La coopération militaire et sécuritaire entre Israël et la France ne se limite pas aux exportations d’armes, elle est multi-facettes : importation d’armes ; consultations stratégiques bilatérales ; rencontre entre autorités militaires ; échange d’expertise technique et de savoir-faire au niveau des différentes armées et des services de police ; échanges entre les services de renseignements ; coopération industrielle, avec création d’entreprises franco-israéliennes ; projet commun dans le domaine de la recherche ; etc.
Pour la France, l’enjeu principal — comme le ministère de la défense avait pu l’écrire en 2008 dans une réponse écrite au député Candelier — reste de « maintenir, en matière d’armement, une relation suffisamment active pour permettre d’identifier les domaines où l’expertise israélienne est unique et utile pour notre pays, tout en demeurant extrêmement vigilant sur des propositions de coopération dans des domaines très sensibles ou pour lesquels nos industries sont en concurrence frontale ». Concrètement ces domaines relèvent pour l’essentiel, sur un plan industriel, des systèmes de drones, du spatial et des missiles ; sans oublier le partage de savoir-faire sur l’intervention dans les zones urbaines acquise par les forces israéliennes armées…
Pour Israël, les relations avec la France — comme avec les autres pays européens — sont très recherchées car elles lui permettent de positionner son industrie sur le marché européen et de se prévaloir d’un label Otan. Dans sa réponse en 2008, le ministère français de la défense notait aussi « l’intérêt israélien pour le système français de commandement interarmées des opérations spéciales ». L’enjeu n’est pas tant technique ou économique, que surtout politique en termes d’intégration et de reconnaissance par la communauté internationale — au moins dans sa partie occidentale ! —afin de ne pas être isolée sur un plan diplomatique et politique. Parmi les autres enjeux, figure également l’Iran et la question de la prolifération nucléaire, mais qui relève d’une problématique différente non traitée ici…
Un enjeu économique limité
Nous ne disposons d’aucune données fiables sur les montants des importations françaises de matériel militaire ou sécuritaire en provenance d’Israël. Le niveau des ventes directes de matériels français à l’État israélien demeure relativement faible — sur un plan économique — et reste concentré sur des composants et non des produits finis. En 2013 — dernières données disponibles issues du Rapport au Parlement 2014 sur les exportations d’armements de la France, publié par le ministère de la Défense — la France a livré pour 14,4 millions d’euros de matériel militaire à Israël ; et 107,4 millions d’euros pour les cinq dernières années (2009−2013), soit une moyenne annuelle de 21,5 millions d’euros.
Au niveau des prises de commandes effectuées par Israël auprès de la France, en 2013 le montant est de 15,8 millions d’euros. Et de 111,3 millions d’euros pour la période 2009-2013 ; soit une moyenne annuelle de 22,3 millions d’euros.
Comme élément de comparaison, sur la période 2009-2013 : Israël représente seulement 0,36 % du total des prises de commandes et 0,58 % du total des livraisons d’armes de la France ; et si on se limite aux transferts effectués uniquement sur la zone du Proche et Moyen-Orient : 2 % des livraisons et 1,4 % du montant des prises de commande de la France.
À noter : il s’agit de données financières ! Nous ne disposons d’aucune information sur le type de matériel transféré… et donc l’usage qu’il peut en être fait.
Importance des salons d’armements
Le marché israélien devrait rester très difficile d’accès pour les industriels français compte tenu, d’une part, de l’importance de l’aide américaine qui détermine en grande partie la politique d’achat israélienne ; d’autre part, de la performance de l’industrie d’armement de l’État hébreu qui reste fondamentalement concurrente sur de nombreux marchés que la France cherche à obtenir…
En revanche, un enjeu important pour l’industrie d’armement israélienne est l’autorisation accordée par la France pour sa participation aux différents salons d’armements internationaux qu’elle organise et qui sont devenus au fil des éditions, des événements incontournables et de premier plan.
À savoir :
• Eurosatory, pour le matériel terrestre, les années pairs ;
• Euronaval, pour le matériel naval, les années pairs ;
• Le Bourget, salon aéronautique civil et militaire, les années impairs ;
• Milipol, spécialisé dans le matériel de sécurité et de maintien de l’ordre, les années impairs.
