Ali la Pointe, de son vrai nom Ali Amar, est né le 14 mai 1930 – année où la puissance coloniale célébrait en grande pompe le centenaire de sa présence en Algérie – au lieu dit El Annassers, un quartier situé au milieu des vergers, dans la partie basse de la ville de Miliana.
Le sobriquet «La Pointe» dont a été affublé Ali Amar ne tire pas son origine de la Pointe Pescade (actuellement Rais Hamidou), une localité côtière située à la périphérie d’Alger, contrairement à ce que croient beaucoup d’Algériens, mais de la Pointe des Blagueurs, une esplanade située à l’extrémité sud de la ville des Cerises, qui offre une vue imprenable sur la vallée du Chellif, avec en contrebas le quartier des Annassers et ses vergers plantés d’arbres fruitiers, notamment des cerisiers. C’est de cette esplanade qu’Ali la Pointe se sauvait lorsque les gendarmes se mettaient à ses trousses, sûr de lui qu’ils n’avaient aucune chance de le rattraper.
Le jeune Ali eut une enfance très difficile au cours de laquelle la misère a été accentuée par le déclenchement de la Première Guerre mondiale, alors que les Algériens subissaient déjà les affres de la colonisation française. Privé du privilège de suivre des études qui lui auraient permis de gagner sa place dans la société, il n’eut d’autre alternative que de travailler dans des fermes appartenant à des colons afin d’aider sa famille à se nourrir, subissant au passage les pires humiliations, la domination et l’exploitation. Révolté et rebelle, il était animé d’une aversion prononcée contre le système colonial qui régissait l’Algérie et asservissait son peuple. Ali Amar se révoltait à sa manière contre l’injustice que subissait sa famille.
A treize ans, il fait l’objet d’une première condamnation après s’être rebellé contre des gendarmes.
A sa sortie de prison, il se rend à Alger pour y suivre une formation en maçonnerie. Après les cours, il pratique, au Club sportif d’Alger (CSA), son sport préféré : la boxe. Par pour longtemps, car son caractère turbulent et rebelle lui vaut de connaître, à plusieurs reprises, la prison pour divers délits, dont le vol d’effets militaires, coups et blessures volontaires, violence et voie de faits et tentative d’homicide volontaire.
En 1952, il est incarcéré à la prison de Damiette (Médéa) alors qu’il est âgé de 22 ans. Trois années plus tard, le 2 avril 1955, il s’évade en compagnie de l’un de ses compagnons de cellule. Il prend, dans un premier temps, la direction de Blida puis réussit à rallier Alger où il entre en clandestinité. Jusque-là, l’étiquette de malfrat multirécidiviste qui lui collait à la peau va peu à peu s’estomper pour laisser place à celle d’un stratège de la guérilla urbaine, une sorte de «bandit d’honneur», mais qui ne va pas, non plus, atténuer l’inlassable chasse à l’homme dont il faisait l’objet.
Au contraire, la justesse de la lutte qu’il menait lui valut une traque beaucoup plus accentuée de la part des autorités françaises, décidées à l’éliminer, car il commençait à constituer un réel danger pour le maintien de l’Algérie française. C’est à Alger qu’il fait la connaissance de nationalistes algériens qui lui transmettent l’idée et l’esprit de la révolution. Un certain Ahmed Rouibi, dit Ahmed Chaib, le contacte puis le présente à Yacef Saâdi, l’un des chefs de Zone autonome d’Alger (ZAA).
Après plusieurs tests et mises à l’épreuve qui consistaient à mener des missions périlleuses dans la capitale, quadrillée alors par les parachutistes du général Massu, notamment des attentats contre des gendarmes et des traîtres à la cause algérienne, il constitue avec un groupe de fidayîn, dont font partie Hassiba Ben Bouali et Abderrahmane Taleb, un commando de choc qui allait porter le combat au cœur même de l’état-major français.
Après trois années de lutte armée (avril 1955-octobre 1957), Ali La Pointe est repéré le 8 octobre 1957 par les forces armées coloniales dans un immeuble de la Casbah situé au 5, rue des Abderrames. Il sera tué en compagnie de ses frères d’armes de la ZAA, en l’occurrence Mahmoud Bouhamidi, Hassiba Ben Bouali et Omar Yacef, dit P’tit Omar, âgé de douze ans, après que les parachutistes du 3e Régiment étranger de parachutistes (REP), commandé par le colonel Bigeard, eurent dynamité la maison où ils s’étaient réfugiés. Cette action a entraîné l’effondrement d’un immeuble mitoyen qui a causé la mort de 24 autres Algériens, dont 8 enfants. Au moment de sa mort, Ali La Pointe était âgé de 27 ans. L’ensemble de la presse locale de l’époque était revenu sur les faits du 5, rue des Abderrames. L’Echo d’Alger a faussement précisé qu’«Ali La Pointe ne s’est pas fait sauter» avec le stock d’explosifs qu’il détenait mais qu’«il a été attaqué dans son repaire par les parachutistes». Il est incontestable que l’objectif de ces assertions avait clairement pour but de ne pas en faire un martyr afin de ne pas pousser les jeunes Algériens à suivre sa voie.
Zohra Drif, une grande figure de la Bataille d’Alger, apporte son témoignage de ce que fut Ali La Pointe.
«(…) Il avait la puissance, le courage. Les Français avaient très peur de lui (…). Je dois dire que lorsque je pense à l’engagement d’Ali je ne peux m’empêcher d’y voir une sorte de rachat (…). Nous connaissions le passé d’Ali, qui, d’ailleurs, n’était pas proxénète, car lorsqu’il a mené sont combat, on avait l’impression qu’il voulait racheter ses erreurs, rattraper ses égarements.» Pour Mustapha Cherif, Professeur des universités, écrivain, ancien ministre et ambassadeur, né à Miliana,«son courage, sa témérité, sa fidélité, sa conviction de la justesse de la lutte qu’il menait lui permirent de réussir des actions spectaculaires, qu’il accomplissait en plein jour, de par son sang froid exceptionnel (…)
Ce grand héros de la révolution s’était distingué par sa bravoure sans faille aux côtés de nombreux autres héros de la Bataille d’Alger pour libérer la patrie de l’oppression coloniale (…). »
Aujourd’hui, sur la place de Miliana qui porte son nom, une stèle a été érigée à sa mémoire, à l’endroit où, alors enfant à peine âgé de 10 ans, il aimait faire des pieds-de-nez aux gendarmes qui le harcelaient, lui l’enfant qui ne demandait rien d’autre que de seulement vivre les mêmes sensations à l’âge où de petits Français étaient plus avantagés et choyés dans un pays qui n’appartenait ni à leurs parents ni à la République française, mais appartenait bel et bien aux ancêtres de Ali Amar, en l’occurrence l’Emir Abdelkader, Sid Ahmed Benyoucef El Miliani et bien d’autres encore. Abderachid Mefti.