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Djibouti : terreur électorale à l’ombre des bases militaires et dans l’indifférence internationale (Afriques en Lutte)

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L’élection présidentielle djiboutienne est prévue les 8 et 22 avril.

Depuis qu’il a succédé à son oncle il y a 17 ans, Ismaël Omar Guelleh a déjà imposé à son peuple 3 présidentielles et 3 législatives fraudées ou au résultat inversé. En 2010, il a fait supprimer de la constitution par le parlement la limite de deux mandats de 5 ans. Confrontée à des processus électoraux sans démocratie, l’opposition a boycotté les législatives de 2008 puis la présidentielle de 2011.

Pour les législatives de 2013, les démocrates se sont unis dans la coalition Union pour le Salut national (USN). Ces législatives ont atteint le comble africain en terme d’inversion du résultat, puisque la majorité à l’assemblée a été complètement inversée en fonction de chiffres entièrement fictifs basés sur aucun procès verbaux issus des bureaux de votes. Aussitôt, en argumentant sur logique militaire régionale, Ismaël Omar Guelleh a obtenu un soutien diplomatique croisé franco-européen[1] qui deviendra une cause de détérioration de la situation politique en 2015 et 2016. En 2013 et 2014, l’USN a refusé de siéger.

L’inversion extrême du résultat a cependant alerté les diplomates internationaux en particulier ceux de l’Union européenne (Ue) sur la gravité de la situation et le risque de fracture entre population et pouvoir. L’Ue a corrigé sa position suite à la désapprobation du parlement européen en juillet 2013[2], en réclamant à partir de mai 2014 la publication des Procès Verbaux des législatives[3]. En 2014, les diplomates européens et français ont accompagné une négociation entre l’USN et le pouvoir pour désamorcer les tensions électorales[4]. Cette négociation a abouti le 30 décembre 2014 à un compromis très médiatisé, l’Accord-cadre. Cependant, en 2015, l’attention internationale sur le processus électoral s’est relâchée, laissant la possibilité au président de contre-attaquer.

Ismaël Omar Guelleh, poussé par son clan, a refusé de suivre l’Accord-cadre sur ses points principaux : le statut et le respect de l’opposition, une commission électorale indépendante paritaire. Trois mois avant le scrutin, il a montré sa volonté de s’imposer pour un quatrième mandat en dehors des règles de la démocratie, interrompant brutalement le processus de démocratisation. Le 21 décembre, la garde présidentielle et l’armée ont tiré sur les participants d’une réunion privée, faisant au moins 27 morts[5], sans compter les disparus[6]. Le même jour, la police a tiré sur les dirigeants de la coalition de l’opposition, l’Union pour le Salut National (USN) en réunion. Le président de l’USN, Ahmed Youssouf Houmed, 75 ans, blessé, a dû être opéré. L’ancien ministre Hamoud Abdi Souldan et le député Saïd Houssein Robleh ont été blessés par balle. Le secrétaire général de l’USN et maire de Djibouti, Abdourahman Mohamed Guelleh, a été arrêté. D’autres membres de l’USN et le défenseur des droits humains Omar Ali Ewado ont été faits prisonniers sans charges[7]. Fin mars 2016, Abdourahman Mohamed Guelleh et Hamoud Abdi Souldan sont « toujours en mandat de dépôt à prison centrale de Gabode »[8].

Ismaël Omar Guelleh a ainsi mis à mort l’Accord-cadre du 31 décembre 2014 qui était soutenu par les diplomates internationaux[9]. Depuis les violences qui ont provoqué assez peu de réactions internationales, en dehors de la réaction de l’Ue, il est décomplexé dans ses attaques contre l’USN. Il a cherché à détruire son unité et à attiser les divergences. Le 31 décembre 2015, suite à l’exclusion des députés de l’opposition, une loi instaurant l’Etat d’urgence empêchant la vie politique pendant deux mois renouvelables a été adoptée par le parlement[10]. Il impose un processus électoral déterminé par la répression de l’opposition. Le ministre de l’intérieur a refusé la participation au scrutin à plusieurs partis de la coalition USN et a attribué le statut légal de plusieurs partis de l’USN à des membres corrompus. Il a exclu du scrutin, par ses manœuvres, la coalition d’opposition telle qu’elle s’était construite en 2013. En violation de la loi, le 28 mars, la Cour constitutionnelle a refusé de permettre la vérification de la liste électorale.

