Maroc: Ni les diffamations ni la répression ne freineront le mouvement de contestation populaire dans le Rif (Al Mounadil-a)
Maroc Quelques éléments de la situation politique (Inprecor)
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Au fur et à mesure de la mise en œuvre de la Rss, la Cisjordanie occupée est devenue un espace de titrisation et le théâtre de campagnes de sécurité de l’AP dont le but affiché était d’établir la loi et l’ordre. Cet article traite des conséquences des campagnes de sécurité de l’AP dans les camps de réfugiés de Balata et de Jénine, du point de vue de la population, par une démarche méthodologique ethnographique ascendante. Ces voix de la base populaire problématisent et examinent les campagnes de sécurité, illustrant comment et pourquoi la résistance contre Israël a été criminalisée. L’article conclut en arguant que la réalisation d’une réforme de la sécurité pour assurer la stabilité dans le contexte de l’occupation coloniale et sans résoudre la question de l’asymétrie des rapports de force ne peut jamais avoir que deux résultats : une « meilleure » collaboration avec la puissance occupante et la violation de la sécurité des Palestiniens et de leurs droits nationaux par leurs propres forces de sécurité.
La réforme du secteur de la sécurité (Rss) est devenue un élément central de toute entreprise d’édification d’Etat [1]. Sous la direction de Salam Fayyad, Premier ministre de 2007 à 2013, l’Autorité palestinienne (PA) a adopté la Rss comme pilier de son projet d’édification d’Etat [2]. En plus d’améliorer les capacités des forces de sécurité par l’équipement et la formation, l’AP a voulu réformer les structures, la hiérarchie et la chaîne de commandement dans l’objectif déclaré de constituer une gouvernance et un contrôle démocratiques, en accord avec les exigences de ses principaux bailleurs de fonds internationaux [3]. Au fur et à mesure de la mise en œuvre de la Rss [4], la Cisjordanie occupée est devenue un espace de titrisation et le théâtre de campagnes sécuritaires dont le but ostensible était d’établir « la loi et l’ordre ».
La réforme du secteur de la sécurité en général, des forces de sécurité de l’AP (FSAP) et le renforcement de leur efficacité en particulier, ont été menés sous occupation militaire israélienne et dans le contexte d’une domination coloniale. Compte tenu du rapport de forces asymétriques entre Israël et les Palestiniens, ainsi que des conditions préalables fixées par Israël et par les bailleurs de fonds internationaux, la formulation de la doctrine sécuritaire palestinienne [5] équivalait à un diktat dont l’efficacité et la légitimité ont été accueillies avec un profond scepticisme par l’opinion publique en Cisjordanie. Pour comprendre l’ampleur de l’entreprise, il faut garder en mémoire que le secteur palestinien de la sécurité est aujourd’hui composé de 83.276 individus (Cisjordanie et Gaza), dont 312 brigadiers généraux – pour mettre ce dernier chiffre en perspective, l’armée des Etats-Unis dans son ensemble se targue d’avoir 410 brigadiers généraux – dont 232 rendent compte à l’AP et 80 au Hamas [6]. Le secteur de la sécurité emploie environ 44 pour cent de la totalité des fonctionnaires [7], représente près de 1 milliard de dollars du budget de l’AP [8], et perçoit environ 30 pour cent de l’aide internationale totale allouée aux Palestiniens [9].
En plus des programmes de formation et de l’amélioration de l’armement, la Rss lancée au lendemain de la Deuxième Intifada s’est appuyée sur les campagnes de sécurité menées par les Etats-Unis – qui ont entrainé les FSAP en Cisjordanie. Les objectifs des campagnes étaient de : – contrôler les activités du Hamas et du Jihad islamique, ainsi que celles de leurs branches armées, – contenir les militants affiliés au Fatah par la cooptation, l’intégration dans les FSAP et des mesures d’amnistie, – réprimer la criminalité et restaurer l’ordre public [10]. Les gouvernorats de Naplouse et de Jénine, plus particulièrement les camps de réfugiés de Balata et de Jénine, au nord de la Cisjordanie, qui étaient désignés comme des « bastions de la résistance » [qila‘a muqawameh] et/ou des « zones de chaos et d’anarchie » [manatiq falatan wa fawda] [11] ont été choisis comme « projets pilotes » de la Rss [12].
Ce que les Palestiniens ordinaires pensaient de ces campagnes, que ce soit en termes de sécurité ou de dynamique générale de la résistance contre l’occupation, constitue l’objectif principal de cet article. Les données ethnographiques présentées sont basées sur une étude, menée entre août et décembre 2012 dans les camps de réfugiés, qui combine entretiens semi-directifs et discussions de groupe avec des jeunes des deux sexes. L’échantillon de recherche englobe une grande variété de groupes sociaux et tend à refléter la voix des acteurs subalternes qui sont généralement marginalisés dans le discours et la littérature dominants : leaders locaux dans les camps, cadres de factions politiques de rang secondaire, membres de groupes armés, anciens combattants, hommes, femmes et enfants ainsi que des individus ayant été détenus par l’AP dans le cadre de campagnes de sécurité.
Ethnographiquement parlant, les similitudes entre les camps sont frappantes, et donc cet article ne comparera ni n’opposera les deux, mais utilisera plutôt les deux comme une unité-clé d’analyse unique. Pour l’essentiel, cet article soutient que l’objectif primordial de la Ssr en général, et des campagnes de sécurité en particulier, fut de criminaliser la résistance à l’occupation israélienne et de museler l’opposition à la domination coloniale. En conséquence, on peut considérer les campagnes comme les premières étapes de la transformation autoritaire de l’Autorité palestinienne, manifeste dans l’usage excessif de la détention arbitraire et la torture dans ses prisons, ainsi que dans le rétrécissement de l’espace pour que se fassent entendre les voix de l’opposition ou de la résistance dans le système politique palestinien.
Les camps de Jénine et de Balata sont situés au nord de la Cisjordanie occupée et ont été mis en place par l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) en 1953 et 1950 respectivement, pour héberger les Palestiniens déplacés et dépossédés dans le sillage de la Naqba de 1948. Avec une superficie de 0,42 km², le camp de Jénine abrite quelques 16.260 habitants, alors que le camp de Balata, qui est le plus important en terme de population en Cisjordanie, est construit sur une superficie de seulement 0,25 km² pour une population de 23.600 habitants. Les deux camps partagent des indicateurs socio-économiques similaires : la taille moyenne des ménages est de 5,5, environ 60 pour cent de la population a moins de 24 ans, et les taux de pauvreté et de chômage varient entre 35 et 40 pour cent [13].
Selon l’UNRWA, le chômage élevé, les écoles surpeuplées, la forte densité de population et les réseaux insuffisants d’eau et d’égouts sont quelques-uns des problèmes les plus urgents des camps [14].
En plus des conditions de vie difficiles, les résidents des camps souffrent de la répression et des persécutions continues de l’armée israélienne, dont des raids brutaux, des mesures répressives/rafles au nom de la sécurité. Ces camps ont été particulièrement ciblés par Israël en raison de leur rôle actif dans la résistance armée et dans l’encouragement à l’émergence des groupes armés. Les camps ont aussi joué un rôle majeur et d’avant-garde pendant les protestations populaires et la désobéissance civile de la Première Intifada (1987–93). Pendant la Deuxième Intifada (2000-2005), lorsqu’Israël s’est emparé de la Cisjordanie, Jénine fut le site d’une bataille éponyme en avril 2002, pendant laquelle, selon Amnesty International et Human Rights Watch, les Forces Israéliennes de Défense (FID) ont commis des crimes de guerre [15]. En plus des pertes humaines, des parties importantes du camp ont été complètement détruites et plus d’un quart de la population s’est retrouvé sans abri.
La résistance et la détermination du camp de Jénine au cours de cette bataille en ont fait le symbole de la résistance de la Deuxième Intifada, qui a été salué par le président de l’époque Yasser Arafat comme le Stalingrad des Palestiniens. « Jéningrad », comme Arafat l’a appelée, fut et reste une grande source de fierté de ses dirigeants et de ses habitants, et a joué un rôle central pour façonner l’identité collective de la population de réfugiés. Les camps de Balata et de Jénine ont vu la naissance de la branche armée du Fatah, les Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa, pendant la Deuxième Intifada. De fait, les FSAP n’ont pas été autorisées à entrer dans les camps car les factions armées contrôlaient les deux zones et y revendiquaient l’autorité [16]. Ce sont quelques-unes des raisons pour lesquelles ces camps sont restés une cible permanente pour Israël, et également pourquoi ils furent les premiers et principaux lieux à être visés par les campagnes de sécurité de l’AP [17].
Les campagnes de sécurité entreprises en 2007 furent des offensives menées en utilisant des tactiques traditionnelles musclées. Elles ont impliqué le redéploiement de forces de sécurités entraînées et équipées dans des localités qui contestaient l’autorité et le contrôle de l’AP, notamment l’objectif de l’AP d’établir un monopole de l’utilisation de la violence dans la sphère sécuritaire [18]. Ce n’était pas des activités sécuritaires régulières ou des opérations de routine, mais plutôt des offensives ciblées avec des objectifs, un échéancier, des méthodes et des stratégies.
Le jour de lancement des campagnes, les troupes des FSAP, bien habillées, bien équipées, bien entraînées et la plupart du temps masquées déferlaient dans les camps de Jénine et de Balata dans des dizaines de véhicules militaires neufs et achetés à l’étranger. Approchant des camps depuis de multiples points pour mieux établir leur contrôle, les Forces de sécurité de l’Autorité palestinienne (FSAP) coordonnaient leurs mouvements et leurs opérations avec l’armée israélienne, qui reste l’autorité suprême en Cisjordanie occupée. Elles entraient dans les camps par leurs ruelles étroites, avec des tireurs d’élite positionnés sur les toits des bâtiments stratégiques ou à proximité du centre des opérations. Les FSAP attaquaient les maisons pour arrêter les individus ciblés, chercher des armes dont les caches étaient découvertes et confisquer les armes individuelles. De violents affrontements s’en suivaient, tant avec les groupes armées qu’avec les habitants des camps résistant à l’offensive [19].
L’idée était de nettoyer les camps des armes non référées à l’AP, de mener un processus de désarmement, d’arrêter ceux qui remettaient en question l’autorité de l’AP et d’envoyer un message clair aux habitants du camp que l’AP était l’unique structure de gouvernance et de pouvoir autorisée. Etablir un monopole d’utilisation de la violence et consolider le pouvoir dans le secteur de la sécurité furent des objectifs essentiels puisque l’appareil sécuritaire de l’AP n’avait pu entrer dans les camps pendant la Second Intifada, lorsque les groupes armés conservaient le pouvoir ultime. Dans le cadre de son processus de réforme institutionnelle et de projet d’édification de l’Etat, au lendemain des élections législatives et présidentielles palestiniennes de 2006-2007 et de la fracture intra-palestinienne qui s’en est suivie, l’AP a visé les camps et systématiquement criminalisé la résistance [20].
A Naplouse, la campagne de sécurité a commencé en novembre 2007 et a été suivie en mai 2008 par une campagne similaire à Jénine qui fut nommée, de façon ironique, « Sourire et Espoir », pour suggérer que l’AP venait dans les camps pour ramener le bonheur des gens et leur redonner espoir après des années de non-droit [falatan amni]. Du point de vue de l’Autorité palestinienne, l’idée qui sous-tendait les campagnes était simple : « Nous voulions montrer aux donateurs et à Israël que l’AP pouvait gouverner la société palestinienne, » m’a dit un haut fonctionnaire de l’Autorité, « même dans des zones aussi intraitables que les camps de Balata et de Jénine. » [21]
L’idée de créer une réforme sécuritaire modèle était partagée aux plus hauts échelons internationaux [22]. Lors d’un diner avec Tony Blair, alors représentant du Quartet, et de hauts diplomates dans la région, le général états-unien Jim Jones avait « proposé une nouvelle approche » pour la pacification : plutôt que de se lancer dans un grand accord avec les Israéliens, il avait préconisé une approche fragmentaire qui impliquait de faire un « modèle » d’un endroit sous occupation israélienne et « Jénine Pilote » est né [23]. Décrit comme « une initiative israélienne », Jénine Pilote était « un programme actuellement mis en œuvre grâce à une coordination directe entre les Palestiniens et Israël, avec une participation américaine limitée. Le programme incluait la tentative de renforcer le camp palestinien modéré, dirigé par Abou Mazen [le président de l’AP Mahmoud Abbas], et d’appliquer les conclusions de la Conférence d’Annapolis. » [24] En conséquence, Jénine, a écrit un journaliste, « a acquis la réputation de zone de sécurité modèle où des bandes armés et des chefs de guerre ont été remplacés par des forces de sécurité organisées qui respectent une chaîne de commandement. » [25] L’ancien maire de Jénine a décrit plus tard 2008-2009 comme « l’âge d’or » [26] et un journaliste étatsunien comme une « révolution tranquille » [27].
