Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Histoire - Page 5

  • Nouveautés sur Europe Solidaire Sans frontières

    jemna.jpg

    • Tunisie
      Organiser le soutien à la lutte de l’oasis de Jemna (Tunisie)

      , par BARON Alain, Union syndicale Solidaires

      Document ayant servi de base à l’intervention d’Alain Baron (Union syndicale Solidaires) lors de la réunion publique organisée à Paris le 6 décembre 2016 par le comité de soutien constitué en France.
      Dans une première partie je résumerais ce qui m’a le plus intéressé dans les formes de lutte utilisées à (...)

    • Analysis & Debates
      The New World Struggles to be Born and the Necessary Strategic Thinking

      , by MASSIAH Gustave

      The situation seems to be desperate. The offensive of the right wing and the far right movements occupies space and minds. It spreads out in the media and claims to express the shift of societies to the right. This is not the case and nothing has been decided yet. Societies resist and (...)

    • Syrie
      Syrie : l’organisation Etat islamique entre à nouveau dans Palmyre

      , par ZERROUKY Madjid

      Les djihadistes, qui mènent une offensive depuis jeudi, ont pénétré samedi dans la ville antique, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme.
      Comme un mauvais parfum de déjà-vu, l’organisation Etat islamique (EI) est de retour à Palmyre, dans l’est de la Syrie, et dans les champs d’hydrocarbures (...)

    • Syrie
      Syrie – Les leçons du martyre d’Alep

      , par FILIU Jean-Pierre

      Daech, pourtant absent de la bataille d’Alep, en apparaît comme le principal vainqueur et reprend l’offensive à Palmyre.
      Il y aura un avant et un après Alep, en Syrie et au-delà. Mais les forces qui tireront le plus grand profit de cette tragédie ne sont pas forcément en première ligne d’une telle (...)

     

  • Mohammed Harbi sur l’expérience autogestionnaire algérienne 1962-1965 (Anti-K)

    (Photo : Explication des décrets de mars, meeting de l’Amicale des algériens en France. (Au milieu, Mohammed Harbi); Coll. privée.

     

    Nous publions ci-dessous la contribution de Mohammed Harbi, dans Autogestion, hier, aujourd’hui, demain, (Syllepse, 2010), accompagné des annexes qui suivaient dans le livre (article de Raptis, décrets de 1963, circulaires, articles, documents visés par le texte de M. Harbi), ainsi que des extraits de l’entretien accordé auxTemps Modernes en juillet 1982 « l’expérience de 1962 à 1965, sa portée, ses limites ».

    LA DEMOCRATIE AUTOGESTIONNAIRE ALGERIENNE A L’EPREUVE

    Lorsqu’à l’automne 1963, le président Ahmed Ben Bella décide l’organisation d’un congrès des travailleurs du secteur agricole autogéré, baptisé à tort congrès des fellahs, la première question posée est de savoir qui devait l’organiser. Le Front de libération nationale (FLN), dont l’appareil est encore en gestation après son implosion au cours de l’été 1962, le Bureau national d’animation du secteur socialiste (BNASS), maître -d’œuvre des décrets de mars 1963, l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA) ou le ministère de l’agriculture et de la réforme agraire, bras exécutif de la politique agricole.

    Dans une interview à Révolution africaine (juillet 1963), Ahmed Ben Bella estime qu’il revient au syndicat de prendre le secteur socialiste en main. Tournant le dos à cet engagement, il confie la préparation du congrès au FLN. Ce revirement s’explique par le discrédit de la direction de l’UGTA. Parvenue au sommet de l’organisation à l’issue d’un véritable coup de force appuyé par Ahmed Ben Bella, Mohamed Khider et Bachir Boumaza, la direction centrale n’a pas réussi à toucher le cœur des travailleurs. Sa légitimité n’est pas reconnue. Dans le même temps, les partisans de l’autonomie à l’égard du FLN, sûrs de l’appui des syndicats urbains, tentent de l’extérieur de s’implanter dans le secteur agricole, de combattre toute déviation étatique de l’autogestion et d’unifier sous leur égide la classe ouvrière.

    La conquête de l’UGTA est un enjeu d’importance pour toutes les factions du FLN, à droite[1] comme à gauche. Dans le monde du travail, les ouvriers du secteur agricole forment la majorité de la classe travailleuse.

    La première initiative en vue d’organiser un congrès des travailleurs de la terre a pour origine la commission organique du FLN sous l’impulsion d’Omar Benmahjoub, membre du bureau politique.

    Au départ, il y a un noyau central confié à Belhamissi, un des secrétaires de l’UGTA « illégitime » qui a l’appui du secrétariat du FLN et de ses compères de la direction de l’UGTA pour organiser les réunions à l’échelle nationale et préparer le programme du congrès. Ni le bureau politique ni le comité central n’en sont avisés. L’affaire s’ébruite quand le ministre de l’agriculture, Ahmed Mahsas, informé par ses collaborateurs des réunions organisées dans les domaines reprend le projet à son compte. Il semble à un moment que Benmahjoub et Mahsas agissent de concert. Benmahjoub cherche à investir comme candidat Belhamissi au secrétariat général de l’UGTA et ne tarit pas d’éloges à son égard. Il répète sans cesse : « Ce Belhamissi est une révélation sur le plan syndical », mais omet de signaler que celui-ci, instituteur de son état, n’a même pas été élu par la Fédération des travailleurs de l’éducation et de la culture. Quant à Mahsas, son but est clair. Il s’en est ouvert en toute franchise après le congrès à un membre du bureau politique, Aït El Hocine, ancien responsable de l’Amicale des Algériens en France : « Oui, vous avez tous des bases dans les fédérations, moi aussi je veux m’en créer une[2]. »

    Que faire pour éviter l’embrigadement des ouvriers agricoles et aider les partisans de l’autogestion en lutte contre les bureaucrates qui veulent faire main basse sur l’UGTA ?

    Avant même que Zahouane, le responsable de la commission d’orientation, ne soit alerté des réunions informelles se tiennent entre des éléments du BNASS (Lotfallah Souleiman, Mohammed Harbi), de l’UGTA (Mourad Benattig, Rebah Slimane) et un député (Abdelaziz Zerdani). En sort un texte diffusé par la section de l’UGTA d’Alger-Centre ( Document n° 1). Aussitôt après, Abdelaziz Zerdani soulève la question lors d’une réunion de la commission d’orientation. La décision est prise de faire barrage aux manœuvres qui visent à réviser les décrets de mars sur l’autogestion et à consolider l’étatisation du mouvement ouvrier. Les défenseurs de -l’autogestion au comité central se réunissent à la préfecture d’Alger sous la présidence de Hocine Zahouane, réunion au cours de laquelle sont prises les mesures suivantes : déclencher une campagne d’information à tous les niveaux pour dénoncer les intrigues des bureaucrates du FLN qui substituent à un fonctionnement normal des institutions les jeux de l’ombre ; s’appuyer à cet effet sur les textes de la charte d’Alger et le discours d’Ahmed Ben Bella au congrès du FLN (avril 1964) ; désigner Mohand Saïd, animateur de la commission des organisations de masse, pour suivre les travaux du congrès ; charger Mohammed Harbi de rédiger une note d’orientation à la presse, à la radio et à la télévision pour éclairer l’opinion sur les tentatives de révision des décrets de mars (Document n° 2).

    Les directives de la commission d’orientation sont suivies à la lettre par tous les organes de presse et plus particulièrement par les hebdomadaires El Moudjahid de langue arabe et Chabab (jeunesse) sous l’autorité de Zemnouar Merrouche et de Haïdar Hassani. DansRévolution africaine, Amar Ouzegane se tient sur une prudente réserve.

    Notre but n’est pas de nous substituer aux représentants des ouvriers agricoles, mais de neutraliser l’action de leurs ennemis. Dès l’ouverture du congrès, le président Ben Bella sa caution à Mahsas : « Je vous présente Mahsas qui a fait de la prison avec moi. Il n’a de leçon à recevoir de personne. » L’attaque déguisée vise Mazouzi, Rebah, Slimane et Mourad Benattig et conforte ses amis. Choqué, Mazouzi quitte le congrès. Les fonctionnaires du ministère de l’agriculture n’ont pas les mains libres pour autant. Les délégués des ouvriers agricoles ne se laissent pas faire. Les récalcitrants sont séquestrés à Rocher-Noir avant l’ouverture du congrès. Malmenés par Mokhtar Bouchafa[3] qui les menace en exhibant ostensiblement son revolver, ils réagissent au congrès et présentent leurs doléances sans faux-fuyants. De leurs interventions il ressort que les assises de la FNTT tournaient, comme le premier congrès de l’UGTA, à l’opération policière (Document n° 3).

