"Le gouvernement disposera en Algérie des pouvoirs les plus étendus pour prendre toutes les mesures exceptionnelles commandées par les circonstances, en vue du rétablissement de l'ordre, de la protection des personnes et des biens et de la sauvegarde du territoire": voilà ce que précisait le texte qui fut adopté à l'Assemblée nationale, le 12 mars 1956, par 455 voix, y compris celles des 146 députés du Parti Communiste Français, contre 76.
Le gouvernement du socialiste Guy Mollet avait ainsi sollicité et obtenu des "pouvoirs spéciaux" afin de disposer en Algérie des moyens d'intervention qui lui sembleraient bons, sans même en référer à l'Assemblée nationale.
Un gouvernement élu pour faire la paix...
En janvier 1956, le front électoral constitué sous l'étiquette de "Front républicain", et composé essentiellement de socialistes et de radicaux, avait obtenu la majorité parlementaire en laissant entendre qu'il allait faire la paix en Algérie. Les formules volontairement floues permettaient toutes les interprétations.
Le gouvernement se mit en place dans une situation marquée par l'opposition virulente de l'extrême droite d'Algérie. Celle-ci s'opposait à toute modification de la situation coloniale et dénonçait le "bradage" de "l'Algérie française" que préparait -selon elle- le nouveau gouvernement, à direction socialiste.
Dès le début du mois de février, après un voyage à Alger au cours duquel il fut accueilli par des manifestations d'hostilité de la part de cette extrême droite, Guy Mollet obtempéra. Il nomma comme nouveau gouverneur d'Algérie un socialiste, Robert Lacoste, qui réclama aussitôt des renforts militaires, qu'il obtint sans tarder.
...mais qui accentua la guerre, avec la complicité du PCF.
Le 28 février, tandis que Guy Mollet justifiait à la radio l'envoi de nouvelles troupes en Algérie, L'Humanité titrait: "Guy Mollet aux Algériens: guerre à outrance si vous ne déposez pas les armes" et réclamait qu'il entame des négociations et qu'il réalise la paix. Cette prise de position n'allait rendre que plus scandaleux le vote des pouvoirs spéciaux de ses députés, quelques jours plus tard.
Le 12 mars, le PCF votait la confiance au gouvernement Guy Mollet et lui accordait les pouvoirs spéciaux qu'il réclamait. Lors de son discours à l'Assemblée nationale, Jacques Duclos, au nom du groupe communiste, justifia ce vote en expliquant: "Les pouvoirs spéciaux sont demandés, nous dit-on, pour aboutir rapidement à la paix et pour contraindre, si besoin est, les grands possédants d'Algérie à renoncer à leurs privilèges." Duclos précisait d'ailleurs que "d'autres déclarations différentes ont été faites aussi, et elles sont relatives à des mesures militaires que nous ne saurions approuver", preuve qu'il ne pouvait ignorer ce que cachaient ces "pouvoirs spéciaux".
En fait, la direction du PCF s'engageait à ne pas gêner le gouvernement et à faire accepter sa politique par la population et par les travailleurs du pays. Il espérait que le soutien de ses députés au gouvernement Guy Mollet lui vaudrait, en retour, de réintégrer le jeu politique traditionnel, d'autant que le PCF, dans son souci d'apparaître responsable aux yeux de la bourgeoisie française, parlait de "paix en Algérie", mais se gardait bien de revendiquer le droit du peuple algérien à l'indépendance.
Depuis 1947, avec la Guerre froide, le PCF avait été déclaré infréquentable par tous les autres partis. Après la mort de Staline, en 1953, sa direction avait espéré un changement d'attitude à son égard et n'avait pas ménagé ses offres de services. En vain. En 1954, Pierre Mendès-France avait même refusé d'inclure dans le total des voix pour son investiture celles des députés communistes. Au début de cette année 1956, l'espoir de mettre fin à cet ostracisme passait loin devant tout ce qui concernait le sort du peuple algérien.
Fort de ce chèque en blanc, Guy Mollet allait rapidement intensifier les opérations militaires et il avait d'autant plus besoin de ce soutien que les manifestations de rappelés du contingent qui refusaient de partir se multipliaient, avec l'appui d'une partie de la population, notamment dans les gares.
La guerre d'Algérie intensifiée
Le 17 mars 1956, Guy Mollet signait avec son ministre de la Défense, Bourgès-Maunoury, celui de la Justice, François Mitterrand, et Robert Lacoste (gouverneur général de l'Algérie) un décret relatif à l'application de la justice militaire en Algérie. Ce décret donnait les pleins pouvoirs à l'armée, qui utilisa la torture à large échelle contre tous ceux qu'elle soupçonnait d'aider le FLN, et les assassina discrètement dans bien des cas. De 200 000 hommes début 1956, les troupes présentes en Algérie passèrent à 450 000 hommes en juillet, afin d'assurer le "quadrillage" de la population que Robert Lacoste réclamait depuis son arrivée en Algérie.
Le slogan électoral "faire la paix", sur lequel les partis du Front Républicain s'étaient fait élire, avait laissé place à une guerre menée de façon de plus en plus féroce contre la population algérienne, avec la complicité tacite de la direction du PCF. Ce n'est finalement qu'en juillet 1956 (mais les rappelés étaient alors en Algérie) que les élus du PCF commencèrent... à voter contre la politique de Guy Mollet.
Daniel MESCLA (LO, mars 2006)