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Vidéos - Page 2

  • Ya Rayah


    YA RAYAH ( Dahmane El Harrachi )

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Ya_Rayah

    L’émigré

    Oh où vas-tu?
    Ne te presses pas, tu reviendras
    Comme tant d’autres ignorants avant toi,
    Comme tant d’autres ignorants avant moi,
    sont revenus

    Combien de pays et de terres vides as-tu vu?
    Combien de temps as-tu perdu?
    Combien encore en perdras-tu ?
    Oh émigré
    Sais-tu ce qui se passe?
    Le destin et le temps suivent leur cours, mais tu l'ignores

    Pourquoi ton cœur est-il si triste?
    Et pourquoi demeures-tu si misérable?
    l’échec sera le résultat de ton regard obtus.

    Les jours passeront, et ta jeunesse aussi .
    Pauvre garçon, tu as raté ta chance, comme avant toi
    j’ai raté la mienne
    Oh émigrés, je vous donne un ultime conseil !
    étudiez ce qui est de votre intérêt avant de vendre ou
    d'acheter
    Sinon, in challah, vous vivrez mes mésaventures,
    Pour rejoindre d’un pas rapide, notre seigneur Dieu.
  • Les débuts triomphants de l’orchestre des Jeunes de Palestine au Royaume Uni (AURDIP)

    L’orchestre des Jeunes de Palestine au Royal Concert Hall de Glasgow, le 26 juillet 2016

    Fidèle à ses habitudes, la pluie tombe en martelant les toits de Glasgow. Dans le foyer du Royal Concert Hall, des jeunes gens vêtus de noir strict et portant des écharpes imprimées du quadrillage manifeste du keffiey palestinien, déambulent anxieusement. On perçoit la nervosité d’avant concert.

    C’est le deuxième soir de ce début de tournée de six soirées en Grande Bretagne de l’Orchestre des Jeunes de Palestine. Pour la première soirée de leur tournée, l’orchestre a rempli la salle de concert de Perth ; leur performance dans la monumentale salle de concert de Glasgow a fait le plein. Dans les étapes suivantes, il y aura Leeds, Birmingham, Cardiff et enfin Londres.

    S’il y eut en effet de la nervosité avant le concert, elle n’était pas nécessaire : l’Orchestre des Jeunes de Palestine a reçu une véritable standing ovation. Même les grands comme le Philarmonic de Saint Petersbourg ne reçoivent pas cet accueil lorsqu’ils se produisent en Ecosse.

    L’orchestre des Jeunes de Palestine connaît son public. Son programme varié a démontré son talent, mais a aussi tenu compte du fait que, en tant que nouveau venu sur la scène internationale, la vente des billets repose pour l’instant autant sur la solidarité que sur un public passionné de musique classique. Avec un échantillon diversifié de styles et de sensations, le programme de l’ensemble avait clairement – et avec succès – l’intention de satisfaire tous les goûts.

    Beethoven trouve un écho

    Le premier morceau fut l’Ouverture Leonore N°3 du seul opéra de Beethoven, Fidelio. Comme Layth Sidiq, le talentueux chef d’orchestre, l’a fait remarquer dans l’une des nombreuses courtes introductions et commentaires des différents membres durant la soirée, l’intrigue de cet opéra trouve un écho puissant chez ces jeunes Palestiniens puisqu’elle raconte l’histoire d’une jeune femme qui se déguise pour libérer son mari d’une prison politique.

    Ensuite, l’orchestre a accompagné la soliste Nai Barghouti dans trois chants arabes du 20ème siècle : deux écrits par les frères Rahbani, Libanais, pour la grande chanteuse Fayrouz, et un troisième par Zakariyya Ahmad, avec des paroles tirées d’une œuvre du poète égyptien Bayram al-Tunisi, composé originellement pour la diva égyptienne Oum Kalsoum.

    L’étoile montante Barghouti – née à Akka, diplômée du Conservatoire National de Musique Edward Saïd, compositrice et flûtiste aussi bien que chanteuse – a une voix étonnante. Avec des tonalités riches et profondes malgré son jeune âge, elle n’essaie pas de rivaliser avec Fayrouz ou Oum Kalsoum, mais elle fait siens ces chants, dans un style plus naturaliste et ouvert, une prestation sincère.

    La première moitié du concert s’est terminée avec « Métal », courte pièce du compositeur contemporain Graham Fitkin, œuvre festive inspirée de la musique classique britannique d’aujourd’hui. Cette œuvre hardie, rythmée, optimiste est le résultat d’une compétition ouverte organisée par l’orchestre des Jeunes de Palestine en 2015.

    Choisie parmi plus de trente enregistrements, l’oeuvre de Fitkin met en valeur la tension et le sens du rythme de l’orchestre ; d’une vibration vivante, presque pop, la percussion marquée a besoin d’être soutenue, plutôt qu’aléatoire, pour sonner juste. Heureusement, ce fut le cas.

    La seconde moitié du programme consista dans le choix d’une œuvre internationale favorite de l’orchestre, les Tableaux d’une Exposition de Moussorgski. Série de vignettes répondant aux peintures de l’ami du compositeur, Victor Hartmann, émaillant un motif de Promenade qui représente le compositeur marchant entre les images, c’est un morceau varié qui met en valeur le talent – ou, en cas de malchance, les défauts – des différents solistes et parties de l’orchestre.

    L’Orchestre des Jeunes de Palestine s’empare magnifiquement de l’oeuvre de Moussorgski, faisant alterner la Promenade limpide et touchante et les différents « tableaux », allant du « Ballet des Poussins Non-éclos dans leurs Coquilles », vivant et même comique, aux menaçantes « Catacombes ».