Le président Ismaël Omar Guelleh s’appuie sur la position stratégique du pays, proche du Moyen-orient et de la Somalie, et sur les bases militaires étrangères. Il est soutenu par un clan profitant des richesses et en particulier des loyers des bases militaires[11]. Après son coup de force, certain que la communauté internationale accorde sa priorité à sa politique militaire au Moyen-Orient par rapport à la démocratie et les droits humains à Djibouti, il fait venir le premier contingent d’une base militaire chinoise[12] et vient de négocier l’ouverture d’une base militaire saoudienne[13].

Son entêtement à se maintenir au pouvoir risque d’entrainer, comme lors des législatives de 2013, une communauté internationale passive vers le cautionnement d’un arrêt du processus de démocratisation. Déjà, début 2013, l’Ue s’était refusée de mettre en danger son action militaire dans la lutte contre la piraterie maritime sévissant au large des côtes somaliennes, importante dans le démarrage d’une Politique de sécurité et de défense commune (PSDC)[14], et cette position avait permis au président de franchir le cap des législatives.

Le ministre des affaires étrangères français, Laurent Fabius, a laissé en 2014 et 2015, le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, décider de la politique française en Afrique. Ce dernier s’est rendu à Djibouti fin juillet 2015, mettant l’accent sur les questions sécuritaires au moment où les questions électorales auraient dû s’imposer en priorité[15]. Début janvier 2016, l’ambassadeur de France, Serge Mucetti, rejeté par Ismaël Omar Guelleh, a été remplacé par Christophe Guilhou, ancien directeur de la paix, de la démocratie et des droits de l’homme au sein de l’Organisation internationale de la francophonie. Jean-Yves Le Drian a envoyé, les 8 et le 9 mars 2016, le Chef d’Etat major de l’armée française, le général Pierre de Villiers à Djibouti[16]. Le 18 mars, le nouveau ministère des affaires étrangères français, Jean-Marc Ayrault, s’est félicité d’un progrès entre l’Erythrée et Djibouti permettant d’« apaiser la situation dans la corne de l’Afrique, région fragile et en proie au terrorisme »[17].

Le 22 mars, Jean-Marc Ayrault a reçu le ministre des Affaires étrangères djiboutien, Mahamoud Ali Youssouf. Ils ont « évoqué le climat politique, à l’approche des élections »[18], sans qu’aucune condamnation n’apparaisse. Le ministre a ensuite pu discuter avec le secrétaire d’État chargé du développement et de la Francophonie, André Vallini, sur le « développement social et économique », alors que le pays, dont les caisses sont alimentées par les loyers des bases militaires, sombre dans la dictature forte. La vision française de Djibouti comme zone militaire et le soutien à la dictature continue pendant la préparation d’un nouveau coup d’Etat électoral.

En 2016 encore, quelques dizaines de morts avant une élection au Congo Brazzaville ou à Djibouti ne suffisent pas pour déclencher des sanctions internationales. Les démocrates africains sont peu soutenus, faute de droit international dans le domaine des processus électoraux. Une élection présidentielle crédible et transparente n’est plus possible à Djibouti en avril 2016. L’USN est partagée entre partisans d’un boycott et partisans d’un candidat issu de l’USN[19]. Au final, le président sortant pourrait tenter une inversion de résultat au moment de la compilation des Procès Verbaux, puisqu’il ne dispose que d’un électorat réduit, au second tour, ou directement en s’attribuant 50% au premier tour, comme Denis Sassou Nguesso vient de le faire.

