menti et les politiques ont fait de même, l’armée et l’Administration civile dans les territoires ont menti – ils ont tous menti au monde et à eux-mêmes. De la protection d’un pylône d’antennes est née une méga colonie et d’un «week-end» dans cet hôtel d’Hébron est né le pire de l’ensemble de ces «acquisitions». Les membres du cabinet ministériel qui ont ratifié, les membres de la Knesset [parlement] qui ont opiné du chef et cligné de l’œil, les officiers qui ont signé et les journalistes qui ont blanchi le propos, tous connaissaient la vérité.

    Les Américains qui ont «condamné» et les Européens qui ont «été furieux», l’Assemblée générale de l’ONU qui «a fait appel» et le Conseil de sécurité qui «a décidé», aucun d’entre eux n’a jamais eu la moindre intention d’y donner suite avec quelque action que ce soit. Le monde se ment aussi à lui-même. Cette façon de faire arrange tout le monde.

    • Cela facilite aussi l’émission sans fin de mensonges quotidiens qui camouflent les crimes commis par les Forces de défense israéliennes, la Police des frontières, le Shin Bet, l’Administration des prisons et l’Administration civile – la totalité de l’appareil de l’occupation. Cela favorise aussi l’utilisation d’un langage aseptisé, le langage de l’occupant tant aimé des médias, le même langage que celui utilisé pour décrire leurs excuses et leurs auto-justifications. Il n’y a pas en Israël de stérilisation du langage comparable à celui qui décrit l’occupation et il n’y a pas d’autre large coalition qui la diffuse et la soutienne avec autant de dévotion.

    • La seule démocratie du Moyen-Orient qui utilise une tyrannie militaire brutale et «l’armée la plus morale du monde» qui tue plus de 500 enfants et 250 femmes en un seul été – quelqu’un peut-il concevoir un mensonge plus gros que celui-là? Quelqu’un peut-il imaginer une plus grande auto-illusion que celle qui prévaut en Israël et qui dit que tout ceci nous a été imposé, que nous ne le voulions pas, que ce sont les Arabes qu’il faut blâmer? Et encore, nous n’avons pas mentionné le mensonge des deux Etats et le mensonge comme quoi Israël recherche la paix, les mensonges sur la Nakba de 1948 et la «pureté» de nos armes dans cette guerre, le mensonge à propos du monde entier qui serait contre nous et le mensonge comme quoi les deux côtés sont à blâmer.

    • Depuis les paroles de Golda Meir [1898-1978, premier ministre de 1969 à 1974, «la grande mère d’Israël» pour la presse israélienne et la «Dame de fer», ainsi nommée, bien avant Mme Thatcher]: «nous ne pardonnerons jamais aux Arabes d’obliger nos enfants à les tuer» à «une nation ne peut pas être un occupant sur sa propre terre», les mensonges succèdent aux mensonges. Cela ne s’est pas arrêté jusqu’à aujourd’hui. Cinquante ans d’occupation, cinquante nuances de mensonges. Et maintenant? Encore cinquante ans de plus? (Article publié dans le quotidien israélien Haaretz, le 1er juin 2017; traduction A l’Encontre)

    Alencontre le 5 - juin - 2017

    Gideon Levy

    http://alencontre.org/

  • Cisjordanie-Gaza 1967, un nettoyage ethnique occulté (Orient 21)

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    Juin 1967, une guerre de six jours qui n’en finit pas

    Dix-neuf ans après la Nakba (1947-1949), Israël a procédé à une seconde vague d’expulsion des Palestiniens hors de leur terre natale pendant et après la guerre de 1967. Sans espoir de retour, ils ont été déplacés de force de la zone du Latroun, de Jérusalem-Est et de la vallée du Jourdain vers la Jordanie.