    À gauche, Hocine Zahouane décide de réagir le samedi. Resté en contact avec les cadres de la commission d’orientation (le capitaine Mostafa Khalfallah, Ali Merrouche), de la commission économique (Hamadache) et de l’UGTA (Rabah et Benattig), il se rend au congrès où il trouve une atmosphère -irrespirable. Pressenti comme futur secrétaire général de la FNTT, Bouchafa oriente les travaux du congrès et en expulse Belhamissi en recourant à la violence. Zahouane téléphone à Ben Bella, l’entretient de l’atmosphère qui règne au congrès et de la volonté des fonctionnaires du ministère de l’agriculture de prendre par la menace et l’intimidation le contrôle de la commission exécutive de la FNTT. S’ensuit un échange sur la notion de producteur. Ils ne parviennent pas à s’entendre au téléphone, Zahouane se rend alors à la villa Joly et lui fait un compte-rendu du déroulement du « congrès ». Gêné, Ben Bella promet finalement après une discussion serrée que sur les quarante-deux membres de la commission exécutive, il n’y aurait que deux fonctionnaires. Il se rend à Ben Akroun pour sermonner Bouchafa et ses collègues. Il est 16 heures. Tout le monde croit à un revirement de Ben Bella. Les partisans de Benmahjoub Nekkache et Boudissa se rendent à la villa Joly et le firent changer d’avis. Vers 18 heures, Zahouane fait un saut au congrès. Les jeux étaient presque faits. Certains délégués pleuraient de rage. Zahouane reprit le chemin de la villa Joly pour demander des explications à Ben Bella. Celui-ci ne savait que répondre et finit par lui dire : « Les autres frères de la commission organique s’en occupent. Je te demande de ne pas ajouter à la tension et ne plus intervenir. » L’échange est tendu : « Je ne cautionnerai pas une telle politique et tu dois t’attendre à ma démission. » Ben Bella l’accompagna jusqu’à l’ascenseur : « Non, ce n’est pas comme çà qu’il faut me dire. » À 21 heures, Zahouane fait à nouveau un saut au congrès. Les imposteurs jubilaient aux côtés de Boudissa, mais Ben Bella sanctionna Bouchafa auquel échappe le secrétariat général au profit de Ramdane Bouchebouba, ancien contrôleur général de l’organisation du MTLD, arrêté en France au cours de la guerre comme chef de wilaya.

    Le soir même de la clôture d’un congrès scandaleux, Zahouane adresse un article au Peuple d’Alger, à Républicain et à Alger Le Soir et les conjurés se retrouvent en accusés devant l’opinion publique ( Document n° 4).

    Ce n’est que le 29 décembre que Zahouane revoit Ben Bella en présence de Ben Alla. Ben Bella lève les bras au ciel et dit : « Comment tu nous fais un coup comme ça, Hocine. » « Je t’avais averti, répond Zahouane et de toute façon ce congrès est un scandale et il reste contesté. » « Oui, tu vois, c’est que je ne voulais pas laisser le congrès entre les mains des communistes », répond Ben Bella. Les communistes, c’était pour Ben Bella les nationalistes de gauche, c’est-à-dire tous ceux qui s’étaient opposés à lui sur la question de l’autonomie des syndicats et qui, sur le terrain étaient les adversaires des syndicalistes du PCA.

    Lors de la réunion du comité central qui suivit le congrès de la FNTT, Saadouni propose de dénoncer le congrès de la FNTT. Ben Bella élude la question et ne l’inscrit pas à l’ordre du jour. Ce fut, après l’épreuve du congrès un moment révélateur des ambiguïtés du président Ben Bella sur la question de l’autogestion et des illusions que nourrissent à son égard les concepteurs des décrets de mars. En vérité, l’année 1964 est caractérisée par une offensive tous azimuts des tenants du conservatisme social et des étatistes qui avancent masqués derrière le bouclier de la religion. La gauche, qui inclue en son sein le parti de la sécularisation, s’est vue accusée d’anti-arabisme, d’anti-islamisme et d’athéisme (Document n° 5). Et, comme Ben Bella considère l’islam comme le ciment normatif de la société, il s’est montré plus sensible aux pressions de ses amis étatistes qu’aux intérêts fondamentaux du monde ouvrier.

    Mohammed Harbi 10 décembre 2016-

    Notes:

    [1]. S’y retrouvent des partisans de la propriété privée et des étatistes liés à Ben Bella, ainsi que d’anciens apparatchiks du PPA-MTLD.

    [2]. Propos rapportés à Hocine Zahouane par Aït El Hocine

    [3]. Chef du commando du FLN à Alger avant Yacef Saadi.

    http://www.autogestion.asso.fr/

    http://www.anti-k.org/

  • Algérie du Possible

     

    Algeriedupossible2.jpg

     

    Pour aller plus loin, nous avons déjà publié et mis en ligne:

    Algérie 1962-1965 Autogestion mythe ou réalité? (suite):

     Deux textes de Mohammed Harbi.

    Autogestion, mythe ou réalité? (Algérie 1962-1965) suite Bibliographie et documents écrits et audiovisuels

    Deux biographies :

    Trois documents :

    • La voix de l’Algérie socialiste, émission radiodiffusée du 7 août 1963
    • Kader Ammout, Christian Leucate, Jean-Jacques Moulin, La voie algérienne, Maspero, 1974 (extraits)
    • « L’autogestion en Algérie » Sous le Drapeau du socialisme n° 3, 1965.

    Sur le site du Centre d’histoire sociale, « autogestion et équivoques du FLN », quatre articles de Daniel Guérin en 1964.

    http://tendanceclaire.org/

  • Le crépuscule de Mahmoud Abbas (Regards)

    abbas.jpg

    Mahmoud Abbas a été reconduit mardi à la tête du Fatah.

    Cette réélection masque mal les tensions politiques autour du président de l’Autorité palestinienne. Chantre de la négociation avec Israël, âgé de 81 ans, il incarne la faillite du système engendré par le “processus de paix”.

    Le titre était pourtant intrigant : “Le plan secret des pays arabes pour évincer le dirigeant palestinien Mahmoud Abbas”. Mais cet article, publié fin mai sur le site Middle East Eye, n’a guère suscité de réactions au-delà des cercles s’intéressant encore à la question palestinienne. Le journaliste David Hearst y livre des informations sur la volonté des Émirats arabes unis, de l’Égypte et de la Jordanie d’anticiper une « ère post-Mahmoud Abbas » et de remplacer celui-ci, à terme, par Mohammed Dahlan, ancien responsable de la sécurité préventive à Gaza. Ce qui constituerait un changement générationnel radical : en 1961, année où Mohamed Dahlan venait au monde dans la bande de Gaza, Mahmoud Abbas (nom de lutte : Abou Mazen), alors au Qatar, rejoignait le Fatah créé en 1959 au Koweït voisin.

    Cet éventuel remplacement ne devrait cependant pas advenir tout de suite : mardi 29 novembre, en ouverture de son 7ème congrès qui se tient à Ramallah, en Cisjordanie, le Fatah a reconduit son vieux leader, pour un mandat de 5 ans. Au terme de cette échéance, il aura 86 ans.

    « Abbas est l’un des derniers du noyau historique », résume Julien Salingue, politologue, auteur de plusieurs ouvrages sur la Palestine [1]. Farouq Kaddoumi, « pas consensuel », est écarté. Abu Jihad, Abu Iyad et Yasser Arafat, les autres fondateurs historiques du Fatah, sont morts. Surtout, « il ne reste aucun ancien qui aurait, comme Mahmoud Abbas, accompagné d’aussi près la séquence Oslo », souligne le chercheur. De fait, sa réélection mardi apparaît surtout comme une dilatation artificielle du crépuscule politique d’Abou Mazen. Crépuscule qui est avant tout celui, interminable, du “processus de paix”, que la plupart des dirigeants internationaux, incapables de tracer de nouvelles perspectives, tentent de maintenir artificiellement en vie.

    Dans la “cuisine” d’Oslo

    Face à cette peur du vide, celui qui préside non seulement l’Autorité palestinienne (AP) depuis janvier 2005 mais aussi le Fatah et le comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), offre quelques gages de continuité. Et demeure un acteur régional d’importance qui, contrairement aux propos du premier ministre israélien qui l’accuse régulièrement de soutenir le “terrorisme”, est toujours resté fidèle à sa ligne politique adoptée il y a quarante ans : celle de la négociation avec l’occupant pour parvenir à une solution à deux États. Dans cette région sujette aux bouleversements, les chancelleries occidentales ne sont pas pressées de voir partir un dirigeant aussi constant. Interrogé, le Quai d’Orsay ne se mouille guère : « La France soutient les autorités palestiniennes légitimes, au sein desquelles toute évolution devra passer par le fonctionnement démocratique des institutions ».

