Immédiatement après l’attentat du 18 mars au musée du Bardo, les organisateurs du Forum social mondial (FSM) ont refusé de se laisser intimider et ont maintenu l’intégralité du forum, y compris les deux manifestations, en ouverture le 24 mars et en clôture le 28.
Au final, environ 45 000 personnes ont participé au FSM à l’université de Tunis, contre 60 000 en 2013. Le nombre d’étrangers est resté à peu près stable, la diminution de certaines délégations étant compensée par la hausse d’autres, par exemple d’Amérique latine ou d’Afrique, et même une quarantaine de Chine.
Par contre, il y a eu une baisse sensible du nombre de TunisienEs, même si le nombre de jeunes du pays hôte marquait l’animation du FSM dans toutes ses dimensions. Deux explications sont avancées : les déceptions accumulées sur les perspectives politiques, ainsi qu’une météo exécrable qui empêchait notamment les plus désargentés de dormir sous des tentes.
Nouveau souffle ?
Une préoccupation devient prégnante parmi les initiateurs des Forums sociaux : quel nouveau souffle serait possible pour cet acquis majeur de « l’altermondialisme » ? Celui-ci reste en tout cas un rendez-vous important pour tous les réseaux de lutte : sur les questions écologiques, paysannes et de souveraineté alimentaire, féministes, syndicales, de solidarité internationale et pour l’autodétermination des peuples, contre les institutions financières et les multinationales, etc. La question des migrants et réfugiés a été beaucoup plus présente que dans les forums précédents.
À l’heure où ces lignes sont écrites, il est trop tôt pour tirer un bilan plus complet de ce Forum. Dans l’immédiat, nous reproduisons ci-contre une intervention de Fathi Chamkhi lors d’un des nombreux débats concernant la dette.
Dominique Lerouge et Jacques Babel
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"En Tunisie, nous sommes accablés par cette plaie qu’est la dette. On a fait une révolution, mais la dette est toujours là.
Aujourd’hui la Tunisie est en crise et dans l’impasse. Elle est en quelque sorte coincée par deux intégrismes : l’intégrisme religieux, et l’intégrisme du néolibéralisme qui a fait tant de mal au peuple tunisien, qui l’a saigné à blanc, notamment à cause de la dette. La dette est un outil de pillage, mais c’est aussi un outil de domination politique. À travers la dette, les multinationales et les États impérialistes imposent un régime néocolonial. Ils remettent en cause notre souveraineté nationale et nous empêchent d’avancer vers l’émancipation sociale.
À en juger par le mécontentement actuel, la rage qui existe dans le cœur des TunisienEs, on est en droit de se demander si nous n’allons pas vers une seconde révolution. En ce moment, il y a par exemple un mouvement de grève très important des enseignants du second degré. Ils sont 90 000 et ont fait une série de grèves de 48 heures. Puis ils ont refusé de faire passer les examens trimestriels.
Leur syndicat UGTT a décidé d’appeler à boycotter également les examens du troisième trimestre, ainsi que les examens nationaux si leurs revendications n’étaient pas satisfaites. J’ai cité ce mouvement social pour montrer combien les Tunisiens aspirent au changement. Il s’agit d’un désir énorme qu’ils ont exprimé à plusieurs reprises. Mais la dictature de la dette est là. L’économie et la société tunisienne ont été restructurées de façon à rendre le pays « addict » à la dette. Ce système qui nous a été imposé nous a fait beaucoup de mal, il a causé beaucoup de ravages sociaux.
L’Union européenne décide à la place des TunisienEs : elle donne ses ordres et le gouvernement les exécute, ne faisant que gérer les affaires courantes en se moquant royalement de l’expression démocratique des citoyens tunisiens.
Le FMI, la Banque mondiale et la Banque africaine de développement disent tous dans leurs discours qu’ils sont pour l’aide, les réformes, leur désir de faciliter la transition démocratique. Mais ils sont les premiers à leur barrer la route.
Nous menons la bataille contre la dette depuis le départ du dictateur. Nous disons aux TunisienEs que Ben Ali n’était qu’un paravent qui cachait la vraie dictature. Aujourd’hui, avec ses 15 députés, le Front populaire continue cette lutte. Et l’opinion publique, les classes laborieuses et la jeunesse doivent s’approprier cette question. À l’image de la Grèce et peut-être un peu plus encore car nous subissons cette dictature néolibérale de la dette depuis 29 ans, la Tunisie est aujourd’hui à la croisée des chemins : ou bien ce sera l’impasse, et tous les dangers comme on l’a vu avec le terrible attentat terroriste du 18 mars dernier ; ou bien ce sera l’alternative, en avançant dans ce changement que veut la grande majorité des TunisienEs. Et nous sommes déterminés à faire triompher cette deuxième voie, comme nous l’étions face à la dictature de Ben Ali. Nous sommes décidés à ôter de notre route tous les barrages qui l’obstruent, en commençant par la dictature que nous impose la Commission européenne".
Fathi Chamkhi
(Député du Front populaire, militant de la LGO et animateur de Raid/Attac/CADTM Tunisie)