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Pour Israël, l’ennemi, c’est la négociation» (Le Courrier.ch)

Pourquoi cette guerre à Gaza?

Michel Warschawski: Il faut tout d’abord dire que Gaza est secondaire. Pourquoi la guerre, point. A mon avis: pour repousser le plus longtemps possible toute velléité internationale de tendre à l’ouverture de négociations. L’ennemi stratégique du gouvernement israélien, c’est la négociation. Ce gouvernement ne veut pas négocier. Certes, dans l’air du temps, il y a comme une volonté américaine et européenne de pousser Israël à négocier. Il leur faut donc faire contre-feu. Il était clair qu’en attaquant Gaza, les négociations seraient rendues impossibles. C’était l’objectif stratégique le plus important.

Dans le même état d’esprit, la cible n’est pas le Hamas, c’est Mahmoud Abbas (président de l’Autorité palestinienne et leader du Fatah, ndlr). Mahmoud Abbas est celui que la communauté internationale présente comme prêt à discuter; celui dont tout le monde dit à Israël: «C’est avec lui que vous devez parler.» En attaquant Gaza, ce gouvernement met Mahmoud Abbas dans une situation impossible. Soit il se solidarise avec Gaza et donc avec le Hamas, renforçant le discours de Netanyahou qui diabolise le Hamas et sa propre personne. Soit il se désolidarise, et perd alors toute légitimité palestinienne. Pour Israël, cela semble donc être une situation «win-win». Sauf que cela ne se passe pas tout à fait comme cela. Car Mahmoud Abbas est poussé par les Américains à jouer le rôle d’intermédiaire. Le président de la Palestine se trouve ainsi à jouer le rôle des Nations unies alors que c’est son peuple qui est attaqué. Mahmoud Abbas reste au cœur de l’action diplomatique. Ils n’ont pas réussi à le neutraliser, mais sa position est fragile.

Un sondage dit que 80% des Israéliens soutiennent l’intervention à Gaza. Quel regard portez-vous sur cette société, qui a glissé vers la droite et semble suivre aveuglément Netanyahou et Lieberman?

Il n’y a pas l’ombre d’un doute, les hommes politiques et le gouvernement, ont clairement glissé à droite en Israël. Et pourtant, je pense que la société israélienne est divisée sur le fond en deux moitiés – une grande et une petite. Un peu moins de 50% soutiennent la politique de la droite et votent pour ces partis. L’autre moitié n’aime pas les colons, se moque du Grand Israël et aspire à une solution de compromis. Et puis, il y a quand même, au milieu, une petite frange qui s’abstient ou vote pour des partis du centre.

La grande asymétrie entre ces deux pans de la société, c’est que la droite est au pouvoir. Elle agit, dans une urgence permanente, alors que les modérés, qui ne paient pas le prix de la colonisation, sont insouciants. La situation est calme, rien ne semble menacer Israël – jusqu’à cette dernière crise. La sécurité individuelle est garantie, les bombes n’explosent plus, Israël est une société performante, son économie tourne: pourquoi changer? Face à cela, la droite avance. Ce n’est pas l’absence d’une opposition potentielle, mais son anomie qui pose problème.

A la manifestation de Tel Aviv du 2 août, la majorité des participants étaient des Tel-Aviviens typiques, totalement «désidéologisés», plongés dans la consommation. C’était, je dirai presque, les bobos de Tel Aviv. Ils se sont mobilisés pour Gaza. Oh, pour certains, ils avaient même une petite larme dans le cœur. Ils avaient vu des photos, même si ici, il faut les chercher. Mais pourquoi manifestaient-ils, alors qu’ils le font si rarement? Parce qu’ils ont surtout peur pour leur Israël, leur Tel Aviv détendu, non idéologique, plutôt à gauche qu’à droite, qui est sévèrement menacé.

Ils voient désormais émerger un pays de tueurs où Netanyahou devient presque le centre! Avec comme détonateur, l’assassinat [du jeune Palestinien] Mohammad Abou Khdeir, brûlé vif par trois citoyens israéliens. Le gouvernement a eu beau dire que ce sont trois illuminés… Pas du tout. Ils sont dans la continuité d’une politique. Ce sont des gens qui viennent de bonnes familles de droite, de familles respectées.

Ils sont l’expression d’une partie d’Israël qui s’intègre dans un discours raciste, vote des lois racistes. On n’aurait jamais imaginé cela il y a quinze ans. Certains se réveillent maintenant en se disant: «ce n’est pas notre Israël!»

Quinze ans ce n’est pas un jour, mais c’est un rythme extrêmement rapide.

Oui, c’est très rapide. Le tournant date de 2000. C’est la reconquête, la fin du mouvement de la paix. Ce sont les positions et les discours d’Ehud Barak qui détruisent la paix. Les gens n’y croient plus. Ainsi la moitié qui n’est pas de droite sort démobilisée, déboussolée de ces années, offrant un monopole idéologique à la droite.