    Au cœur des années 70, alors que l’OLP amorce son virage stratégique vers la solution de deux États, il est l’un des premiers à nouer des contacts avec la gauche israélienne. Mais l’époque des fedayins n’est pas encore totalement révolue et, dans un environnement où la lutte armée est magnifiée, Abou Mazen a déjà cette réputation d’homme de dialogue plus que de combat. « On disait d’Arafat qu’il savait à la fois manier le fusil et le rameau d’olivier et c’est à mon sens ce qui expliquait sa popularité ; Abbas, lui, se contente du rameau d’olivier... », relève Taoufiq Tahani, président de l’Association France Palestine solidarité (AFPS). « Le vieux problème de Mahmoud Abbas est celui de la légitimité, ajoute Nicolas Dot-Pouillard, chercheur à l’Institut français du Proche-Orient (IFPO), auteur de La mosaïque éclatée, ouvrage consacré à l’histoire récente du mouvement national palestinien, qui vient de paraître [2]. Bien que faisant partie des historiques du parti, il n’est pas une de ses figures combattantes comme Abu Jihad ou Abu Iyad, assassinés ; il a toujours été le bureaucrate. »

    En l’occurrence, ses qualités d’organisateur permettent au militant, né à Safed en 1935, exilé avec sa famille en Syrie en 1948, passé par le Caire et le Collège oriental de Moscou (où il a étudié l’histoire), d’intégrer le comité exécutif de l’OLP en 1981. Trois ans plus tard, il est chargé des relations extérieures de l’organisation. Mais c’est au début des années 90 qu’il acquiert une place réellement incontournable dans le dispositif de la centrale palestinienne. Au printemps 1993, alors que les négociations initiées à Madrid piétinent, les Israéliens cherchent à savoir qui est réellement en coulisse à Oslo, où se déroulent des discussions parallèles et secrètes. Ils parviennent à la conclusion qu’Abou Mazen est « le véritable maître d’œuvre de l’opération ». Son bureau est alors appelé “la cuisine” [3]. Il le quitte quelques mois plus tard pour aller parapher, aux côtés de Yasser Arafat, Ytzhak Rabin et Shimon Péres, la déclaration de principe sur la terrasse de la Maison blanche. Cette signature leur vaudra de partager un Nobel de la paix dont Abbas sera, dit-on, vexé d’avoir été privé. Mais à la suite de ces accords, il peut enfin retourner en Palestine. Ce qu’il fait en 1995. Devenu secrétaire général de l’OLP un an plus tard, il va y conforter au fil des ans sa position d’interlocuteur privilégié des Américains et des Israéliens.

    Un proviseur en costume sombre

    En septembre 2000, la deuxième Intifada éclate. Mahmoud Abbas condamne les attentats-suicides et, convaincu qu’elle mène à l’impasse, la militarisation du mouvement. Un positionnement qui sied aux américains et à l’UE : au printemps 2003, ils imposent à Arafat, assiégé à la Mouqata de Ramallah, d’en faire son premier ministre. Il le restera à peine quelques mois, démissionnant en septembre. Après la mort de Yasser Arafat à Paris, en novembre suivant, Mahmoud Abbas, soutenu par le Fatah, remporte les élections du 9 janvier 2015, recueillant plus de 62% des voix. Il assure qu’il « respectera l’héritage d’Arafat ». Mais au visage expressif du vieux chef militaire arborant toujours un keffieh sur la tête et, souvent, une arme à la ceinture, succède la figure austère de cet homme au sourire hésitant, vêtu d’un costard sombre et portant d’épaisses lunettes. Tout un symbole : « En 1994, l’ossature de l’Autorité palestinienne (AP) est constituée du noyau militant Fatah-OLP, souligne Julien Salingue. En 2005, quand Abbas prend le pouvoir, c’est déjà assez largement une bureaucratie non politique qui gère l’AP, avec des purs technocrates, comme l’ancien premier ministre Salam Fayyad. Et ce type de profil n’aide pas à prendre des décisions qui vont à l’encontre de la structure ! »

    Aujourd’hui, onze ans plus tard, la “structure”, sous perfusion permanente de l’aide internationale, est confrontée à un bilan objectivement désastreux pour le peuple palestinien : la fracture territoriale et politique Hamas-bande de Gaza / Fatah-Cisjordanie, survenue en 2007, n’est pas résorbée ; “l’intifada des couteaux”, menée sporadiquement depuis octobre 2015 par des jeunes agissant hors cadre collectif, témoigne d’un degré de désespérance politique inégalé ; et le nombre de colons en Cisjordanie est passé d’environ 250.000 fin 2004 à 513.000 en 2014 selon l’organisation B’Tselem.

    « Je considère que Mahmoud Abbas n’en fait pas assez et ne suis d’accord ni avec sa politique économique intérieure, ni avec son choix de la négociation à tout prix avec Israël », assène B. un Palestinien de Cisjordanie, responsable associatif. Depuis qu’un ami travaillant aux renseignements lui a conseillé de faire attention après qu’il a posté une caricature sur Facebook, il préfère garder l’anonymat. « Ici, il se dit qu’il aurait été un bon proviseur de lycée mais que, comme chef de l’Autorité, il est nul. La coordination sécuritaire avec les Israéliens [un volet d’Oslo que Mahmoud Abbas a toujours fermement défendu] est vue comme une génuflexion devant l’occupant. Et depuis 2007 et la séparation entre Gaza et la Cisjordanie, son image dans la société est celle d’un lâche. Il n’a jamais été dans la bande de Gaza alors que le territoire a subi de nombreuses offensives meurtrières. Beaucoup pensent que, même retenu par les Israéliens, Arafat aurait pris sa voiture pour se rendre sur place, ou qu’il aurait au moins essayé. » Pour lui, « Abbas n’est pas un homme courageux. Quant à la réconciliation Hamas-Fatah, c’est un véritable feuilleton égyptien, c’est du n’importe quoi ! Ils se retrouvent tous les ans à Doha, discutent, parviennent à un accord qui n’entre jamais en application... Or c’est quand même à lui, le président, d’impulser quelque chose de sérieux à ce niveau. » En juin dernier, l’énième “round de négociation” qui s’est tenu entre les deux partis, toujours à Doha, n’a rien donné.

    L’homme d’un système désavoué

    S’il regrette lui aussi l’absence de « gestes forts » du président de l’AP au moment des offensives israéliennes dans la bande de Gaza (en 2008-09, 2012 et 2014), Taoufiq Tahani tempère cette sentence : « Au plan politique, il n’y a pas eu de grande différence avec Arafat. Simplement, quand Yasser Arafat laissait les groupes armés agir lorsque cela l’arrangeait, Mahmoud Abbas, lui y a toujours été opposé et l’a fait savoir. Il reste d’ailleurs un homme de parole : quand il dit quelque chose, il le pense. Et dans les faits, il n’a renoncé ni au droit au retour, ni à l’État palestinien dans les frontières de 1967. N’oublions pas qu’en 2005, lorsqu’il parvient au pouvoir, il n’y a aucune offre internationale sur la table. Et qu’en 2006, lorsque le Hamas gagne les élections législatives, il joue pleinement le jeu de la démocratie en nommant un premier ministre du Hamas. C’est ensuite la communauté internationale qui l’a contraint à revenir là-dessus ».

    De fait, nul ne pourra reprocher à Abbas d’avoir triché avec les exigences des “parrains” internationaux. Au contraire. « Il a toujours misé sur les Américains en pensant que s’il arrivait à poser les bases d’un État, ils l’aideraient », note Taoufiq Tahani, qui regrette son incapacité à se démarquer du champ institutionnel : « Il s’est beaucoup adressé à la communauté internationale officielle, mais pas assez à l’opinion publique internationale, me semble-t-il. Comme s’il n’avait pas mesuré l’importance de la solidarité populaire, oubliant l’exemple, entre autres, de l’Afrique du Sud ».

    Ce pari obstiné sur le processus d’Oslo – en dépit de son torpillage constant par les gouvernements israéliens successifs – et sa volonté de ne jamais fâcher Washington ont souvent conduit le président palestinien à prendre des positions très peu goûtées par l’opinion. En 2009, cédant aux pressions américaines, il accepte de suspendre la procédure d’examen du rapport Goldstone sur la guerre menée par Israël à Gaza en décembre 2008-janvier 2009. En novembre 2012, il dit avoir le droit de voir Safed (sa ville natale, dont tous les habitants ont été expulsés en 1948 et qui est désormais sur le territoire israélien), mais plus celui d’y vivre ; en décembre 2013, il affirme, lors d’une conférence de presse en Afrique du Sud, qu’il ne « soutient pas le boycott d’Israël », marquant ainsi sa distance avec la campagne BDS [4].