Si les résultats sortis des bureaux de vote et les résultats annoncés par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) ne sont pas conformes, la population djiboutienne qui a observé le printemps en Afrique du nord en 2011 et s’est déjà fortement mobilisée pacifiquement suite à l’inversion du résultat des législatives de 2013, n’acceptera pas l’immobilisme dans la répression.

A Djibouti, la communauté internationale et africaine se retrouve une nouvelle fois prise à témoin. Elle est actuellement silencieuse. Les acteurs internationaux, en particulier les pays possédant une base militaire, sont interpellés sur l’arrêt du processus de démocratisation. Une vision conservatrice de Djibouti, associé au Moyen-Orient sans démocratie, dans les compromis avec la dictature, s’oppose à la volonté de la population djiboutienne. Dans la Corne de l’Afrique, aussi la paix ne s’installera durablement qu’en s’appuyant sur la démocratie et l’Etat de droit. Un clivage entre militaires et diplomates français et européens, et population, risquerait de pousser une partie de cette population, si ce n’est pas vers le désespoir, vers d’autres voies, en pratique et intellectuellement.

C’est pourquoi, le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique recommande au gouvernement français de :

- · condamner le massacre du 21 décembre 2015 et l’arrêt du processus électoral par la répression de l’Union pour le Salut National, et d’exiger la libération des prisonniers politiques, en particulier d’Abdourahman Mohamed Guelleh et d’Hamoud Abdi Souldan,
- · demander au Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies d’enquêter sur les violations des droits humains lors du processus électoral[20],
- · faire pression sur le gouvernement djiboutien pour que soient respectées les libertés constitutionnelles, en particulier le droit de manifester, et les droits humains pendant la période électorale,
- · exiger un dialogue entre gouvernement djiboutien et partis d’opposition de l’USN concernant un rassemblement des résultats et de la publication de résultats détaillés vérifiables,
- · dénoncer toute fraude, tout manquement à la transparence garantissant la valeur des résultats, et toute inversion de résultat probable qui pourraient advenir au premier et second tour de la présidentielle,
- · se concerter avec les Nations-Unies, l’Ue, l’Ua pour prévenir une crise électorale majeure après le scrutin et un blocage définitif du processus de démocratisation, et éviter que les stratégies militaires régionales conduisent par défaut à un soutien d’un régime non-démocratique,
- · se concerter avec l’Ue pour adapter la coopération européenne[21] en fonction du respect de la qualité du processus électoral et de l’accord-cadre du 30 décembre 2014, en entamant la procédure de consultation prévue dans l’accord de Cotonou, y compris à l’article 96,
- · considérer la lutte contre le terrorisme dans la Corne de l’Afrique en évitant à Djibouti le soutien d’un régime non-démocratique et la confusion entre personnalité au pouvoir et fonction présidentielle,
- · réorienter la politique française en Afrique dans le sens d’un soutien accru à la démocratie, en limitant l’influence de la politique de défense et sécurité et de ses acteurs, en particulier au Tchad et à Djibouti.

7 avril 2016 par Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politique en Afrique

14 signataires :

Union pour le Salut national (USN), Association pour le Respect des Droits de l’Homme à Djibouti (ARDHD), Alliance Nationale pour le Changement Ile-de-France (ANC-IDF, Togo), Fédération des Congolais de la Diaspora (FCD, Congo Brazzaville), Forces vives tchadiennes en exil, Rassemblement National Républicain (RNR, Tchad), Union des Populations du Cameroun (UPC), Collectif des Organisations Démocratiques et Patriotiques de la Diaspora Camerounaise (CODE, Bruxelles et Paris), Conseil National pour la Résistance - Mouvement Umnyobiste (CNR-MUN/Cameroun), Mouvement pour la Restauration Démocratique en Guinée Equatoriale (MRD), Amicale Panafricaine, Afriques en lutte, Parti de Gauche, Europe Ecologie les Verts (EELV).

http://www.afriquesenlutte.org/djibouti/article/djibouti-terreur-electorale

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