De nombreux chercheurs ont critiqué le fait de transformer Jénine et Naplouse en modèles pour combattre d’autres localités cisjordaniennes [28]. Linda Tabar a fait remarquer que « au fil du temps, la résistance à Jénine a été matée en faisant intervenir séparément les technologies de pouvoir, y compris notamment une longue campagne de contre-insurrection coloniale qui a été suivie par des projets déterminés par des donateurs pour réorganiser le camp et rétablir la collaboration sécuritaire avec Israël. » [29] Dans le cas de Balata, Philip Leech a écrit que le succès apparent de l’AP à imposer la loi et l’ordre dans le camp (et à Naplouse en général) après 2007, ainsi que l’adhésion populaire initiale au programme sécuritaire de l’AP, « n’a pas recueilli l’aval de la légitimité de l’AP par l’opinion publique. Au contraire, le consentement fut superficiel et, à long terme, l’accélération du glissement de l’AP vers l’autoritarisme s’est avérée profondément invalidante pour la société palestinienne en général. » [30] En d’autres termes, un examen plus approfondi révèle que « ce consensus était superficiel et n’a pas duré. En avril 2012, le scrutin a suggéré que le niveau d’adhésion populaire au gouvernement Fayyad s’était globalement affaissé. » [31]
Ces observations critiques sont soutenues et amplifiées par les points de vue des résidents des camps interrogés pour cette étude. Un chef du Fatah du camp de Jénine s’exprimait comme suit pendant notre entretien : « Il n’y avait aucun phénomène de chaos sécuritaire [falatan amni]. L’AP a juste exagéré, ce qui reflète son incapacité à diriger. Ils ont utilisé la machine médiatique pour nous présenter comme une menace à la sécurité, tant aux niveaux national que local. » Une personne interrogée du camp de Balata, avec des opinions politiques de gauche, a utilisé la description suivante : « Il y a trois mots clés pour les campagnes sécuritaires de l’AP : mensonges, médias et argent [kizib, i‘lam, masari]. La machine médiatique était avec eux [l’AP] partout, à couvrir leurs mensonges ; et il n’y a pas pénurie de ressources lorsqu’il s’agit de la sécurité de l’AP. » Une jeune femme de Balata a dit que les campagnes sécuritaires étaient comme « donner à quelqu’un de l’aspirine [Tylenol] pour soigner un cancer. »
L’écart apparent entre le récit du peuple et celui des autorités est frappant. Dans le récit des gens de la base populaire, les mots associés aux projets d’édification de l’Etat post-2007 sont bailleurs de fonds, corruption et Etat policier [mumawilleen, fasad, dawlat bolees] [32]. Mais, plus intéressant, ces voix se concentrent sur la résistance comme le prisme à travers lequel explorer les implications de la Rss sur leurs vies et sur leur lutte nationale. En d’autres termes, ils mesurent les conséquences et l’efficacité de la Rss par rapport à son impact sur la capacité des gens à résister à l’occupation israélienne.
Les personnes interviewées estimaient que mener une réforme de sécurité pour assurer la stabilité dans le contexte d’une occupation coloniale, sans résoudre le déséquilibre du rapport de forces et sans revisiter les conditions des « accords de paix », ne peut jamais avoir que deux résultats : une « meilleure » collaboration avec la puissance occupante et la violation de la sécurité du peuple palestinien et de ses droits nationaux par son propre gouvernement et ses propres forces de sécurité.
Les réussites techniques à court terme des FSAP furent considérées comme fragiles, temporaires et subordonnées à la bonne volonté israélienne et à la générosité des donateurs. Le consensus de la base populaire était qu’en fin de compte il s’agissait de rapports de force. « La sécurité n’était que ça, » a résumé une personne interrogée dans le camp de Jénine. Les outils déployés par l’AP dans le processus comprenaient l’utilisation de la coordination sécuritaire comme doctrine ; l’utilisation (abusive) du système judiciaire pour consolider l’Etat de droit plus que rendre la justice ; l’usage des mécanismes de conciliation informelle et le recours à la force excessive qui a perpétué une culture de la peur et a jeté le discrédit sur la résistance à l’occupation israélienne.
En dépit des différences de contexte, de milieu social et autres variables démographiques, la grande majorité des personnes interrogées dans les deux camps partageaient des points de vue semblables sur l’efficacité des FSAP et affichaient des niveaux comparables de méfiance envers elles. Les attitudes qu’elles ont exprimées et les déclarations qu’elles ont faites au sujet des campagnes de sécurité vont à l’encontre du propre récit ronflant des autorités, qui met en évidence le manque de transparence et l’implication de la prise en main nationale.
Une Palestinienne travaillant dans un centre pour les femmes dans le camp de réfugiés de Jénine m’a dit : « Lorsque les campagnes de sécurité ont commencé en 2007, nous avons ressenti un peu d’optimisme. Mais ensuite les choses ont commencé à se détériorer, nous n’arrivions pas à comprendre ce qu’elles voulaient faire, quels types d’armes elles visaient, pourquoi elles arrêtaient les leaders locaux qui avaient mené l’Intifada ou pourquoi elles en tuaient d’autres. Nous leur donnions [aux FSAP] des fleurs et de la nourriture, nous leur faisions du café mais ils nous ont remercié avec des balles et en entrant dans nos maisons en défonçant les portes. » Un cadre du Fatah du camp de Balata, qui avait été un chef local pendant la Première Intifada, a dit : « Les campagnes sécuritaires ont fait des trous dans notre cause et dans notre lutte nationale comme dans nos corps, et les Forces de sécurité de l’AP n’ont jamais essayé de les réparer. Avec les campagnes de sécurité, l’AP a transformé nos communautés en gruyère… pleines de trous. »
Pendant mon travail sur le terrain, le manque de confiance entre les FSAP et les habitants du camp était tangible dans le langage dominant sur l’autre (« eux » et « nous »). Un jeune du camp de Jénine a conclu que « le camp a été visé non pas parce que nous sommes une bande de voyous et de criminels, comme nous dépeignent les FSAP, mais parce que nous sommes comme un arbre plein de fruits : tout le monde veut lancer une pierre pour en attraper un pour son bénéfice égoïste. » Pour sa part, un cadre féminin dans le camp de Balata a affirmé que « lorsque les gamins des camps commencent à accueillir les FSAP avec des fleurs et non des pierres, » alors il peut y avoir une lueur d’espoir pour combler l’écart de légitimité.
En plus de la sphère opérationnelle, la méfiance envers le système sécuritaire de l’AP s’est étendue aux sphères judiciaires, formelles et informelles. Afin de donner au processus un peu de légitimité, les FSAP se sont d’abord appuyées sur les leaders locaux dans les camps pour faciliter les campagnes de sécurité et exécuter des opérations particulières. Ces chefs faisaient partie intégrante du désarmement et de la collecte des armes et percevaient des compensations financières quand les armes étaient remises à l’AP. Non seulement les résidents du camp ont fortement contesté ce rôle de facilitation, mais ils ont aussi allégué que les chefs locaux ont tiré des profits financiers des campagnes de sécurité. De façon ironique, après la reprise en main, les FSAP ont écarté les leaders locaux et ont arrêté beaucoup d’entre eux.
Le chef de la commission des services du camp de Jénine dirigée par le Fatah était impatient de relater ce qui suit :
« Une fois que nous avons livré… remis… les agents du Hamas et du Jihad Islamique, ainsi que les voyous ordinaires à l’AP, ce fut notre tour (au Fatah). Les dirigeants de l’AP, aidés par leur doctrine et leur appareil sécuritaires, ont démantelé notre branche armée, ils ont confisqué nos armes, au fond en nous roulant – et nous avons dit d’accord, nous acceptons ça. Mais maintenant, ils nous raflent, ils essaient de nous faire renoncer à nos principes et à nos idéaux, à changer nos convictions politiques, et par-dessus le marché ils nous menacent de perdre nos emplois. En mai de cette année, après le décès du gouverneur de Jénine, l’AP a arrêté et torturé quelques sept cents personnes du camp. En bref, ces opérations de sécurité inutiles ont abouti à la perte de toute légitimité de l’AP dans le camp – si elle en avait jamais eu. »
En outre, les FSAP ont contraint les gens à obéir aux conclusions des mécanismes informels de justice et les ont dissuadés de chercher à obtenir réparation par des voies plus officielles [33]. Les FSAP ont commis de nombreuses violations des droits de l’homme, telles la torture de prisonniers politiques, l’humiliation publique et la détention sans inculpation, et les familles et les clans ont été contraints de faire face à ces excès à titre personnel, par les dispositifs traditionnels de la conciliation tribale plutôt que par des tribunaux ou par le système judiciaire officiel. Ces questions furent réglées entre « tasse de café et conciliation » [finjan qahwa wa ‘atwa], renforçant encore l’écart de légitimité et amplifiant la méfiance.
Une femme de 35 ans vivant dans le camp de Jénine m’a dit :
« Mon époux a été arrêté et torturé par l’AP pendant quarante-cinq jours. Lorsque nous avons voulu porter plainte contre l’AP, l’ainé de la famille est venu chez nous, à la demande de l’Autorité palestinienne, avec cinquante hommes derrière lui pour pousser mon mari à résoudre le problème à l’amiable. Ils nous ont tués et ils voulaient qu’on résolve la question à l’amiable ! Nous n’avions pas le choix… Mais bien sûr, ce que cela signifie, c’est que nous porterons en nous cette souffrance et cette humiliation jusqu’à la fin de nos jours. Je ne pardonnerai jamais quiconque nous oblige à renoncer à nos droits. »
La priorité des FSAP était de consolider le pouvoir et de garantir qu’elles avaient le monopole de l’utilisation de la violence dans la sphère politique, quelles qu’en soient les conséquences. Leur mission était d’établir la règle de « un fusil, une loi, une autorité » [34], un slogan électoral majeur de la campagne électorale d’Abbas en 2005 et un principe cardinal des gouvernements Fayyad successifs après 2007 – même si cela se faisait au détriment de la sécurité du peuple, des droits humains fondamentaux ou bien sûr de leur capacité à résister à l’occupation. En fait, la mise en œuvre du slogan « un fusil, une loi, une autorité » signifiait d’affronter bille en tête la notion et la pratique de résistance, et en particulier la résistance armée à l’occupation israélienne.
Les campagnes sécuritaires de l’AP ne furent pas seulement illégitimes aux yeux de leurs cibles mais elles ont également eu des effets délétères sur le mouvement de la résistance, et c’est ce message qui a constitué l’essentiel de ce que les voix de la base populaire exprimaient. L’« échec délibéré » de l’AP, comme l’a dit une personne interviewée pour faire une distinction claire entre « les armes de l’anarchie » et celles de « la résistance armée » signifiait que les gens étaient également ciblés, qu’ils fussent des criminels ou des résistants. Comme l’a demandé avec éloquence un résident du camp de Balata, « comment un voleur peut-il être détenu dans la même prison qu’un muqawim (combattant de la liberté) ?
Criminaliser la résistance contre l’occupation israélienne fut un thème commun invoqué par les personnes interrogées. Un ancien membre des Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa du Fatah, qui fut arrêté pendant les campagnes de sécurité de Jénine, a fait ces commentaires :
« Ils nous considèrent comme des criminels et nous traînent devant les juges des tribunaux militaires parce que nous résistons à l’occupation. Est-ce un crime de résister à l’occupation ? C’est certainement un devoir pour un peuple occupé ! Ils veulent juste nous soumettre et nous dépouiller de notre dignité (…). J’ai été torturé dans la prison de Jéricho de l’AP pendant quatre-vingt-trois jours, sans inculpation ni accès à un avocat. Ensuite, ils m’ont désigné un avocat qui m’a conseillé d’avouer et de signer une déclaration disant que je m’abstiendrai de m’engager dans une soi-disant activité criminelle. Je suis un combattant de la liberté. Je ne suis pas un voleur ! »
Un autre ancien membre des brigades qui a également été arrêté lors d’une des campagnes de sécurité à Naplouse a été détenu par l’AP pendant cinquante-quatre jours à al-Juneid (Naplouse), puis pendant trente-deux autres jours à la prison d’Al-Dhahiriyya à Hébron (du 25 juin au 27 juillet 2012). Bien qu’il ait réussi à intégrer la police civile de l’AP et qu’il soit père de quatre enfants, il a été mis en détention sur plusieurs accusations ambiguës et parfois contradictoires, parmi lesquelles : constituer une menace sécuritaire pour sa communauté ; être toxicomane et dealer ; participer à des activités criminelles et de corruption ; détention et trafic d’armes ; être un partisan de Mohammad Dahlan [35] ; et même être membre du Hamas ! En novembre 2007, il avait remis deux fusils à l’AP, un M16 court avec un logo israélien et un M16 long arborant un cèdre du Liban ; il a reçu 18.500 $ pour les deux armes, ainsi qu’une amnistie israélienne conditionnelle d’un mois après leur remise. Le document d’amnistie, qu’il a sur lui en permanence (et qu’il m’a montré pendant l’entretien), indique que si quiconque le signale, ou s’il est vu en compagnie de personnes recherchées par les autorités, ou s’il porte n’importe quel type d’arme, y compris son arme de service remise par l’AP, l’amnistie sera annulée.
« Dans la prison al-Dhahiriyya, c’était la ‘fête au terrorisme’ [haflet irhab]. Il y avait du sang sur les murs et les bruits des tortures se répercutaient dans tout le bâtiment – alors qu’on avait les yeux bandés, on entendait les gens crier et hurler, les portes claquaient, le bruit des gens qu’on cognait contre les murs (…). Je pose la question, où ont-ils appris toute cette agressivité ? Ils ont pris du plaisir à me torturer. J’ai passé des jours dans une cellule minuscule, 1m20 x 2m. Un jour, ils sont arrivés avec un seau d’eau sale et ils l’ont jetée dans la cellule. C’était un cauchemar : torture, interrogatoire, être suspendu pendant des heures selon la technique du ‘shabeh’ [36], être sous surveillance constante avec des caméras et des capteurs sonores partout, être privé de sommeil la nuit, l’irruption dans les cellules après minuit, le changement d’interrogateurs tous les jours, etc. etc. – et tout ça parce qu’ils voulaient que je cesse de résister à l’occupation ! »
Notre conversation fut interrompu par une sirène très forte, qui s’est avérée être la sonnerie de son téléphone portable. Il a continué son récit, avec de l’amertume dans la voix, ses jambes tremblaient et il transpirait abondamment. « Ces cinquante-quatre jours furent les pires de ma vie. J’avais de longues conversations avec les araignées, les fourmis et les moustiques dans ma cellule. Je ne cessais de leur dire : prenez votre part de mon sang et laissez-moi tranquille ! J’observais intensément les mouvements des fourmis dans ma cellule (…) ! Je les nourrissais puis je les tuais. C’est exactement ce que l’AP fait avec nous. Ils paient nos salaires puis ils viennent nous tuer. »
Il s’est interrompu, a mis les mains sur son ventre et a dit qu’il se sentait mal. Continuant à transpirer et à trembler, il a ajouté : « Chaque fois que je parle de ça j’ai d’énormes douleurs dans le ventre et dans tout le corps. » Cet homme a fini par être libéré de prison après que le Président Abbas a signé des amnisties sécuritaires au moment du Ramadan et de l’Eid al-Fitr cette année. Craignant qu’il aille voir une organisation de défense des droits de l’homme pour porter plainte, les FSAP lui ont demandé une garantie fiscale de 7.000 livres jordaniennes (environ 10.000 $) souscrite par la Chambre de Commerce de Naplouse. Elles lui ont également demandé de signer l’engagement, écrit en arabe, en anglais et en hébreu, de ne porter aucune arme, de ne pas voyager ou circuler en Cisjordanie, et d’être en garde à vue la nuit au poste de police principal de Naplouse entre 20h et 8h du matin, toutes les nuits.