    Le contexte de l’occupation

    Lorsqu’on écoute cet orchestre talentueux, on oublie facilement que l’âge des musiciens va de 26 à tout juste 14 ans, et que rien que leur présence dans une salle de concert, pour une soirée, implique de surmonter d’énormes défis politiques et logistiques.

    Même si l’Orchestre des Jeunes de Palestine est issu du Conservatoire National de Musique Edward Saïd, qui a des ramifications en Cisjordanie occupée et dans le Bande de Gaza, les membres de l’orchestre se trouvent dans toute la Palestine, y compris à l’intérieur de l’État d’Israël.

    En réalité, deux musiciens n’ont pas pu rejoindre cette tournée, bien que prévus pour ces concerts : venant de Gaza, on leur a refusé la sortie par Israël.

    L’éloignement de leurs origines, joint à la réalité du contrôle sévère d’Israël sur la circulation des Palestiniens, fait que les musiciens n’arrivent à répéter avec la totalité de l’orchestre que pendant les tournées. Le programme de cette tournée a été peaufiné en Grande Bretagne, travaillé avec des professeurs au Conservatoire Royal d’Ecosse, et finalisé auprès de musiciens invités du Royaume Uni.

    L’histoire de beaucoup des membres de l’orchestre montre à quels obstacles politiques supplémentaires celui-ci est confronté. L’altiste Omar Saad, par exemple, est un jeune Druze citoyen d’Israël dont les talents musicaux ont souvent été ombragés par les nombreuses peines de prison auxquelles il a été condamné depuis ses 17 ans pour refus de servir dans l’armée d’Israël.

    Mostafa, le frère d’Omar, joueur d’alto dans l’Orchestre des Jeunes de Palestine, a lui aussi fait de la prison pour refus de conscription.

    Quelques membres de l’orchestre viennent de camps de réfugiés de Cisjordanie et plus largement du Moyen-Orient.

    D’autres sont des citoyens d’Israël qui ont grandi séparés de leurs camarades musiciens palestiniens ; la flûtiste Nardin Ballan, par exemple, a grandi à Nazareth et a étudié et joué à Tel Aviv avec des musiciens israéliens.

    Selon un porte-parole de PalMusic, organisation représentative de l’Orchestre des Jeunes de Palestine en Grande Bretagne, les toute premières visites de Ballan en Cisjordanie ont eu lieu avec l’orchestre et ont « changé sa vie ».

    En fin de compte cependant, l’Orchestre des Jeunes de Palestine a été constitué pour jouer de la musique et, à Glasgow, il a surmonté tous ses défis pour jouer si merveilleusement bien. Voir se produire cet orchestre, ce n’est pas un acte de solidarité, c’est un régal musical.

  • Israël face à BDS (Orient 21)

    Interview de Sylvain Cypel

    Hillary Clinton, une fois élue, tentera-t-elle de criminaliser la campagne Boycot-Désinvestissement-Sanctions (BDS) contre Israël ? « Cela pose problème aux États-Unis », dit Sylvain Cypel. D’abord parce que l’expression d’une opinion ne peut pas être criminalisée, ensuite parce que chaque tentative de criminalisation se transforme en échec politique. « Tenter de l’interdire renforce BDS. »

  • 14 juillet 1953 : répression coloniale, massacre d'État (Contretemps)

    Le 14 juillet 1953, une manifestation anticoloniale - appelée par le MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques) fondé par Messali Hadj, la CGT et le PCF - était réprimée dans le sang. 6 jeunes ouvriers algériens et un métallurgiste français, syndicaliste CGT, furent tués par balles, pour avoir revendiqué la fin du colonialisme et l'indépendance de l'Algérie.

    Dans ce texte, extrait de son livre La police parisienne et les Algériens (Nouveau Monde Editions, 2011), Emmanuel Blanchard revient sur ce massacre occulté et nous permet non seulement d'honorer la mémoire de ceux et celles qui, au péril de leur vie, combattirent le colonialisme et ses horreurs, mais aussi de souligner la continuité entre la violence de la répression coloniale et la harcèlement policier dont sont l'objet les descendant·e·s de colonisé·e·s aujourd'hui - y compris sous la forme de crimes presque toujours impunis.

    On pourra également visionner le documentaire de Daniel Kupferstein et consulter le livre de Maurice Rajsfus : 1953 : un 14 juillet sanglant (Agnès Viénot éditions). 

    Les circonstances de la répression de la manifestation du 14 juillet 1953 ne sont pas encore exactement connues. Les lacunes de l’historiographie se mêlent aux méandres de la mémoire faisant que cet événement reste aujourd’hui encore « porté disparu » : il s’agissait pourtant de la première fois depuis 1937 que la police parisienne faisait mortellement feu sur des manifestants. Le fait que cette répression ait visé les membres du PPA-MTLD qui, quelques mois plus tard, allait connaître une scission qui conduit à l’émergence du FLN, aux prétentions hégémoniques, explique en grande partie que les sept victimes de ce « massacre d’État »1, n’aient jamais véritablement été commémorées, ni en France, ni en Algérie.

    Le « mensonge d’État » érigé en mode de légitimation de l’action des forces de l’ordre n’a par ailleurs pas empêché que la vérité, notamment judiciaire, soit faite sur une répression dont le bilan (sept morts2) fut cependant immédiatement connu des contemporains. Si cette « tuerie politique » ne fit pas véritablement événement, c’est aussi parce qu’elle intervint à un moment où ces formes de maintien de l’ordre étaient monnaie courante dans l’empire et qu’elle fut par la suite occultée par le déclenchement de la guerre d’indépendance algérienne. Enfin, dans les décennies suivantes, la lente constitution du massacre du 17 octobre 1961 en « lieu de mémoire » n’a pas été intégrée à une séquence longue de la répression policière et des résistances algériennes aux forces de l’ordre.[...]