    Des positions répétées et signifiantes mais qui, selon Julien Salingue, posent moins de question sur l’homme lui-même que sur le système qu’il a choisi de servir : « Ce n’est pas une question de personne, mais d’orientation politique. Il s’est juste coulé dans le moule d’Oslo et de l’Autorité palestinienne. Ce que l’on a pu observer au cours de la décennie passée s’inscrit dans le prolongement ce qui se passait avant : le clientélisme, les réseaux financiers parallèles, ce n’est pas Abbas qui les a mis en place. Simplement, là aussi, il a accompagné le processus général de dépolitisation. Il est responsable de s’en être accommodé. » Et d’avoir laissé s’amalgamer au fil des ans un “appareil proto-étatique”, l’AP, et une formation politique, le Fatah.

    Le libéral et le diplomate

    Si au cours des dernières années, la question de la dissolution de l’AP a régulièrement été évoquée comme une réponse politique possible au blocage de toute avancée par les Israéliens, cette éventualité pose d’autres questions internes, passées plus inaperçues : « La distinction entre le Fatah comme mouvement politique et l’Autorité palestinienne comme structure administrative n’a pas été réglée, regrette Julien Salingue. Et des orientations fondamentales n’ont pas été prises : comment faire en sorte que l’AP ne se substitue pas au mouvement de libération ? Comment refondre une OLP élargie, incluant le Hamas et l’ensemble des composantes du mouvement national de libération ? Le problème est que le débat sur l’AP est complètement biaisé par le fait qu’elle est le principal pourvoyeur d’emplois en Palestine... » L’Autorité palestinienne et les gouvernorats locaux employaient, mi 2012, en Palestine, 192.000 personnes, soit une hausse de 5% par an depuis la création de l’AP [5].

    À la tête de cet appareil donnant le pouvoir de la distribution des salaires, Mahmoud Abbas a mené une politique intérieure plutôt libérale. « C’est vrai qu’il n’a aucune, ou une très faible, marge de manœuvre pour lutter contre l’occupation israélienne, reconnaît B. Mais la situation intérieure s’est elle aussi détériorée. Aujourd’hui, les services publics sont en très mauvais état. Ceux qui le peuvent vont dans les hôpitaux privés pour se soigner. Les universités sont payantes ; on a vu cinq ministres assister à l’inauguration d’un établissement scolaire privé dont l’un d’eux est actionnaire. Et les secteurs qui pourraient rapporter un peu d’argent à l’État, comme par exemple la téléphonie mobile, ont été cédés à des grandes familles de Cisjordanie... Il faut être honnête, Abbas n’est pas à l’origine de cette dérive, Arafat avait déjà commencé. Mais cela s’est poursuivi et il est clair que lorsque tout est privatisé, cela profite généralement aux proches du pouvoir. » Récemment, le nom de Tareq Abbas, le second des trois fils du président (en plus de Mazen, mort en 2002, et de Yasser) est apparu dans l’affaire des Panama Papers. Membre du conseil d’administration d’un gros distributeur de produits de consommation, il avait aussi été nommé, au début des années 2000, vice-président d’un fonds d’investissement de la diaspora.

    Restent les batailles menées à l’ONU : l’entrée de la Palestine à l’Unesco comme membre officiel (octobre 2011), le rehaussement de son statut au stade d’État observateur non-membre (novembre 2012), son adhésion à la Cour pénale internationale (avril 2015). Des victoires symboliques mais importantes, acquises en dépit des menaces et manœuvres de Washington et Tel Aviv. « Cela a contribué à acter une légitimité à l’échelle internationale de la revendication d’un État palestinien et montré qu’Israël est isolé dans les institutions étatiques, estime Julien Salingue. Mais cela a aussi contribué à entretenir l’illusion qu’il existe quelque chose s’apparentant à un État palestinien, alors qu’aujourd’hui sur le terrain, il n’y a absolument rien qui ressemble à un début d’État... » Une réserve à laquelle abonde B. : « Des fêtes solennelles ont été organisées à Ramallah. Mais ici, ces évolutions n’ont aucun effet. Il fallait mener ces batailles, mais cela ne méritait pas autant de battage. La mise en valeur surjouée de ces événements est une sorte de mensonge à haute voix : on va se montrer à New York, on dresse le drapeau sur l’esplanade de l’Unesco, mais ici, en Palestine, rien ne bouge, la situation d’occupation ne change pas. »

    Luttes de succession

    Tout laisse aujourd’hui à penser que, en cohérence avec son parcours, ces faits d’armes livrés dans l’arène diplomatique seront les plus saillants, positivement, de Mahmoud Abbas en tant que président de l’AP. Mais après ? Le scrutin municipal qui était initialement prévu le 8 octobre a été reporté à une date encore inconnue. Pour d’éventuelles consultations présidentielles et / ou législatives, rien n’est encore fixé. « Il a fait le ménage autour de lui, écarté des gens qui lui étaient proches tels que Salam Fayad ou Ahmed Qoreï, explique Nicolas Dot Pouillard. Il est aujourd’hui assez isolé. On a affaire à une présidence problématique ». Majid Faraj, le responsable des services secrets, serait le candidat du sortant. Mais sa jubilation assumée après l’arrestation d’activistes armés lui a valu une condamnation de quasiment toutes les factions palestiniennes. Si il en avait la possibilité, B. voterait, lui, pour Marwan Barghouti – « sa situation de prisonnier est le reflet exact de celle du peuple palestinien, nous sommes enfermés, détenus ». Mais le “Mandela palestinien” est emprisonné depuis 2002 en Israël et, s’il bénéficie d’un grand crédit au sein du mouvement de solidarité international, c’est moins le cas dans les territoires et parmi les plus jeunes Palestiniens.

    Reste donc l’hypothèse Dahlan, bien au chaud dans le Golfe, apprécié par Le Caire et Tel Aviv mais détesté par la gauche palestinienne et une très grande partie de la population. « Les informations circulant sur Dahlan sont globalement fondées, estime Nicolas Dot-Pouillard. Il est en quelque sorte le commis voyageur des Émirats arabes unis et utilise cette position pour tenter de se placer en candidat incontournable pour la présidence palestinienne. Il dispose d’argent, c’est évident, et a des soutiens dans certains camps de réfugiés. Le scénario de son parachutage n’est donc pas exclu, même si cela s’apparenterait clairement à un coup d’État télécommandé de l’extérieur... Au delà, mon analyse est qu’il n’y a pas vraiment de désaccord stratégique entre tous ces hommes. Mais des divergences de personnes et des luttes pour la prise de l’appareil de l’Autorité nationale. La réalité du Fatah, aujourd’hui, est qu’il fonctionne comme un ensemble de féodalités locales lié à des financements de divers personnages. Au Liban, on le voit très bien dans les camps de réfugiés : Il y a les pro-Abbas, les pro-Fayyad, les pro-Dahlan. »

    Un délitement politique auquel Abou Mazen, dupé plus ou moins consentant d’Oslo, n’est pas totalement étranger. En le reconduisant à sa tête, le Fatah semble avoir écarté l’hypothèse Mohamed Dahlan. Mais, vu l’âge d’Abbas, ce n’est que temporaire. Les incertitudes sur "l’après", accrues par l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche, demeurent nombreuses. Une seule chose est sûre : si c’est bien Dahlan - figure archétypale, au début des années 2000, de la dérive autoritaire de l’AP et de sa soumission aux exigences de Tel Aviv - qui finit par s’imposer, cela apporterait une terrible réponse aux questions que se posait le négociateur Abbas le 12 septembre 1993 dans l’avion qui le menait de Tunis à Washington [6] : « (…) ce que nous apprêtions à faire allait-il nous ouvrir les portes de l’avenir ou les refermer ? Avions nous trahi ou préservé les droits de notre peuple ? »

    Notes

    [1Notamment La Palestine d’Oslo, L’harmattan / bibliothèque de l’iReMMO, 2014 ; et La Palestine des ONG. Entre résistance et collaboration, La Fabrique, 2015.

    [2La mosaïque éclatée. Une histoire du mouvement national palestinien (1993 -2016). Sindbad Actes Sud/Institut des études Palestiniennes, 2016.

    [3Lire Les sept vies de Yasser Arafat, de Christophe Boltanski et Jihan El-Tahri, Grasset, 1997.

    [4Campagne citoyenne internationale Boycott désinvestissement sanction.

    [5“Labour market and employment policies in Palestine”, document de European Training Foundation (2014).

    [6Lire Through Secrets channels. The road to Oslo, (Le chemin d’Oslo) de Mahmoud Abbas, Garnet publishing, 1995.

    http://www.regards.fr

  • Cuba Algérie (Algeria Watch + CADTM)

    Fidel-Castro-Che-Guevara-et-Ben-Bella-1962-Gamma-Rapho.jpg

     

     

     

     

     

    25036432_small.jpg

     

  • Un seul héros : le peuple ! Appel à soutien (Bretagne Info)

  • Octobre-novembre 1956 : l’intervention franco-britannique de Suez (Lutte Ouvrière)

    suez.jpg

    Le 6 novembre 1956, les troupes françaises et britanniques débarquaient à Port-Saïd en Égypte.