En 2013, le parti de Yaïr Lapid (Yesh Atid, fondé en 2012, dont le nom signifie «il y a un futur», ndlr) a reçu dix-neuf mandats, 10% des votes, alors qu’il est un peu comme Beppe Grillo en Italie, «ni de droite ni de gauche, ni pour ni contre, ni ni». Lapid a une belle gueule et prétend tout changer. Il était star de télé, n’a jamais pris position politiquement avant de se présenter aux élections et d’être plébiscité à Tel Aviv. Clairement, il a une idéologie de droite raciste, fortement positionnée contre les pauvres. Son programme? «Nous, à Tel Aviv, on ne veut pas payer pour les va-nu-pieds,»

Mais ce qui est intéressant, c’est de voir la jeunesse, ceux qui ont 30 ans, fatiguée de la vieille politique, ne voter pour rien ou pour quelque chose qui ne veut rien dire, qui n’est engagé à rie, et qui donc demeure libre de faire ce qu’il veut. La manifestation de Tel Aviv était la prise de conscience de la classe moyenne que leur Israël est soumis au risque de disparaître. J’étais dans un des cafés branchés de la ville et leur discours était: «On va partir. Ce pays commence à sentir mauvais, on ne s’y reconnaît plus. Lieberman, Netanyahou, les colons, ce n’est pas nous.» Certes, ils ne partiront pas. Mais cela leur permet de ne pas assumer, de ne pas lutter. Ils sont résignés dans cette condition de refus, mais incapables à ce jour de proposer autre chose.

 

«L’Europe fait payer aux Palestiniens sa culpabilité à l’égard des juifs»

Que répondez-vous à ceux qui disent: «Pourquoi manifester autant sur ce conflit? On ne vous entend pas autant sur la Syrie ou au sujet de Boko Haram?»

Michel Warschawski: D’abord, c’est une remarque fallacieuse. Car ce sont les mêmes qui se mobilisent pour la Syrie, l’Afrique, toujours les mêmes. Qu’ils arrêtent donc de nous reprocher d’être uniquement engagés sur la Palestine et Israël, car c’est faux. Cela dit, il y a évidemment une intensité particulière de l’engagement concernant ce conflit, pour des raisons historiques que j’expliquerai plus loin.

Le pouvoir français, et les éditorialistes qui couvrent ce conflit, disent vouloir éviter son «importation». C’est un mot que je ne comprends pas. Lorsqu’il y eut un immense mouvement de solidarité avec le Viêt-Nam, importait-on ce conflit? Non. On identifiait une grande injustice et un grand combat! Et tout le monde ou presque était vietnamien. Il en est de même aujourd’hui avec le conflit israélo-palestinien, tout aussi emblématique. Il se trouve sur la ligne de front du soi-disant choc des civilisations.

Si l’on veut vraiment parler du risque d’importation du conflit, il faudrait alors désigner les institutions juives, soi-disant représentatives des juifs de France, de Suisse, d’Allemagne, qui deviennent de fait des ambassades d’Israël, ses bureaux de propagande.

Eux, oui, «importent» le conflit en affirmant, pour résumer, que les juifs de France, c’est Tsahal (surnom de l’armée israélienne, ndlr). Beaucoup d’autres Français, et en particulier d’origine musulmane répondent que si les juifs de France c’est Tsahal, les musulmans de France c’est le Hamas. A ce moment-là, on fait d’un conflit politique étranger, une lutte de communautés en France. Mais à mon avis, 100% de cette responsabilité retombe en France sur le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) ou, ailleurs, sur des organisations équivalentes.

En quoi ce combat est-il emblématique? En quoi finalement, cela concerne-t-il l’Europe?

C’est l’Europe, puis la communauté internationale, qui ont créé ce conflit. Les Européens ont décidé de résoudre le problème des rescapés de la Seconde Guerre mondiale et du génocide des juifs d’Europe en disant: «On vous donne un Etat, prenez les clés, vingt francs, vous aurez un soutien politique, militaire, etc.», décidant ainsi de faire payer les Arabes de Palestine pour un crime qui leur était étranger. Pour l’Europe, cela a été une façon abjecte de se dédouaner, sur le dos des autres, de sa responsabilité dans le génocide.

Propos recueillis par STZ

«Le Hamas est un mouvement de résistance»

Que pensez-vous du discours dépeignant le Hamas en un mouvement terroriste?

Michel Warschawski: Le Hamas est à mes yeux avant tout un mouvement de résistance. Sa charte ne m’a jamais dérangé, parce que celle de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine, qui négocia la mise sur pied de l’Autorité palestinienne avec Israël au début des années 1990, ndlr) était exactement pareille avant que l’OLP n’en change. Une charte, c’est un bout de papier. La charte du Likoud, c’est le Grand Israël jusqu’en Syrie. Or, plus personne n’en parle aujourd’hui. C’est vieux, et on ne se débarrasse du vieux qu’en échange d’autre chose. Arafat a rendu la charte de l’OLP «caduque» en affirmant: «D’accord pour supprimer cette charte, mais que donnez-vous en échange?»