     

    Résistances et maintien de l’ordre en contexte colonial

    [...] Au Maroc, après l’écrasement des manifestations de Casablanca les 7 et 8 décembre 1952, qui fit des centaines de victimes, le gouverneur général Guillaume avait interdit l’Istiqlal, le parti nationaliste. Il manoeuvra ensuite de longs mois pour réduire à néant le pouvoir du sultan Mohammed V, qui fut déposé le 20 août 1953. La radicalisation terroriste d’une partie des nationalistes, les ratissages policiers, l’implication des forces de l’ordre dans les attentats « contre-terroristes » faisaient qu’en cette année 1953, le Maroc était en proie à une véritable lutte armée. Depuis février 1952 et le déploiement de troupes coloniales au cap Bon, la Tunisie était également aux prises avec le « fellaguisme », les actions armées et les violences de polices particulièrement actives dans les organisations « contre-terroristes » telle la « Main rouge ». La presse parisienne – dont les quotidiens populaires – relaya abondamment ces épisodes et l’implication des forces de l’ordre : le fait que tant en Tunisie qu’au Maroc, les manifestations politiques et syndicales donnaient l’occasion aux forces de l’’ordre d’ouvrir le feu était relaté par certains journaux et apparaissait ainsi que dans d’autres empires coloniaux, comme la seule façon de tenir l’ordre. La plupart des gardiens de la paix savaient donc qu’une partie des indépendantistes d’Afrique du Nord avaient fait le choix de passer au stade de la lutte armée et que les tutelles politiques des protectorats étaient prêtes à utiliser tous les moyens pour préserver l’ordre colonial et éviter que le scénario indochinois ne se répète. [...]

     

    La manifestation et la répression du 14 juillet 1953

    [...] Des consignes de discrétion avaient été données aux forces de l’ordre qui, pour la plupart, n’étaient pas visibles des manifestants. La circulaire officielle rappelait pourtant la fermeté attendue en cas de transgression des limites imposées aux organisateurs de la manifestation :

    Aucune banderole ou pancarte, dont l’inscription (en langue française ou étrangère) aurait un caractère injurieux tant à l’égard du gouvernement ou de ses représentants que d’un gouvernement étranger ou de ses représentants, ne pourra être portée par les manifestants.

    Aucun cri ou aucun chant séditieux ne devront être prononcés3.

    [...] Jusqu’à la place de la Nation, il n’y eut pas d’accrochages avec les forces de l’ordre, mais les manifestants furent attaqués par des parachutistes retour d’Indochine en permission à Paris. Ces derniers, après quelques escarmouches à l’entrée du faubourg Saint-Antoine avec des membres du PCF, avec qui ils se coltinèrent à nouveau en soirée, se heurtèrent aux militants du PPA-MTLD. La bagarre dura une vingtaine de minutes et tourna à l’avantage des Algériens. Six parachutistes ayant participé à échauffourées furent emmenés dans les hôpitaux avoisinants. Les autres soldats impliqués furent reconduits à leur cantonnement de la porte de Versailles par des cars de police. [...]

    C’est à partir de 17 heures et sur la place de la Nation que la journée prit un tour dramatique. Les archives de police consultées laissent transparaître le caractère subit et imprévu de l’événement, ainsi que la volonté ultérieure d’en donner une interprétation qui dédouane les forces de l’ordre. Dès la dispersion définitive de la manifestation, les rapports des différents commissaires de police engagés dans ce maintien de l’ordre privilégièrent « l’interprétation émeutière délibérée »4. Ils tentèrent d’accréditer la thèse de la légitime défense que tous les échelons hiérarchiques la préfecture de police souhaitaient imposer. [...]

    Deux éléments sont avérés : la réaction des Algériens fut extrêmement vive et les forces de l’ordre ouvrirent le feu sans sommation dès les premiers engagements, sans qu’on puisse déterminer lequel de ces événements détermina l’autre.

    Jusqu’à 17 h 30, sous une pluie battante qui contribua à augmenter la confusion, la place de la Nation, abandonnée par les organisateurs du défilé qui avaient quitté la tribune officielle, fut transformée en champ de bataille. Environ 2 000 Algériens, épaulés par quelques manifestants métropolitains – l’immense majorité d’entre eux s’étaient déjà dispersés ou avaient reflué3 –, prirent un temps le dessus sur les forces de l’ordre. Les barrières en bois installées place de la Nation à la demande des organisateurs furent brisées et servirent de projectiles ou de matraques, une vingtaine de véhicules de police furent endommagés dont au moins deux incendiés. Dans l’attente de renforts, les forces de l’ordre massées dans le cours de Vincennes se replièrent dans les rues adjacentes. Ces renforts arrivèrent principalement des boulevards de Charonne et de Bel Air. Ils prirent les manifestants à revers dans une manœuvre dont on peut imaginer la violence réciproque. Ils réussirent à traverser une place de la Nation jonchée de débris et de corps de manifestants tués ou blessés par des tirs qui furent particulièrement nombreux et nourris. À 17 h 30, le calme était revenu et à 18 heures, la place de la Nation était dégagée. Des groupes de gardiens continuaient cependant de poursuivre, notamment grâce aux informations de passants, les manifestants, souvent blessés, qui étaient allés se réfugier dans des immeubles des rues adjacentes.