    Ces deux vieilles puissances coloniales, alliées à Israël, entendaient reprendre le contrôle du canal de Suez nationalisé en juillet par le président égyptien Gamal Abdel Nasser. Mais l’opération militaire tourna au fiasco en quelques heures et le corps expéditionnaire franco-britannique dut rembarquer piteusement.

    Nasser avait pris la tête du pays à la suite du coup d’État de 1952 qui avait renversé le roi Farouk, sous le règne duquel l’Égypte était restée de fait un protectorat britannique. L’objectif du groupe dit des « officiers libres » dont il avait pris la tête était de moderniser le pays grâce à une politique plus indépendante. Les dirigeants américains avaient d’abord accueilli favorablement la chute de Farouk, avant d’être rapidement déçus en constatant que Nasser n’entrait pas dans leurs vues.

    La nationalisation du canal

    Lorsque les USA se montrèrent réticents à lui livrer des armes, Nasser s’adressa à la Tchécoslovaquie et à travers elle à l’URSS. Il refusa de faire adhérer l’Égypte au pacte de Bagdad regroupant les alliés moyen-orientaux des USA contre l’URSS. Nasser était pourtant fortement anticommuniste et réprima sauvagement les militants du PC égyptien, mais il entendait simplement ne dépendre d’aucune des deux grandes puissances. Il fut un des leaders de la conférence des non-alignés qui se déroula à Bandung en avril 1955, aux côtés de Tito, Nehru et Chou En-lai.

    Pour moderniser l’Égypte, Nasser comptait sur la construction du gigantesque barrage d’Assouan sur le Nil, mais le 19 juillet 1956, les USA annoncèrent qu’ils annulaient le prêt promis à cet effet. Ils espéraient amener Nasser à plus de compréhension et le forcer à cesser ce qu’ils qualifiaient de double jeu. Nasser répliqua par une action d’éclat qui fit de lui le héros du tiers-monde. Le 26 juillet, il annonçait la nationalisation de la compagnie du canal de Suez, déclarant dans un éclat de rire que l’encaissement des droits de passage financerait la construction du barrage d’Assouan. Les grandes puissances furent atterrées, tandis qu’au sein du peuple égyptien, et au-delà parmi tous les peuples dont les richesses étaient pillées par l’impérialisme, le geste de Nasser suscitait une immense fierté, et le sentiment d’être vengés. Nasser ne voulait pas plier, et proclamait fièrement : « Nous reprenons tous ces droits, car tous ces fonds sont les nôtres, et le canal est la propriété de l’Égypte. Il a été creusé par les Égyptiens, dont 120 000 ont trouvé la mort pendant les travaux. La Société du canal de Suez ne cache qu’une exploitation. »

    Les préparatifs de guerre

    Les dirigeants britanniques et français se déchaînèrent contre Nasser, le qualifiant de « nouvel Hitler ».

    Antony Eden, le Premier ministre britannique, se fit fort de « venger l’affront » et de faire revenir Nasser sur sa position par la force des armes. Outre le désir de laver l’insulte, l’impérialisme britannique n’entendait pas se laisser évincer d’une région traditionnellement sous sa coupe. D’autre part, la Compagnie était surtout entre les mains de capitaux britanniques, et dans une moindre mesure français.

    En France, le ton était identique. La gauche socialiste rivalisait avec la droite réactionnaire dans un concert de propos va-t-en-guerre. L’impérialisme français avait certes beaucoup moins d’intérêts que son compère anglais en Égypte, mais le gouvernement de Front républicain conduit par le socialiste Guy Mollet voyait en Nasser le principal soutien extérieur à l’insurrection algérienne menée par le FLN.

    Israël fut également associé aux préparatifs guerriers, saisissant l’occasion de montrer sa capacité à intervenir contre un État arabe ayant des velléités d’indépendance. Depuis deux ans déjà, la France équipait Israël en avions de combat et en chars d’assaut. C’est donc tout naturellement que l’idée s’imposa de faire participer Israël à l’expédition punitive.

    Le 25 septembre 1956, alors qu’une armada franco-britannique rejoignait les ports de Malte et de Chypre, le détail de l’opération fut mis au point. Les Israéliens devaient commencer par avancer vers le canal et les troupes franco-britanniques débarqueraient alors pour faire mine de s’interposer. Quant aux USA, les dirigeants français se faisaient fort de leur faire accepter l’opération, ce qui allait se révéler une erreur.

    Le fiasco de l’intervention

    Comme convenu, l’armée israélienne attaqua le 29 octobre. Elle occupa rapidement le Sinaï et s’arrêta. La Grande-Bretagne et la France adressèrent alors un ultimatum à l’Égypte et à Israël leur enjoignant d’arrêter les opérations. Israël, appliquant le plan prévu à l’avance, accepta et Nasser refusa. Les troupes britanniques et françaises purent alors débarquer sous prétexte de s’interposer, mais en fait pour occuper la zone du canal.

    Nasser cependant, bien loin d’être déconsidéré par cette première défaite, en sortit grandi. C’est à ce moment que s’affirma avec éclat l’opposition des États-Unis à toute l’opération, à laquelle ils n’avaient pas été associés. Les dirigeants français avaient présomptueusement affirmé que les USA seraient bien obligés de se ranger à leurs côtés pour que la libre circulation maritime soit garantie dans le canal. Le secrétaire d’État américain Foster Dulles avait pourtant signifié à Eden qu’il « refusait d’identifier la politique américaine à la défense des intérêts des anciennes grandes puissances coloniales ». Lorsque le débarquement devint imminent, les USA firent voter à l’ONU une résolution appelant à un cessez-le-feu immédiat et au déploiement d’une force des Nations unies ne comprenant aucun contingent français ni britannique.

    L’URSS, de son côté, menaça les belligérants d’utiliser « toutes les formes modernes d’armes de destruction s’il n’était pas mis fin à l’expédition ». Ce chantage à la guerre atomique était un bluff, mais en même temps c’était l’occasion pour les dirigeants soviétiques de s’affirmer comme les défenseurs de l’indépendance de l’Égypte… au moment même où, à Budapest, les troupes russes écrasaient dans le sang l’insurrection ouvrière.

    Devant l’attitude des États-Unis et de l’URSS, les troupes israéliennes durent se replier. Un corps expéditionnaire franco-britannique débarqua quand même à Port-Saïd et s’y heurta à la résistance de milices populaires levées à la hâte par le régime nassérien. Les troupes franco-britanniques du­rent rembarquer piteusement quelque temps plus tard, non sans avoir fait au moins un millier de morts égyptiens.

    L’opération se soldait par un triomphe pour Nasser, qui allait faire de lui pour des années le héros du panarabisme et le symbole de la lutte des pays du tiers-monde. En même temps les États-Unis signifiaient à la France et à la Grande-Bretagne qu’elles devaient en finir avec les expéditions coloniales : désormais, ce serait les USA qui s’en chargeraient, en tout cas au Moyen-Orient. Mais dans l’immédiat, ils devraient s’accommoder de la vague de revendications d’indépendance qui traversaient les pays du tiers-monde, encouragés par le succès de Nasser et pouvant tirer parti de l’opposition entre les deux blocs.

    Daniel MESCLA 02 Novembre 2016
     
  • Le 1er novembre 1954, la « Toussaint Rouge » marque le début de la Guerre d’Algérie (Jeune Afrique)

    Veille de la Toussaint 1954. Un calme relatif plane sur les départements de l’Algérie française.

    En cette nuit sombre, partout sur le territoire, des hommes très mal équipés, armés pour la majorité de simples poignards et ne disposant que de quelques armes à feu, se préparent à lancer la lutte pour l'indépendance de l'Algérie.

    Casernes militaires et de gendarmerie, bâtiments administratifs, bureaux de poste, fermes de colons, immeuble de la radio ou voies ferrées… Tous les symboles de l’occupation coloniale française sont frappés. Aux premières lueurs de ce 1er novembre, les Algériens et les autorités françaises sont réveillés par des nouvelles alarmantes : plusieurs attentats simultanés ont été commis dans la nuit, et ce en différents lieux du territoire algérien.

    Dans ces attaques nocturnes, dix personnes trouvent la mort : quatre militaires – une première en Algérie – un policier, un caïd (un Algérien servant l’administration coloniale) et quatre civils. Personne ne le sait encore, mais les opérations commando de cette nuit-là marquent le début d’une guerre longue de presque huit ans, qui pendant longtemps ne dira pas son nom dans l’Hexagone où l’on parlera avec euphémisme des « événements d’Algérie »…

    Des résultats mitigés

    Le premier de ces « événements » a donc lieu la nuit du 1er novembre 1954, dans les cinq régions définies par les meneurs de l’insurrection dans lesquelles de petits groupes se lancent à l’attaque. Les différents chefs régionaux disposent de plusieurs commandos, généralement composés d’une dizaine d’hommes. Ces indépendantistes, peu préparés à l’insurrection et mal équipés, n’ont souvent que leur courage pour se battre au nom de la liberté qu’ils veulent conquérir.