    Les personnes au fait du conflit palestino-israélien connaissent le terme de « Nakba », qui signifie littéralement « catastrophe » et se réfère à la guerre advenue entre 1947 et 1949, qui se termina par le déracinement de plus de 80 % de la population palestinienne qui habitait depuis des siècles le territoire sur lequel fut érigé Israël. Alors que la Nakba représente un événement catastrophique dans la conscience collective du peuple palestinien, il a été suivi, 19 ans plus tard, par une autre guerre épouvantable, qui a provoqué le déplacement d’entre un quart et un tiers des Palestiniens hors du territoire conquis par Israël, ainsi que le début d’une nouvelle ère. Depuis, la population qui est restée vit sous une domination israélienne complexe. Cet événement-là est nommé la « Naksa », terme qui évoque l’aggravation importante et rapide d’une catastrophe antérieure. Cette Naksa est advenue durant et au lendemain de la guerre entre Israël et trois des pays arabes environnants, qui dura six jours et se clôtura par une facile victoire d’Israël et l’occupation des territoires qui étaient sous la souveraineté ou administrés par ces États voisins.

    Une guerre démographique

    Alors que pendant cette guerre les combats ont été rapides et peu nombreux, les personnes déplacées dans les territoires palestiniens conquis se comptent par centaines de milliers. Leur nombre est, indubitablement, sans proportion avec l’événement militaire. Cela ne peut se comprendre qu’en se référant au contexte idéologique qui, depuis la Nakba, a sous-tendu les opérations militaires, législatives et administratives israéliennes. Comme l’a montré tout un courant d’historiens israéliens qui ont mené des recherches dans les archives de leur pays couvrant la période de la Nakba, ainsi que d’autres qui ont travaillé sur l’héritage des premiers dirigeants sionistes, l’expulsion du peuple palestinien hors de Palestine a toujours été perçu par les dirigeants israéliens comme faisant partie de la solution au problème juif. Dès lors que les sionistes entendaient créer un « État juif » sur un territoire où ils étaient une minorité, faire basculer l’équilibre démographique en leur faveur ne devenait possible que par la combinaison d’une colonisation de la terre par eux-mêmes et du déplacement des Palestiniens hors de cette même terre.

    Lorsque la guerre advint en 1967, les dirigeants sionistes y virent l’occasion de procéder à des changements démographiques dans les territoires nouvellement occupés de manière générale, et dans certaines zones spécifiques en particulier. Durant la guerre et dans les jours qui suivirent, entre 250 000 et 420 000 Palestiniens, selon les sources, ont été déplacés de chez eux1. Cela fut exécuté par des moyens militaires, et consolidé ensuite par l’imposition de règlements empêchant les personnes expulsées de rentrer chez elles.

    Le Latroun et Jérusalem-Est, zones stratégiques

    Durant la guerre, les Israéliens focalisèrent les activités de déplacement dans certaines zones d’importance stratégique. L’une des plus significatives fut l’expulsion de la population de trois villages de la zone centrale du Latroun, au bord de la frontière israélienne de juin 1967 à l’ouest de la Cisjordanie, où 10 000 civils furent expulsés2. Sur la carte, le Latroun apparaît comme un doigt dépassant de la Cisjordanie. Israël n’était pas parvenu à le conquérir en 1948. Ses villages sont restés habités jusqu’à la guerre de 1967, lorsqu’Israël expulsa leur population et détruisit immédiatement la totalité des bâtiments. Les terres appartenant aux villageois devinrent un parc naturel, le Canada Park, et une colonie fut également créée sur une partie d’entre elles.

    Israël a depuis également construit un tronçon de ligne de chemin de fer sur une autre partie du Latroun d’où des réfugiés avaient été expulsés. Les expulsions de population dans les zones situées le long de la frontière entre Israël et la Cisjordanie touchèrent encore d’autres bourgs et villages. Ceux de Bait Marsam, Bat Awa, Habla, Jiftlik et El-Burj furent tous détruits3, ainsi qu’une importante partie de la bourgade de Qalqilya (850 de ses 2 000 bâtiments, selon le rapport de l’envoyé spécial de l’ONU à l’époque).