    Le bilan humain laisse peu de doute quant à l’usage différencié de la force par les deux groupes en présence : d’après le bilan officiel de Ia préfecture de police, au vu des blessures déclarées – 16 gardiens furent hospitalisés à la suite de la manifestation, une cinquantaine « cessèrent le service »– l’immense majorité des Algériens étaient armés des seules « armes par destination » que constituèrent les manches de banderoles et les barrières cassées. Entre trois et cinq gardiens furent cependant superficiellement blessés par des « objets tranchants », sans doute des couteaux. Si cette arme avait été aussi massivement employée que le suggèrent certains rapports, le bilan aurait été tout autre. [...] Il reste qu’une dizaine de gardiens furent grièvement blessés – un fut trépané –, victimes de traumatismes crâniens et faciaux, occasionnés par la violence de coups répétés portés par les manifestants à l’aide d’objets les plus divers (morceaux de ciments, etc.).

    Du côté des manifestants, le lourd bilan des blessés (50 dont 44 Algériens, d’après les états de la préfecture de police) est sans doute très largement sous-estimé : certains médecins hospitaliers étaient réticents à répondre aux injonctions de la préfecture de police et des blessés préférèrent ne pas se rendre dans les hôpitaux plutôt que de risquer d’y être arrêtés. Les sept morts et les 40 blessés par balles recensés témoignent cependant de l’usage massif des armes par les forces de l’ordre. [...]

     

    « Mensonge d’État » et contournement de l’arène judiciaire

    Cette thèse de la légitime défense s’était initialement appuyée sur des témoignages arguant que les Algériens étaient les premiers à avoir ouvert le feu. Mais même dans une institution rompue à la fabrique du mensonge, cette mise en cause, qui ne pouvait s’appuyer sur aucun élément matériel et tranchait par trop avec ce qu’avaient vu des milliers de témoins, fut abandonnée. Dans le débat public, les Algériens ne furent pas accusés d’avoir utilisé des armes à feu. La mise en cause sur ce point resta métaphorique : « Si leurs yeux avaient été des mitraillettes, nous aurions été tués » fut ainsi la formule reprise par le ministre de l’Intérieur citant un des gardiens engagés ce jour-là5.

    Comme ils ne pouvaient pas justifier la violence policière par un usage réciproque des armes à feu, le ministre de l’Intérieur et les hauts dirigeants de la préfecture de police se replièrent sur les régimes de justification rhétorique habituellement utilisés. La police parisienne avait dû faire face à une « émeute » et s’opposer à ce que Léon Martinaud-Déplat, ministre de l’Intérieur qualifiait de :

    [...] foule déchaînée, une foule qui, prise de cette fièvre que le déclenchement d’une bagarre provoque toujours, était capable de mettre à mort les quelques policiers qui n’avaient pas pu rejoindre leurs camarades et leurs chefs6.

    Cette intervention devant la chambre des députés, fondée sur les rapports de la préfecture de police, est un véritable modèle de « mensonge d’État » : le ministre de l’Intérieur commença ainsi par dire que toutes les pancartes et les calicots avaient été interdits ; insista, en dépit des bilans médicaux disponibles, sur le fait que de nombreux Algériens usèrent de couteaux ; il aggrava sciemment les blessures de ses agents et ne cessa de se référer à des preuves photographiques que nul ne vit et qui ne figurent pas dans les dossiers d’archives. [...]

    Les manifestants algériens [...] étaient décrits par certains observateurs comme sous l’emprise d’un « fanatisme politique exaspéré (sic) » ou de la :

    « Nefra », [cette] brusque flambée de brutalité sanguinaire. Une sorte de folie collective s’empare de la foule excitée par des cris et des chants (dans la circonstance c’était le slogan : « libérez Messali Hadj »). Si les agents qui étaient en situation manifeste d’infériorité numérique, puisqu’ils ont dû se replier, n’avaient pas fait usage de leurs armes, ils auraient été lapidés et matraqués l’un après l’autre. Il s’agit [...] d’une explosion de fanatisme maghrébin qui a placé la force publique en état de légitime défense7.

    Les spécialistes du maintien de l’ordre colonial mobilisaient ainsi des notions forgées outre-mer pour justifier une intervention policière place de la Nation, intervention dont les modalités étaient effectivement très proches de celles alors utilisées pour mettre fin aux cortèges revendicatifs et aux manifestations violentes des colonisés au Maroc et en Tunisie.

    Alors que depuis la Libération la police parisienne n’utilisait jamais les armes pour disperser les cortèges, même interdits, les sept morts du 14 juillet 1953 n’occasionnèrent pas véritablement de remous internes. Même le principal syndicat des gardiens, le Syndicat général de la police parisienne (SGP), passa sous silence ces victimes. [...]

    Le ministère de l’Intérieur s’en tint au récit forgé par la préfecture de police qui cherchait avant tout à camoufler les défaillances de ses cadres En effet, il semble que les gardiens avaient échappé à l’autorité de leur chefs. Ils ont tiré sans que l’ordre leur en ait été donné, mais ils savaient pertinemment que la hiérarchie n’aurait pas d’autre solution que de les couvrir. Cette interprétation qui ne dédouane en rien un commandement qui fut tout à la fois incompétent et complice, est en tout cas suggérée par plusieurs documents d’archives. Ce témoignage d’un commissaire, qui reflète certes plus ses propres opinions que celles qu’il prête aux gardiens de la paix, est particulièrement édifiant sur la manière dont certains policiers parisiens percevaient les manifestants algériens :

    [...] [les gardiens de la paix] affirment que si les parlementaires ont accordé la qualité de citoyens français aux Nord-africains, ils ne se sont pas inquiétés des répercussions de cette décision. Aucune restriction, aucune réglementation n’est venue tempérer chez ces inadaptés le droit incontestable qu’ils ont dans la métropole de vivre et de circuler selon leur bon plaisir. Il résulte de cette liberté inconsidérée accordée à des hommes frustres, illettrés, primitifs, facilement accessibles à des promesses démagogiques de multiples incidents, plusieurs fois quotidiens, souvent graves, que les gardiens de la paix, et eux seuls, sont appelés à résoudre [...]8.