    Si très peu d’objectifs sont atteints – les dégâts sont minimes, peu d’armes sont récupérées et certaines bombes posées sont défectueuses -, la mission principale des opérations, symbolique, est largement couronnée de succès : il s’agissait d’acter le passage à la lutte armée, de choquer et de marquer les esprits au travers d’opérations spectaculaires.

    Ces multiples attentats sont revendiqués par une nouvelle organisation indépendantiste, le Front de libération nationale (FLN). Celui-ci, favorable au combat, dispose de sa propre branche militaire : l’Armée de libération nationale (ALN).

    L’apparition du FLN

    C’est à la fin de juin 1954, quelques mois seulement avant l’insurrection, qu’une réunion de 22 éléments indépendantistes a eu lieu dans le plus grand secret en Algérie. Des membres du CRUA (Comité révolutionnaire d’unité et d’action) et des anciens membres de l’Organisation spéciale (OS), branche paramilitaire du MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques) de Messali Hadj, ont décidé de passer à la lutte armée. Au cours de cette réunion, ils ont créé un comité de cinq dirigeants – qui passera à six en août – puis, le 10 octobre 1954, ils ont adopté la dénomination « FLN ».

    La veille et les jours suivant l’attaque du 1er novembre, le secrétariat national du tout jeune FLN diffuse une déclaration expliquant les moyens – « principes révolutionnaires » et « continuation de la lutte par tous les moyens » – ainsi que les objectifs de son insurrection face à l’occupation française, à savoir la « restauration de l’État algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques ».

    Le comité des six, appelé « groupe de l’intérieur », est en charge des opérations sur le territoire algérien. Il est composé de Krim Belkacem, Mostefa Ben Boulaïd, Larbi Ben M’Hidi, Rabah Bitat, Mohamed Boudiaf et Mourad Didouche.

    Un second groupe – appelé « de l’extérieur », car exilé au Caire – est quant à lui chargé de représenter et aider les combattants, notamment dans la diffusion et la promotion du combat du FLN à l’international. Il est composé de Hocine Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella – futur premier président algérien – et Mohamed Khider. Tous réunis, ils forment le groupe des « neufs chefs historiques » de la Révolution algérienne. 

    Le feu aux poudres

    En tuant pour la première fois des militaires français sur le territoire algérien et en agissant en nombre et de manière simultanée, les jeunes indépendantistes ont ce soir-là, selon l’expression de Mourad Didouche, « allumé la mèche » de la libération. Elle mettra le feu aux poudres d’une guerre qui durera presque huit années, et ce malgré le déploiement de plus d’un million de soldats du contingent français.

  • Quelle indépendance 51 ans après la disparition de Mehdi Ben Berka, président de la Tricontinentale ? (Cadtm)


    Plaque commémorative sur le lieu de l’enlèvement de l’homme politique marocain, Mehdi Ben Barka, en octobre 1965 devant la brasserie Lipp, boulevard Saint-Germain à Paris. Wikipédia

     

    La légendaire affaire Ben Barka, dont la famille continue à réclamer le corps disparu depuis son enlèvement le 29 octobre 1965 à Paris par des barbouzes avec la complicité de l’État français : sa police, ses services secrets et sa justice.

    Le secret défense est invoqué, les témoins importants meurent ou se suicident, des journalistes véreux et de faux-témoins brouillent les pistes dès que se profile l’espoir d’une vérité. Les plaintes sont rejetées dès lors qu’il s’agit de protéger les amis de la France et les intérêts des entreprises françaises. Quelle justice peut-on alors espérer en France face à cette criminalité économique et financière cautionnées par les plus hautes instances de l’État ? Quelle justice peut-on espérer dans les pays africains où les élections sont truquées et les dictateurs sont soutenus par les puissances occidentales et la Françafrique toujours en place ? Quelle vérité, quelle réconciliation attendre encore du pouvoir marocain ?

    De l’assassinat de Ben Barka aux « biens mal acquis » : le rôle ininterrompu de la France de De Gaulle à Hollande, dans les « affaires africaines »
     
    C’est le 29 octobre 1965 que Ben Barka est enlevé devant la Brasserie Lipp à Paris, soit quelques mois avant de présider le comité préparatoire de la conférence fondatrice de la Tricontinentale à La Havane, en janvier 1966. Opposant au régime de Hassan II dans un Maroc où l’indépendance a été sacrifiée, Mehdi Ben Barka, condamné à mort par deux fois, quitte le Maroc en juillet 1963 pour un exil sans fin |1|. Leader tiers-mondiste, il œuvre pour unifier les luttes des mouvements de libération des trois continents : Afrique, Asie et Amérique latine. Disparu depuis maintenant 51 ans, le corps de Ben Barka reste introuvable. Les présidents français passent, mais la vérité est toujours étouffée. Hassan II, ses barbouzes et hommes de mains : Oufkir, Dlimi, Basri sont morts mais le silence demeure.

    Quatre mandats d’arrêt internationaux, signés le 18 octobre 2007 par le juge parisien Patrick Ramaël et révélés le 22 octobre lors d’une visite d’État de Nicolas Sarkozy au Maroc, ont été notifiés par Interpol après accord du ministère de la Justice.

    Ils visent le général Hosni Benslimane, chef de la gendarmerie royale marocaine, le général Abdelhak Kadiri, ancien patron de la Direction générale des études et de la documentation (DGED, renseignements militaires), Miloud Tounsi, alias Larbi Chtouki, un membre présumé du commando marocain auteur de l’enlèvement, et Abdlehak Achaachi, agent du Cab 1, une unité secrète des services marocains. Diffusés le 18 septembre 2009 par Interpol, soit deux ans après avoir été signés par le magistrat parisien, ces mandats sont contre toute attente bloqués le 2 octobre 2009 par le parquet de Paris. « Le blocage des mandats, quelques jours après leur diffusion, montre la complicité au plus haut niveau entre la France et le Maroc » a déclaré la famille de Ben Barka. On risque donc de ne jamais rien savoir sur la dépouille de celui qui a été le président de la Tricontinentale avant son enlèvement.
    Cinquante ans après l’enlèvement de Mehdi Ben Barka, la justice n’est donc toujours pas rendue.
    Sa famille n’a pas pu faire son deuil et continue à réclamer la vérité.

    JPEG - 12.5 ko

    Mehdi Ben Barka / Wikipédia

    Empêcher l’ouverture des archives pour mieux manipuler encore plus, oublier pour réécrire l’histoire

    Enlevé à la Brasserie Lipp, le 29 octobre 1965, Mehdi Ben Barka aurait été torturé dans une villa, liquidé, son corps n’a jamais été retrouvé depuis.
    51 ans après cet assassinat politique, les documents secrets ne sont toujours pas dé-classifiés, la vérité reste étouffée et les coupables protégés.
    À défaut de révéler la vérité et de juger les coupables, « l’affaire BB » tourne au roman policier, ou resurgit sous la trame d’un film d’espionnage de mauvaise série.
    Des révélations sont régulièrement publiées dans certains journaux en mal de scoop pour semer la confusion et brouiller les pistes.
    Après avoir fait disparaître le corps, on déterre des archives pour récrire l’histoire, la manipuler, la travestir puis la banaliser, pour mieux discréditer le personnage. Ainsi, les néo-conservateurs, en déterrant des révélations douteuses, refont l’histoire : où assassins et truands sont absous, et les révolutionnaires sont déshumanisés, « désacralisés » pour tomber dans l’oubli, puis effacer la vérité.
    C’est vouloir assassiner une deuxième fois Mehdi Ben Barka et par là même enterrer les idées qu’il portait.

    Exiger la vérité, c’est le droit de savoir et la mémoire contre l’oubli

    Il a existé plusieurs Ben Barka, celui du jeune nationaliste du Parti de l’Istiqlal, modéré et monarchiste, poussé aux compromissions, puis acculé à se remettre en question, en une période marquée par la radicalisation des luttes des peuples colonisés pour leur indépendance.
    Sans vouloir mystifier le personnage, le Ben Barka qui nous intéresse aujourd’hui est celui de la Tricontinentale. Pour restituer dans une lecture contemporaine, un projet qui reste toujours actuel, celui de construire des alternatives au monde globalisé que nous subissons.
    Au sortir des Indépendances, sa critique Option révolutionnaire et sa relecture reste encore actuelle.
    La période était marquée par des recherches d’alternatives, internationalistes, mondiales, aux luttes des peuples qui aspirent à une réelle indépendance.
    L’Algérie qui vient de conquérir son indépendance de haute lutte en 1962 a été le point de rencontre de tous les leaders qui ont par la suite contribué à créer la Tricontinentale. Ben Bella sera alors renversé par Boumediene en 1965.
    L’année 1965 aura été le tournant dans les luttes pour les indépendances des peuples colonisés.
    Nous savons que la plupart des leaders porteurs de cette pensée ont été tués : de Lumumba, au Che Guevara, Amilcar Cabral, de ceux qui luttaient contre les colonialismes, qu’ils soient français, belge, espagnol, portugais, nord-américain et de tous continents.

