Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Quand Zoulikha, dite «Toute fine», slame contre le harcèlement de rue en Algérie (TV5 Monde)

Les Algérien-nes appelés aux urnes le 4 mai 2017 pour renouveler leurs député-es à l'Assemblée populaire nationale, peinent à se mobiliser. Dans la morosité ambiante, les femmes s'invitent dans le scrutin, pour le pire et le meilleur. L'occasion d'aller à la rencontre de Zoulikha qui slame contre le harcèlement de rue et au delà pour faire résonance aux maux de ses concitoyennes.

Sur le site de Intymag, un webzine lancé en mars 2016 par un collectif de journalistes algériennes afin de rendre compte de la condition des femmes en Algérie et plus largement au Maghreb, Zoulikha se présente sobrement, économe de mots, elle qui pourtant les manie avec succès, à l'écrit ou en rimes slamantes.

La jeune femme vient de rejoindre, en février 2017, le magazine en ligne pour "apporter du réconfort, du courage et de la volonté [aux lectrices de Inty]. On partage un peu toutes et tous les mêmes peines. Je veux leur parler de mes peines pour qu’elles s’y reconnaissent. Je veux qu’elles aient foi en elles et qu’elles ne se limitent pas et qu’elles détachent leur envie des conventions sociales et autres. Je veux du courage et de l’investissement pour toutes. Je veux leur montrer qu’elles peuvent faire autant que moi j’ai pu. Je veux leur ouvrir une brèche d’expression."

J'ai pour passion l'expression
Zoulikha Tahar, dite Toute Fine, slameuse

Zoulikha Tahar, de son nom de scène, Toute Fine, dit encore qu'elle est "doctorante en deuxième année, mécanique des matériaux." Qu'elle a 24 ans et "pour passion l’expression". 

Toute Fine est sa voix, toute fine sa silhouette, toute fine sa délicatesse dans un tempo musical qui mêle Orient, Maghreb et Europe. Zoulikha slame la tête couverte d'un foulard coloré, loin des clichés, libre de toute entrave. La plateforme culturelle ONORIENT.com lui a consacré un long article biographique en janvier 2017 : "Elle refuse les clichés et les cases dans lesquels les gens aiment classer les autres. Ni revendication identitaire, ni symbole religieux proclamé, Toute Fine aime considérer le voile comme un medium d’expression, un message fort, une façon de jouer avec l’identité, les traditions, comme objet esthétique à part entière. En d’autres termes, elle a fait du voile une arme à son arsenal, une arme d’expression et de jeu. A contre-pied des clichés et des préjugés, elle reprend un vêtement devenu dominant dans l’espace public pour s’amuser et montrer sa singularité. Finalement, c’est un peu cela la démarche artistique de Toute Fine, prendre sa souffrance et les travers de sa société, pour en faire des armes douces et fines dirigées vers la société."

L'un de ses combats prioritaires, c'est de mettre le doigt sur la plaie ouverte du harcèlement de rue, fléau en Algérie aussi. Et d'ouvrir une brèche dans le patriarcat. Mais sans stigmatiser les hommes, parce que, dit-elle, "Le problème ce n'est pas l'homme mais la culture et l'éducation qu'on lui impose". Et de citer des proverbes algériens qui montrent l'enfermement dans lequel grandissent les filles, et en miroir les normes de virilité supérieure auxquelles doivent se plier les garçons.

Ces sujets, "une vue sur les jeunes Algériennes", ont pourtant fait défaut lors de la campagne électorale des législatives du 4 mai 2017 en Algérie. Pourtant, l’enjeu est d’importance. L’hebdomadaire Jeune Afrique nous apprend que si « en 2012, les députées algériennes étaient les championnes du Maghreb en nombre de sièges obtenus au Parlement, cinq ans plus tard, leur influence au sein de l'institution est contrecarée par le conservatisme grandissant de la société. (.../...) Avec 143 femmes élues sur un total de 474 sièges, les Algériennes ont, à l’époque, surclassé les Tunisiennes [et même les Françaises avec 26%] − qui se sont rattrapées en 2014 en s’octroyant 30,88% des sièges au Parlement − et carrément battu les Marocaines (17% des sièges en 2011, 21% en 2016). Mais c’est un pourcentage en trompe-l’œil, car beaucoup de partis politiques ne conçoivent la participation féminine que pour faire du « remplissage. »

Au delà de ce quasi universel plafond de verre, les droits des femmes se sont invités dans la campagne de façon tragiquement anecdotique. Avec la proposition d'un chef de gouvernement "inspiré" pour "inciter" les époux récalcitrants à aller voter, et des affiches électorales amputées des visages de candidates.