Pendant nos deux heures de conversation, l’un des chefs de la bataille de Jénine en 2002 qui était sur la liste israélienne des personnes les plus recherchés pendant la Deuxième Intifada, a décrit son arrestation et sa détention dans la prison de l’AP à Jéricho entre mai et octobre 2012 :
« Le chef de la Police civile m’a appelé pour aller prendre un café avec lui, mais quand je suis arrivée, c’était un piège. Tout d’un coup, des membres des forces de la sécurité préventive ont surgi dans le bureau, m’ont brutalement attaché les mains dans le dos, m’ont mis une capuche sur la tête et m’ont traîné dans les escaliers jusqu’à leur jeep. Ils m’ont conduit à Jéricho, en passant tous les checkpoints israéliens. Quelle ironie de voir que chaque checkpoint israélien s’ouvrait pour moi pendant que l’AP m’arrêtait ! Je les ai même entendu dire [les FSAP], en hébreu par téléphone, ‘On l’a eu!’. J’ai des problèmes de santé, j’ai toujours cinq balles dans les jambes et quatre dans le dos depuis 2002. Une bombe m’a aussi explosé à la figure en 2002 mais les FAPS ont refusé que les médecins m’examinent en prison. Après avoir été enfermé dans une cellule au sol sale et humide pendant une semaine, j’ai eu une infection bactérienne au dos. Après ils ont commencé les tortures physiques, ils me cognaient violemment contre le mur et ils m’ont maintenu renversé et attaché par les mains et les pieds à une petite chaise selon la technique du « shabeh » pendant trois jours. Après huit jours de ce régime et bien que j’avais le droit d’avoir un matelas, ils ont refusé de m’en laisser avoir un si je n’avouais pas un crime que je n’ai jamais commis. Pendant mes cinq mois de prison, je n’ai pas été une seule fois interrogé par le procureur. Ils ont fait un exemple avec moi, pour montrer à tous les autres prétendus prisonniers sécuritaires qu’il n’y a pas d’exception et que même les dirigeants de la résistance armée peuvent être arrêtés et torturés. Ils m’ont bandé les yeux et m’ont jeté au sol, la tête sous les bottes de celui qui m’interrogeait et ils ont ouvert la petite lucarne d’observation en haut de la porte pour que les autres prisonniers me voient dans cet état. C’était tellement humiliant (…), en parler me perturbe, je suis bouleversé. »
Un habitant de Balata a résumé les conséquences de la campagne de sécurité sur l’espace disponible pour la dissidence de la façon suivante : « Depuis 2007, les rassemblements publics ne sont autorisés qu’à trois occasions : les mariages, les funérailles ou les rassemblements de prison. » Un chercheur de terrain local travaillant pour une grande organisation palestinienne de défense des droits de l’homme m’a dit que les violations du droit étaient courantes, notamment « les arrestations et les raids des domiciles sans mandat judiciaire, les interrogatoires prolongés dans les locaux des forces de sécurité sans inculpation ni procès, la comparution devant un tribunal après des semaines de détention sans inculpation, pas d’inculpations officielles ou d’accusations spécifiques. » Il a ajouté : « En fait, je viens de recevoir un appel des Forces de la sécurité préventive me demandant d’aller les voir, et je suis sûr qu’ils veulent m’interroger sur le dernier rapport que j’ai écrit. »
Quelques semaines après sa libération, un jeune de 18 ans du camp de Jénine, avec de marques de torture toujours visibles sur de nombreuses parties du corps, m’a dit : « J’ai été accusé de trouble et menace à l’ordre public en tant que chef du gang des Diables. Ils m’ont accusé d’avoir écrit une déclaration et de l’avoir distribuée dans tout le camp, mais il se trouve que je ne sais ni lire ni écrire ! »
Debout dans son atelier, un charpentier de 24 ans, le visage triste et les mains et les jambes tremblantes, me raconte :
« J’ai été arrêté et emprisonné trois fois dans les geôles de l’AP à Jéricho et à Jénine. Je n’ai jamais été autant humilié de toute ma vie que pendant cette année-là. Douze jours sans dormir, attaché dans une position douloureuse à une chaise cassée. Les chaînes que j’avais aux mains mordaient ma peau et mes os. Dix-sept jours d’isolement dans une cellule glaciale, avec un matelas pourri et dégoûtant et les pires repas possibles. Je me croyais à Guantanamo. A Jéricho, la prison est souterraine et elle compte vingt-huit cellules, trois salles plus grandes, une cuisine qui est souvent utilisée pour la torture, et une salle d’interrogatoires qui comprend une unité dite de soins de santé. C’est le même modèle que les prisons israéliennes. »
Il ressort clairement de ces témoignages et d’autres similaires que beaucoup de gens, dans les deux camps, qu’ils soient des acteurs de la société civile ou des membres d’organisations locales, considèrent que les objectifs des campagnes de sécurité furent la création d’une culture de la peur pour que l’AP puisse consolider son pouvoir et montre sa capacité à gouverner des espaces réputés difficiles. La dynamique de la coordination sécuritaire avec Israël est telle que pour les résidents des camps, les sources d’insécurité internes, ou d’origine intérieure, forment encore une autre strate de peur et d’humiliation dans leur expérience de l’occupation israélienne.
La coordination de la sécurité avec Israël est une caractéristique déterminante de la doctrine de l’Autorité palestinienne en matière de sécurité, et une source majeure de tension entre le peuple palestinien et ses représentants. [38] Bien qu’elle soit un sous-produit des Accords d’Oslo de 1993 [39], cette coopération est devenue la question principale dans le projet d’édification de l’État par l’AP. Elle a ensuite été écrite dans le marbre dans la période qui a suivi 2007. [40]
Mais ses détracteurs considèrent que la coordination sécuritaire a eu un impact préjudiciable sur la légitimité de l’Autorité palestinienne, et elle est perçue par beaucoup de Palestiniens comme une forme de trahison nationale. [41] Cette collaboration entre les PASF et l’armée israélienne se manifeste de plusieurs façons, notamment: l’arrestation par les PASF des suspects palestiniens recherchés par Israël; la suppression des manifestations palestiniennes contre les soldats israéliens et/ou les colons; le partage du renseignement entre l’armée d’occupation et les PASF; la politique de la porte tournante entre les prisons israéliennes et palestiniennes par laquelle les militants palestiniens font des passages successifs pour les mêmes infractions; des réunions, des ateliers et des formations régulières etre israéliens et Palestiniens. [42]
En mai 2014, le président Abbas a déclaré que « la coordination de la sécurité [avec Israël] est sacrée, [c’est] sacré. Et nous allons continuer, indépendamment de nos désaccords ou accords sur le plan politique »[43]. Cependant, la grande majorité des Palestiniens ne sont tout simplement pas d’accord. Un sondage auprès des habitants palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza par le «Arab Center for Research and Policy Studies» [Centre arabe pour les études de la recherche sur les politiques] en 2014, a montré que 80% des personnes interrogées s’opposaient à la poursuite de la coordination sécuritaire avec Israël. [44]
Ce désaccord fondamental entre le public palestinien et sa direction politique officielle a entraîné une colère populaire, ce qui a mené à des manifestations qui ont été violemment réprimées. Une telle colère se reflète également dans la façon dont les PASF sont perçus. Après 2007, les PASF étaient souvent appelées « les forces de Dayton », en référence au lt. Gen. Keith Dayton, l’architecte en chef de l’équipe des coordonnateurs de la sécurité des États-Unis (USSC), responsable de la formation des neuf bataillons qui ont mené les campagnes repressive dans les camps de réfugiés de Balata et Jénine.
Dans un discours tenu en 2009 à Washington, Dayton a salué les « nouveaux hommes palestiniens » que son équipe avait formés et a cité des commandants de l’IDF qui lui demandaient: « Combien de plus de ces nouveaux Palestiniens peuvez-vous produire et à quelle rythme ? » Le général américain a également fait référence aux paroles d’un haut fonctionnaire palestinien qui s’exprimait devant une classe de gradués du PASF en Jordanie, formés sous les auspices de l’USSC. « Vous n’avez pas été envoyés ici pour apprendre à lutter contre Israël », a déclaré le fonctionnaire, selon Dayton: « mais vous avez été plutôt envoyés ici pour savoir comment conserver l’ordre public, respecter le droit de tous nos citoyens et imposer la loi afin que nous puissions vivre en paix et en sécurité avec Israël ». [45] De telles déclarations, en plus des révélations des Documents palestiniens [46], ont encore alimenté les perceptions négatives du public sur la doctrine de la collaboration sécuritaire et sur ses implications sur la vie des Palestiniens. [47]
La grande majorité des personnes interrogées dans les camps [de réfugiés] ont exprimé leur mécontentement à l’égard de la coordination sécuritaire. Un responsable communautaire dans le camp de Jénine m’a dit: « Je n’ai pas de problème avec [cela] tant que c’est réciproque. Cependant, ce n’est pas le cas. Ce sera une histoire entièrement différente lorsque l’AP pourra demander à Israël d’arrêter un colon et de protéger la sécurité des Palestiniens. Il n’y a pas de sens dans la coordination, mais seulement de la domination ». Un responsable de communauté du camp de Balata l’a dit plus brutalement: « Les campagnes de sécurité ont fait une chose: elles ont minimisé le nombre des agressions israéliennes et ont confié aux PASF le rôle des forces d’occupation. Elles ont en fait instaurer une division du travail ».
La politique de la porte tournante (al-bab al-dawar) était particulièrement sensible pour ceux qui en avaient souffert. Une des personnes interrogées dans le camp de Jénine qui avait passé du temps dans les prisons israéliennes et palestiniennes m’a expliqué : « J’ai été détenu pendant neuf mois dans la prison des Forces de sécurité préventives de l’AP parce que j’appartenais au Hamas. Trois semaines après ma libération de la prison de l’AP, Israël m’a arrêté exactement sur les mêmes accusations. Ils ont littéralement utilisé les mêmes mots. » De son côté, un cadre de Fatah âgé de trente-trois ans du camp de Balata m’a raconté : » Après six mois de détention administrative [sans inculpation ni procès] dans une prison israélienne et avant que je puisse jouir de la liberté, les forces de la PA ont attaqué notre maison après minuit et m’ont emprisonné pour une période de huit mois. Ils ne m’ont pas posé de questions en prison. Ils m’ont simplement montré un document et ont dit « beseder » [« bien », en hébreu]; « beseder, votre dossier est prêt, et maintenant tout ce que vous avez à faire est d’attendre la miséricorde de Dieu! » Même ceux qui pensaient que les campagnes de sécurité et les réformes avaient permis des résultats positifs restaient prudents en exprimant une satisfaction muette.[48]
Le personnel de sécurité de l’Autorité palestinienne a des vues complètement différentes de celles du grand public. Ils ont compris leur travail en termes techniques et ont exprimé une forte volonté d’en appliquer les règles, car cela leur a été expliqué par leurs commandants. « Les affaires sont les affaires et je fais mon travail », m’a déclaré un membre des PASF à Naplouse. « Allez demander aux gens et vous vous rendrez compte que nous faisons bien les choses et que tout les autres ont tort », a-t-il ajouté. « Vous ne pouvez pas avoir deux coqs dans la même basse-cour », a déclaré en toute confiance un autre agent local de sécurité. « Ce sont les forces de sécurité de l’AP ou les milices et les factions armées. Il n’y a pas de justification pour l’existence de l’Autorité palestinienne si sa tâche numéro un n’est pas une application de la sécurité. » Un agent des forces de sécurité préventive mentionnées ci-dessus le déclare comme suit: » Il n’y a pas de résistance (et encore moins de résistance armée) et c’est pourquoi les conditions de sécurité sont meilleures. Malheureusement, les campagnes de sécurité signifient également que l’AP doit s’occuper de celle [de ses agents] (al-Sulta lazim ta’kul wladha). Je veux dire que tout le monde parle de prisonniers et de torture, même s’il n’y a rien de tel, mais personne ne parle des problèmes auxquels sont confrontés les interrogateurs. C’est leur travail et ils doivent interroger les prisonniers, mais personne ne les protège si les prisonniers décident plus tard d’appliquer des représailles ».
Lorsqu’on l’interroge sur la violence des PASF et leur utilisation excessive de la force pendant les descentes de police et dans les prisons de l’AP, un agent de sécurité au bureau de liaison de la police de Naplouse m’a dit: « Bien, l’utilisation excessive de la force peut être un problème, mais dans certains cas il n’y a pas d’autre choix que d’y recourir. Le droit international permet l’utilisation de la force selon ce que les experts européens et locaux nous ont enseigné. Mais ces lois sont très biaisées [vers l’humanitarisme] et elles doivent être adaptées parce que nous avons besoin de plus de marge de manœuvre pour utiliser la force physique avec les détenus. » Lorsque j’ai cité ces paroles à un haut responsable du ministère de l’Intérieur de l’AP, sa première réaction a été de demander: « Pourquoi êtes-vous surpris ? C’est notre travail. » Il a ensuite ajouté: « En fin de compte, le fait que les forces de sécurité palestiniennes opèrent sous le contrôle de l’occupant est embarrassant pour tout le monde parce que les gens souhaitent que ces forces de sécurité les protègent contre les Israéliens, mais cela n’arrivera jamais. »
La réforme du secteur de la sécurité dans le cadre de l’édification de l’État post-2007 de l’AP ne visait pas seulement à améliorer le fonctionnement et l’efficacité des PASF et à assurer la stabilité et la sécurité d’Israël, mais elle a également cherché à endiguer la résistance à l’occupation et à la domination coloniale d’Israël en criminalisant le militantisme et en démantelant son infrastructure de base. L’AP et ses forces de sécurité ont utilisé le harcèlement, la mise à l’écart, l’arrestation, la détention et la torture contre ceux qui se sont engagés à résister à Israël, et ont démantelé les structures qui soutiennent une telle résistance grâce à la conduite de campagnes de sécurité agressives dans les espaces les plus militants de la Cisjordanie occupée.