    De même, dès l’occupation de Jérusalem-Est, Israël procéda à l’évacuation de la population du vieux quartier Al-Magharbeh dans la Vieille Ville et détruisit toutes ses maisons, laissant leurs occupants sans abri. Ce quartier résidentiel était habité par des familles palestiniennes depuis des siècles. Les officiels israéliens virent cependant dans le déroulé de la guerre l’occasion de « nettoyer » cette zone et ouvrir l’espace faisant face au mur des Lamentations, à Jérusalem-Est. Pareillement, 4 000 Palestiniens furent évacués du quartier juif de la Vieille Ville. Dans ce cas-là, leurs maisons ne furent pas détruites. Leurs occupants furent remplacés plus tard par des habitants juifs4.

    De l’autre côté du Jourdain

    Une autre zone d’importance stratégique fut constituée par la vallée du Jourdain, qui sépare la Cisjordanie du royaume hachémite de Jordanie. Durant la guerre, Israël déplaça 88 % de la population de cette région ! Les premiers à être expulsés furent des Palestiniens qui s’y étaient installés après la guerre de 19485. Les habitants de trois camps de réfugiés dans cette zone furent chassés en totalité et refoulés vers la Jordanie. La moitié du reste de la population palestinienne autochtone le fut également. Plus largement, au lendemain de la guerre, Israël procéda à l’expulsion de quelque 200 000 Palestiniens en les envoyant en autobus de l’autre côté du Jourdain. Les autobus partaient de Jérusalem et d’autres lieux de Cisjordanie.

    Avant d’être expulsés, les Palestiniens devaient signer un document stipulant qu’ils quittaient les lieux « volontairement »6. Ce fut le cas pour certains, mais un soldat israélien, cité par Masalha, témoigna qu’une part significative d’entre eux fut expulsée par la force :

    Bien qu’il y ait eu des personnes qui sont parties volontairement, nombreux sont ceux qui ont été purement et simplement expulsés. On les obligeait à signer. Je vais vous dire comment cela se passait. Un bus arrivait et seuls les hommes en descendaient. (…) On nous avait dit qu’il s’agissait de saboteurs (…) et qu’il valait mieux qu’ils se retrouvent hors de nos frontières. Ces gens ne voulaient pas partir, mais ils ont été traînés du bus tout en étant frappés à coups de pied et de crosses de pistolets. Au moment où ils arrivaient devant moi, ils étaient généralement déjà complètement sonnés et à ce stade ils ne se préoccupaient plus de savoir s’il fallait signer ou pas. C’était pour eux comme un élément du processus qu’ils subissaient. Dans la plupart des cas, la violence utilisée à leur égard produisait les conséquences souhaitables de notre point de vue. La distance entre la position frontalière où on se situait et le pont [sur le Jourdain] était d’une centaine de mètres.

    Apeurés comme ils l’étaient, ils traversaient en courant. Des gardes-frontières et des parachutistes étaient là en permanence. Lorsque quelqu’un refusait de me donner sa main [pour qu’on lui prenne ses empreintes] ils venaient et le battaient affreusement. Après, je lui prenais le pouce de force, je le plongeais dans l’encre et je prenais son empreinte. Puis l’homme était viré. Je n’ai aucun doute que des dizaines de milliers d’hommes ont ainsi été expulsés contre leur volonté7.

    Cette opération d’expulsion, selon le chercheur Nur Masalha, a suscité peu d’attention, probablement parce qu’elle n’a pas impliqué d’action militaire spectaculaire comme dans le Latroun ou à Qalqiliya. Elle a commencé cependant à être publiquement évoquée et prise en considération lorsque Haïm Herzog, l’organisateur de cette expulsion qui devint aussi le premier gouverneur militaire de la Cisjordanie8, déclara fièrement en 1991 qu’il avait géré le transfert sans bruit de 200 000 Palestiniens en usant de cette méthode.

