De Daniel Kupferstein. La Découverte, 2017, 18 euros.
Documentariste, Daniel Kupferstein a changé de média pour approfondir le travail qu’il avait fait en 2014 à travers un film enquête éponyme...
Daniel Kupferstein rend hommage à Maurice Rajsfus qui avait déjà traité ce sujet en 2003 dans Un 14 Juillet sanglant, et le reprend après une enquête de quatre ans en France et en Algérie.
En 1953, juste après la fin de la Seconde Guerre mondiale, en pleine guerre froide – dont la conséquence est un redoutable anticommunisme qui a déjà autorisé Jules Moch à envoyer mater les mineurs du Nord en 1948 –, au moment où le système colonial commence à être ébranlé, la violence répressive est à son comble.
Jusqu’en 1953, le 14 Juillet n’était pas seulement une exhibition militaire, mais aussi un défilé des syndicats qui se faisait de Bastille à Nation. 10 000 à 15 000 manifestantEs, dont 6 000 à 8 000 travailleurs algériens (à cette date, ils sont plus de 300 000 en France), sous le drapeau nationaliste du MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques) créé en 1945 par Messali Hadj suite aux massacres perpétrés par les Français, notamment à Sétif.
Les paras agressent violemment les Algériens sur la place de la Nation, faisant en quelques minutes six morts et des dizaines de blessés. Les 2 200 policiers présents protègent les paras. En fin de journée, les paras attaquent le siège du PCF.
Aux prémices de la guerre d’Algérie
Daniel Kupferstein démonte à travers les archives et les entretiens très riches avec les manifestantEs et les policiers la machine d’État qui va mentir sur l’origine de la violence, disculper les paras et la police, et mettre en cause les manifestantEs. La presse bourgeoise joue bien le jeu : l’Aurore titre « Ce 14 Juillet, hélas, ensanglanté par une émeute communiste », et Paris Match montre les cars de police brûlés…
Cette manifestation signe le vrai début de la guerre, et elle est d’ailleurs suivie en Algérie de grèves et de débrayages à l’arrivée des cercueils et lors des enterrements.
Ce massacre de 1953 a ensuite été occulté aussi bien en France qu’en Algérie, les morts n’ont pas été reconnus comme victimes politiques, la guerre et la contestation du rôle de Messali Hadj n’y étant pas étrangère. En France bien sûr, la politique du déni a prévalu.
Grâce à Maurice Rajsfus dans un premier temps et aujourd’hui à Daniel Kupferstein, ce drame – qui pourrait avoir de sinistres échos dans le contexte actuel – peut être enfin compris et son rôle essentiel dans la guerre de libération de l’Algérie reconnu.
Catherine Segal
Samedi 27 mai 2017