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Tunisie : bientôt cinq ans après la chute de Ben Ali 1 (Essf)

 

Dans le numéro de la revue Inprecor paru fin octobre 2015 figure un long article sur la Tunisie. Le premier chapitre en est publié ci-dessous.
Il est possible de se procurer l’intégralité de cet article en s’abonnant à la revue http://www.inprecor.fr/abonnement.clp
Cette revue est également disponible auprès de la librairie « La Brèche ». http://www.la-breche.com

Une version en castillan est dès à présent disponible sur http://vientosur.info/spip.php?article10543

Janvier 2011 a vu se lever un immense espoir de bifurcation de l’histoire dans le bassin méditerranéen, et au-delà :
– dans la région arabe, la vague révolutionnaire partie de Tunisie s’est rapidement propagée dans un bon nombre de pays ;
– l’exemple de l’occupation de la place Tahrir au Caire a directement inspiré les « Indignados » des « mouvements des places » contre l’austérité néo-libérale en Grèce ou dans l’Etat espagnol.

Près de cinq ans plus tard, la contre-révolution a incontestablement marqué des points avec notamment :
– les massacres organisés par Bachar El-Assad et les forces islamistes en Syrie ;
– le retour en Egypte d’un pouvoir militaire encore plus répressif que celui de Moubarak.
La guerre fait par ailleurs rage dans de nombreux pays de la région, et notamment dans la Lybie toute proche.
C’est dans ce cadre qu’est abordée la situation en Tunisie.

Un pouvoir restaurationniste

Depuis janvier 2015, le pouvoir est exercé par une coalition dirigée par Nidaa Tounès. Ce parti se situe dans la continuité des gouvernements de l’époque Ben Ali. Nidaa a inclus dans le gouvernement de coalition qu’il a formé, le parti islamiste Ennahdha, son adversaire proclamé avant les élections d’octobre 2011.(1)

Le premier objectif du pouvoir est de faire barrage au processus révolutionnaire en Tunisie et d’y restaurer l’ordre capitaliste néocolonial dicté notamment par les multinationales européennes, les institutions financières internationales et l’Union européenne.
Pour y parvenir, il a proclamé l’état d’urgence, au lendemain de l’attentat terroriste de Sousse (2),dans le but de restreindre les libertés démocratiques, combattre les grèves et asphyxier le mouvement social. (3)
L’objectif particulier d’Ennahdha est de :
- ne pas subir le même sort que ses cousins égyptiens condamnés à mort ou emprisonné par le pouvoir militaire,
- obtenir l’impunité de ses responsables (affaires de corruption et implication dans des dossiers de violences),
- maintenir en place les milliers de personnes qu’il a installé dans l’appareil d’Etat suite à son accès triomphal au pouvoir en 2012.
L’objectif auquel est particulièrement attaché Nidaa Tounès est de garantir l’impunité aux corrompus de l’ère Ben Ali (projet de loi dit de « réconciliation économique ») (4).

L’enchaînement des faits depuis 2011

Le 17 décembre 2010, une vague de mobilisations est partie de la jeunesse des régions les plus déshéritées, et dans laquelle la gauche syndicale et associative était très impliquée. Par la suite, le ralliement à l’insurrection révolutionnaire du mouvement lycéen et des habitants des quartiers populaires, notamment à Tunis, a rendu possible son extension à l’ensemble du pays. Le 14 janvier, le dictateur Ben Ali a été contraint d’abandonner le pouvoir.
Il convient de noter que les organisations islamistes n’ont pas participé à ce processus, et cela d’autant plus que la majorité de leurs cadres était à l’époque en exil, et une autre partie en prison.

Entre mars 2011 et décembre 2011, le notable de l’ancien régime Beji Caïd Essebsi, retiré de la vie politique depuis une vingtaine d’années, est devenu Chef du gouvernement.
Il est parvenu, non sans peine, à faire partiellement rentrer le fleuve dans le lit, ce qui a accentué la distanciation entre une partie de la jeunesse et le mouvement ouvrier.

Après la victoire électorale du parti islamiste Ennahdha le 23 octobre 2011, Essebsi a annoncé son retrait de la vie politique. Il y a ensuite fait un retour fracassant en fondant le parti Nidaa Tounès. Celui-ci agglomérait autour de sa personne différentes traditions politiques, unies dans un discours de rejet quasi viscéral de l’Islam politique.

En 2012 et 2013, la politique des gouvernements dirigés par Ennahdha (5) était centrée sur les objectifs suivants :
- poursuivre la politique néo-libérale,
- noyauter l’appareil d’Etat, islamiser la société, remettre en cause les droits des femmes,
- organiser et/ou couvrir les violences contre le mouvement social et la gauche.
Dans ce cadre, des milices islamistes ont été mises sur pieds, dont les « Ligues de protection de la révolution » (LPR). Des prédicateurs islamistes du Moyen-Orient parmi les plus rétrogrades, circulaient librement en Tunisie. Le Président de la république Marzouki en a accueilli officiellement certains au palais présidentiel, ainsi que des responsables des LPR. (6)
D’importantes mobilisations ont eu lieu contre les tentatives du pouvoir de remettre en cause des droits des femmes, ainsi que contre les violences émanant des milices islamistes et/ou du pouvoir (tir à la chevrotine de la police sur la population de Siliana, attaque du siège de l’UGTT, assassinat de deux dirigeants du Front populaire, etc. (7)

En janvier 2014, le gouvernement Ennahdha (8) a finalement été contraint de démissionner (cette période est abordée dans la suite de ce texte). Certains islamistes, notamment au sein de la jeunesse, ont basculé dans le terrorisme en Tunisie, ainsi que dans le djihadisme dans d’autres pays. Simultanément on a assisté à une reprise de l’activité gréviste (ce point sera développé par la suite).