    De Patrice Lumumba à Mehdi Ben Barka

    Patrice Lumumba est assassiné avec ses compagnons le 17 janvier 1961 au Congo et Mobutu prend le pouvoir par un coup d’État.
    Conduits par avion au Katanga, ils seront amenés dans une petite maison sous escorte militaire ou ils seront fusillés le soir même par des soldats sous commandement belge. Des documents secrets officiels belges dé-classifiés, révèlent que c’est bien la Belgique qui porte la plus grande responsabilité dans l’assassinat de Lumumba. La mort de Lumumba a été une lourde perte pour la communauté des pays non-alignés. Ce n’est qu’en 2002 que le gouvernement belge a reconnu une responsabilité dans les événements qui avaient conduit à la mort de Lumumba et s’est limité à des excuses.

    À vouloir travestir l’histoire, elle ne rejaillit que de plus belle…

    La méthode utilisée pour éliminer Ben Barka en 1965 avait déjà servi en 1961 pour éliminer Patrice Lumumba. Et tout comme Ben Barka, Lumumba luttait pour un même projet politique.
    Son engagement dans le mouvement non-aligné, son projet de réformes économiques pour le nouveau Congo indépendant, la rupture avec le colonialisme belge et l’impérialisme US, le rapprochement de l’URSS pour obtenir des subventions et contrer les pressions américaines dans cette période de guerre froide. Une autre vision de l’indépendance que ne pouvait tolérer l’impérialisme car elle touchait au cœur ses intérêts dans la région, elle redonnait espoir aux millions d’Africain.es et concernait tous les peuples dominés.
    Les mêmes méthodes ont été utilisées pour faire disparaître Ben Barka et pour les mêmes raisons.
    Or, l’ouverture des documents secrets dé-classifiés permettraient de lever le doute, au pouvoir marocain de reconnaître sa responsabilité dans l’assassinat de Ben Barka, à la famille de faire le deuil, à la mémoire collective de connaître la vérité… Mais on continue à brouiller les pistes.

    Rendre hommage à Ben Barka serait de réactualiser le projet pour lequel il a été liquidé : La Tricontinentale |2|

    Au sortir d’années de dictatures en Amérique du Sud, les mouvements politiques et sociaux ont imposé une résistance à travers de nombreuses luttes et ont réussi à mettre en place des gouvernements élus démocratiquement pour reconquérir leur souveraineté et autonomie locale et régionale.
    Aujourd’hui, toujours menacée et plus que jamais à l’ordre du jour, elle passe par l’unité des luttes dans les trois continents, dans un contexte de guerres, de pillage des ressources et de soumission de nos souverainetés.

    Dans notre région dévastée par les guerres, nos mouvements sociaux restent faibles, pris en tenaille entre des bureaucraties politiques et syndicales et des régimes répressifs.

    Ces mouvements sont contenus par une répression forte qui ne tolère aucune forme d’auto-organisation. Plusieurs leaders sont liquidés, le cas de Ben Barka, au sortir de l’indépendance est le plus célèbre, mais ne fait pas oublier bien d’autres dirigeants et résistants comme Omar Benjelloun, assassiné en 1972 par des islamistes à la solde du régime, Houcine Manouzi toujours disparu, Abdallah Mounacer, assassiné, son corps jeté dans le port d’Agadir en 1997, pour avoir organisé les marins pêcheurs.

    En Afrique, les guerres incessantes et des régimes mis en place pour permettre aux multinationales de poursuivre le pillage des richesses, perpétuent des génocides sans fin. Asphyxiés par les mécanismes de la dette, dette historique, dette odieuse, dette illégitime, dette écologique, nos peuples ne cessent d’en payer le lourd fardeau.  Chassé de son pays, Mobutu avait trouvé refuge dans le Maroc de Hassan II avec une partie de sa fortune volée. Il est enterré au Maroc. Aujourd’hui, sous Mohamed VI, les nombreux congolais qui fuient les guerres, les pillages, les génocides pour demander asile au Maroc, sont pourchassés, assassinés. Un drame humain que les marocains se doivent de dénoncer mais aussi et surtout nous avons pour tâche de travailler en commun pour que l’argent du peuple volé au peuple congolais soit restitué.
    La dette du Congo comme celle du Maroc, c’est aussi cette histoire entrelacée qui se poursuit.

    Nous ne pouvons pas rembourser la dette parce que nous ne sommes pas responsables de la dette.
    Nous ne pouvons pas payer la dette parce qu’au contraire les autres nous doivent ce que les plus grandes richesses ne pourront jamais payer, c’est-à-dire la dette de sang.
    , déclara Thomas Sankara dans un brillant discours avant son assassinat le 15 octobre 1987. Longue est la liste des dirigeants et opposants disparus pour avoir voulu un autre destin pour les pays du Sud dé-colonisés.

    29 octobre 1965- 29 octobre 2015 : 51 ans après l’enlèvement, la disparition… lutter contre l’oubli

    L’histoire récente, depuis la première guerre du Golf, fait du passé table rase, mondialisation, privatisation, guerres permanentes, peuples dépossédés sur les chemins de l’exil, exilés, et frontières redessinées…
    La mondialisation néolibérale persiste à privatiser le monde, détruire les résistances, générer des guerres sans fin, dévaster la planète et réécrire l’histoire, effacer des mémoires les luttes d’indépendance, passées et à venir.
    Aujourd’hui plus que jamais nous sommes un seul peuple du Sud face à la mondialisation. Nous réapproprier nos luttes et notre mémoire collective, c’est aussi nous forger pour les luttes à venir. Les hommes meurent, mais les idées qui poussent aux résistances se renouvellent sans fin tant qu’une dictature génère encore et encore plus de misère.
    51 ans après l’enlèvement et l’assassinat de Ben Barka, la lutte se poursuit pour la vérité, pour la mémoire, pour l’histoire, car comme le dit si bien Daniel Guérin |3| : « ce mort aura la vie longue ».
    La vérité, c’est la mémoire collective des peuples contre l’oubli, transmise aux prochaines générations.
    51 ans de silence complice, ça suffit ! Exigeons toute la vérité sur l’assassinat de Ben Barka, du Nord au Sud.

     
    Souad Guennoun

    Architecte et photographe renommée, vit à Casablanca. Elle témoigne depuis plusieurs années des crises sociales du Maroc d’aujourd’hui : émigration clandestine, enfants des rues, situation des femmes, luttes ouvrières, etc. Elle filme les luttes menées contre la concentration des richesses, les restructurations d’entreprises provoquées par le néo libéralisme, les choix du régime monarchique visant à soumettre la population aux exigence

    Notes

    |1| Cf Maurice Buttin ; Hassan II-De Gaulle- Ben Barka- Ed Karthala, 2010

    |2| Vidéo sur la Tricontinentale : https://www.youtube.com/watch?v=CKb2Xo07crI

    |3| Daniel Guérin, Ben Barka, ses assassins, Plon, Paris, 1989.

     

    http://www.cadtm.org/

  • Israël. Le nettoyage ethnique en 1948, l’histoire se conjugue au présent (A l'Encontre.be)

    «Les clés de la ferme de Shaher Alkhateb,  âgé de 76 ans» sur le blog de Ray Elsa

    «Les clés de la ferme de Shaher Alkhateb,
    âgé de 76 ans» sur le blog de Ray Elsa

    Un bon historien examine toujours ses conclusions.

    S’il vient à la conclusion que les choses qu’il a écrites précédemment exigent une réévaluation, il est obligé de faire face à cela. Mais un historien qui soutient au début de sa carrière qu’Israël est responsable de la fuite massive de Palestiniens en 1948 [la Nakba: «la catastrophe»] et qui change plus tard ses positions jusqu’à en devenir le chouchou du droit des colons, cela est un phénomène pathétique. Benny Morris a suivi ce chemin [1].

    Il a trahi deux devoirs clés de l’historien: être ouvert d’esprit et connaître la littérature très étendue qui touche à son propre domaine de recherche; et ne pas déformer ses propres conclusions antérieures en raison de considérations politiques actuelles. [L’article «Israël n’a pas conduit de nettoyage ethnique en 1948», paru dans Haaretz le 10 octobre 2016, était une réponse à l’article de Daniel Blatman «Netanyahou, c’est ce à quoi ressemble véritablement le nettoyage ethnique», paru dans le même quotidien le 3 octobre 2016.]