Ces salons représentent un enjeu important pour le développement de l’industrie militaire et de sécurité israélienne car il lui donne une forte reconnaissance comme acteur et partenaire incontournables. La présence israélienne est en constante progression dans ses salons.
La France, complice des violations du droit international…
Alors qu’Israël commet des violations du droit international humanitaire avérées, le maintien d’une coopération militaire est en contradiction totale avec les propres engagements de la France :
_ • d’une part, au niveau européen avec la « Position commune du Conseil définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires » adoptée en décembre 2008, qui comporte des obligations d’interdire tout transfert menaçant « la préservation de la paix, de la sécurité et de la stabilité régionales » ou « susceptible d’aggraver les tensions et les conflits armées à l’intérieur du pays », par exemple ; des critères qui sont allègrement bafoués dans le cadre des exportations de matériel militaire à Israël ;
_ • d’autre part, au niveau international avec la signature des conventions de Genève comportant une double « obligation négative » — à savoir ne pas encourager une partie à un conflit armé à violer le droit international humanitaire, ni prendre des mesures susceptibles d’aider à la commission de telles violations — et une « obligation positive » — consistant à prendre des mesures appropriées pour mettre un terme aux violations.
Nota bene
• Il ne faut pas oublier l’échelon européen. En effet, l’Union européenne intègre Israël comme un pays associé au niveau des différentes éditions du « Programme-cadre de recherche et développement technologique ». Plusieurs projets concernent les questions de sécurité, dont certains sont directement pilotés par Israël.
_ • En juin 2008 a été signé entre la France et Israël un « accord de coopération entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de l’État d’Israël sur la lutte contre la criminalité et le terrorisme ». Sa mise en œuvre est le fait des ministères de l’Intérieur de chacun des États. Elle est encore plus opaque que les échanges au niveau militaire !
Pistes d’action
1) Demander un moratoire de la coopération militaire et la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire chargée de faire la transparence sur les modalités de cette coopération et de leur conformité au regard des engagements internationaux de la France. Cette initiative peut être relayée par les groupes locaux ou les individus auprès de leurs parlementaires.
2) Organiser des mobilisations à l’occasion des différents salons d’armements avec en amont un travail d’information et d’interpellation de nos élus sur leurs responsabilités en la matière. En 2015 : le salon de l’aéronautique et de l’espace, du 15 au 21 juin à Paris-Le Bourget ; et Milipol (salon mondial de la sécurité intérieure) du 17 au 20 novembre au Parc des expositions de Paris Nord Villepinte.
3) La France vient de lancer un appel d’offre restreint concernant l’achat d’un nouveau drone tactique pour l’armée de Terre en remplacement des actuels SDTI (Système de drone tactique intérimaire). Thales participe à cette compétition avec le Watchkeeper — dérivé du Hermes 450 israélien, développé par Elbit. Demander son retrait de la compétition.
4) Profiter de la mise en place au niveau européen d’une nouvelle équipe et d’un nouveau parlement pour demander la révision de la participation d’Israël dans le 8e Programme cadre de recherche et développement technologique.
Note rédigée par Patrice Bouveret
*L’Observatoire des armements est un centre d’expertise indépendant fondé en 1984, issu de la société civile. Il a pour objectif d’étayer les travaux de la société civile sur les questions de défense et de sécurité et ce, dans la perspective d’une démilitarisation progressive. L’Observatoire intervient sur deux axes prioritaires : les transferts et l’industrie d’armement ; les armes nucléaires et leurs conséquences. Il publie des études et la lettre d’information Damoclès.
POUR EN SAVOIR PLUS : www.obsarm.org
Documents joints
- Document (PDF – 129.2 ko)
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Patrice Bouveret, Observatoire des armements, lundi 8 décembre 2014
Note d’information, décembre 2014
Par l’Observatoire des armements Centre de Documentation et de Recherche sur la Paix et les Conflits
http://www.france-palestine.org/Note-sur-la-cooperation-militaire