Suite aux élections législatives, puis présidentielles, de la fin 2014, le pouvoir est passé aux mains de Nidaa Tounes qui a ouvert son gouvernement à Ennhadha et à deux petits partis.
Une vague gréviste sans précédent s’est développée au premier semestre 2015, ainsi que d’importantes mobilisations sociales dans les régions les plus déshéritées (ce point sera développé par la suite).

L’UGTT, une exception tunisienne

Dans aucun autre pays de la région arabe n’existe une organisation syndicale comparable à l’UGTT.(9)

Forte de 750 000 membres appartenant principalement à la Fonction publique et au secteur public (10), (dont 47 % de femmes) (11), l’UGTT organise environ un tiers des salariés de son champs de syndicalisation.

Depuis sa fondation en 1946, l’UGTT ne s’est pas contentée d’une seule fonction revendicative. Elle s’est au contraire toujours simultanément engagée dans l’action politique, notamment lors de la lutte pour l’Indépendance, où elle a joué un rôle de premier plan.

Coexistent au sein de l’UGTT des membres appartenant à l’ensemble du spectre politique tunisien. Ils/elles doivent pour cette raison faire passer au second plan leur appartenance partisane éventuelle, le plus souvent située à gauche de l’échiquier politique.

Dans toute son histoire, l’UGTT a oscillé en permanence entre résistance au pouvoir et corruption par celui-ci, aptitude à l’affrontement et volonté de négociation, mode pyramidal bureaucratique de décision et système de pressions internes sur la direction, multiplicité des forces centrifuges et volonté de maintenir un cadre collectif.
Face aux régimes répressifs qui se sont succédé depuis l’Indépendance, l’UGTT a souvent servi de refuge efficace aux forces de la gauche politique et associative. Il en a résulté une capillarité profonde et durable entre ces trois types d’organisations.

Pour toutes ces raisons, l’UGTT a joué un rôle central lors de toutes les crises qu’a traversées la Tunisie. Ce n’est donc pas par hasard si c’est autour d’elle que s’est finalement organisé le départ du gouvernement Ennahdha en janvier 2014.

, par LEROUGE Dominique

à suivre...

Notes :

1. Participent également au pouvoir l’UPL autour de l’affairiste douteux Slim Riahi, et le parti ultra-libéral Afek Tounès.

2. L’attentat de Sousse du 26 juin 2015 a causé au total 38 morts. Il faisait suite à l’attentat du Bardo du 18 mars qui en avait fait 23.

3. « Déclaration du Front populaire sur la promulgation de l’état d’urgence » (7 juillet 2015)
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article35383

4. Cette volonté de blanchiment suscite les applaudissements de l’UTICA (syndicat patronal historique, l’équivalent tunisien du MEDEF et de la CGPME) : http://www.lapresse.tn/article/l-utica-attachee-a-la-loi-de-reconciliation-economique-et-financiere/94/5250
En ce qui la concerne, l’organisation patronale CONECT demande que cette procédure soit même étendue à l’ensemble des Tunisiens !
http://www.businessnews.com.tn/tarek-cherif-propose-detendre-la-reconciliation-economique-a-tous-les-citoyens,520,58979,3

5. Deux autres partis étaient associés au pouvoir d’Ennahdha : le CPR de Marzouki à qui avait été accordée la présidence de la République, Ettakatol (section tunisienne de l’Internationale socialiste), dirigé par Ben Jafaar, à qui avait été attribuée la présidence de l’Assemblée constituante.

6. http://www.kapitalis.com/politique/14124-le-palais-de-carthage-deroule-le-tapis-rouge-au-predicateur-wahhabite-nabil-al-awadi.html
http://www.businessnews.com.tn/Tunisie---Une-délégation-des-LPR,-avec-«-Recoba-»,-chez-Marzouki-au-palais-de-Carthage,520,35636,3

7. En novembre 2012, la police a tiré à la chevrotine sur la population de Siliana. Le 4 décembre 2012, des milices islamistes ont attaqué le siège national de l’UGTT. Le 6 février 2013, un dirigeant du Front populaire, l’avocat Chokri Belaïd, a été assassiné devant son domicile. Il en a été de même le 26 juillet pour Mohamed Brahmi, un autre dirigeant du Front populaire.

8. Concernant la période située entre l’assassinat de Mohamed Brahmi (26 juillet 2013) et la démission du gouvernement Ennahadha (janvier 2014), un grand nombre d’articles sont disponibles sur http://www.europe-solidaire.org/spip.php?rubrique130

9.Voir la présentation de l’ouvrage d’Hélà Yousfi sur l’UGTT :
http://www.solidaires.org/article51054.html ou http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article34977 ainsi que la série d’articles concernant la longue histoire de l’UGTT sur http://www.europe-solidaire.org/spip.php?rubrique1027

10. On compte en effet 1,5 million de salariés dans le secteur privé ainsi que 800 000 fonctionnaires et salariés du secteur public. http://www.lapresse.tn/article/public-prive-la-satisfaction-des-uns-la-grogne-des-autres/94/5734

11. Il n’y a jamais eu de femme au Bureau exécutif de l’UGTT, et leur présence est très faible dans les structures intermédiaires, y compris dans les branches très féminisées comme l’Education.

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