Comme l’ont suggéré les témoignages recueillis auprès des personnes ordinaires – ce que j’ai appelé les voix de base – dans les camps de réfugiés de Balata et Jénine, les campagnes de sécurité ont été largement perçues comme illégitimes et inefficaces. Ces voix de base contestent fondamentalement l’affirmation selon laquelle les PASF faisaient leur travail pour maintenir l’ordre public, et soutiennent que plutôt que d’éprouver un sentiment de sécurité plus élevé, ils ont assisté à la transformation de l’AP en un régime autoritaire dont les forces de sécurité se rapprochent de celles d’un Etat policier en gestation. En somme, alors que la référence de la réforme de la sécurité était de mettre en place une institution de sécurité professionnelle, les gens ordinaires voulaient une protection contre leur principale source d’insécurité, à savoir l’occupation militaire israélienne. Comme l’a dit une des personnes interrogées : « Cela ne signifie rien pour moi si nous avons les forces de sécurité et l’armée les meilleures du monde si elles ne sont pas capables de me protéger. »
Recueillir l’opinion des gens ordinaires est une tâche particulièrement difficile. Dans le cas présent, non seulement parce que les problèmes de sécurité sont sensibles en soi, mais aussi en raison du degré élevé de frustration et de désespoir parmi les Palestiniens après les deux dernières décennies d’occupation israélienne, et à cause d’une Autorité de plus en plus répressive. En sortant du camp de Jénine le dernier jour de mon enquête de terrain, j’ai vu un certain nombre de personnes se rassembler autour d’un homme. « Quand mon enfant veut mourir, il est si douloureux d’entendre un tel souhait », criait-il aux passants. « Comme je n’ai pas un shekel à lui donner, je préfère encore mieux me tuer. Lorsque les dirigeants palestiniens nous pendent à l’envers dans les airs, qu’est-ce qui reste de cette vie ? » Tenant une bouteille remplie d’essence et des allumettes d’une main, et sa fille dans l’autre, il n’a été dissuadé de se mettre le feu que par les cris terrorisés de son enfant. De tels incidents ne sont pas particulièrement exceptionnels lorsque la misère, la colère et l’injustice sont les caractéristiques dominantes de la vie quotidienne.
* Alaa Tartir est directeur de programme d’al-Shabaka : The Palestinian Policy Network, et chercheur post-doctorat à l’Institut universitaire des Hautes Études internationales et du développement, à Genève.
mercredi 3 mai 2017
Le Hamas a officiellement reconnu l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) comme le « cadre national » du peuple palestinien, mais demande qu’elle « soit reconstruite sur des fondements démocratiques pour protéger les droits des Palestiniens ».
Cette reconnaissance historique est énoncée dans un nouveau document « de référence » dévoilé à Doha lundi et tranche énormément avec la charte d’origine du Hamas qui était conçue comme une alternative à l’OLP.
Le Hamas demande la refonte de l’OLP. Il stipule que l’organisation : « doit donc être préservée, développée et reconstruite sur des fondements démocratiques afin d’assurer l’implication de toutes les composantes et forces du peuple palestinien, d’une manière qui protège les droits des Palestiniens. »
L’OLP doit donc être préservée, développée et reconstruite sur des fondements démocratiques – Document du Hamas
En outre, le Hamas mentionne le rôle de l’Autorité palestinienne, qui doit consister à « servir le peuple palestinien et assurer sa sécurité, ses droits et son projet national ».
Autre grande première, le Hamas a officiellement accepté les frontières du 4 juin 1967 pour un État palestinien. Cette reconnaissance est loin d’être une solution à deux États, car le Hamas refuse de reconnaître Israël ou « toute alternative à la libération pleine et entière de la Palestine, du fleuve [Jourdain] à la mer ».
Il rejette également les accords d’Oslo et tous les accords qui en découlent.
Il précise qu’il accepte les frontières de 1967, uniquement avec Jérusalem comme capitale et le retour des réfugiés dans leurs foyers, comme une « formule de consensus national ».
S’exprimant à Doha après la révélation du document lundi, le dirigeant politique du Hamas, Khaled Meshaal, a déclaré que celui-ci visait à rendre « limpides » les véritables convictions du Hamas.
« Le Hamas est un mouvement viable et renouvelable en matière de sensibilisation idéologique et de performance politique, de même qu’il se développe dans ses aspects de lutte et de combat », a-t-il déclaré.
« C’est un résultat naturel du développement du Hamas en tant que mouvement. »
Il a ajouté que le Hamas « se développait sans perdre de vue ses principes fondamentaux ni renoncer aux droits établis et aux exigences de notre peuple. »
Une source du Hamas a déclaré à MEE : « Ce n’est pas la solution à deux États, car les deux États ne se reconnaîtront pas. Peut-être que certains États arabes se réjouiront de voir évoquées les frontières de 1967, mais les conditions nécessaires pour accepter cela ne seront pas acceptées par l’Initiative de paix arabe. »
« Quand on parle du droit au retour, de ne pas reconnaître le droit d’Israël d’exister, de ne céder aucune partie de la Palestine, Israël n’en sera pas satisfait. Ce n’est pas fait pour satisfaire ces acteurs extérieurs. C’est pour que les gens du mouvement s’expriment. »
Israël a immédiatement dénigré le document. David Keyes, un porte-parole du bureau du Premier ministre, a déclaré : « Le Hamas essaie de tromper le monde, mais il ne réussira pas. »
« Ils construisent des tunnels terroristes et ont lancé des milliers et des milliers de missiles contre des civils israéliens. Voilà le vrai Hamas. »
Le troisième engagement majeur du document publié lundi stipule que le combat du Hamas est contre le sionisme et non le judaïsme. C’est le principal revirement par rapport à sa charte d’origine, qui a été largement condamnée par les libéraux au sein du mouvement et ses détracteurs extérieurs comme étant grossièrement antisémite.
Le nouveau document indique : « Le Hamas affirme qu’il s’oppose au projet sioniste et non aux juifs en raison de leur religion. Le Hamas ne lutte pas contre les juifs parce qu’ils sont juifs, mais lutte contre les sionistes qui occupent la Palestine. »
Le document continue toutefois d’ajouter la mise en garde selon laquelle c’est le sionisme qui se réfère au judaïsme et aux juifs dans son identification de la terre d’Israël.
Le statut du nouveau document a fait l’objet d’un débat interne. Des responsables du Hamas soutiennent que le document est censé servir de nouveau « point de référence », bien qu’il ne remplace pas sa charte originale, écrite en 1988 lors de la création du mouvement.
« Le Hamas affirme qu’il s’oppose au projet sioniste et non aux juifs en raison de leur religion » – Document du Hamas
Une source ayant connaissance du processus interne qui a permis de produire le document a déclaré : « Le Hamas est très sensible en raison de l’histoire de l’OLP, lorsque l’OLP a subi des pressions pour qu’il annule sa charte. »
« Le Hamas ne le fera pas sous la pression. C’est pourquoi il est délicat d’affirmer que le document remplace la charte. »
Néanmoins, la source a déclaré que contrairement à la charte, qui a été écrite par un seul homme, le document de ce lundi a été le fruit de quatre ans de débat interne et a obtenu un large consensus à travers le mouvement.
Le document, qui comporte d’autres ruptures par rapport au passé, tente de moderniser la vision et les objectifs politiques du Hamas.
Le document ne fait aucune mention des Frères musulmans, abandonnant ainsi dans les faits la connexion qui a été énoncée explicitement dans la charte de 1988.
Il indique seulement que le Hamas est un mouvement national palestinien « avec une référence islamique ».
Le document mentionne également les Palestiniens chrétiens et leurs lieux saints et décrit plus clairement l’importance des femmes et des jeunes.
« Les femmes palestiniennes jouent un rôle fondamental dans le processus de construction du présent et de l’avenir, tout comme elles ont joué un rôle fondamental dans l’histoire de la lutte palestinienne, souligne le document. Ce rôle est central dans le projet de résistance, de libération et de construction du système politique. »
Alors que la charte du Hamas prenait la lutte armée comme base de la résistance à l’établissement d’Israël, le nouveau document se réfère également à la résistance non violente.
« La gestion de la résistance, en matière d’escalade ou de désescalade ou en matière de diversification des moyens et des méthodes, fait partie intégrante du processus de gestion du conflit et ne doit pas se faire au détriment du principe de résistance », précise le document.
« L’indemnisation des réfugiés palestiniens […] va de pair avec leur droit au retour » – Document du Hamas
Le document évoque également le rôle de la société civile palestinienne pour mettre fin à l’occupation : « La société palestinienne est enrichie par ses personnalités de premier plan, ses figures, ses dignitaires, ses institutions de la société civile et ses groupes de jeunes, d’étudiants, syndicaux et de femmes qui œuvrent ensemble en vue d’atteindre les objectifs nationaux et de parvenir à la construction de la société, de poursuivre la résistance et d’obtenir la libération. »
Ce n’est que sur un point phare que le nouveau document durcit le ton officiel du Hamas : le mouvement rejette toutes les tentatives visant à effacer les droits des réfugiés, y compris les efforts déployés pour les installer en dehors de la Palestine et les projets de patrie alternative.
« L’indemnisation des réfugiés palestiniens pour le préjudice qu’ils ont subi en raison de leur bannissement et de l’occupation de leurs terres est un droit absolu qui va de pair avec leur droit au retour », stipule-t-il.
« Ils doivent recevoir une compensation à leur retour et cela ne nie ni ne restreint leur droit au retour. »
Ce document est considéré comme le dernier acte de Meshaal, démissionnaire de son poste de chef du bureau politique du Hamas.
Trente ans après sa naissance, le Hamas connaît des évolutions substantielles, aussi bien programmatiques qu’organisationnelles. À bien des égards, l’année 2017 constitue un tournant dans l’histoire du mouvement islamiste palestinien, avec le départ de Khaled Mechaal, le renouvellement de ses cadres dirigeants et la publication d’un nouveau document politique.
Président du bureau politique du Hamas depuis 1995, Khaled Mechaal quitte la direction du mouvement. Si, depuis 2009, les procédures internes limitent la présidence à deux mandats successifs et ne lui permettent pas d’être de nouveau candidat, il affirme à Orient XXI (17 avril) que cette restriction coïncide avec sa décision personnelle de se désengager de la direction de l’organisation. C’était d’ailleurs ce même choix qu’il avait formulé dès 2013, affirmant clairement à l’époque : « Lors des dernières élections je ne souhaitais pas me représenter à la direction du bureau politique (maktab al-siyassi), mais mes frères m’ont encouragé dans le sens inverse et ont fini par me convaincre ».
Son retrait ne l’empêchera pas de continuer à peser sur la ligne politique du mouvement dans le futur, comme il le confirme :
Je suis l’un des membres élus de la nouvelle assemblée consultative (majlis al-choura). Mais ce qui m’importe le plus est de savoir comment servir au mieux la cause palestinienne qui continue de souffrir des divisions politiques internes et de l’occupation. Ma seule responsabilité est de savoir comment améliorer la situation des Palestiniens. Je ne suis pas obligé d’être dans le parti pour cela. Le parti n’est rien d’autre qu’un moyen pour servir la cause.
Le départ de Khaled Mechaal coïncide avec l’annonce de la publication officielle d’un nouveau « Document de principes et de politique généraux » (en anglais :A Document of General Principles & Policies). Loin du ton antisémite de la charte de 1998, ce nouveau document propose un programme politique conforme aux résolutions onusiennes et à la légalité internationale. Les principes intangibles de la charte sont abrogés : du combat contre les juifs on passe à la lutte contre le sionisme, et la lutte armée est euphémisée en faveur de moyens plus légaux pour combattre l’occupation. À ceux qui y verront des positions irréconciliables, Khaled Mechaal répond :
Il n’y a pas de contradiction. Le Hamas reste attaché à toute la Palestine et refuse de reconnaître l’occupation, mais dans le même temps il reconnaît les frontières de 1967 en tant que programme national partagé par l’ensemble des acteurs politiques palestiniens.
Les prémices de cette évolution datent de 2005, lorsque le Hamas avait fait le choix de participer aux élections législatives qu’il remportera en janvier 2006. À l’occasion de plusieurs accords interpalestiniens, il avait évoqué son attachement à un programme politique commun avec le Fatah reposant sur la validité des frontières de 1967. Les différents points abordés dans ce document sont donc déjà présents dans la plupart des accords officiels signés par le Hamas depuis une décennie, y compris celui de la « résistance populaire et pacifique ». C’est d’ailleurs sur cette continuité qu’insiste Khaled Mechaal :
Ce document reflète l’évolution de notre pensée et de nos pratiques depuis 2005 avec l’accord du Caire, le document d’union nationale en 2006, l’accord de La Mecque en 2007 puis les autres accords de réconciliation de 2011 (accords du Caire) et de 2012 (accords de Doha). Ces réunions avec le Fatah constituaient des tentatives de parvenir à un programme politique commun. La différence c’est qu’aujourd’hui nous présentons ce programme dans un document qui nous est propre. Qu’il s’agisse des États, des organisations ou des partis, toute entité politique est soumise à des évolutions. À travers ce nouveau document, nous avons voulu présenter les évolutions de notre pensée politique, de notre position concernant le combat contre l’occupation, le droit des Palestiniens, nos relations avec nos environnements palestinien, arabe, régional.
D’après Khaled Mechaal, ce document ne devrait pas être compris comme étant « adressé » à quelque partie que ce soit. Son destinataire est autant palestinien qu’étranger. Toutefois, fragilisé par son départ de Damas en 2012 et par une configuration régionale défavorable, le Hamas a plus que jamais besoin de conforter son rapprochement avec de solides partenaires régionaux, aux premiers rangs desquels l’Égypte, seul pays qui dispose d’une frontière avec la bande de Gaza hormis Israël.