    Le 10 mars 1948, les instances dirigeantes de la Haganah nationale [2] ont approuvé le Plan Dalet [3], qui visait à expulser autant d’Arabes que possible du territoire du futur Etat juif. Morris en a parlé dans son livre: 1948: A History of the First Arab-Israeli War (Yale University Press, 2008). Il a écrit que ce plan suscitait une dispute historiographique, avec des historiens pro-palestiniens qui soutenaient que c’était un plan magistral pour expulser les Arabes vivant en Israël, mais qu’un examen approfondi des mots eux-mêmes du plan conduisait à une conclusion différente.

    Une conclusion différente de qui? Des érudits experts en nettoyage ethnique? Des experts juridiques examinant le problème? Non, différente de celle de Morris, bien sûr. Il n’accepte pas la définition du nettoyage ethnique qui a été commis par les Juifs en 1948, même s’il admet qu’il y a peut-être bien eu un «mini» nettoyage ethnique à Lod et à Ramle ou des massacres marginaux (Deir Yassin) qui ont causé la fuite paniquée de Palestiniens.

    Le problème est que ce sont là précisément les circonstances qui ont conduit au nettoyage ethnique. Si Benny Morris avait bien voulu étudier correctement les documents du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, il comprendrait pourquoi ses déclarations seraient considérées comme absurdes par n’importe quelle conférence scientifique sérieuse.

    Ce qui suit a été déclaré par le procureur lors du procès de Radovan Karadzic, le leader bosno-serbe qui a été reconnu coupable du nettoyage ethnique des Musulmans de Bosnie: «Dans le nettoyage ethnique… vous agissez de telle manière que sur un territoire donné, les membres d’un groupe ethnique donné sont éliminés. … Vous avez des massacres. Pas tout le monde n’est massacré, mais vous commettez des massacres en vue de faire peur à ces populations. … Naturellement, les autres personnes sont poussées à partir. Elles ont peur… et, bien sûr, à la fin ces personnes veulent tout simplement partir. … Elles quittent leurs maisons de leur propre initiative, ou alors elles sont déportées. … Certaines femmes sont violées et, de plus, si le temps le permet, il y a la destruction de monuments qui ont marqué la présence d’une population donnée… par exemple, des églises catholiques ou des mosquées sont détruites.»

    41k290p1icl-_sx330_bo1204203200_

    Exactement comme en 1948: il y a des instructions implicites et des accords tacites qui sèment la peur parmi la population dont on veut qu’elle fuie; la destruction de la présence physique n’apparaît pas au premier plan. Dans son premier livre sur le sujet, The Birth of the Palestinian Refugee Problem Revisited (hb: 1988; pb: 1989), Morris a écrit: «Les attaques de la Haganah et des forces de défense d’Israël, des ordres d’expulsion, la crainte d’attaques et d’actes de cruauté de la part des Juifs, l’absence d’assistance de la part du monde arabe et du Haut Comité arabe, le sentiment d’être impuissant et abandonné à son propre sort, des ordres donnés par des institutions arabes de quitter et d’évacuer, tout cela (attaque de la part des organisations Haganah, Irgun, Lehi ou IDF ou crainte des habitants d’une telle attaque) constituait dans la plupart des cas la raison directe et décisive de la fuite.»

    Il y a environ 15 ans cependant, Morris a changé d’opinion. Dans son livre Correcting a Mistake: Jews and Arabs in Palestine/Israel, 1936-1956 (paru en 2000), il a écrit: «La majorité des abandons [par les Palestiniens] de la plupart des endroits, je les ai le plus souvent attribués aux attaques par les forces juives. Mais parfois un historien doit corriger une erreur.» Chapeau bas à un historien qui admet une erreur.

    Mais l’intégrité professionnelle de Morris est mise à l’épreuve de ce qu’il a dit à Ari Shavit (Haaretz, janvier 2004): «Je ne pense pas que les expulsions de 1948 étaient des crimes de guerre. … Je pense qu’il [Ben Gourion] a commis une erreur historique sérieuse en 1948… il a été frileux pendant la guerre. Puis à la fin, il a hésité. … S’il était déjà engagé dans l’expulsion, peut-être aurait-il dû faire le job complet.» Au même moment, Morris argumente que Ben-Gourion «n’a jamais donné l’ordre d’expulser les Arabes».

    En effet, de tels ordres écrits n’ont pas été trouvés. Et les lecteurs se demanderont: alors y a-t-il eu un ordre d’expulser, ou bien y a-t-il eu une expulsion sans ordre? Ou peut-être y a-t-il eu une expulsion de masse, mais qu’elle a été incomplète et que cela ne constitue donc pas une épuration ethnique?

    Et est-ce que Morris regrette le fait qu’aucun ordre n’ait été donné d’aller jusqu’au bout du nettoyage ethnique? Heureusement que Morris ne se lance pas dans de la recherche sur l’Holocauste. Il serait encore capable de prétendre que ce n’est pas Hitler qui a ordonné la «Solution finale» puisque, comme on le sait, on n’a jamais trouvé d’ordre d’assassiner les Juifs d’Europe écrit de sa main.

    Les expulsions n’ont pas constitué des crimes de guerre, dit Morris, parce que ce sont les Arabes qui ont commencé la guerre. En d’autres termes, des centaines de milliers de civils innocents qui se trouvaient du côté de ceux qui avaient commencé la guerre devaient être expulsés. Peut-être que Morris serait d’accord que le génocide commis par les Allemands contre les Herero en 1904-1908 était justifié puisque, après tout, les Herero avait commencé la rébellion contre le colonialisme allemand en Namibie?

    Morris a raison sur un point: les projets selon lesquels les Arabes devaient être expulsés n’ont pas été menés jusqu’à leur terme. Il y a eu des commandants qui obéissaient à la lettre; il y en avait d’autres qui ne le faisaient pas. C’est exactement pour cette raison que 160’000 Arabes sont restés dans l’Etat d’Israël en 1949. Comme des dizaines de milliers d’Arméniens sont restés en Turquie après la Première Guerre mondiale, parce qu’il y a eu des fonctionnaires du gouvernement qui n’ont pas exécuté à la lettre les ordres de les tuer. Par chance, en 1948, il y a eu des chefs de l’IDF qui se sont abstenus de faire ce qu’ils savaient pouvoir être fait sans qu’on puisse les en tenir pour responsables. Si ces gens n’avaient pas agi ainsi, l’ampleur du crime de guerre commis par Israël aurait été plus grande encore.

    (Publié dans le quotidien Haaretz le 14 octobre 2016, traduction A l’Encontre; titre de la rédaction de A l’Encontre).

    Alencontre le 27 - octobre - 2016

    Daniel Blatman est historien.

    http://alencontre.org/

    [1] En 1988, Benny Morris publie aux Presses Universitaires de Cambridge un ouvrage intitulé: The Birth of the Palestinian Refugee Problem Revisited. Cet ouvrage, comme l’annonçait l’éditeur, éclairait la désintégration des «communautés rurales palestiniennes» et «l’effondrement de la Palestine urbaine», ce qui provoqua, initialement, 700’000 réfugié·e·s. Ils sont quelque 5 millions actuellement. L’ouvrage suscita un fort débat en Israël. Benny Morris, parmi ceux qu’il qualifia lui-même de «nouveaux historiens» (Ilan Pappé, Avi Shlaim, etc.), changea nettement de position. Le débat historique et politique continue en Israël, car son actualité est mise en lumière par les multiples facettes de la brutale politique colonisation de peuplement de l’Etat sioniste. (Réd. A l’Encontre)

    [2] L’Haganah – «Défense» en hébreu – est une organisation paramilitaire sioniste qui se constitua sous le mandat britannique dans les années 1920. Elle passera sous le contrôle de l’Agence juive dans les années 1930, comme organisation clandestine. Elle jouera un rôle de relief dans «l’exode forcé» des populations palestiniennes en 1948. Elle sera une des composantes de la création de Tsahal, «ladite Armée de Défense d’Israël-IDF), aux côtés du groupe Stern et de l’Irgoun. (Réd. A l’Encontre)

    [3] Le Plan Dalet, établi en mars 1948, indique les lignes de force de la politique militaire à venir de l’Haganah. Il est interprété, de manière fort documentée, par des historiens comme Ilan Pappé en tant que plan d’expulsion des Palestiniens et de «nettoyage ethnique» (voir Le nettoyage ethnique de la Palestine, Fayard 2008). Son interprétation est l’objet de débats historico-politiques en Israël, car l’histoire se conjugue au présent. (Réd. A l’Encontre)