    [...]Les réponses apportées à l’usage des armes par les gardiens de la paix et la manière dont furent diligentées les enquêtes judiciaires et internes – aucune sanction ne fut prononcée – ne pouvait que conforter les policiers parisiens dans leur volonté de régler par la violence le « problème nord-africain ». Devant les députés, Léon Martinaud-Déplat avait affirmé que l’enquête judiciaire permettrait de faire la lumière sur les événements. Or, il savait pertinemment que les juges étaient enfermés dans le cadre procédural, ainsi que par le récit de l’événement donné par les rapports internes de la police parisienne.

    En effet, dès le 15 juillet, afin d’éviter toute enquête parlementaire9, les pouvoirs publics portèrent plainte contre X et demandèrent l’ouverture d’une information sur les événements de la veille. Le juge d’instruction n’enquêta donc pas sur les tirs policiers mais sur des faits de « rébellion » et de « violences envers des dépositaires de la force publique ». Ce n’est qu’en septembre 1953, suite à la constitution comme partie civile de trois membres de famille de victimes représentés par Pierre Stibbe10, que la saisine du juge d’instruction Jaurès, fut élargie et qu’il put « enquêter » sur la mort des sept manifestants. Dans les faits, même s’il entendit quelques témoins Algériens, il se contenta des éléments fournis par la préfecture de police. L’ordonnance de non-lieu rendue le 22 octobre 1957 par le juge Soulet se contentait de reprendre les réquisitions écrites du procureur général et fut confirmée en appel le 23 janvier 195811. [...]

    C’est donc l’interprétation policière des événements et de la juste répression d’une émeute violente qui s’imposa après le 14 juillet 1953. Dans les jours qui suivirent la tuerie de la place de la Nation, les RG de la préfecture de police n’eurent même de cesse de mettre en garde contre de nouvelles « violences » et « vengeances » des nationalistes algériens. [...]

    Ces mises en garde récurrentes, démenties tant par les RG de la Sûreté nationale que par la suite des événements, ne pouvaient que contribuer à renforcer le sentiment de défiance, voire de haine, d’une partie de la base policière à l’encontre des Algériens. Dans les heures et jours qui suivirent la manifestation, les descentes de police à la Goutte d’Or furent l’occasion d’assouvir ces sentiments, dans un quartier emblématique des résistances algériennes aux contrôles et répressions policières.

    http://www.contretemps.eu/interventions/14-juillet-1953-répression-coloniale-massacre

  • Au Maroc, les Journalistes font face à une répression illisible (Médiapart)

     

    Depuis le début de l'année 2016, les procès à l'encontre des journalistes se multiplient.

    Le pouvoir tente de réduire au silence toute voix critique, selon des critères de plus en plus flous, dans l’espoir d’éteindre les dernières lueurs du mouvement du 20-Février. .

    Ali Anouzla est un habitué des tribunaux. Le 26 avril, le directeur du journal électronique Lakome2 3 est à nouveau convoqué par la justice marocaine. Cette fois-ci, il est accusé d'« atteinte à l'intégrité territoriale », à la suite d’une déclaration au journal allemand Bild, dans laquelle il aurait utilisé l'expression « Sahara occidental occupé ».

    Une ligne rouge dans le royaume, où le statut marocain du Sahara ne souffre d'aucun débat.

    Anouzla affirme qu'il s'agit d'une erreur de traduction, d'ailleurs assumée et corrigée par le quotidien allemand. Ali Anouzla est aussi poursuivi pour incitation et apologie du terrorisme depuis octobre 2013 pour un article publié dans Lakome (fermé depuis et remplacé par Lakome2) qui contenait un lien vers un blog du journal espagnol El Pais, qui renvoyait à son tour vers une vidéo d'AQMI menaçant le Maroc. Son arrestation et son incarcération – il a passé 39 jours en détention – avaient suscité une forte vague d'indignation dans un Maroc encore agité à l’époque par la contestation, amorcée deux ans et demi plus tôt, par les jeunes du 20-Février.

    Sur le net, la censure des versions arabophone et francophone de Lakome, un journal plutôt rare dans le paysage médiatique marocain, avait fait grand bruit.

    D'après ses soutiens, Anouzla, qui a par ailleurs déjà été condamné par la justice marocaine dans d'autres affaires, était à nouveau poursuivi uniquement parce que ses écrits dérangeaient. Il était alors l'un des rares journalistes à bousculer les fameuses lignes rouges, qui ne sont ni précisément énoncées ni définies – grosso modo, la monarchie, l'islam, la question du Sahara– et qu'un nombre de plus en plus réduit de journalistes tentent encore de bousculer. Selon de nombreux observateurs, ce type de poursuites, parfaitement assumées par les autorités, qui parlent d’un bilan plutôt avantageux en matière de liberté de la presse et d'expression, illustre une répression contre toute voix dissonante, entamée en 2013, une fois que l'essoufflement du mouvement contestataire des jeunes du 20-Février s'est réellement fait sentir.