    « Amaigrir » durablement la population palestinienne

    En conclusion, on peut voir que l’action des forces armées israéliennes était guidée, selon les termes de Masalha, par le désir d’« amaigrir » la population palestinienne du territoire nouvellement occupé. Cela eut pour conséquence un grand nombre de nouveaux réfugiés et aussi de déplacés. Après que l’expulsion eut été mise en œuvre, Israël la consolida par l’adoption d’outils législatifs pérennisant leur exil. Ces réglementations incluaient en premier lieu le refus opposé à toute personne absente au moment de la guerre ou devenue réfugiée ou déplacée à l’issue de cette guerre et se trouvant au-delà des frontières de la Palestine d’être autorisée à revenir vivre dans son foyer. Cela fut rendu possible en établissant de nouveaux statuts de résidence pour la partie orientale de Jérusalem-Est, la Cisjordanie et la bande de Gaza, et en n’autorisant à y habiter que les seuls Palestiniens inclus dans le recensement qu’Israël mena dans les territoires occupés. Tous ceux qui avaient été expulsés ou qui se trouvaient à l’étranger furent intentionnellement exclus du statut de résident. En outre, le gouvernorat militaire israélien en Cisjordanie et à Gaza émit des ordonnances selon lesquelles toute entrée non autorisée préalablement dans les territoires occupés était considérée illégale et passible de punitions, parmi lesquelles figurait l’expulsion.

    Ces diverses mesures ont eu pour résultat de pérenniser le déplacement des individus concernés et de leurs familles. La plupart n’ont jamais pu revenir en Palestine jusqu’à ce jour. Ils ont même été rejoints dans leur exil forcé par de nombreux autres Palestiniens, victimes de ce que l’on nomme localement la « Nakba permanente », à savoir des mesures permanentes d’expulsion. Ces mesures incluent les révocations de permis de résidence, les restrictions d’enregistrement des enfants, les démolitions de maisons et bien d’autres encore…

    Aucune paix juste n’adviendra sans que soit résolue la situation critique des réfugiés des deux guerres de 1948 et de 1967 et celle des personnes expulsées hors de Palestine par le régime israélien depuis lors. Plus important : la paix ne pourra être instaurée et renforcée qu’en s’attaquant aux motivations idéologiques israéliennes qui ont engendré un tel problème.

    Munir Nuseibah
     
  • De la défaite arabe émergea la résistance palestinienne (Orient 21)

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    Juin 1967, une guerre de six jours qui n’en finit pas

    Paradoxalement, de la défaite des pays arabes en juin 1967 face à Israël allait émerger une résistance palestinienne autonome affirmant que la libération des Palestiniens serait l’œuvre des Palestiniens eux-mêmes.

    La défaite des pays arabes face à l’attaque israélienne de juin 1967 a eu des répercussions directes sur le plan palestinien : le combat national s’est affranchi de la tutelle arabe officielle. La lutte armée s’est affirmée et a pris de l’ampleur. Les Palestiniens ont cessé définitivement de miser sur le soutien des armées régulières arabes dans leur combat, notamment après l’acceptation par l’Égypte et la Jordanie de la résolution 242 adoptée par l’ONU en novembre 1967. Libérer la Palestine n’était plus le but des pays arabes, il s’agissait désormais d’effacer les traces de l’agression de juin 1967.

    La défaite a également eu pour effet de confirmer l’orientation prônée par le Fatah au milieu des années 1960 selon laquelle le peuple palestinien ne devait compter que sur ses propres forces dans son combat pour la libération. Il lui fallait pour cela recourir à la lutte armée, seule voie effective à ses yeux. Ce choix devait donner naissance à de nouveaux mouvements palestiniens, nationalistes ou de gauche. Grâce à la résistance armée, l’image du Palestinien était transfigurée : de réfugié et d’exilé il devenait un combattant fedayin portant les armes.