Il est de notoriété publique – le Hamas l’a dit et répété – que si Israël se retire des territoires occupés, sur les frontières de 1967, il est prêt à une houdna (trêve) de durée illimitée. C’est exactement ce glissement de la posture du «on va tout détruire», à «on peut parler et négocier» qu’avait opéré l’OLP. «Ne nous demandez pas la reconnaissance, c’est hors de question, mais on peut accepter l’existence de fait»: le Hamas a dit qu’il ne saboterait pas les discussions avec Israël, ne s’opposerait pas aux tentatives du président Mahmoud Abbas, mais a prédit leur échec. Le Hamas est une organisation assez fruste, enracinée dans la paysannerie (en Cisjordanie surtout), mais avec une capacité de résistance incroyable.

Cette capacité de résistance du Hamas justement, vous-a-t-elle surprise?

Il n’y a pas une seule guerre de laquelle Israël ne sorte avec la gueule de bois, frappé de stupeur par la force de la réaction. Surprise! Comme si on ne savait pas. Au Liban on ne savait pas, à la guerre du Kippour non plus. La première Intifada: surprise, la deuxième: surprise encore. J’ai écrit récemment un texte où je réclamais le remboursement de mes impôts payés indument pour des services de renseignements à la noix, considérés pourtant comme les meilleurs du monde mais toujours surpris.

Ils ne savaient pas que le Hamas disposait de roquettes d’une aussi longue portée, et pourtant, rien d’étonnant. Quand on enferme quelqu’un, que fait-il? Il essaie de sortir, par en haut, par en bas. En haut, c’est les missiles, en bas, les tunnels. Je l’ai appris, moi, dans le ghetto de Varsovie. On a des exemples historiques de comment réagissent des peuples en état de siège. Il y a ce besoin de sortir coûte que coûte. Tu creuses, tu creuses, tu envoies ce que tu peux de l’autre côté. Cela, pour un peuple assiégé, c’est déjà en soi une victoire. Israël se fait toujours surprendre par l’état de préparation de l’ennemi. Personne n’aurait pu croire qu’Israël n’arriverait pas à «nettoyer» Gaza. Pourtant, c’est un match nul. Et un match nul entre l’équipe d’Algérie et celle de l’Allemagne, c’est comme une victoire pour l’équipe d’Algérie.

Ce qui aurait permis au Hamas de ramasser la mise, c’est si l’Egypte était restée neutre. Or, le Hamas doit se battre à la fois contre Israël et contre l’Egypte. Personne n’aurait imaginé que la junte militaire égyptienne irait aussi loin dans sa collaboration avec Israël pour casser la résistance du Hamas. Je pense que sans l’Egypte collaborationniste, le Hamas aurait pu gagner. Or, là, Israël va pouvoir se retirer unilatéralement, sans allègement du siège. Il y aura un retrait, mais un maintien du blocus sur un champ de ruines.

Pourquoi le Hezbollah ne bouge-t-il pas, pourquoi le Cisjordanie ne se soulève-t-elle pas? Comment cela se fait-il qu’il n’y ait pas de deuxième, de troisième front?

Il se peut que cela arrive. Jérusalem, par exemple, vit des micro-soulèvements et des accrochages tous les jours. Mais il manque une direction politique, quelqu’un qui dise: «On y va.» Une instance qui coordonne, donne le rythme, et pas uniquement une bande de jeunes, liés au Fatah ou à autre chose, qui vont à la confrontation, se font frapper et tuer d’une manière désordonnée.

Là encore, Mahmoud Abbas a une très grande responsabilité. Là encore, il ne joue pas son rôle de représentant des Palestiniens, mais plutôt celui de l’ONU. Il est l’ONU. Mais ce n’est pas juste, il est élu pour être le président des Palestiniens en lutte et pour mener cette lutte à terme.

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Propos recueillis par STZ 1. Anthropologue et travailleur social, Sylvain Thévoz est conseiller municipal socialiste en Ville de Genève. Il se trouve en Israël et Palestine à titre personnel pour rencontrer des membres de la société civile et des acteurs sociaux locaux. L’entretien que nous publions a été réalisé quelques jours avant le cessez-le-feu en vigueur depuis mardi.

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Note:

L’offensive sur Gaza a rendu évidente l’hégémonie de la droite raciste et militariste en Israël. Au point de faire peur à de nombreux citoyens qui ne reconnaissent plus leur pays et craignent de le voir disparaître, témoigne Michel Warschawski. Que dit l’offensive militaire contre la bande de Gaza de la société israélienne? Quelles conséquences aura-t-elle sur l’avenir du Proche Orient? Basé à Jérusalem, le journaliste franco-israélien Michel Warschawski, ardent opposant à la colonisation, est aussi un fin analyste du conflit. Bien connu des lecteurs du Courrier, dans lequel il tient une chronique mensuelle, ce fils de rabbin, né à Strasbourg en 1949, est aujourd’hui le principal animateur de l’Alternative information center (AIC), un centre d’information alternative. Le conseiller municipal genevois Sylvain Thévoz l'a rencontré à Jérusalem, alors que les bombes pleuvaient encore sur l’enclave palestinienne de Gaza1.

http://www.lecourrier.ch/122913/pour_israel_l_ennemi_c_est_la_negociation

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