    L'année suivante, le ministre de l'intérieur Mohamed Hassad annonçait au parlement, en les accusant d'entraver la lutte contre le terrorisme, un durcissement à venir contre les ONG, surtout l'Association marocaine des droits de l'homme (AMDH), accusées d’entraver la lutte contre le terrorisme. 3 Ces derniers mois, les pressions à l'encontre des journalistes et des activistes se sont encore intensifiées. Le Maroc, partenaire majeur de l'Occident dans la lutte contre le terrorisme et régulièrement félicité à ce titre, a les coudées franches pour museler les opposants. On fait peu de cas dans la presse étrangère – à laquelle le pouvoir est particulièrement sensible – des dérapages en matière de droits de l’homme et de liberté de la presse. Le Maroc continue de jouir à l’extérieur de son image d'« exception » dans la région, laissant les mains libres aux décideurs pour régler le thermostat de la liberté d'expression selon les nécessités politiques.

    Le 23 mars, l'historien et opposant Maâti Monjib était ainsi convoqué devant le tribunal de première instance de Rabat. Il est accusé, ainsi que six journalistes et activistes, de « financements étrangers illégaux » et d'« atteinte à la sécurité de l'État ». Le juge a reporté le procès au 29 juin en l'absence de deux des accusés. Président de l'association de défense de la liberté d'expression Freedom Now, née du Comité de soutien à Anouzla créé il y a deux ans, et qui n'est toujours pas reconnue par les autorités, et de l'AMJI (Association marocaine du journalisme d'investigation), Maâti Monjib répète sur tous les tons subir un harcèlement des autorités. En octobre, il avait d'ailleurs observé une grève de la faim de 24 jours pour protester contre une interdiction de quitter le territoire, levée depuis. Mais les poursuites judiciaires ont été maintenues.

    Mardi 19 avril, Abdellah Bakkali, président du syndical national de la presse (SNPM), député du parti de l'Istiqlal et rédacteur en chef du journal Al Alam, comparaissait lui aussi devant la justice, poursuivi pour diffamation. 3 Le ministère de l'intérieur a déposé une plainte pour un article publié en octobre dernier ainsi que contre une déclaration faite au site Alyaoum24 au sujet de la corruption lors des dernières élections, explique Bakkali lors d'un entretien téléphonique avec Mediapart.

    « Il y a un recul en matière de droits humains. En témoignent les poursuites à l'encontre des journalistes, des pressions sur l'AMDH, de la répression des manifestations des enseignants stagiaires », affirme-t-il. « Il y a un courant au sein du pouvoir qui est opposé au changement constitutionnel de 2011. »

    Ce tour de vis ne cible pas uniquement la presse locale.

    Début avril, des journalistes du “Petit Journal” de Canal + ont été arrêtés à Beni Mellal, où ils effectuaient un reportage sur une agression homophobe qui y avait eu lieu quelques jours auparavant, puis renvoyés vers la France après un passage de plusieurs heures à la préfecture. Ils ne disposaient pas d'une autorisation de tournage, obligatoire au Maroc pour les chaînes non accréditées. Mais ces autorisations sont distribuées au compte-gouttes, d'après de nombreux journalistes qui se sont frottés au ministère de la communication. Et à son silence. Souvent, ils n'obtiennent aucune réponse et décident donc de se rendre tout de même sur place. Pourquoi cette récente rigueur de l'État marocain ? Les journalistes contactés ont des difficultés à analyser ses véritables motivations. « C'est la zone grise », avance le journaliste du nouveau journal Le Desk 3 Imad Stitou. « Mais avec les poursuites contre les défenseurs de droits de l’homme, on voit qu'ils sont moins tolérants qu'avant. Dans un contexte où l'État déclare qu'il est en guerre contre le terrorisme, ça devient difficile de critiquer les institutions sécuritaires, entre autres. » « On ne comprendra jamais les motivations du cerveau sécuritaire de l'État. Il n'y a aucune explication logique », poursuit-il. « Pourquoi maintenant ? Je me pose la même question. »

     

    « Ce n'est pas nouveau de laisser les gens dans l'ambiguïté », déplore l'ancienne présidente de l'AMDH et secrétaire générale de Freedom Now Khadija Ryadi. « Une chose est interdite un jour et pas le lendemain. Même les textes de loi sont flous. Les lois sont comme des élastiques. Tout dépend des rapports de force, de la situation politique, sauf de la loi. C'est très tendu actuellement, c'est la répression. On ne sait pas ce qu'ils veulent, où ils veulent emmener le pays. Ceux qui décident ont-ils une visibilité ? Sont-ils conscients de la gravité de la situation ? Et puis qui décide ? Chacun dit : “Ce n'est pas moi.” On sait que le gouvernement, ce n'est pas lui qui décide. Il ne fait qu'exécuter les ordres. Et puis en ce moment, chacun est tourné vers les élections. » Ce manque de clarté du pouvoir, qui tolère, puis censure quand bon lui semble, parfois sans signes avant-coureurs, Rik Goverde en a fait les frais. En novembre dernier, ce journaliste néerlandais présent au Maroc depuis deux ans, a été expulsé sans raison apparente et renvoyé vers l'Espagne par bateau en pleine nuit. « J'ai été officiellement expulsé parce que je travaillais sans carte de presse. Ce qui était vrai. Donc le Maroc avait le droit juridique de m'expulser, je pense », raconte Goverde depuis les Pays-Bas, où il n'exerce plus son métier de journaliste. « J'étais dans le pays légalement avec un visa touristique. Néanmoins, j'ai demandé mon accréditation deux fois, dans les temps, début 2014 puis 2015. J'ai fourni toutes les informations au ministère de la communication et demandé à plusieurs reprises si je devais parler à quelqu'un ou répondre à d'autres questions. » « La plupart du temps, j'étais relativement libre de travailler », nuance-t-il. « Mais je n'ai aucun doute sur le fait que j'ai été suivi, surtout à Tanger, Nador, près de la frontière algérienne, et Ouarzazate. J'ai été interrogé plusieurs fois par la police et mes photos ont été quelquefois effacées lors de manifestations ou près d'Imider [où a lieu un sit-in ininterrompu depuis août 2011– ndlr]... J'ai travaillé en Tunisie, Libye, Égypte. Surtout dans ces deux derniers pays, travailler comme correspondant est nettement plus difficile qu'au Maroc. »

    Certains journalistes marocains racontent subir une répression d'un tout autre type : sourde, indirecte, mais tout aussi difficile à appréhender.

