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Maroc : La question amazighe (NPA)

Le 15 janvier 2012, lors d'un rassemblement de célébration du Nouvel an amazigh. DR.
 

Une des facettes de la contestation actuelle est lié a l’existence d’un mouvement culturel amazigh et aux luttes des populations autochtones.

La défense de la culture et de la langue a aussi un fondement social et se traduit par la recherche d’une jonction entre la défense d’une identité spécifique discriminée et la lutte pour une émancipation sociale et démocratique.

A Al Hoceima, les mobilisations contre la « hogra » (l’arbitraire et le mépris), suite à la mort du jeune vendeur de poisson Mohcine Fikri due à l‘intervention des autorités locales, ont un lien avec la situation particulière du Rif et la mémoire collective de la population.

Le Rif, c’est l’épopée d’Abdelkrim Al Khattabi qui a fondé une république (1917-1926) dans sa guérilla anticoloniale et témoigné toute sa vie d’une défiance vis-à-vis du makhzen ; ce sont les milliers de morts en 1958, après un soulèvement populaire noyé dans le sang par Hassan II, alors prince héritier ; c’est le cœur des émeutes populaires de 1984 contre les politiques d’ajustement structurel ; ce sont les cinq jeunes dont les corps ont été retrouvés carbonisés pendant le Mouvement du 20 février.

Et c'est la persistance d’une identité amazighe. Le terme Amazigh signifie « Homme libre ». Il est revendiqué face aux autres noms imposés par les différentes colonisations ou les élites, tel que « berbère ». La mobilisation à Al Hoceima associe le drapeau amazigh, celui de la république du Rif et les slogans sociaux et démocratiques contre le makhzen. Cette jonction entre revendications sociales, démocratiques et culturelles renvoie à une histoire spécifique

La population autochtone amazighe a dû faire face, pendant une longue période, aux tentatives de négation de son identité et ses formes d’organisation sociale. Les communautés paysannes regroupées en tribus (confédérées) avaient un droit d’usage collectif sur la terre et les ressources naturelles. Elles ont historiquement manifesté une autonomie plus ou moins marquée par rapport au pouvoir central. La colonisation française a visé une assimilation et une politique de déstructuration de leurs bases économiques et de leur rapport à la terre, suscitant des résistances populaires armées. Mais à l’indépendance, la question amazighe a été tout autant évacuée.

Discrimination au nom de l'identité arabo-musulmane

Pour le mouvement national officiel, principalement urbain, la question amazighe était inexistante. Même Mehdi Ben Barka proclamait au lendemain de l’indépendance que « le berbère est simplement un homme qui n’est pas allé à l’école. Il s’agit là d’un problème d’instruction et d’évolution sociale, d’équipement intellectuel et d’équipement technique des campagnes. » L’identité nationale marocaine portée par des élites urbaines ambitionnait alors de sortir les campagnes de « l’arriération culturelle ». N’étant ni « langue du pouvoir », ni « langue de développement », la langue et la culture amazighs ont été refoulées aux marges et folklorisées.

La monarchie a mis en avant le caractère arabo-islamique de sa légitimité. L’islam officiel ne peut être concurrencé par une autre langue, ni même par un islam populaire qui soit tant soit peu différent. La conception homogène de la nation marocaine, dont l’unité est matérialisée par la monarchie en tant que pouvoir indivisible sur tout le territoire, a accentué le refoulement politique et culturel des populations amazighes.

Les politiques linguistiques dans l’enseignement et l’administration, opposées aux langues maternelles, ont contribué à exclure socialement de larges catégories populaires. Les politiques socio-économiques ont marginalisé des territoires entiers, soit pour des motifs politiques (c’est le cas du Rif considéré comme une zone dissidente et « punie » par l’Etat), soit parce qu'ils sont intégrés au « Maroc inutile » (pour le capital local et international), en particulier dans le monde rural et dans les régions à dominante amazighe (le Souss et le Centre).

La question amazighe n’efface pas les influences multiples qui ont façonné la réalité culturelle, sociale et démographique d'aujourd'hui. Il n’existe quasiment plus, sauf dans des zones très restreintes, d’ethnie de « pure » appartenance amazighe ou arabe. La majorité est arabo-amazighe. Mais cela ne signifie pas évacuer l’existence d’une oppression spécifique cristallisée par l’Etat, ainsi que celle de spécificités régionales ethnoculturelles. Une communauté/peuple qui ne peut ni gouverner ni s’éduquer dans sa langue est discriminée.