    Échec de la « deuxième campagne »

    La première ambition du Fatah et des autres organisations palestiniennes avait d’abord été de faire des territoires palestiniens occupés le principal front du conflit israélo-arabe. La direction du Fatah avait conçu d’y mener des opérations militaires. Une minorité avait manifesté des réserves, estimant nécessaire de commencer par la création d’une organisation secrète, l’entraînement des combattants et la fourniture d’armes, mais la majorité menée par Yasser Arafat faisait valoir l’impact positif que de telles opérations ne manqueraient pas d’avoir sur le moral des habitants, ainsi encouragés à demeurer sur place. Le commandement du Fatah avait préconisé l’installation d’avant-postes, à partir desquels seraient menées des opérations commandos ciblées et limitées devant déboucher par la suite sur une guérilla classique. La recommandation s’appuyait sur des signes avant-coureurs qui faisaient état d’une résistance civile sous la forme de grèves, manifestations et mouvements de contestation pacifique.

    Yasser Arafat s’était alors vu confier la mission de créer ces bases militaires en Cisjordanie occupée. Avec une trentaine d’hommes, il installa à Naplouse sa base de commandement. Le 28 août, le Fatah annonçait les premières opérations en Cisjordanie, pour « la deuxième campagne », ainsi qu’elle fut appelée par allusion à « la première campagne » du premier janvier 1965, lorsqu’une unité militaire secrète avait mené une attaque contre une cible israélienne.

    L’idée était que ces bases secrètes allaient s’élargir avec le temps pour devenir des territoires en voie de libération. Mais cette vision du Fatah et des organisations palestiniennes s’était heurtée à une vaste répression policière israélienne, voire à un couvre-feu imposé par l’armée. Celle-ci s’était livrée à un véritable quadrillage sécuritaire pour débusquer abris et passages secrets.

    La campagne s’était soldée par des centaines de morts et d’arrestations de fedayin et de sympathisants, de même que par un recul de la résistance armée en Cisjordanie. La résistance allait malgré tout demeurer vigoureuse à Gaza jusqu’en 1971, tout espoir de constituer des bases pour la lutte armée dans les territoires occupés était cependant révolu. Le centre de gravité se déplaça alors vers l’extérieur. Les stratégies de résistance civile et de mobilisation populaire recommandées par les militants communistes furent ignorées, tendance qui n’allait connaître de retournement qu’une vingtaine d’années plus tard, avec le soulèvement de l’Intifada en Cisjordanie et dans la bande de Gaza en décembre 1987.

    La bataille de Karameh

    Après l’échec du pari sur les territoires de 1967 comme incubateur de la résistance armée, le besoin se faisait sentir de trouver des abris sûrs dans les pays arabes voisins de la Palestine. La Jordanie apparaissait clairement comme le lieu le plus propice, dans la mesure où elle accueillait déjà la majorité des réfugiés palestiniens. Elle avait en outre avec l’État d’Israël et la Cisjordanie occupée la frontière la plus longue de tous les pays voisins. La rive orientale du Jourdain devint ainsi rapidement le plus large tremplin pour les combattants, offrant le principal passage pour leur infiltration. La création de bases de fedayin au milieu de l’année 1968 en Syrie favorisa l’extension de la résistance armée dans le sud du Liban.

    Le 21 mars 1968 une grande bataille eut lieu dans le petit village jordanien de Karameh dans la vallée du Jourdain, entre les forces israéliennes et un groupe de combattants palestiniens et de soldats jordaniens. Malgré la destruction par Israël de la base de fedayin dans le village, la bataille causa des pertes relativement lourdes aux forces israéliennes, jamais subies auparavant. Les échos de cette bataille et la remarquable pugnacité des combattants palestiniens renforcèrent la popularité du mouvement de la résistance palestinienne qui enregistra des adhésions par dizaines de milliers, de la part de volontaires palestiniens et arabes venus grossir ses rangs.

    La ténacité des combattants palestiniens durant la bataille de Karameh devait également avoir d’importantes répercussions sur le plan officiel dans les pays arabes. Les organisations de fedayin ouvrirent des bureaux à Amman et dans les camps de réfugiés palestiniens au vu et au su du gouvernement jordanien. Le roi saoudien Fayçal accueillit une délégation de dirigeants du Fatah, en promettant une aide financière importante. Après l’évolution favorable de leurs rapports avec la Syrie, les relations du Fatah avec l’Égypte furent rehaussées au niveau d’une alliance stratégique.