    À tel point qu'ils ne peuvent plus travailler ou vivre de leur métier. L'an dernier, Ali Lmrabet, souvent décrit comme le trublion de la presse marocaine, observait une grève de la faim pour dénoncer le refus des autorités de lui délivrer les documents nécessaires au lancement de son journal. Lmrabet avait été condamné à 10 ans d'interdiction d'exercer en 2005. Une condamnation unique. Son projet, monté en collaboration avec le caricaturiste Khalid Gueddar – lui-même condamné l'été dernier à trois mois ferme dans une affaire d'ébriété sur la voie publique remontant en 2012 – et l'humoriste contestataire Ahmed Snoussi alias Bziz, n'a toujours pas pu voir le jour. « Ils m'ont fait remettre mes papiers en Espagne, alors que je n'y réside plus, preuves documentaires, et très nombreuses, à l'appui, comme l'attestation du consul général du Maroc à Barcelone, qui atteste que je ne vis plus en Espagne », explique Lmrabet. « C'est une manœuvre pour m'empêcher de relancer mes journaux », accuse-t-il. « Sans domiciliation au Maroc, je ne peux pas demander un certificat de résidence, et sans ce certificat je ne peux pas demander l'autorisation pour lancer un journal. De plus, ils m'ont fait retirer illégalement, puisque j'ai toute ma documentation en règle, l'autorisation de gérance d'un riad, qui me permettait de faire vivre ma famille. »

    Ces derniers temps, la diffamation est devenue un outil de répression supplémentaire, notamment à travers des sites nouvellement créés.

    « Quand tu es un journaliste indépendant, tu n'es pas seulement face au Makhzen [les autorités du régime – ndlr] mais aussi face à des opérations de diffamation. Tu te bats contre des confrères qui balancent des infos sur toi, dans une société conservatrice. Tu es pris entre le marteau et l'enclume », explique le journaliste Soulaiman Raissouni. Raissouni, qui vient de lancer un nouveau site d'information Al Aoual 3, se souvient de ses premiers tracas alors qu'il travaillait encore au quotidien Al Massae en avril 2015. « Ils ont commencé par ne plus faire passer mes articles. Pendant sept mois, j'ai été payé. Rien n’était publié », raconte-t-il. Le journaliste était alors responsable des rubriques culture et investigation : une enquête sur les dessous du festival d'Asilah avait fortement déplu, d'après lui. C'est aussi à ce moment-là que Raissouni entreprend des activités militantes qui posent problème à sa rédaction. Il devient le coordinateur du comité de soutien à Ali Lmrabet, puis de celui de Maâti Monjib. Pas d'organe de presse indépendant Mais il est alors « difficile de le renvoyer » car il est élu délégué des salariés du journal. Les confrères qui le soutiennent et ont voté pour lui subissent des pressions (mutations dans une autre ville, par exemple), raconte Raissouni. Le bras de fer durera plusieurs mois, jusqu'à ce qu'il décide de prendre la parole dans les médias et de quitter le journal avec un confrère pour créer son propre site d'information.

     Pour certains, la pression devient si intenable qu'ils ne voient d’autre option que de quitter le pays.

    Le rappeur Mouad Belghouate, connu sous le nom de Lhaqed, a demandé l'asile politique en Belgique, où il se trouve depuis maintenant plusieurs mois, pour échapper à ce qu'il perçoit comme un harcèlement des autorités. Alors qu'il était en voyage en Belgique, Lhaqed, déjà plusieurs fois condamné par la justice, a décidé de ne plus retourner au Maroc. « Je suis menacé au Maroc. La police est venue me chercher à la maison alors que j'étais en dehors du pays et j'ai décidé de rester ici », explique Lhaqed depuis Bruxelles. « Ils ont demandé à ma famille où je me trouvais et leur ont délivré une convocation, sans motif ni date, en disant que si je rentrais au Maroc, je serais arrêté à l'aéroport. » Militant du mouvement du 20-Février, connu pour ses raps critiques envers le pouvoir, où il allait jusqu'à s'adresser directement au roi, il a été, selon ses soutiens et de nombreuses ONG, victime d'un acharnement judiciaire. Il a effectué trois peines de prison depuis 2011. Il a notamment été condamné à un an de prison pour « atteinte à un corps constitué » pour le clip – dont il nie être l'auteur – d'une chanson sur la police datant de 2010, « Les chiens de l'État », dans lequel la tête d'un policier est remplacée par celle d'un âne.

    Après sa troisième incarcération pour « ébriété sur la voie publique » et « violence sur agents » en 2014, il a enregistré un album, toujours aussi irrévérencieux.