L’un des points de ce document qui déroge à la ligne politique adoptée par le mouvement depuis 2005 est celui des relations avec les Frères musulmans égyptiens. Alors que la charte présentait le Hamas comme la « branche palestinienne des Frères musulmans », ce nouveau document ne fait plus mention du lien organisationnel (irtibat tanzimi) qui unirait le Hamas aux Frères musulmans. En 2012 pourtant, lorsque Mohamed Morsi avait été élu président de l’Égypte, le Hamas n’avait pas hésité à se présenter comme un mouvement issu de la confrérie égyptienne. Son rapprochement avec Mohamed Morsi l’avait même conduit à organiser ses dernières élections internes au Caire en 2013. Depuis l’arrivée au pouvoir du maréchal Abdel Fattah Al-Sissi et dans l’espoir de bénéficier d’une tolérance relative de la part des nouvelles autorités égyptiennes très hostiles aux Frères musulmans, le Hamas se présente désormais comme un mouvement « palestinien nationaliste islamiste », gommant tout lien avec la confrérie.
Malgré les évolutions que connaît le Hamas depuis 2005, la grande majorité des journalistes, experts et politiques continuent d’agiter l’épouvantail de la charte comme le seul document qui reflèterait les intentions réelles du Hamas. Résultat d’une stratégie israélienne qui a pris soin de faire traduire ce texte dans toutes les langues et de le diffuser, la cristallisation des analyses atour de ce texte tournerait [à l’obsession, d’après Ahmad Youssef, ancien conseiller du premier ministre Ismaël Haniyeh et directeur du centre de recherche « la maison de la sagesse » à Gaza. Refusant de le considérer comme une nouvelle charte, Khaled Mechaal affirme néanmoins que c’est ce document qui fait désormais office de « référence » politique du Hamas. Pour autant, la charte ne doit pas être considérée comme caduque, explique Meshaal à Orient XXI :
Le Hamas refuse de se soumettre aux désidératas des autres États. Sa pensée politique n’est jamais le résultat de pressions émanant de l’extérieur. Notre principe c’est : pas de changement de document. Le Hamas n’oublie pas son passé. Néanmoins la charte illustre la période des années 1980 et le document illustre notre politique en 2017. À chaque époque ses textes. Cette évolution ne doit pas être entendue comme un éloignement des principes originels, mais plutôt comme une dérivation (ichtiqaq) de la pensée et des outils pour servir au mieux la cause dans son étape actuelle.
Khaled Mechaal s’est particulièrement investi pour faire exister ce texte, aussi bien dans sa phase de réflexion amorcée en 2015 que dans sa phase rédactionnelle. Confirmant l’importance de son rôle dans ce processus, il affirme néanmoins que ce document est loin d’être l’œuvre d’un seul homme. Bien au contraire, l’ensemble des membres des institutions du mouvement aurait œuvré à sa rédaction, aussi bien ceux résidant à l’intérieur des frontières de la Palestine que ceux résidant à l’extérieur. D’après lui, l’annonce d’une nouvelle direction politique ne menacerait en aucun cas la validité de ce document qui incarnerait la ligne officielle du mouvement, inchangée malgré le renouvèlement de ses cadres :
Il ne faut pas comparer notre situation avec vos élections en Occident, aussi bien en Amérique qu’en France ou en Allemagne et en Grande-Bretagne. Chez vous quand il y a des élections il y a parfois changement total de la ligne politique d’un État, aussi bien de sa politique intérieure que de sa diplomatie. Nous non. Il n’y a jamais de changement total. Ce nouveau document représente le Hamas dans son étape actuelle, mais aussi dans son étape future.
Toutefois, le fait que ce document ait été sanctifié par l’ancienne assemblée consultative — et non la nouvelle — invite au contraire à s’interroger sur les risques qui pèsent sur sa mise en œuvre. Afin de le présenter comme la référence principale de la nouvelle direction politique, la date de promulgation de ce nouveau document a été décidée pour la fin du mois d’avril, moment de l’annonce des résultats finaux des élections internes au mouvement. Ces élections étant particulièrement longues du fait de la dispersion géographique de ses membres, le successeur de Khaled Mechaal à la tête du bureau politique n’a pour l’heure pas encore été désigné.
C’est l’élection, le 13 février 2017, de Yahia Al-Sinouar à la tête de la direction du Hamas dans la bande de Gaza qui alimente ces doutes. Ancien détenu ayant passé près d’un quart de siècle incarcéré en Israël et présenté par la presse israélienne comme le plus radical des radicaux du mouvement islamiste, Al-Sinouar est connu pour son intransigeance vis-vis de l’occupation et son refus de toute concession vis-à-vis d’un accord avec le Fatah.
Ces craintes ont notamment été exprimées par Ahmad Youssef. Dans un article publié dans le quotidien Amad, il déclare qu’Al-Sinouar, militaire issu de la branche armée du mouvement n’est pas le choix le plus pertinent pour consolider les acquis du Hamas dans son étape actuelle. D’après lui, son élection aurait stupéfié Gaza. Oussama Hamdan, représentant du Hamas au Liban considère au contraire que l’élection d’Al-Sinouar n’est en rien une surprise puisque ce dernier est, depuis 2013, membre du bureau politique du Hamas1. Tous deux s’accordent néanmoins sur un point : son affiliation aux brigades Al-Qassam n’implique pas nécessairement une politique de confrontation directe avec Israël. Pour corroborer cette thèse, Ahmad Youssef donne l’exemple du révolutionnaire républicain irlandais Michael Collins qui, bien que commandant en chef de l’armée nationale avait pourtant réussi à donner à l’Irlande son indépendance. Oussama Hamdan souligne quant à lui la porosité des statuts des dirigeants israéliens, la plupart des chefs de gouvernement, de Yitzhak Rabin à Shimon Peres en passant par Ehud Barak ayant été par le passé des officiers de haut rang de l’armée israélienne. L’absence de réponse du Hamas à l’assassinat à bout portant d’un de ses commandants militaires le 24 mars dernier, Mazen Fuqhah, semble valider ces lectures.
Le Hamas n’est pas prêt à s’engager dans une nouvelle confrontation armée avec Israël après les trois opérations militaires qui se sont succédé depuis 2009. Libéré en octobre 2011 à l’occasion de l’accord Wafa al-Ahrar (« Fidélité des libres ») en échange du soldat israélien Gilad Shalit, Al-Sinouar pourrait bien être celui qui parviendra à conclure un accord avec Israël pour un nouvel échange de prisonniers.
1Source : entretien avec Oussama Hamdan, 18 mars 2017.
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En Tunisie, depuis 6 ans, tout se passe comme si les profiteurs, désarçonnés par la Révolution, agissent pour retrouver leur pouvoir d’antan.
Ayant échappé à la justice grâce à une corruption généralisée, ils tentent désormais , d’influencer syndicats, politiciens, fonctionnaires, médias, et tous les autres « prépondérants » pour remettre en place un régime fort basé sur un homme fort, ce que beaucoup de Tunisiens, las du chaos, attendent avec impatience sans se soucier du fond.
Dans une dictature, outre les proches, il y a des légions de profiteurs de tous acabits, douaniers, policiers, mafieux, etc., mais il y a surtout les richissimes oligarques. Quand le dictateur tombe, certains de ces oligarques, les plus en vue et les moins discrets, tombent. Mais la majorité reste. Pour sauvegarder biens et influence, elle arrose responsables politiques, police, juges, journalistes, administration.
Une fois la tempête passée, ces oligarques se réorganisent pour retrouver influence et gains d’antan. Il faut garder à l’esprit qu’il sont très riches et ont le bras long, très long.
Il y a plusieurs genres d’oligarques.
Il y a les grands arroseurs, ceux qui achètent tout le monde, ce sont des ambitieux sans vergogne ni limite, capables de recourir à tous les moyens pour sauvegarder et accroître puissance et influence. Mais il y a également ceux qui, honnêtes à la base, capables d’entretenir ou de constituer des fortunes faramineuses, ont subi durant des décennies les affres d’un système abominable, celui de la « protection » par les proches du dictateur ou par le dictateur lui-même. Certains se sont compromis, d’autres ont réussi à garder une certaine respectabilité. Au début de la révolution, ces derniers se sont sentis libérés, ils ont cru en l’avènement d’une ère de prospérité naturelle, sans ingérences des racketteurs d’État. Mais l’accalmie a été de courte durée et, si le dictateur est tombé, le régime – en l’occurrence les milliers de fonctionnaires, de juges, de policiers, de douaniers, etc., qui vivaient de petits bakchichs – a réactivé le système, avec plus de force encore, poussant ces oligarques à se compromettre à nouveau, au risque de se ruiner.
La différence entre le système d’avant le 14 janvier et celui d’après ? Les effectifs et les tarifs des intermédiaires et des protecteurs ont explosé. Avant, le système était simple, il fallait payer les proches et graisser quelques pattes. Désormais, il faut payer des dizaines de fonctionnaires, juges, policiers, journalistes, syndicalistes et responsables politiques.
En clair, la corruption de l’ancien régime, qui remplissait surtout les poches des anciens proches dont la plupart étaient hors du système étatique, est devenue une corruption d’État à tous les niveaux de l’administration. Désormais, du factotum au cabinet du ministre, tout se négocie.
La corruption s’est démocratisée, mais ce nouveau système ne sied pas aux oligarques qui préfèrent négocier avec des chefs plutôt que de rester dépendant d’une flopée de profiteurs dont le seul mérite est leur statut de responsables administratifs. De plus, la situation du pays est abominable, la moitié de l’économie leur échappe pour être tombée dans les mains d’une mafia de trafiquants alors que d’autres nouveaux arrivés se sont concoctés des zones d’influence dans les domaines les plus divers.
Les sept composantes majeures de la corruption : oligarques, mafieux, cadres administratifs, magistrats, syndicalistes, médias et politiques cherchent la panacée : un système qui leur garantit discrétion et stabilité et qui est capable de faire taire les voix discordantes. Pour eux, ce n’est qu’une question de temps, ils sont certains qu’ils finiront par remettre en place le système d’antan, un genre de « démocratie à la tunisienne » où toutes les conditions d’une apparente démocratie seront appliquées, mais, « à la tunisienne », c’est à dire avec cette propension à vider, de façon réglementaire, les règles de leur substance.
En fait, Zine el Abidine Ben Ali s’en était fortement rapproché, mais il n’avait pas laissé les médias et les politiques faire œuvre de soupapes pour évacuer cette colère.
En outre, il avait laissé se développer une insupportable arrogance des profiteurs. Aujourd’hui, les oligarques ont compris que démocratie et liberté d’expression donnent encore plus de possibilités que la dictature, surtout qu’il n’existe aucun mouvement assez fiable représentant pour eux un danger. Deux obstacles tout de même se dressent devant la mise en place de la grande imposture. D’abord la société civile, consciente des enjeux et capable de se mobiliser, ensuite quelques symboles dont il faut poursuivre la destruction entamée depuis 6 ans. Le premier symbole détruit, c’est Bouazizi. Plus personne ne défend le vendeur ambulant qui s’est immolé et que le monde entier avait sacralisé en 2011. Bouazizi, qui n’a vécu ni le soulèvement, ni la fuite du dictateur, ni même sa propre gloire, est désormais haï et honni jusque dans son propre quartier. Sa famille, lasse, a même quitté le pays.
Après avoir détruit le vendeur de légumes, il a fallu détruire la révolution elle-même, souvent qualifiée aujourd’hui de « révolution de la barouita » (la brouette).
Plus insidieusement, elle est devenue un mouvement téléguidé par l’étranger, par « la CIA » pour « diviser le Moyen Orient ». Entre temps, la CIA a échoué partout et c’est Vladimir Poutine qui a profité de l’aubaine, mais on n’en a cure, l’objectif local est atteint pour les « destructeurs de symboles » puisqu’au bout de quelques années, le mot « Révolution », est devenu louche et on ne cesse de se chamailler sur sa définition. Reste à détruire la liberté d’expression. Là, ce sont en grande partie les médias eux-même qui ont fait l’essentiel du travail en la transformant en une inaudible cacophonie. Aujourd’hui, très peu de médias gardent une certaine crédibilité.
Enfin, reste à détruire l’aura des victimes de la révolution et des très rares personnes qui y ont participé. Pour les victimes, 6 ans après, accusées de tout, leur prestige de « révolutionnaires » s’est éteint en même temps que le mot lui-même, galvaudé et jeté aux oubliettes d’une histoire jamais reconnue, même par les officiels qui ne s’en tiennent qu’à des déclarations formelles sans jamais entrer dans les détails d’une histoire pourtant essentielle pour le pays. Quant aux rares personnes qui, à l’intérieur du régime, ont fait preuve de courage, elles sont harcelées, pratiquement depuis le départ du dictateur. Samir Tarhouni, Sami Sik Salem, Larbi Lakhal, Hafedh el Ouni et tous ceux qui ont plus ou moins participé au déclenchement de l’imbroglio final, subissent depuis des problèmes administratifs, des attaques personnelles, des campagnes de désinformation et toutes sortes d’accusations, et c’est le cas de tous ceux qui ont participé à la chute du système, martyrs compris, pratiquement rejetés, considérés comme des voleurs, alors que la plupart d’entre eux sont morts par balles devant des commissariats.
L’histoire est un éternel recommencement. Les États ne sont trop souvent que la superstructure qui assure la domination d’une classe sur les autres.
Rarement, les peuples, las de leur misère et de l’arnaque généralisée, se soulèvent, mais ceux qu’ils veulent abattre, les « gardiens de l’ordre établi », sont trop riches, puissants et rusés pour perdre leur influence.
Aujourd’hui, la Tunisie a atteint ce moment fatidique où l’échec politique et le chaos social sont tels que les oligarques ne sont pas loin d’avoir remis en place leur système. Outre le travail de sape des valeurs, ils sont en train de placer, partout, dans le service public, les administrations, les sociétés et les compagnies nationales, des gens qui leurs sont soumis et dont le rôle est précisément de renouer avec les pratiques qui ont fait leur puissance. Pour soumettre la galerie, ils utilisent nombre de médias, partis et autres organisations pour vulgariser le rejet de la révolution et d’une démocratie déclarée « inapplicable sous nos cieux ».
La Tunisie, qui vit une mascarade de démocratie où les trafiquants, les maffieux les corrupteurs et les exportateurs de terroristes sont dans l’impunité totale, a-t-elle la force de résister au plan des oligarques ?
Quelle organisation, quelle personnalité politique, qui va se lever contre ce plan et avec quels moyens ? L’État lui-même, dont le fonctionnement est soumis à une mauvaise Constitution, croule sous sa propre inertie, il est incapable d’appliquer la loi, il ne maîtrise pas sa justice, la corruption le gangrène, il est incapable d’assumer son rôle.