    Gamal Abdel Nasser, qui se préparait à une guerre d’usure contre Israël sur le front du canal de Suez, estimait pouvoir s’appuyer sur les opérations menées par les organisations palestiniennes — notamment le Fatah — contre des cibles israéliennes. Après avoir reçu une délégation de dirigeants du Fatah présidée par Yasser Arafat, il fit envoyer au mouvement une importante cargaison d’armes destinées à compenser les pertes subies lors de la bataille de Karameh. Le nombre de combattants entraînés en Égypte augmenta sensiblement.

    La « patrie du peuple arabe palestinien »

    Cette influence grandissante de la résistance s’est également répercutée au sein de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Du fait d’avoir été créée en juin 1964 par une décision officielle des gouvernements arabes, l’Organisation perdait en 1967, année de la débâcle arabe, toute crédibilité. Son président Ahmed Choukairy fut contraint à la démission, ce qui créa les conditions d’un changement structurel de l’organisation matérialisé par une prise du pouvoir sans précédent par les organisations armées, notamment le Fatah, au sein des organes de l’OLP, dès la quatrième session du Conseil national palestinien de juillet 1968.

    Cette quatrième session du Conseil national palestinien adopta une nouvelle charte nationale (« Watani ») qui consacra l’idée d’une « nation » palestinienne, alors que la charte nationale de 1964 (« Qawmi ») n’accordait pas le même sens à l’adjectif « national », référence à un nationalisme panarabe qui faisait de la Palestine une partie d’un tout arabe.

    Le texte de 1968 la présente comme la « patrie du peuple arabe palestinien » et souligne que celui-ci est le « premier et véritable détenteur du droit de mener un combat pour récupérer sa terre ». Il « refuse toute forme d’interventionnisme, de tutelle ou d’inféodation ». Conformément à cette orientation, la clause selon laquelle l’OLP n’exerce aucune souveraineté sur la région de Cisjordanie fut supprimée de la nouvelle charte. On y souligne également que l’OLP offre aux forces combattantes de la révolution palestinienne « un cadre représentatif » et que l’organisation est « responsable du mouvement palestinien dans sa lutte pour la libération de son pays et l’exercice de son droit au retour et à l’autodétermination ». Consécration de cette évolution, Yasser Arafat fut élu président du comité exécutif de l’OLP lors de la cinquième session du Conseil national palestinien tenue au Caire début février 1969. Il avait été désigné, dès avril 1968, porte-parole officiel du Fatah.

    Après avoir dominé l’OLP, le Fatah et les autres organisations palestiniennes ont eu pour ambition d’obtenir pour elle la reconnaissance arabe et internationale, en sa qualité de représentante unique et légitime du peuple palestinien. Ils commencèrent en même temps à ressentir le poids de la responsabilité qui leur incombait. La cruelle défaite subie par les armées arabes avait clairement dévoilé l’irréalisme des visions qui avaient prévalu dans la période précédente concernant l’avenir des juifs israéliens en Palestine.

    Elle avait établi une autre évidence, à la suite de la reconnaissance par certains pays arabes de l’état de fait que constituait Israël : la coexistence des Palestiniens avec les juifs installés en Palestine était désormais incontournable, et il appartenait à leurs dirigeants de proposer une formule raisonnable, acceptable par la communauté internationale, pour organiser cette coexistence. Le Fatah prit alors l’initiative d’avancer celle d’un « État palestinien démocratique », dans une note adressée à l’ONU en octobre 1968, avant même que le Conseil national palestinien ne l’adopte à l’issue de discussions houleuses fin février-début mars 1971.

    Maher Al-Charif 30 mai 2017
  • Les balles du 14 juillet 1953. Un massacre policier oublié de nationalistes algériens à Paris (NPA)

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    De Daniel Kupferstein. La Découverte, 2017, 18 euros. 

    Documentariste, Daniel Kupferstein a changé de média pour approfondir le travail qu’il avait fait en 2014 à travers un film enquête éponyme...  

