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La majorité des harkis est restée et n’a pas été tuée (La Marseillaise)

Avec « Le Dernier tabou », le journaliste Pierre Daum signe un nouvel ouvrage explosif sur l’histoire de la guerre d’Algérie. 

Après Immigrés de force, les travailleurs indochinois en France (1939-1952), et Ni valise ni cercueil, les Pieds-noirs restés en Algérie après l’indépendance, le journaliste Pierre Daum signe chez Actes Sud Le Dernier tabou, les harkis restés en Algérie après l’Indépendance un nouvel ouvrage qui questionne le passé colonial de la France.

Qu’est-ce qui vous a conduit à consacrer ce livre aux harkis qui témoigne d’une réalité plus complexe que celle communément admise par la mémoire collective ?

Cette nouvelle enquête s’inscrit dans le fil de mon précédent travail sur les pieds-noirs restés en Algérie après l’Indépendance. Elle permet de complexifier notre connaissance du passé colonial français en Algérie qui parfois reste figé sur certaines idées reçues. Mon travail sur les pieds-noirs m’avait permis de fissurer un des piliers du discours des nostalgiques de l’Algérie française qui martèlent qu’à l’Indépendance c’était « la valise ou le cercueil ».

Avec cette nouvelle enquête, je fais exploser un deuxième pilier de leur discours selon lequel la France gaulliste aurait lamentablement abandonné en 1962 les harkis à la vengeance du FLN qui les aurait « massacrés » jusqu’au dernier. Je montre que ce ne fut pas le cas, et que la majorité des « harkis » est restée vivre en Algérie, sans y être tuée. Issus de la paysannerie, écrasés par une misère renforcée par la guerre après 130 ans d’oppression coloniale, ces hommes sont retournés dans leurs villages où les sociétés paysannes se sont retrouvées à devoir recoller les morceaux.

Qui appelez-vous « harkis » ? Quel était leur nombre ?

Au départ je pensais me concentrer sur les harkis au sens premier du terme, c’est-à-dire des supplétifs de l’armée française. Au total, les différentes catégories de supplétifs de l’armée françaises comptaient 250 000 hommes adultes. Au cours de mon enquête, je me suis rendu compte que les supplétifs (civils avec des fonctions militaires) n’avaient pas été les seuls à porter l’uniforme français pendant la guerre.

Il y avait également des militaires de carrière intégrés à l’armée française comme dans toutes les armées coloniales (50 000 hommes), ainsi que les appelés algériens du contingent (120 000 hommes). La conscription s’appliquait en effet aux jeunes d’Algérie comme de métropole et, dans une Algérie façonnée par 130 ans de colonisation, l’idée très ancrée que les Français étaient «ceux qui gouvernent» a conduit l’immense majorité des jeunes de 18 ans à répondre à l’appel du service militaire.

À tous ceux-là, j’ai ajouté les notables algériens ouvertement pro-français : maires, caïds, conseillers généraux, etc. Leur nombre est évalué à 30 000. En tout, ce sont donc 450 000 hommes adultes algériens qui se sont retrouvés à un moment ou à un autre du côté des Français.

Ce chiffre que vous avancez provoque la fureur des deux côtés de la Méditerranée. Pourquoi est-il selon vous le « dernier tabou » de la guerre comme l’annonce le titre de votre ouvrage ?

Pour des raisons différentes. En Algérie, le simple fait d’avoir collecté ce chiffre en confrontant toutes les sources -ce que d’autres auraient pu faire- a créé un scandale. J’ai été attaqué par le ministre des Moudjahidine car mon livre contredit le discours officiel selon lequel le 1er novembre 1954, le peuple algérien se serait soulevé tout entier contre la puissance coloniale.

Ceux qui ont pris les armes n’étaient qu’une minorité. Ils n’en sont que plus admirables. En France, le scandale c’est de dire que de nombreux harkis sont rentrés au village sans se faire « mas- sacrer ». Cela met en fureur les associations de rapatriés et de harkis dont le discours est conditionné par les idéologues de l’Algérie française. Mais les harkis rapatriés en France -qui y ont été scanda- leusement mal traités- forment une petite minorité : 25 000 hommes au maximum, auxquels s’ajoutent leurs familles. C’est bien là la révélation de mon livre : sur 450 000 Algériens qui ont combattu du côté de la France, une majorité est restée et n’a pas été tuée. Ce qui n’efface pas les milliers d’assassinats de « harkis » en 1962, dans une situation de chaos politique et de justice populaire expéditive.

Comment s’est déroulée l’après-guerre d’Algérie pour cette majorité de harkis qui n’a pas été passée par les armes ?

La première année a été très douloureuse. Certains ont subi la torture, l’emprisonnement, des travaux forcés. Ensuite, leur réintégration aux sociétés paysannes traditionnelles s’est souvent accompagnée d’une cruelle relégation sociale. Aujourd’hui encore, alors que le peuple paysan algérien est progres- sivement sorti de l’extrême pauvreté, on constate que les harkis et leurs enfants ont tendance à avoir été maintenus dans cette misère originelle.

Quelles étaient les motivations des harkis de l’époque ? Soixante ans après le début de la guerre que vous en ont dit les témoins que vous avez retrouvés ?

Mon enquête confirme des travaux antérieurs qui depuis une dizaine d’années ont complètement démonté cette fausse idée selon laquelle les harkis se seraient massivement engagés par amour du drapeau tricolore, par patriotisme, voire par désir de maintenir l’Algérie française. Ce discours est tenu depuis 50 ans par différents groupes sociaux.

D’abord par les nostalgiques de l’Algérie française, mais aussi en miroir par toute une partie de la gauche et de l’extrême gauche françaises qui ont un rapport très suspicieux vis-à-vis des harkis qu’ils considèrent comme des traîtres, ce qui est aussi le point de vue de l’histoire officielle algérienne. Dans les médias algériens, je n’hésite pas à dire que finalement, le regard porté par les officiels algériens sur les harkis est exactement le même que celui des anciens de l’OAS.

En réalité, les motivations principales des harkis étaient la pauvreté et la façon que l’armée française avait de mouiller certaines familles dans les villages aux yeux d’un FLN qui n’hésitait pas à pratiquer une violence aveugle. Les harkis, que j’ai retrouvés dans soixante villages différents, témoignent de cet aspect terriblement pervers de l’oppression coloniale. La France a placé des millions d’Algériens dans une situation telle que la seule solution pour donner à manger à leur famille ou pour se soustraire aux menaces du FLN était de frapper à la porte de la caserne française.

Comment analysez-vous le rapport de suspicion qui existe encore aujourd’hui dans la gauche anti-coloniale à l’égard des harkis ?

Il résulte selon moi d’une erreur de compréhension de la complexité de la guerre d’Algérie. La grille de lecture de la Seconde Guerre mondiale et de l’Occupation nazie, avec le clivage collaboration-résistance, a été plaquée à tort sur la guerre d’Algérie. Les harkis de 1954 ne sont pas les collabos de 1940, parce que leurs motivations n’étaient pas idéologiques. à l’issue de mon enquête, j’ai compris que les harkis constituent les ultimes victimes de la colonisation française en Algérie.

Entretien réalisé par Léo Purguette jeudi 4 juin 2015 13:42

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