Sans un sursaut de conscience, ces dernières années ne seront que celles d’une expérience ratée, d’un espoir impossible. La fatalité de l’ignorance triomphera à nouveau. Ignorance de la sincérité du mouvement qui a libéré les Tunisiens, ignorance de la vraie démocratie, de la bonne gouvernance, du débat politique fiable, ignorance des logiques de la corruption, ignorance de ses instigateurs. Absence de clairvoyance et de la vigueur que tout un pays attend désespérément. Espérons que cette vigueur viendra d’un responsable respectant les valeurs, et non d’un aventurier qui surfera sur une vague porteuse pour nous jeter dans un nouvel obscurantisme.
Entretien avec Gilbert Achcar
Il semble que personne en Occident n’a le loisir de détourner le regard de ce qui se passe au Moyen-Orient. Il y a eu, ces dernières semaines, les attentats à Londres et il y a quelques jours à Stockholm. Il apparaît pourtant que les Occidentaux ne parviennent pas à comprendre véritablement ce qui se passe au Moyen-Orient. Comment expliquer cela?
On ne peut blâmer les gens en général car ce qu’ils savent provient des médias. Il va de la responsabilité des forces progressistes de fournir les informations et les explications que les médias dominants ne procurent pas. Le manque d’information est général. Les gens ne comprennent pas ce qui se passe ou reçoivent un aperçu déformé. Ils ne réalisent généralement pas le rôle que jouent leurs Etats dans le développement de la situation, leur contribution à ce qui se passe.
Un ensemble de conditions favorise la montée du terrorisme et le profil des personnes impliquées dans les attentats est très différent d’un cas à l’autre. L’attentat de Stockholm a été réalisé par un Ouzbek et c’est un acte plutôt d’un caractère plutôt exceptionnel. Des pays comme la France ou le Royaume-Uni sont, cependant, impliqués dans des guerres en Irak, en Syrie, au Yémen et au Mali. Ces pays, qui ont une longue histoire de violence coloniale, ont été systématiquement sous attaque. Pour ce qui a trait aux Etats-Unis, s’ils n’étaient protégés par le fait d’être situés au-delà des océans ainsi qu’une surveillance de type «big brother», ils seraient constamment sous attaque.
Les motivations qui sous-tendent le terrorisme sont diverses. Un grand nombre de ceux qui ont été attirés par l’Etat islamique étaient des citoyens français ou britanniques d’origine immigrée. Cela indique une combinaison entre des conditions sociales et politiques qui favorisent la montée de cette «radicalisation». La plupart des gouvernements n’ont pas d’autre réponse que la répression et la guerre. Songez à l’état d’urgence en France ou en Egypte. Ce dernier exemple est adéquat en ce qu’il montre comment la violence nourrit la violence. Les Chrétiens ont été transformés en boucs émissaires dans des conditions violentes créées à l’origine par l’instauration brutale du régime lors du coup de 2013. De nouvelles restrictions des libertés et un accroissement de la violence constituent la seule réponse de ces régimes.
En effet, si l’on se réfère aux émeutes des banlieues de 2005 en France, on remarque qu’elles n’avaient rien de religieux. Si l’on observe toutefois le profil de ceux qui ont rejoint l’Etat islamique, nombre d’entre eux ont trouvé une conviction dans leur action dans les émeutes d’alors. C’est une constante, pour ces personnes, que l’absence d’autres perspectives sociales ou politiques…
Les prisons sont devenues un centre important de recrutement pour la violence djihadiste. Il n’y a aucun mouvement progressiste capable de représenter ces catégories de personnes comme c’était le cas dans le passé avec les grands partis de la classe laborieuse qui organisaient, au moins partiellement, les migrants. Une partie de la colère qui aurait pu être canalisée vers ces organisations se dirige aujourd’hui dans la violence djihadiste.
Cette absence d’alternatives progressistes est aggravée par la montée du racisme et de l’islamophobie depuis le 11 septembre 2001. L’Etat islamique joue sur ces aspects en projetant une image hollywoodienne de lui-même en tant que contre-violence, ce qui attire des jeunes désireux d’échapper à leurs conditions sociales difficiles et à leur existence vers une expérience intense de «héros» de leur cause.
Prenons par exemple la Tunisie. Il s’agit, proportionnellement, du pays d’origine du plus grand nombre de jeunes qui sont allés combattre avec l’Etat islamique. Comment cela s’explique-t-il? La Tunisie était un pays relativement laïc ayant peu de tradition de fondamentalisme islamique violent jusqu’à récemment. On ne peut séparer cela du fait qu’il y a en Tunisie un chômage des jeunes massif, des conditions sociales qui se détériorent ainsi qu’une énorme frustration parmi les jeunes qui ont participé à la «révolution» qui s’est achevée par un retour du personnel de l’ancien régime ainsi que d’un président âgé de 90 ans.
Ce type de frustration produit toujours une couche de gens dans les marges qui cherchent à exprimer leur colère en recourant au terrorisme. Une chose semblable s’est passée en Europe dans le sillage de la radicalisation de la jeunesse à la fin des années 1960-début 1970. En Allemagne, suite à l’échec du mouvement de Rudi Dutschke [le SDS : Sozialistischer Deutscher Studentenbund, très actif dans le mouvement contre la guerre des Etats menée au Vietnam], la Fraction armée rouge est apparue. Des choses similaires se sont déroulées en Italie avec les Brigades rouges, ainsi qu’en France, plus marginalement. Une fraction d’une génération a participé à des luttes avec de grandes espérances et elle a échoué car elle n’a pas eu la capacité de conduire à un changement. La frustration qui en est résultée a créé au sein d’une frange les conditions d’une spirale de la violence. Il en est allé de même avec le printemps arabe. Parce que la gauche a échoué en large mesure et qu’elle est restée dans l’ensemble faible, le fondamentalisme islamique a pris sa place en canalisant une partie de la frustration sociale et politique.
Nous vivons dans une nouvelle période historique. L’ancienne gauche du XXe siècle a échoué et le besoin de renouveau se fait sentir. Un potentiel immense existe au sein de la nouvelle génération, ainsi que l’ont démontré la campagne Bernie Sanders et l’élan autour de Jeremy Corbyn. Nous assistons, bien sûr, à une bipolarisation entre l’extrême-droite et la gauche radicale. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un mouvement progressiste qui ne soit pas une répétition de la gauche du XXe siècle, mais une chose véritablement différente: une gauche du XXIe siècle qui tiendrait compte de l’échec de la gauche du siècle passé. Un certain nombre de groupes et d’individus travaillent dans cette direction, mais les manques sous cet angle sont encore très importants. C’est une question clé pour le XXIe siècle face à la montée de l’extrême droite de gens comme Donald Trump et Marine Le Pen.
Si l’on se tourne vers la Syrie, quelles sont les possibilités de paix? Federica Mogherini, la Haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a lancé un appel à la transformation de la guerre par procuration en Syrie en une paix par procuration [proxy war/proxy peace]. Est-ce que l’on va dans cette direction? Comment pensez-vous que la paix puisse être garantie dans la région?
Je ne pense pas qu’il puisse y avoir une paix en Syrie sans soutien international. De même que cette guerre est prolongée par l’engagement des diverses forces internationales, la paix doit être appliquée grâce à un engagement international. Cela comprend non seulement des négociations de paix, auxquelles une participation internationale est indispensable car tous ceux qui contribuent à cette guerre doivent faire de son arrêt, mais aussi par des troupes internationales de maintien de la paix. Je ne peux imaginer une paix en Syrie sans déploiement de troupes de maintien de la paix.
Vous avez déclaré qu’il ne peut y avoir de paix en Syrie alors qu’Assad est au pouvoir…
La présence d’Assad au gouvernement aura pour effet que les tensions resteront élevées. Son retrait de la présidence est donc une condition pour mettre un terme au conflit. Il pourrait s’achever alors qu’il reste à son poste au cours d’une période de transition, mais son départ est une condition indispensable à une paix durable. Tandis que les gouvernements occidentaux prétendent que c’est l’Etat islamique qui est la priorité en Syrie, je considère que la priorité est de mettre un terme à cette guerre sanglante.
La seule intervention significative des Etats-Unis dans la guerre en Syrie, au-delà du bombardement de l’Etat islamique, s’est faite aux côtés des YPG kurdes [Unités de protection du peuple, liées au parti PYD]. Les seules troupes américaines sur le terrain aident les YPG: les Etats-Unis soutiennent les forces kurdes car ils estiment qu’elles sont les seules efficaces dans le combat contre l’Etat islamique, et qu’il s’agit en outre d’une force laïque dans laquelle sont impliquées des combattantes, ce qui est bien reçu par le public des Etats-Unis. Ceci dit, le soutien aux YPG dans leur combat contre l’Etat islamique est une bonne chose, qu’il provienne des Etats-Unis ou de quiconque. Certains à gauche considèrent que l’on doit s’opposer à une intervention des Etats-Unis, où qu’elle ait lieu. Le fait, toutefois, reste que sans soutien des Etats-Unis, Kobané serait tombé et les Kurdes auraient traversé un désastre. Ceci indique la complexité de la situation, qui n’est pas celle où il y aurait une séparation claire entre les «bons» et les «méchants». Si l’on est quelqu’un de véritablement progressiste, soutenant de véritables valeurs de gauche et affichant comme priorité l’émancipation démocratique des gens, on doit déterminer une position sur cette base – et non par une opposition viscérale envers tout ce que font les Etats-Unis, les Etats-Unis et ses alliés exclusivement, tout en ignorant ce que fait la Russie et ses alliés.
Du point de vue de l’intérêt du peuple syrien, la priorité est de mettre un terme à cette guerre. Cet objectif supplante tous les autres, y compris le retrait d’Assad. Le but est de créer en Syrie les conditions d’une reprise d’un processus politique ainsi que celles qui permettent le retour de millions de réfugié·e·s. Parmi ces derniers se trouvent les plus progressistes, dont un grand nombre, si ce n’est la plupart, ont quitté la Syrie vers la Turquie, le Liban, l’Europe ou ailleurs car ils ne pouvaient rester libres et en vie sous le régime ou face aux groupes armés fondamentalistes islamiques. En ce sens, il était juste qu’ils partent. J’espère que les conditions permettant le retour de ces personnes en Syrie seront rapidement créées et que le processus politique puisse reprendre. C’est pourquoi des troupes internationales sont nécessaires. Des gens comme vous et moi ne se sentiraient pas en sécurité sans la présence de troupes de maintien de la paix vous protégeant autant du régime que de ses ennemis fondamentalistes.
Qu’avez-vous à dire au sujet de l’opposition armée, ceux qui l’on nomme parfois les «rebelles modérés» ou l’Armée syrienne libre?
L’Armée syrienne libre n’existe plus vraiment, bien qu’il y ait toujours des groupes qui y fassent référence. L’opposition armée est désormais dominée par des groupes qui recouvrent le spectre du fondamentalisme islamique, allant d’une modération relative aux djihadistes et salafistes et culminant avec Al-Nosra et l’Etat islamique. Cette situation de l’opposition en Syrie est le résultat de la carte blanche offerte par Washington à la Turquie et aux monarchies du Golfe dans la gestion de l’opposition. Ils ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour créer ce type d’opposition syrienne au moyen de la distribution de leurs financements, armes et autres équipements.
La position envers l’Etat islamique a été ambiguë autant de la part du gouvernement turc que celui de Syrie. Le régime syrien a construit des rapports avec l’ancêtre irakien de l’Etat islamique et les a maintenus longtemps avec le prétendu califat. Le gouvernement turc, de son côté, a longtemps fermé les yeux devant les mouvements de l’Etat islamique le long de ses frontières et soutenu activement Al-Nosra. L’ennemi principal du régime syrien est l’opposition dominante, et pas l’Etat islamique. De même, le principal ennemi du gouvernement turc est le PYD/YPG et la principale raison pour laquelle les troupes turques sont entrées en Syrie l’automne dernier consistait à combattre le mouvement kurde, pas l’Etat islamique. Bien sûr, les Etats-Unis portent la responsabilité principale devant la montée de l’Etat islamique pour en avoir créé les conditions avec son invasion de l’Irak.
Et le gouvernement syrien a en quelque sorte favorisé les fondamentalistes islamiques comme son pendant…
C’est ce que je nomme les «ennemis préférés» du régime. Au début, Assad a libéré de prison de nombreux djihadistes. L’un d’entre eux a fondé l’Armée de l’Islam. Un de ses proches dirige désormais l’opposition syrienne aux négociations d’Astana [capitale du Kazakhstan] sponsorisées par la Russie. Les exemples de ce type abondent: des djihadistes relâchés par Assad qui deviennent des figures clés de l’opposition armée fondamentaliste islamique. Cela permet au régime d’effrayer les minorités religieuses ainsi qu’une partie des Arabes sunnites de Syrie en affirmant que l’opposition est principalement composée de djihadistes, d’Al-Qaida, etc. Il s’agit effectivement des ennemis préférés du régime de la même façon que ce sont les amis préférés des monarchies du Golfe ou d’Erdogan qui préfèrent traiter avec de tels groupes qu’avec des forces progressistes.
Qu’en est-il de l’opposition officielle, tel Conseil national syrien?
L’opposition officielle a échoué lamentablement. L’échec du soulèvement syrien a débuté lorsque sa direction est passée des comités de coordination de base en Syrie au Conseil national syrien basé à Istanbul sous la tutelle qatarie-turque et avec une place de choix dévolu aux Frères musulmans. Cela a représenté le commencement de la fin de la première étape du processus révolutionnaire syrien. Lorsque, fin 2011, ces gens ont pris le contrôle et se sont exprimés au nom de la révolution syrienne, on pouvait déjà prédire l’échec. Au début, ils ont placé à sa tête des personnalités progressistes: un professeur de gauche, un homme d’origine kurde ainsi qu’un chrétien. Mais ce jeu s’est terminé au bout d’un certain temps et le royaume saoudien a repris les rênes lorsque le Conseil national syrien a cédé la place à la coalition nationale syrienne.
