Beyrouth, place des Martyrs
Ils étaient des dizaines de milliers, samedi place des Martyrs, au centre-ville de Beyrouth, à crier leur ras-le-bol d’une classe politique libanaise qu’ils jugent corrompue et incompétente. Quelques images de cette manifestation organisée par le collectif de la société civile « Vous Puez! », qui a rassemblé des Libanais venant des quatre coins du pays. Ci-dessus, quelques morceaux choisis.
Qui sont ces Libanais venus dénoncer l’incurie du gouvernement au cœur de Beyrouth?
Ils n’étaient qu’une poignée d’irréductibles, il y a plus d’une dizaine de jours, à manifester sous le slogan « Vous Puez! » contre la gestion gouvernementale désastreuse du dossier des déchets. Le week-end dernier, ils étaient déjà plus nombreux, au centre-ville de Beyrouth, à dénoncer l’incurie du gouvernement. Des rassemblements qui avaient fini par déraper, notamment en raison de l’infiltration de fauteurs de troubles, en affrontements avec les forces de l’ordre, qui avaient eu la main lourde en matière de répression.
Samedi, à l’appel des activistes du collectif « Vous Puez ! », des dizaines de milliers de Libanais sont descendus, place des Martyrs, pour dénoncer l’incurie des autorités. Dans le cadre de cette manifestation, les revendications pour une solution à la crise des ordures ont souvent été diluées dans une marée de demandes sociales et politiques. L’expression d’un ras-le-bol général.
L’Orient-Le Jour a interrogé dix de ces manifestants aux profils diverses, venus des quatre coins du pays pour crier leur colère contre les responsables politiques. Voilà pourquoi ils sont venus manifester :
Ali el-Hage, 52 ans, agriculteur, originaire de Maaraké (Tyr)
« Je suis venu réclamer le changement. Je veux changer le pays. Il nous faut un Etat laïc (en bonne et due forme). Assez des zaïms et des chefs politiques! Nous en sommes dégoûtés. Nous devons être des citoyens libanais honnêtes ».
Mahdi Haïdar, 30 ans, employé chez Porsche, et son neveu Jeffrey, trois ans, originaires du Liban-sud
« Nous avons tous le devoir de manifester. Mon salaire ne me suffit pas. On nous vole, on nous dépossède de nos bien de toute part, sans distinction entre les confessions. Je manifeste aussi pour l’avenir de mon neveu Jeffrey ».
Mayyas Ayyach, 20 ans, étudiante à l’AUB, et Line Moustapha, 18 ans, étudiante à l’Université libanaise, toutes deux originaires du Chouf
« J’ai toujours participé aux manifestations, notamment celles en faveur du mariage civil au Liban et des droits de la femme, explique Mayyas Ayyach. Aujourd’hui, il ne s’agit plus de manifester pour une solution à la crise des déchets. Nous exprimons à présent un ras-le-bol général. Nous devons tous manifester notre colère, en tant que Libanais ». « Nous devons changer toute cette classe politique, renchérit Line Moustapha. Il nous faut des dirigeants clairvoyants. Nous demandons à ce que tous les Libanais nous soutiennent. Tous ensembles, nous pouvons obtenir le changement ».
Bilal, 24 ans, propriétaire d’un café, résidant à Tyr
« Je suis là aujourd’hui pour réclamer que l’autoroute de ma ville soit asphaltée, que le courant électrique soit assuré 24h sur 24. Je manifeste évidemment contre la décharge d’ordures à Deir Qanoun, dans ma ville, aussi ».
Fouad Karaki, 48 ans, en recherche d’emploi, et son épouse Fatima, 38 ans, femme au foyer, résidents dans le quartier de Bechara el-Khoury (Beyrouth).
« Je vivais à l’étranger, explique Fouad Karaki. Mais je suis rentré il y a deux ans, et j’espé- rais trouver un emploi au Liban. En vain. Je manifeste aujourd’hui à cause des provocations de nos dirigeants. Ils forment un petit gang qui est toujours au pouvoir. Qu’ils ramassent eux-mêmes nos déchets dans les rues. La crise des ordures a été un déclencheur, mais tout est pourri. La corruption s’est répandue partout. Il est temps de dresser les potences devant le Grand sérail (siège du gouvernement) ». « Je manifeste pour réclamer mes droits. Assez! Cette situation ne peut plus durer », lance Fatima.
Emne Nasreddine, 25 ans, originaire de Baableck, employée dans une ONG qui s’occupe des réfugiés syriens au Liban. « Mère, devrais-je faire confiance au gouver- nement? » peut-on lire sur sa pancarte, en allusion à un titre du groupe Pink Floyd.
« Mon père a du quitter le pays. Ma mère ne peut pas assurer les frais de son traitement médical. Je manifeste pour que tout cela change et qu’on puisse rester au Liban ».
Rita Abdelkader, 37 ans, femme au foyer, originaire de Choueifat (au sud de Beyrouth), accompagnée de ses deux enfants
« Je manifeste pour faire tomber le gouvernement. Les pauvres s’appauvrissent davantage à cause de nos responsables politiques. Je réclame également une solution à la crise des ordures, une assurance maladie et des soins hospitaliers décents. Oui, je manifeste pour beaucoup de choses. Nos dirigeants croient que les sièges du pouvoir leur appartiennent éternellement. Depuis que je suis né, la classe politique est la même ».
Samar Khoury, 56 ans, originaire de Tripoli, praticienne en médecine chinoise
« Je suis venue en compagnie de ma fille de 19 ans. Il était temps qu’on manifeste. Les ordures étaient enfouies, mais aujourd’hui, elles s’accumulent sous nos yeux. Nous sommes unis à présent. Nos demandes sont basiques : courant électrique, eau, air propre, une solution à la crise des déchets. Toutes ces demandes sont en fait nos droits, tout simplement. Les Libanais ont enfin compris cela ».
Daniella Fayad, 25 ans, originaire du Akkar, employée dans une ONG qui travaille avec les réfugiés syriens au Liban.
« Je suis dans la rue aujourd’hui pour réclamer quatre choses : une nouvelle loi électorale pour les législatives, la décentralisation, du sang neuf au sein de la classe dirigeante, et évidemment une solution à la crise des déchets ».
Jamil Ali Hassan, 61 ans, commerçant, résidant à Beyrouth
« Je suis venu exprimer mon soutien à ce mouvement (Vous Puez !) qui a réussi un exploit : rassembler les partisans du 14 et du 8 Mars autour de mêmes demandes. Je réclame l’activation du système libanais et non son changement. Notre pays protège les libertés, les bases démocratiques sont là. Mais elles ne sont pas appliquées. Je viens de la génération qui a échoué. C’est pour cela je soutiens cette nouvelle génération ».
Dimanche 30 Août 2015 Matthieu KARAM
http://www.lorientlejour.com/-ces-libanais-qui-ont-crie-leur-ras-le-bol-place-des-martyrs
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