Genèse et développement du mouvement amazigh

Le mouvement amazigh a connu plusieurs phases. Dans les années 1960/70, il s’est refugié dans une défense des « cultures populaires », sans avancer de revendications à caractère politique ou démocratique. Les années 1980 ont été celles d’une gestation difficile dans un contexte répressif. Ce n’est que dans la décennie suivante qu'en résonance avec la question kabyle dans l’Algérie voisine, un regroupement des différentes associations s'est produit sur la base de la Charte d’Agadir (1991). Celle-ci revendique la constitutionnalisation de la langue amazighe, son utilisation et généralisation dans l’enseignement et l’administration.

Mais cette politisation ne s'est accompagnée que de mémorandums à destination de la classe politique et du pouvoir. La direction du mouvement ne cherchait pas la confrontation. Dans les années 2000, le pouvoir a mené une politique de cooptation. Les directions majoritaires ont soutenu la création de l’Institut royal de la culture amazighe, se contentant de l’introduction partielle de l’amazigh dans certains cours (en 2003 ) et de la création d’une chaine de télévision à diffusion limitée (2008 ).

La cooptation s'est également appuyée sur une crise ouverte au sein du mouvement, entraînant nombre de ses cadres et militants à se replier sur l’associatif au plan local, financé par des organismes proches du pouvoir. Le mouvement a connu un reflux et la cristallisation de plusieurs courants : ethniciste-chauvin, autonomiste, institutionnel, démocratique radical… Cependant, en 2011, le M20F a montré la possibilité d’un mouvement populaire qui intègre les revendications spécifiques dans un combat général contre le despotisme. La reconnaissance de la légitimité des revendications amazighes faisait consensus. Cette dynamique a obligé le pouvoir à reconnaitre la langue amazigh comme langue officielle sans pour autant la mettre sur un pied d’égalité, cette « reconnaissance » elle-même devant attendre des décrets d’application, qui se sont avérés par la suite sans portée réelle.

Tâches et perspectives

Le pouvoir peut réprimer ou faire des concessions formelles, mais alors en contournant les revendications. La lutte pour la satisfaction des droits culturels et démocratiques ne peut s’appuyer sur le dialogue avec lui, ni se limiter à une reconnaissance officielle de la langue. Elle nécessite une rupture avec les politiques d’austérité qui asphyxient l’enseignement public, la formation des maîtres et la possibilité de généraliser son usage.

Mais il faut aussi lutter pour une réforme agraire et foncière. La culture et la langue amazighes ont en effet été portées par des communautés ancrées dans les liens sociaux et matériels que permettait un régime spécifique de propriété. Les terres étaient collectives, même si les communautés en avaient seulement l’usage. Le dahir (décret) de 1919 régit le « droit de propriété des tribus, fractions, douars ou autres groupements ethniques sur les terres de culture ou de parcours dont ils ont la jouissance à titre collectif ». Placées aujourd’hui sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, ces terres s’étendent sur une superficie estimée à 15 millions d’hectares. Les Amazighs sont aujourd’hui particulièrement touchés par l’intensification de l’accaparement des terres agricoles et pastorales, qui prive les populations rurales de leurs ressources naturelles (mines, forêts, parcours, eau) et de leurs moyens de subsistance, en suscitant en retour une dynamique de résistance.

Les mobilisations à Imider1 ont réactualisé les formes d’organisation communautaires, en associant l’ensemble des habitants à la conduite de la lutte. La culture amazighe s’assume ici comme un moyen de lutte collective sur des questions sociales, écologiques et démocratiques. A Al Hoceima , les assemblées générales se font dans la langue de l’opprimé. S’il est difficile de savoir sous quelle forme un mouvement de masse pourra s’unifier et se cristalliser, il y a d'ores et déjà une nouvelle génération qui ne se reconnaît pas dans les structures officielles du mouvement amazigh. L’enjeu est de reconstruire un mouvement combatif, indépendant, unitaire, laïc, qui sache combiner les luttes spécifiques et les luttes pour une émancipation globale.

Celle-ci implique un Etat laïque où les formes de légitimation du pouvoir ne reposent pas sur une religion instituée. L’égalité des droits des langues et cultures ne peut reposer sur la sacralisation de la langue arabe comme langue du coran. Une résolution démocratique implique en outre une rupture avec les conceptions centralisatrices et homogènes de la nation, afin de garantir la possibilité d’une autonomie nationale-culturelle et de l'auto-administration régionale. Mais aussi et en même temps, une lutte de classe résolue contre la classe dominante quelle que soit sa coloration ethnique, pour que les classes populaires conquièrent le pouvoir réel et construisent une société égalitaire, multiculturelle, affranchie de toute forme d’oppression et d’exploitation.

Karim Oub2

  • 1. Imider : une lutte qui a commencé en 1996 mais a pris une dimension nouvelle depuis six ans, avec l’installation d’un campement permanent des habitants des différents villages qui luttent pour le droit aux ressources, accaparées par un holding royal, et contre la pollution générée par l’exploitation de la mine
  • 2. L'auteur est un militant amazigh et marxiste révolutionnaire.

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