L’argent a corrompu le tout. Alors que des millions de réfugiés se rassemblaient aux frontières dans des conditions effrayantes, ces gens se réunissaient dans des hôtels cinq étoiles. Il s’agissait d’une corruption délibérée de la part des financiers [de l’opposition officielle]. La même chose s’est produite avec le mouvement palestinien après 1967, lorsque les Saoudiens lui a lancé des dollars. Il s’agissait d’une manière d’empêcher que l’opposition syrienne devienne progressiste car cela aurait constitué une menace autant pour les monarchies du Golfe que pour le régime Assad. Cette corruption des mouvements de libération est un problème majeur dans la région. On commence avec la révolution palestinienne et l’on finit avec Mahmoud Abbas ou encore on débute avec le mouvement de libération kurde et l’on finit avec des gens comme Massoud Barzani [dirigeant depuis 1979 du Parti démocratique du Kurdistan et du gouvernement régional du Kurdistan] qui est un allié de la Turquie, le principal oppresseur du peuple kurde.
Une complète régénération du mouvement et une nouvelle direction sont évidemment nécessaires. Prenons par exemple les Etats-Unis et le phénomène surprenant de la campagne Bernie Sanders. C’est peut-être la première fois aux Etats-Unis depuis les années 1930 que de larges masses, comprenant des millions de jeunes Américains, s’identifient à une personne qui se qualifie de socialiste. Le potentiel est grand, mais il a besoin d’organisation politique et de clarification. Nous sommes au commencement d’une nouvelle période historique. L’ancien système s’effrite et le potentiel de renouveau est énorme. Pour emprunter une citation à Gramsci – que j’ai utilisée dans le titre de mon dernier ouvrage: «l’ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître : pendant cet interrègne on observe les symptômes morbides les plus variés.». La dérive vers l’extrême droite et la montée du terrorisme figurent au nombre des symptômes morbides.
Qu’en est-il alors du PYD-YPG et des Forces démocratiques syriennes? Indiquent-elles une voie différente des «deux forces contre-révolutionnaires», pour reprendre votre qualificatif du régime syrien et des fondamentalistes islamiques, y compris l’Etat islamique?
Les YPG-YPJ [les YPJ sont les unités féminines] représentent les forces armées les plus progressistes sur le terrain en Syrie mais elles ne peuvent constituer un modèle pour le reste du pays en raison de son facteur ethnique. Les Forces démocratiques syriennes sont multi-ethniques, mais les gens considèrent celles-ci comme un instrument du PYD. Reconnaître le fait que les cantons kurdes constituent l’expérience la plus progressiste en Syrie ne doit pas amener au romantisme. Même avec les meilleures intentions, les choses ne peuvent être bonnes dans des conditions de guerre. Les groupes de défense des droits humains font état d’abus politiques et ethniques dans les zones sous hégémonie du PYD.
Il est vrai que ceux qui, du côté arabe, dénoncent cela devraient d’abord reconnaître le long héritage d’oppression nationaliste arabe des Kurdes. Nous devons dépasser les tensions ethniques et accepter les droits de chaque peuple. Chaque peuple devrait jouir du droit à l’auto-détermination et le peuple kurde devrait pouvoir décider s’il veut vivre dans des cantons autonomes ou même dans un Etat séparé – ce ne sont pas les affaires des Arabes, mais une décision qui revient aux seuls Kurdes dès lors que cela les regarde et ne porte pas atteinte aux droits des autres peuples. C’est là, bien entendu, l’un des problèmes clés auquel fait face la région. Alors que tout le monde se concentre actuellement sur l’Etat islamique en Irak, cette question a seulement renvoyé à plus tard les tensions confessionnelles entre sunnites et chiites et ethniques entre les Arabes, les Turkmènes et les Kurdes. Il n’y a pas d’issue à ce casse-tête en dehors des droits démocratiques et des libertés fondamentales, la liberté de chacun étant limitée par la liberté des autres sans que les uns prennent le dessus. (Entretien publié le 13 avril 2017 sur le site komnews.org; traduction A l’Encontre)
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Non à la brutalité d’Assad ! Non à l’Etat islamique ! Non aux bombardements et aux forces militaires des Etats-Unis et de la Russie en Syrie ! Pour une renaissance du printemps arabe !
• Nous sommes terrifiés par les attaques incessantes et cruelles du régime Assad, assisté de Moscou et de Téhéran, contre le peuple syrien. En termes de brutalité pure, les bouchers de Damas ont peu d’équivalents dans le monde d’aujourd’hui. Nous condamnons toutefois aussi sans réserve le bombardement par les Etats-Unis, ainsi que la présence de leur armée en Syrie qui tueront des innocents et qui ne contribueront en rien en une solution juste au conflit syrien tout en concourant à renforcer la présence militaire réactionnaire des Etats-Unis au Moyen-Orient et à consolider l’affirmation rhétorique d’Assad selon laquelle il défend le peuple syrien contre l’impérialisme occidental, aussi creuse que cette déclaration puisse être.
• Assad prétend représenter la seule force entre la « stabilité » et une victoire de l’Etat islamique. C’est ignorer le fait que des régimes autoritaires et répressifs comme ceux d’Irak, d’Arabie saoudite, de Bahreïn et de Syrie sont très efficaces quant au recrutement de l’Etat islamique et de djihadistes du même type. L’autre terreau majeur dans le recrutement des extrémistes religieux et de terroristes au Moyen-Orient est, avec leur histoire sanglante d’interventions, les Etats-Unis et leurs alliés. A cela s’ajoute, dans le cas des Etats-Unis, la carte blanche presque totale accordée à l’Etat Israël. S’il est possible que l’attaque par missile de Trump contre la base aérienne de Shayrat [suite à l’attaque « chimique » contre Khan Cheikhoun, dans la province d’Idleb] ait été limitée, un tel bombardement a sa propre logique, mettant dangereusement en jeu le « prestige » impérial des Etats-Unis, déclenchant ainsi potentiellement des attaques en escalade ainsi que des contre-attaques.
• Nous assistons en Syrie à un ensemble de symbioses mortelles : Assad et l’Etat islamique s’utilisant l’un l’autre comme justification de leur propre sauvagerie alors que les Etats-Unis et ses alliés, d’un côté et, de l’autre, la Russie et l’Iran, pointent le doigt sur les crimes tout à fait réel des uns et des autres afin de justifier des interventions qui ne protègent ou défendent en aucune mesure le peuple syrien. Ils n’ont d’autre objectif que de servir leurs intérêts impériaux dans la région (ou, dans le cas de l’Iran, de puissance sous-impériale).
La guerre en Syrie ne peut être comprise en dehors du paysage politique plus large de l’ensemble du Moyen-Orient. Les soulèvements révolutionnaires populaires du printemps arabe, de la Tunisie à l’Egypte, à Bahreïn en passant par la Syrie, la Libye et le Yémen ont offert une perception d’un avenir juste et démocratique pour les peuples de la région. Jusqu’à maintenant ces aspirations ont été frustrées et, dans la plupart des cas, elles semblent avoir été écrasées par la conjugaison de forces locales réactionnaires et le soutien de leurs parrains étrangers.
La résistance en Syrie s’est toutefois montrée étonnamment résiliente : pas plus tard qu’au mois de mars de l’année dernière, des manifestations de rue courageuses se déroulaient dans les villes syriennes sous le slogan « la révolution se poursuit » lors des brefs arrêts des hostilités. Le New Statesman indiquait : « Lorsque des combattants de Jabhat al-Nosra ont tenté d’attaquer l’une de ces manifestations dans la ville de Maarat al-Numan, les manifestants les ont expulsé en scandant “Un, un, un ! Le peuple syrien est un !”. Il s’agit d’un slogan des premières phases, laïques, du soulèvement lorsque les Syriens se battaient pour endiguer les tensions confessionnelles et ethniques croissantes injectées par l’engagement djihadiste dans le conflit. » [1]
• Nous vivons à une époque de doubles standards énormes et obscènes.
Nous voyons Donald Trump, accompagné de la plupart des médias dominants ainsi que des politiciens démocrates et républicains de premier plan, déplorant hypocritement le massacre d’hommes, de femmes et de bébés innocents en Syrie – alors qu’ils restent froidement indifférents devant les massacres et les victimes perpétrés par les Etats-Unis et les forces qu’ils soutiennent à Mossoul et au Yémen. Au même moment, des réfugiés syriens désespérés par le carnage de Syrie sont cruellement rejetés hors des frontières des Etats-Unis.
Nous voyons aussi Donald Trump accueillir le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi [le 3 avril 2017], alors qu’il écarte de manière éhontée toute préoccupation en termes de droits humains et continue la politique généreuse d’aide militaire d’Obama malgré l’horrible liste d’assassinats et d’emprisonnements de milliers d’opposants. On peut néanmoins prédire sans l’ombre d’un doute, que si et lorsque l’Etat islamique gagnera un nombre toujours croissant de partisans en Egypte face au règne dictatorial de Sissi, nous entendrons un chœur de défenseurs affirmant qu’aussi détestable qu’il puisse être, Sissi est, en tant que dirigeant laïc, meilleur que les djihadistes barbares, qu’il bénéficie d’un soutien populaire et qu’il doit donc être soutenu.
• Au même moment, Vladimir Poutine, le gouvernement russe et l’agence « d’informations » RT (Russia Today) déplorent l’abominable destruction de quartiers ainsi que la mort de civils à Mossoul et au Yémen. Ils dénoncent également l’insensibilité de l’armée américaine – tout en justifiant les attaques d’Assad contre les populations d’Alep et du reste du pays. En réalité, la participation militaire russe, qui comprend le soutien aérien aux attaques contre les opposants civils et militaires du régime, a joué un rôle significatif, probablement critique, dans le maintien au pouvoir du régime Assad.
• Nous rejetons totalement ces alternatives aberrantes. Nous aspirons de toute urgence à la renaissance des mouvements et de l’esprit du printemps arabe, seuls à fournir une possibilité de rompre avec la spirale mortelle des politiques du Moyen-Orient. Nombreux seront ceux qui écarteront cette perspective comme étant impraticable ; ce qui est toutefois vraiment impraticable, c’est l’idée que les grandes puissances, chacune avec son propre programme impérial, apporteront la justice ou la démocratie. Si, envers et contre tout, les forces démocratiques parviennent à arracher un accord les protégeant de la poursuite des massacres par Assad et l’Etat islamique et qu’il leur permette de lutter à nouveau plus tard, leur décision d’accepter un tel accord limité devra être respectée. Cependant, même un tel accord ne pourra être gagné qu’à la suite de pressions provenant du peuple syrien, et non par l’initiative de puissances extérieures qui, malgré leurs différences et rivalités, partagent une profonde hostilité devant le renouveau de forces populaires autonomes en Syrie ou n’importe où ailleurs.
• Les forces populaires démocratiques peuvent bien être actuellement faibles, mais notre position de principe ainsi que pratique consiste à affirmer notre solidarité avec leurs luttes, à tenter de les renforcer ainsi qu’à nous opposer à tous ceux qui tentent de les renverser ou de les détruire.
Déclaration de la Campaign for Peace and Democracy
Le pire, c’est qu’il y a chez nous des gens qui prennent les insultes d’Onfray pour des compliments !
Le pire du pire, c’est qu’il s’en trouve d’autres pour abonder sans s’en apercevoir dans son sens en lui reprochant de négliger que nous aussi nous aurions eu « nos » Descartes. Et le pire du pire du pire, c’est que la majorité d’entre nous partage la conception coloniale de l’histoire comme réalisation du « progrès » dont la modernité, inventé et répandue généreusement par l’Europe, serait le passage obligé voire carrément, pour certains, le but à atteindre.
Il faut d’abord que je vous prévienne.
Je vais vous parler d’une conférence à laquelle je n’ai pas assisté. Je me suis contenté de consulter quelques articles qui s’en sont fait l’écho. Plus répréhensible encore, je vais critiquer, dénoncer, manquer de respect, maudire, vouer aux gémonies, deux personnages dont, de l’un au moins, j’ignore tout. Il s’agit de deux intellectuels français, Gérard Poulouin et Michel Onfray, qui ont été invités à prendre la parole, jeudi dernier, dans le cadre de « Doc à Tunis ». Tous deux sont philosophes et fondateurs de l’Université populaire de Caen (qui n’est sans doute populaire que dans le sens où elle permet à Michel Onfray d’augmenter sa popularité). Le premier d’entre eux a donné une conférence à l’intitulé a priori sympathique (mais traitre comme nous allons le voir), « décoloniser la langue française » ; le second, un peu plus franc dans son intention, a parlé du « temps long » de la laïcité.
Plutôt que de nous dire « vous êtes un pays de ploucs arriérés », Michel Onfray enrobe son propos de missionnaire français dans une philosophie de l’histoire « finaliste », c’est-à-dire dans une conception de l’histoire comme d’un devenir commun de l’humanité, prédéterminé par une fin, une finalité ultime, dont, selon lui, le triomphe du « JE », conditionné notamment par la laïcité (voire l’extinction des religions), serait l’une des dimensions constitutives.
Le « temps long » de la laïcité, c’est cela, ce long périple qui aurait commencé avec Descartes et aurait franchi des étapes décisives en France et plus généralement en Occident, tandis que nous, nous serions encore à la traîne. Nous sommes, affirme-t-il, selon un compte-rendu favorable de son intervention, publié sur le net« un pays où le JE n’existe pas encore, dans lequel Descartes n’a pas encore produit ses effets ». Pour satisfaire nos égos, qu’il sait très sensibles, il ajoute dans un entretien, qu’en fouillant bien dans le monde musulman pour trouver une « avant-garde », c’est en Tunisie qu’on aurait le plus de chance de la dénicher. Dans la marche de l’Histoire vers la Raison, nous serions donc en retard par rapport aux Etats pleinement séculiers ou laïcs mais en avance par rapport à nos congénères musulmans. Ouf !
Le pire, je dois dire, c’est que, comme on peut le constater dans certains de nos médias ou sur les réseaux sociaux, il y a chez nous des gens qui prennent les insultes d’Onfray pour des compliments !