    Daniel Kupferstein rend hommage à Maurice Rajsfus qui avait déjà traité ce sujet en 2003 dans Un 14 Juillet sanglant, et le reprend après une enquête de quatre ans en France et en Algérie.

    En 1953, juste après la fin de la ­Seconde Guerre mondiale, en pleine guerre froide – dont la conséquence est un redoutable anticommunisme qui a déjà autorisé Jules Moch à envoyer mater les mineurs du Nord en 1948 –, au moment où le système colonial commence à être ébranlé, la violence répressive est à son comble.

    Jusqu’en 1953, le 14 Juillet n’était pas seulement une exhibition militaire, mais aussi un défilé des syndicats qui se faisait de Bastille à Nation. 10 000 à 15 000 manifestantEs, dont 6 000 à 8 000 travailleurs algériens (à cette date, ils sont plus de 300 000 en France), sous le drapeau nationaliste du MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques) créé en 1945 par Messali Hadj suite aux massacres perpétrés par les Français, notamment à Sétif.

    Les paras agressent violemment les Algériens sur la place de la Nation, faisant en quelques minutes six morts et des dizaines de blessés. Les 2 200 policiers présents protègent les paras. En fin de journée, les paras attaquent le siège du PCF.

    Aux prémices de la guerre d’Algérie

    Daniel Kupferstein démonte à travers les archives et les entretiens très riches avec les manifestantEs et les policiers la machine d’État qui va mentir sur l’origine de la violence, disculper les paras et la police, et mettre en cause les manifestantEs. La presse bourgeoise joue bien le jeu : l’Aurore titre « Ce 14 Juillet, hélas, ensanglanté par une émeute communiste », et Paris Match montre les cars de police brûlés…

    Cette manifestation signe le vrai début de la guerre, et elle est d’ailleurs suivie en Algérie de grèves et de débrayages à l’arrivée des cercueils et lors des enterrements.

    Ce massacre de 1953 a ensuite été occulté aussi bien en France qu’en Algérie, les morts n’ont pas été reconnus comme victimes politiques, la guerre et la contestation du rôle de Messali Hadj n’y étant pas étrangère. En France bien sûr, la politique du déni a prévalu.

    Grâce à Maurice Rajsfus dans un premier temps et aujourd’hui à Daniel Kupferstein, ce drame – qui pourrait avoir de sinistres échos dans le contexte actuel – peut être enfin compris et son rôle essentiel dans la guerre de libération de l’Algérie reconnu.

    Catherine Segal

  • Alger, la Mecque des révolutionnaires (1962-1974) (Quartiers Libres)

    De 1962, année de son indépendance, et jusqu’en 1974, « Alger la rouge » offrait asile et assistance aux opposants et exilés du monde entier. Un pan méconnu de la politique internationale algérienne, revisité en archives.

    De 1962, année de son indépendance, et jusqu’en 1974, l’Algérie aide activement les mouvements anticoloniaux et les révolutionnaires du monde entier. Avec son sens de la formule, Amilcar Cabral, le fondateur du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC) qualifiera le pays de « Mecque des révolutionnaires ». Dirigée par le tandem Ahmed Ben Bella (à la présidence) et Houari Boumediene (au stratégique ministère de la Défense), l’Algérie jouit alors du prestige d’une indépendance acquise par les armes. Suivant l’inspiration de Fidel Castro et du Che, qui réserveront à Cuba un accueil triomphal à Ahmed Ben Bella, le pays s’impose comme le leader des aspirations des peuples du tiers-monde. Le régime apporte un soutien total aux opposants qui viennent à lui, aussi bien moral que diplomatique et financier.