Battre son mari... pour qu'il aille voter - le mythe de la mégère

L'édition maghrébine du Huffington Post suit avec beaucoup d'attention la campagne électorale. Et voici que ses journalistes nous révèlent ce dérapage commis au plus haut niveau de l'Etat : "Dimanche 30 avril 2017 à Sétif, dernier jour de la campagne électorale des législatives du 4 mai, le Premier ministre Abdelmalek Sellal a refait des siennes en appelant les femmes à... battre leurs maris qui refusent d'aller voter. Blagueur comme à son habitude, M. Sellal a appelé à réveiller les maris tôt le 4 mai, à ne pas leur préparer de café et à les "traîner" aux bureaux de vote. "Et celui qui ne vote pas, frappez-le avec un bâton!", a conseillé le Premier ministre à une audience féminine présente lors d'un discours qu'il a prononcé à Sétif (ville de petite Kabylie à l'Est d'Alger où le 8 mai 1945 des manifestations autour de la fin de la seconde guerre mondiale furent réprimées dans le sang, point de départ de la guerre d'indépendance, ndlr)."

Femmes sans visages

La chaîne de radio internationale RFI met au jour une autre particularité qui nous laisse pantoises : "Sur les affiches du Front des forces socialistes, un parti de gauche laïc, pour ses candidates femmes aux élections législatives, pas de photo, mais un dessin et un blanc à la place du visage. Relevé par la presse, l'affaire fait réagir le parti qui évoque une « initiative malencontreuse » et affirme se battre pour l'émancipation des femmes. La Haute autorité de surveillance des élections commence par demander le remplacement des affiches. Mais deux jours plus tard, le président de l'instance fait volte-face : « Ces partis ont bien le droit de ne mettre que le nom des candidates, réagit-il. Cela est lié à leur politique de la communication. Nous ne voulons pas porter atteinte aux mœurs et aux traditions algériennes. »"

Le collectif pour les Droits et la Dignité de la femme algérienne (CDDFA) avait réagi dès le 15 avril 2017 pour faire part de sa stupéfaction : "un phénomène inattendu et pour le moins consternant retient l’attention d’une bonne partie de la société civile, celui de présenter pour la première fois dans l’histoire de notre pays, des candidates appartenant à diverses formations politiques dans une posture des plus inquiétantes, à savoir "sans visages", complètement couvertes ou présentées de dos. Nous, les initiatrices du Manifeste pour l’intégrité et la dignité de la femme algérienne, regroupées en un Collectif portant le nom de CDDFA (Collectif pour les Droits et la Dignité de la femme algérienne), une fois de plus, nous nous indignons fortement des pratiques alarmantes et réductrices de l’image de la femme par des partis politiques candidats aux législatifs algériennes."

Cette année, sur plus de 11000 prétendants aux 462 postes de députés, 30% sont des femmes. On leur souhaite bon courage et bonne chance.

Le slogan officiel des élections « <em>Fais entendre ta voix</em> » a été détourné sur les réseaux sociaux en « <em>Montre ton visage </em>» en réponse aux femmes candidates qui n’ont pas souhaité apparaître en photo sur les affiches.
Le slogan officiel des élections « Fais entendre ta voix » a été détourné sur les réseaux sociaux en « Montre ton visage » en réponse aux femmes candidates qui n’ont pas souhaité apparaître en photo sur les affiches.
(Twitter)
 
Reportage Les Hauts parleurs/TV5MONDE, Djamila Ould Khettab, Amina Boumaza
 
03 mai 2017 Sylvie Braibant
 

Les commentaires sont fermés.