    Il n'a même pas pu le présenter à la presse, la conférence ayant été interdite. Depuis la Belgique, il collabore avec le journal Goud.ma, dans lequel il a raconté sa détention. Pourquoi les autorités mettent-elles un tel acharnement à le faire taire, alors que la contestation est si faible ? « Je n'ai pas changé, je ne suis pas revenu sur mes idées et j'ai continué à les déranger », répond Lhaqed. « C'est comme ça lorsqu'on vit dans un État dictatorial. Il ne faut pas dépasser les lignes rouges. En ce moment, il y a un recul dangereux des droits de l’homme et l'État se venge des gens du mouvement. L'État veut récupérer sa Hiba [sorte d'autorité empreinte de la peur qu'il inspire et de respect – ndlr], disparue avec le mouvement des jeunes du 20-Février. »

    Pendant ce temps, la sphère politique continue de débattre d’un futur code de la presse sans cesse annoncé, censé mettre fin aux peines privatives de liberté.

    Mais certains élus craignent un transfert de ces peines du code de la presse vers le code pénal pour des délits comme l'atteinte à la personne du roi ou aux symboles nationaux. Reda Benotmane, chargé de projet à l'AMDH, attend ce nouveau code avec beaucoup de scepticisme. « Je pense que tant que les lois sont ce qu'elles sont, nous serons dans une situation régressive, y compris avec le nouveau code », affirme-t-il. Difficile, selon ce fin observateur des médias, de rencontrer des journalistes réellement indépendants, dans ce contexte : « Dans l'absolu, il doit en exister. Mais je n’en vois pas de trace. Je ne connais pas d'organe de presse indépendant des circuits du pouvoir. » Selon le dernier classement de Reporters sans frontières, le Maroc se situe dans la zone rouge pour la liberté de la presse : au 131e rang mondial, loin derrière la Mauritanie et la Tunisie. Il recule d'une place par rapport à l'année précédente Ce classement ne reflètait déjà pas la réalité 3, selon Mustapha Khalfi, ministre de la communication et porte-parole du gouvernement. Pour lui, 2015 a été une année « exceptionnelle » en matière de liberté de la presse.

    25 avril 2016

    Par Ilhem Rachidi - Médiapart

    http://www.le-chiffon-rouge-morlaix.fr/

  • Maroc : des détenus sahraouis en grève de la faim depuis le 1er mars (Essf)

    Aziza Brahim

    Le 1er mars, le défenseur des droits de l’homme sahraoui Naama Asfari et 11 de ses codétenus ont entamé une grève de la faim illimitée pour protester contre leur détention arbitraire.

    Alors que leur état de santé s’est détérioré, l’ACAT appelle la France à faire pression sur le Maroc pour que Naama Asfari et ses codétenus soient libérés.

    Le 15 mars, les grévistes de la faim avaient perdu en moyenne 7 kilos chacun. Ils souffrent pour la plupart de douleurs chroniques au cœur et aux intestins ainsi que d’une baisse de la tension artérielle. Après 17 jours de grève, aucun responsable pénitentiaire n’étant venu s’enquérir des revendications des détenus ces derniers ont décidé d’arrêter les consultations médicales, basées sur des mesures de poids, du pouls et de la tension.

    Cela fait trois ans que Naama Asfari et ses coaccusés ont été condamnés pour leur participation présumée au camp de protestation sahraoui de Gdeim Izik en novembre 2010 [1]. Au cours de l’évacuation forcée du camp, des affrontements ont éclaté entre l’armée et des manifestants sahraouis, au cours desquels neuf soldats marocains auraient trouvé la mort.

    Naama Asfari a été condamné pour meurtre alors même qu’il a été arrêté la veille du démantèlement. Torturé, battu, humilié, privé d’eau et de nourriture pendant sa garde à vue en 2010, il avait signé des aveux sous la torture. Ces aveux sont les seuls fondements de sa condamnation inique, dictée par un tribunal militaire : 30 ans de prison. Avec lui, 24 autres militants sahraouis ont subi un sort similaire et ont été condamnés à des peines allant de 20 ans à la réclusion criminelle à perpétuité. Les tortures qu’ils ont subies ainsi que leur procès ont été condamnés par plusieurs instances des Nations unies.

    Selon Hélène Legeay, responsable Maghreb/Moyen-Orient à l’ACAT, « la grève de la faim de ces militants sahraouis a déjà trop duré. Après trois ou quatre semaines de grève de la faim, des dégâts parfois irréversibles apparaissent. Comment la France peut-elle rester silencieuse face à des victimes de torture qui mettent leur vie en jeu pour réclamer justice, tout en réaffirmant qu’elle va décorer un responsable marocain soupçonné de complicité de torture ? » |2]

    Le mandat de la MINURSO, la mission des Nations Unies au Sahara occidental, sera renouvelé à la fin du mois d’avril. Il s’agit de la seule mission de l’ONU qui ne dispose pas d’un volet concernant les droits de l’homme, notamment du fait de l’opposition du gouvernement français.

    En février 2014, l’ACAT a déposé une plainte pour torture en France aux côtés de Naama Asfari et son épouse française, Claude Mangin. L’ACAT a aussi porté plainte contre le Maroc auprès du Comité contre la torture des Nations unies. , par ACAT France

    ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture)

    Communiqué de presse

    Notes aux rédactions :

    · [1] À partir du 9 octobre 2010, des milliers de Sahraouis d’El-Ayoun, Boujdour, Dakhla et Smara, des villes situées dans la partie du Sahara occidental sous administration marocaine, ont quitté leur résidence pour s’installer dans des campements temporaires à la périphérie des villes. Il s’agissait là d’une mobilisation collective spectaculaire destinée à protester contre les discriminations économiques et sociales dont les Sahraouis s’estiment victimes de la part du gouvernement marocain.

    · [2] Le 20 septembre 2015, François Hollande a annoncé qu’Abdellatif Hammouchi, le chef de la DGST marocaine, « se fera remettre la distinction d’officier de la Légion d’honneur au moment où ce sera souhaitable et opportun ».

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article37583