    Grâce à un habile montage d’archives, ce film revisite la décennie prodigieuse, et méconnue, au cours de laquelle la plupart des opposants à la colonisation et au racisme, du Che aux Black Panthers – en passant par les indépendantistes bretons ! –, feront escale dans une capitale algérienne effervescente, rebaptisée « Alger la rouge ». Même après le coup d’État de Boumediene en 1965, le pays poursuivra sur cette lancée. Si cette politique finira par évoluer au mitan des années 1970, elle restera un sujet de fierté pour le peuple algérien. Après sa libération, en 1990, près de trente ans après s’être entraîné avec les fellagas, Nelson Mandela leur rendra un vibrant hommage et déclarera : « L’Algérie est mon pays. »

     22 mai 2017

    https://quartierslibres.wordpress.com

  • Nouveautés "Palestine"

    Rencontre avec Abdallah Abu Rahma, maire de Bi’lin le 19 mai

    Les Palestiniens de Balata en colère contre « deux occupations » Entre Israël et l’Autorité palestinienne (Orient 21)

    Les réfugiés rêvent toujours du retour (El Watan.dz)

    Mohamed Larbi Bouguerra: 1967, la nakba d’israel ?

     

  • Maroc. L’affaire Ben Barka relancée ? (Anti-k)

     

    Le ministère français de la Défense s’apprête à déclassifier 89 documents liés à la disparition, le 29 octobre 1965 à Paris, de l’opposant marocain.

    La déclassification de 89 documents secrets liés à l’affaire de l’opposant marocain Mehdi Ben Barka, enlevé le 29 octobre 1965, et disparu depuis, par le ministère de la Défense (annoncée dans le Journal officiel du 5 mai), va-t-elle permettre de faire enfin la lumière sur ce que d’aucuns qualifient de crime d’État ? En cinquante ans, malgré les demandes insistantes de la famille Ben Barka – son fils avait même écrit au président Hollande – et les quelques documents déclassifiés en 2000, 2001 et 2005, le dossier Ben Barka avait peu progressé. Selon RFI, les documents déclassifiés « remontent pour la plupart aux années 1965 et 1966, certains sont datés de 1964, soit avant l’enlèvement de Ben Barka en octobre 1965 ». Reste à savoir dans quelle mesure le contenu de ces documents, intervenant quelques jours avant que François Hollande quitte ses fonctions, va permettre de faire avancer la vérité sur une affaire qui dure depuis près de cinquante-deux ans à la fois côté français et, surtout, côté marocain.

    Depuis le procès intenté en 1966-1967  aux protagonistes de cet enlèvement, dont la plupart étaient soit en fuite ou refusant de comparaître à l’instar du ministre de l’Intérieur marocain, le général Oufkir, procès qui n’a pu permettre de lever le voile sur cette affaire, l’enquête judiciaire relancée sous les différents septennats, de Giscard d’Estaing à Hollande, s’est de tout temps heurtée à ce qui semble relever de la raison d’État. Quant aux commissions rogatoires internationales adressées au Maroc, elles sont restées lettre morte. Il en a été de même des mandats d’arrêt internationaux lancés contre des responsables marocains dont le chef de la gendarmerie, le général Hosni Benslimane, et l’ex-chef des services secrets, le général Abdelhak Kadiri.

    Qui plus est, ce qui complique les choses, la plupart des acteurs de cette affaire sont soit morts, soit grabataires.

    Le truand Georges Figon a été tué par balles en 1966. L’étudiant Thami Azemmouri, qui avait accueilli Ben Barka, s’est officiellement « suicidé » en 1971 à Paris. Autre « suicidé », le général Oufkir lors du coup d’État raté contre Hassan II en 1972. Les malfrats français impliqués dans l’enlèvement de Ben Barka, Georges Boucheseiche, Le Ny et Dubail, réfugiés au Maroc, ont été assassinés entre octobre et novembre 1974. Autre témoin disparu de mort naturelle : le journaliste Philippe Bernier. Mort également à la suite d’un accident de voiture suspect en 1983, l’adjoint du général Oufkir, le commandant Dlimi. Les autres agents marocains impliqués dans la disparition de Ben Barka sont soit morts comme Mohamed Achaachi et Boubker Hassouni dit « l’Infirmier », soit décorés de l’équivalent de la Légion d’honneur par Mohammed VI à l’instar de Miloud Tounzi et Abdelkader Saka.

    L’Humanité – Hassane Zerrouky – Vendredi, 12 Mai, 2017

    http://www.anti-k.org/