Le pire du pire, c’est qu’il s’en trouve d’autres pour abonder sans s’en apercevoir dans son sens en lui reprochant de négliger que nous aussi nous aurions eu « nos » Descartes. Et le pire du pire du pire, c’est que la majorité d’entre nous partage la conception coloniale de l’histoire comme réalisation du « progrès » (quel qu’en soit le sens qu’on donne à ce terme) dont la modernité, inventé et répandue généreusement, par l’Europe, serait le passage obligé voire carrément, pour certains, le but à atteindre. Une telle idéologie qui a sous-tendu la constitution des empires européens justifie aujourd’hui – c’est imparable – l’idée d’une « œuvre positive » de la colonisation, « œuvre » que nous aurions désormais à parachever nous-mêmes, comme le suggère Michel Onfray.
Au vu du titre qu’il a donné à son intervention, on aurait pu imaginer une autre tonalité dans le discours proposé par Gérard Poulouin. « Décoloniser la langue française » semble un beau programme (quoi que j’ai du mal à me représenter concrètement ce que cela implique). Hélas, à lire ce qui en a été rapporté dans la presse, cette formule ne dit pas du tout ce qu’elle a l’air de dire. C’est juste une ruse, une sorte de lubrifiant dont je n’aurais pas la vulgarité de vous dire la finalité.
En langage poli, on dit simplement « dorer la pilule », un procédé généralement utilisé pour faire avaler à un imbécile une pilule qu’il rechigne à absorber.
Car Poulouin qui est prudent et nous prend pour des idiots, pressent tout de même les réticences qu’il risque de susciter en se faisant le propagandiste de la francophonie, dont chacun sait qu’elle est un instrument de domination. Qu’à cela ne tienne, l’homme est malin, sa dame blanche il la déguise en dame noire. En bon représentant de commerce, pour mieux nous vendre sa francophonie frelatée, il change l’étiquette. Le français « décolonisé » remplace le français de la « grandeur française » : en parlant français, en écrivant français, en pensant français, eh bien, nous dit-il en substance, vous faites œuvre décoloniale.
Vous vous demandez sans doute ce que cela signifie.
Rien n’est plus simple. D’autres l’ont déjà fait. Poulouin nous cite ainsi Assia Djebar, Abdellatif Laâbi, Taher Bekri ou Leopold Sédar Senghor, lequel à travers ses poèmes en français, fait entendre « une voix, celle de l’Afrique noire ». Il y aurait beaucoup à dire sur cette « voix » qui dirait tout un continent et, pour tout vous dire, je soupçonne fortement Poulouin de confondre les cultures des peuples d’Afrique avec les quelques stéréotypes essentialistes qu’il a probablement dans la tête. Il faudrait d’ailleurs, juste pour l’embêter, lui demander à quoi il reconnaît une « voix » de l’Afrique noire.
Pour décoloniser la langue française, et nous décoloniser à travers elle, il s’agirait donc pour nous d’y ouvrir « des espaces linguistiques » d’émancipation, un peu comme, il y a quelques décennies, on nous exhortait à renoncer aux revendications indépendantistes pour demeurer au sein de l’Union française, laquelle avec un bon gouvernement ne manquerait pas de nous émanciper. L’argument était alors que la République des Lumières avait, certes, été un peu méchante avec nous mais, dans son essence même, elle était égalitaire, émancipatrice et porteuse de progrès pour tous.
Evoquant la langue française, Poulouin ne dit rien d’autre.
Le français a été un « instrument d’aliénation des peuples colonisés » mais au fond, il est « porteur d’un héritage » celui des Lumières qu’avec un peu de bonne volonté nous pourrions nous approprier. L’arabe serait-il la langue de l’oppression ? Je n’ose pas accuser Poulouin de le penser. On pourrait me rétorquer que, n’ayant pas assisté à la conférence, je me fonde sur des propos rapportés par les médias. C’est indiscutable. Mais, si je me trompe, pourquoi, intervenant dans un pays dont la population parle arabe, l’invité de « Doc à Tunis », juge-t-il nécessaire de nous recommander l’usage de la langue française, fut-elle « décolonisée » ? Vous ne trouvez pas ça louche, vous ?
En centrant son discours sur les pipelines, auxquels il prête un rôle central dans le conflit, Jean-Luc Mélenchon semble nier l’insurrection populaire syrienne.
Le candidat de gauche avait également défendu cette thèse en 2011 à propos de l’Afghanistan, année noire pour l’armée française, qui y avait perdu vingt-quatre militaires. Il avait estimé que la France avait « été à la remorque des Américains » en étant en Afghanistan « pour protéger un pipeline ».
Cette théorie n’est d’ailleurs pas portée par le seul Jean-Luc Mélenchon, mais elle revient régulièrement depuis le 11-Septembre, et depuis cinq ans dans le cas de l’insurrection syrienne. Ainsi, on retrouve, en août 2012, un éditorial publié sur le site d’Al-Jazira, qui pose les premières pierres de cette théorie des pipelines.
Il n’est sans doute pas inutile de rappeler que l’ampleur sans précédent de la contestation et du nombre de victimes en Syrie depuis six ans – 465 000 morts et disparus – ne peut pas s’expliquer par une tentative de déstabilisation.
L’étincelle, c’est l’arrestation et la torture des jeunes qui avaient écrit sur un mur, fin février 2011, dans la foulée de la chute de l’Egyptien Hosni Moubarak, le slogan potache « Ton tour arrive, docteur » – Bachar Al-Assad est ophtalmologiste de formation. Dès lors, les manifestations pacifiques démarrent dans tout le pays sur le terreau de trente ans de dictature d’Hafez Al-Assad, puis onze de son fils Bachar. Ces manifestations se transformeront en guerre civile à l’automne 2011, avec au fur et à mesure l’intrusion des islamistes sur le champ de bataille, qui profitent de la situation.
Les raisons de la contestation puis de sa militarisation sont probablement plutôt à chercher dans des causes locales, dont une crise économique liée à une longue sécheresse entre 2006 et 2011, les échecs de la libéralisation du pays et la forte pression démographique dans un pays dont la population a quasiment doublé en vingt ans.
Il existe bien plusieurs projets de gazoducs, tous trois au point mort et portés par différents acteurs :
Tous ces projets ont un seul but : que l’Europe diversifie ses sources d’approvisionnement et ne dépende plus exclusivement des importations russes. Les bornes chronologiques importantes peuvent être résumées ainsi :
Les tenants d’une théorie des pipelines font le lien entre le refus de Damas en septembre 2009 et le début de la contestation en mars 2011. Autrement dit, que la révolution serait une réponse des partisans du projet qatari contre le régime de Bachar Al-Assad.
Cette version ne prend pas en compte que l’un des plans du projet qatari prévoyait d’éviter la Syrie en passant par l’Irak. D’autre part, souligne encore Cédric Mas, cela ne prend pas non plus en considération la signature de l’accord tripartite Iran-Irak-Syrie de juillet 2011, qui intervient quatre mois après le début des manifestations. Ce projet n’est encore ni lancé ni même financé puisque son tracé, encore une fois, passe par des zones très instables.
Difficile, donc, d’affirmer que le conflit syrien est motivé par ces gazoducs ou oléoducs pour le moment inexistants.
Ces projets de gazoducs sont pour l’instant au point mort. Le projet le plus récent, IGP, peut difficilement être considéré comme viable puisqu’il envisage de passer par deux pays en pleine guerre civile, l’Irak et la Syrie, ainsi que par des zones contrôlées par ce qui deviendra par la suite l’organisation Etat islamique. Il n’a fait l’objet d’aucune étude de faisabilité, selon Cédric Mas, et ne bénéficie d’aucun financement. Il ne faut pas y voir autre chose qu’un accord de principe entre les trois pays, et l’occasion pour l’Iran de mettre la pression sur la communauté internationale.
Le projet Nabucco, de son côté, se heurte à la volonté de l’Europe de ne pas poursuivre les discussions avec l’Iran sur la question du gaz naturel, et sur le retrait de l’Azerbaïdjan et du Turkménistan, qui préfèrent traiter avec le voisin russe. Autrement dit, les deux pays n’ont plus de gaz à mettre dans les tuyaux.
Enfin, le projet qatari, qui passe soit par la Syrie pour sa version longue soit par l’Irak pour la version plus courte, se heurte à plusieurs obstacles politiques majeurs « dans lesquels le refus de Damas pèse peu », écrit M. Mas. Au premier rang de ces obstacles, ce gazoduc doit passer soit par le territoire saoudien soit par ses eaux territoriales, or le royaume est un rival direct du Qatar depuis le milieu des années 1990 et s’oppose à toute augmentation des exportations qatariennes. Autrement dit, même si Damas et Ankara avaient donné leur accord, le projet se serait heurté au refus de Riyad.
Entre deux projets infaisables pour des raisons stratégiques, de stabilité ou de mésentente, et un projet lancé plus récemment – l’IGP –, qui envisage la construction de gazoduc dans des pays en guerre, on voit difficilement quels pays ou quelles entreprises pourraient s’y lancer.
S’il n’est pas question de nier l’importance qu’attachent les Européens, les Russes et les Américains à leur approvisionnement énergétique, on voit mal comment ils pourraient s’affranchir des tensions entre les acteurs régionaux que sont l’Arabie saoudite et le Qatar.
Ici, la chronologie et les montages commerciaux entre nations pour la construction de gazoducs ne permettent pas d’établir une suite d’événements menant à une intervention occidentale dans le but unique de protéger les gazoducs et l’approvisionnement européen.
En résumé, si les raisons économiques d’ordre énergétique sont un élément d’analyse des conflits et de leurs causes, elles ne peuvent en être le seul. Sur la seule Syrie, la répression par Bachar Al-Assad du mouvement né dans la foulée des « printemps arabes » tunisien ou égyptien de 2010-2011 explique sans doute avant tout les origines de ce conflit.
LE MONDE | Pierre Breteau
Commentaire: Il ne peut être question pour lui d'imaginer que le peuple syrien en ait marre de son dictateur chéri! Ce ne peut être qu'un complot!
«M. Trump intervient, que croyez-vous qu’il va résulter de cette intervention ? Rien, sinon une escalade de nouveau, alors que là, on croyait qu’on s’acheminait vers…» (Vendredi, sur le plateau du 20 heures de France 2). Vers quoi ? Dommage que Jean-Luc Mélenchon n’ait achevé sa phrase.
Vers un écrasement des poches de rébellions au nord, dans la province d’Idlib, la reconquête totale du territoire, par ailleurs impossible sans l’appui décisif indispensable de la Russie, de l’Iran et des milices chiites financées et armées par celui-ci ainsi que du Hezbollah, comme le prônait encore Bachar al-Assad dans un entretien accordé à un journal croate, où il déclarait ne pas croire aux négociations ni de Genève ni d’Astana. C’est vers cela, donc, que Jean-Luc Mélenchon souhaitait qu’on s’achemine : des négociations le couteau sous la gorge avec une opposition de l’extérieur divisée et réduite à l’impuissance, des milices armées au nord dans l’attente d’offensives et bombardées, et un front sud redoutant le même sort ?
Il faut rappeler que le candidat de la France insoumise n’était pas à son coup d’essai, lui qui déclarait en février 2016 qu’il était favorable à l’intervention russe en Syrie, car, selon lui, Vladimir Poutine allait «régler le problème» en élimant Daech. Au passage, il remettait en cause le fait que les frappes russes se concentrent davantage sur les rebelles que sur l’Etat islamique. La preuve de son erreur : Alep est tombé, mais Raqqa non. L’unilatéralité des Etats-Unis qu’il condamne ne le gêne pas quand il s’agit de celle des Russes.
De même, le droit international qu’il brandit comme un étendard («que les Nations unies s’en mêlent, c’est la seule autorité légitime mondiale») alors qu’il ne l’a pas défendu lorsque le secrétaire général de l’ONU de l’époque, Ban Ki-moon, dénonçait en septembre 2016 les crimes de guerre commis à Alep par le régime syrien bombardant délibérément des hôpitaux avec l’appui de son parrain russe.
De même que l’obstruction systématique menée par la Russie au Conseil de sécurité de l’ONU, les deux derniers blocages de résolutions datant du 8 octobre 2016 et du 28 février 2017, ne semble pas perturber celui qui se drape dans la légitimité internationale. Il préfère se complaire dans des «pudeurs de gazelle» quand il déclare, donnant du grain à moudre aux conspirationnistes de tous bords, que le responsable de l’attaque chimique doit être condamné qu’il s’agisse «du gouvernement de Bachar al-Assad, des Russes, des Américains, d’Al-Nosra, d’Al-Qaeda», alors que selon la représentante de la commission d’enquête de l’ONU sur la Syrie, Carla Del Ponte, la responsabilité du régime est certaine. En outre, l’indéfectible soutien iranien du régime ne l’a pas exonéré de toute responsabilité, en ne niant pas l’implication des forces armées de Bachar al-Assad.
Mais le plus grave, c’est que Jean-Luc Mélenchon n’ait jamais eu un mot pour les Syriens, et ce depuis des années. Certes, pour justifier les bombardements sur Alep au prétexte qu’Al-Nosra était affilié à Al-Qaeda qui avait revendiqué les attentats de Charlie Hebdo.
Mélenchon nous avait habitués à plus de subtilité qu’un pauvre syllogisme qui ne résume pas la complexité et la plasticité des alliances entre milices armées pour se maintenir sur le terrain. Il fait l’impasse sur les civils qui composent avec ces groupes armés. Le candidat devrait lire les travaux de Gilles Dorronsoro et son équipe (Syrie, anatomie d’une guerre civile) ou de Thomas Pierret, et voir le documentaire 300 Miles du jeune réalisateur syrien Oroa al-Moqdad, tourné à Alep entre 2013 et 2015, pour comprendre cette complexité.
Il n’a pas eu non plus un seul mot pour la répression terrible qui s’est abattue d’emblée sur un soulèvement populaire, pas plus d’ailleurs pour les conseils locaux menant des expériences de démocratie réduites à néant par la répression, se contentant de dire que «des crimes, là-bas [en Syrie, ndlr], beaucoup de gens en commettent», sans revenir sur la responsabilité du régime dans la militarisation et de la confessionnalisation de la crise. Que des Syriens parlent encore aujourd’hui de révolution, le candidat de La France insoumise s’en moque et ne la conçoit pas pour eux. Inquiétant.
Dans un nouveau document politique, le mouvement indique que l’Organisation de libération de la Palestine devrait servir un projet national et assurer les droits des Palestiniens