Le 12 mars 1956, la majorité de l’Assemblée nationale, Parti communiste compris, accordait les pouvoirs spéciaux au gouvernement du socialiste Guy Mollet pour poursuivre la guerre en Algérie.
Et, dès le 17 mars, Guy Mollet donnait par décret les pleins pouvoirs à l’armée française en Algérie. Celle-ci allait s’en servir en employant les pires méthodes contre la population algérienne et le Front de libération nationale, multipliant massacres et opérations arbitraires et généralisant l’usage de la torture.
L’Algérie restait une colonie dominée par l’administration française et quelques grandes familles coloniales, comme Borgeaud et Blachette. Les Européens d’Algérie n’étaient évidemment pas en majorité de riches colons, mais ils occupaient de fait une position privilégiée par rapport aux Algériens.
Le statut de 1947, dû au socialiste Ramadier, accordait théoriquement la citoyenneté française à tous les Algériens, mais aux élections à l’Assemblée algérienne, les 9 millions de musulmans votaient dans un collège à part, n’ayant pas plus d’élus que le 1,2 million d’Européens. Et l’administration française bourrait les urnes pour faire élire des candidats musulmans à sa dévotion.
Guy Mollet et la « paix en Algérie »
Le Front de libération nationale avait engagé la lutte armée en novembre 1954 sous l’impulsion d’une poignée de militants nationalistes. La riposte de l’État français ne se fit pas attendre. L’opération de police se transforma en véritable guerre coloniale. Le gouvernement d’Edgar Faure fit appel aux réservistes. De 50 000 en 1954, les troupes françaises présentes en Algérie passèrent à 200 000 en 1955.
Le gouvernement, incapable de venir à bout d’un soulèvement montant, fit alors le choix de dissoudre l’Assemblée. Les socialistes, alliés à des radicaux et des mitterandistes au sein d’un Front républicain, se présentèrent aux élections de janvier 1956 en promettant « la paix en Algérie ». Guy Mollet, dirigeant du parti socialiste SFIO, évoqua des élections à collège unique, et qualifia la guerre en Algérie d’ « imbécile et sans issue ». Mais pour autant il considérait l’indépendance comme « une solution inacceptable pour la France qui deviendrait une puissance diminuée ». Guy Mollet se plaçait dans la continuité de la politique coloniale menée par ses prédécesseurs, tout en laissant entendre le contraire à ses électeurs.
À l’issue des élections, Guy Mollet fut chargé de former un gouvernement, dont le programme pourtant bien limité se heurta immédiatement à l’opposition des partisans de l’Algérie française en métropole et surtout en Algérie. En visite à Alger en février 1956, Guy Mollet fit face à une manifestation violente organisée par l’extrême droite colonialiste. Il recula immédiatement, démettant le ministre-résident Catroux, cible des manifestants, et le remplaçant par le socialiste et ancien syndicaliste Robert Lacoste. Ce dernier exigea immédiatement des moyens militaires supplémentaires, et les obtint.
Le gouvernement socialiste se montrait faible face à la droite, aux colons et à l’armée. Les masses algériennes, pour leur part, ne devaient en attendre que des coups.
Le PCF et les pouvoirs spéciaux
Avec la majorité de l’Assemblée, les élus du Parti communiste votèrent les pouvoirs spéciaux à Guy Mollet le 12 mars 1956. Ils savaient qu’ils approuvaient ainsi la poursuite de la guerre en Algérie. Mais le Parti communiste avait depuis longtemps abandonné toute politique anticolonialiste et se portait garant des intérêts de l’impérialisme français. Par ailleurs, le Parti communiste voulait rompre l’isolement dans lequel le confinaient les autres partis depuis le renvoi des ministres communistes en 1947. En votant avec les socialistes, le PCF espérait réintégrer le jeu politique et retrouver à terme des positions dans un gouvernement dirigé par les socialistes.
Le vote des pouvoirs spéciaux allait désorienter tous ceux qui, membres du PCF ou non, voulaient s’opposer à la guerre et au colonialisme. Cette complicité ouverte des organisations ouvrières françaises avec la politique coloniale contribuait à creuser le fossé entre les masses algériennes et les travailleurs de la métropole.
Les moyens militaires s’accrurent les mois suivants, avec le rappel immédiat de 70 000 réservistes et la mobilisation du contingent dont le service fut prolongé à trente mois. De 200 000 hommes, les effectifs militaires en Algérie montèrent à 400 000 en juillet 1956, avec mission de quadriller le territoire algérien. Une partie significative de la jeunesse, sous l’uniforme, était enrôlée pour faire subir aux populations d’Algérie les déportations, les emprisonnements, les tortures et les massacres.
Mitterrand, ministre de la Justice mais pas encore adhérent du PS, accorda les pleins pouvoirs aux tribunaux militaires, qui firent guillotiner de nombreux combattants algériens. En tant que ministre, il approuva l’exécution d’au moins trente militants du FLN et celle du communiste Fernand Yveton.
Suite à des attentats du FLN dans le centre d’Alger, le socialiste Lacoste donna carte blanche au général Massu pour « pacifier » la ville dans laquelle il lâcha ses paras en janvier 1957. Ce fut la « bataille d’Alger ». L’armée pratiqua systématiquement la torture. Le bilan fut de plusieurs milliers de morts et de plus de 20 000 arrestations.
La politique du gouvernement de Guy Mollet et de ses successeurs à participation socialiste jusqu’en 1958 fut menée sous la pression de la droite et des sommets de l’armée. L’incapacité de ces gouvernements à trouver une issue à cette guerre ignoble amena la fin de la quatrième République. La gauche de gouvernement finit de se déconsidérer en se jetant dans les bras de De Gaulle, que Mollet alla en personne tirer de sa retraite de Colombey. Les socialistes Guy Mollet et Max Lejeune participèrent d’ailleurs à son premier gouvernement, en juin 1958.
Les guerres coloniales, une constante dans la politique des socialistes au pouvoir
De Gaulle allait mettre fin à la guerre d’Algérie par un compromis avec le FLN, lors des accords d’Évian en 1962. Il fallut pour cela encore quatre ans de massacres. De Gaulle dut imposer un accord à l’armée et aux Français d’Algérie, ce que les socialistes n’avaient jamais osé faire.
Le Parti socialiste, pour sa part, sortit de la guerre d’Algérie profondément déconsidéré. Il ne réussit pas à présenter de candidature aux élections présidentielles de 1965, et en 1969, son candidat Gaston Defferre recueillit un score dérisoire de 5 %. Le Parti socialiste allait devoir attendre 1981 pour accéder de nouveau au pouvoir. Il allait s’inscrire d’emblée dans la continuité de la politique de la droite, en soutenant les dictatures sanglantes des ex-colonies alliées de la France, et en intervenant militairement pour maintenir les intérêts de l’impérialisme français, dans ses propres colonies, en Nouvelle-Calédonie, mais aussi en Afrique et au Liban.