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Tunisie : recrudescence des luttes pour les salaires et l’emploi (Essf)


La vague révolutionnaire qui a débouché sur la fuite de Ben Ali exprimait bien entendu une immense aspiration à la liberté. Mais elle n’était pas que cela.


Parmi ses mots d’ordres figurait également la revendication de vivre dignement, à commencer en ayant un emploi. Ce n’est pas un hasard si tout s’était enclenché à partir du geste désespéré d’un jeune vendeur ambulant de l’intérieur du pays. Ce n’est pas un hasard non plus si, trois ans plus tôt, avait eu lieu le soulèvement social du bassin minier de Gafsa qui a servi de répétition générale à la révolution de 2011.

Des lendemains sociaux qui déchantent

Malgré cela, la situation matérielle de la grande majorité de la population s’est considérablement dégradée depuis le 14 janvier 2011.  A partir du printemps 2011 les mobilisations ont reflué. Dans la foulée, de multiples raisons ont été ensuite avancées pour remettre perpétuellement les batailles sociales à plus tard.


* Tout d’abord « le risque de voir le pays sombrer dans le chaos », puis la nécessité de « paix sociale » avant les élections d’octobre 2011, suivi d’un réel moment de démoralisation des militant-e-s après les résultats de celles-ci.


* En 2012 et 2013, il en a été de même. Le spectre d’un « hiver islamiste » hantait en effet la Tunisie, ponctué notamment par les exactions de milices islamistes et de la police, la volonté gouvernementale de remettre en cause les droits des femmes, les tirs policiers à la chevrotine sur la population de Siliana fin novembre 2012, l’attaque du siège de l’UGTT le 4 décembre 2012, le meurtre de dirigeants du Front populaire le 6 février 2013, puis le 25 juillet.


* Au lendemain de ce deuxième assassinat, la constitution du « Front de salut national » où se retrouvaient notamment le Front populaire et Nidaa Tounes, puis le « dialogue national » sous l’égide de l’UGTT et du syndicat patronal ont donné de nouveaux arguments pour geler les luttes sociales.

Résultat, le bilan des années 2011-2013 a été catastrophique sur le plan économique et social :


* d’un côté la politique néo-libérale en vigueur sous Ben Ali s’est poursuivie de plus belle,
* de l’autre les chômeurs ont été plus nombreux, les démunis encore plus pauvres, et les salariés ayant un emploi stable ont vu leur pouvoir d’achat se dégrader considérablement.

La remontée fulgurante des luttes revendicatives

Le gouvernement qui a succédé en janvier 2014 à celui d’Ennahdha a prolongé et renforcé la politique économique et sociale antérieure. Mais certaines des raisons avancées précédemment pour remettre les luttes sociales au lendemain ont perdu de leur crédibilité. Fin octobre 2014, le nombre total de journées de grève depuis le début de l’année avait déjà dépassé le chiffre record de l’année 2011. 1Dans les mois qui ont suivi, une avalanche de conflits s’est développée.

* Une partie sont menés par « les plus précaires comme ceux qui travaillent sur les chantiers et dont beaucoup gagnent moins que le SMIC, ou encore les chômeurs. Cette catégorie ne va pas rester les bras croisés. Ils ont attendu depuis quatre ans dans l’espoir d’une feuille de route prenant en con- sidération leur situation. Mais il n’y a rien eu » expliquait début janvier 2015 Abderrahmane Hedhili. (2)
Depuis le début de 2015, de multiples luttes pour l’obtention d’un emploi se développent. Dans la région de Gafsa, où le taux de chômage est officiellement de 26 %, des chômeurs paralysent totalement le bassin minier et toute l’industrie chimique tunisienne dépendant du phosphate. C’est une situation inédite en Tunisie qui aggrave encore plus la crise générale du pays.

* Les luttes sont également multipliées parmi les salariéEs ayant un emploi stable, et notamment ceux du secteur public qui ont rongé leur frein depuis plus de trois ans : les salaires des fonctionnaires ont par exemple été gelés depuis 2012, alors que l’inflation cumulée a été de 17,2 % sur les trois dernières années. Figure le plus souvent en bonne place la revendication d’application d’accords qui ont été signés, mais qui n’ont jamais été appliqués.
Les salariés des transports ont ouvert le bal en 2015, avec notamment une grève sans préavis qui a paralysé plusieurs jours Tunis mais s’est terminée par un échec.

Début avril 2015, les enseignantEs du secondaire, ont remporté par contre une victoire historique : après plusieurs grèves de 48h à près de 100%, le blocage des examens du premier trimestre 2015 et la menace de bloquer également les examens de fin d’année, ils/elles ont obtenu des revalorisations salariales étalées sur les trois prochaines années de 30 à 40 % suivant la situation personnelle des intéressés, ainsi que la mise en place d’un « dialogue national sur la reconstruction de l’éducation ». Participent à ce débat le gouvernement, les syndicats enseignants et les principales associations. Les syndicalistes enseignants ont exigé et obtenu que le patronat, dont l’objectif est de privatiser l’Education, soit exclu de ce « dialogue ».

* Cette victoire a renforcé la confiance de salariéEs dans leur capacité à lutter.
C’est en particulier le cas dans le secteur public où toutes les branches organisent successivement des journées de grève massivement suivies.Comme dans le cas de l’enseignement, les revendications combinent en général à la lutte pour les salaires celle pour la défense et la reconstruction du service public.
Des grèves ont également lieu dans le secteur privé, par exemple dans la grande distribution, l’industrie alimentaire ou le tourisme. (3)

Quel positionnement de l’UGTT ?

Interrogé à ce sujet, Fathi Chamkhi (4) répond : "Suite à ces luttes, la direction de l’UGTT, qui avait accepté auparavant le gel des salaires dans la fonction et le secteur public, vient d’obtenir leur revalorisation pour 2014. Le Secrétaire général de l’UGTT a fini par hausser le ton à l’égard des patrons, considérant que les salariés ont consenti d’énormes sacrifices, contrairement aux patrons qui s’en sortent plutôt bien, eut égard à la situation dramatique actuelle.(5) L’UGTT exige notamment de nouvelles négociations salariales dans le secteur privé.
En attendant, la tension sociale est à son comble face à un gouvernement, critiqué de toute part, à qui les Institutions financières internationales et l’Union européenne assignent la tâche suicidaire de maintenir le cap de l’austérité, de la restructuration néolibérale du marché intérieur".

12 mai 2015  LEROUGE Dominique

Pour les notes:

http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article34932

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