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Entre rumeurs, clameurs et réseaux sociaux : une explosion sociale (PST)

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Après l’explosion sociale suivie d’échauffourées avec les forces de l’ordre de ce début janvier 2017 dans plusieurs wilayates du pays – à Bejaia, Bouira, Boumerdes, Blida et Tiaret – et la grogne sociale qui en a résulté dans d’autres, la question qui vient à l’esprit du citoyen lambda est : sont-elles le fruit d’une rumeur tenace et d’une manipulation, comme nous l’expliquent le gouvernement et les médias à son service ?

C’est avec le projet de loi de finances 2017, jusqu’à son adoption, qu’il faut recadrer toutes ces informations et l’overdose d’explications qui s’est déversée sur ce citoyen complètement désarmé et tout simplement livré comme une proie à aux prédateurs de tout acabit et au mal-être social.

Le pouvoir s’est toujours érigé en censeur de toutes les revendications émanant de la société et de ce citoyen désemparé. Ce pouvoir ne s’interroge pas pourquoi la violence est devenue un mode d’expression, le seul et l’unique. Pourquoi la jeunesse a son horizon bouché, pourquoi l’école publique, en réforme permanente, rejette chaque année plus de 500 000 enfants dans la rue, alors que les barons du régime, « s’hab ech chkara » (1), tapent dans la caisse autant qu’ils veulent ?

En serviteurs zélés du régime, ces derniers font la pluie et le beau temps tant qu’ils sont dans les bonnes grâces des forts du moment. Ce pouvoir, aveuglé par sa paranoïa, ne discerne même plus les éléments défavorables à sa politique économique. Le ministre des Finances se défausse maladroitement, lorsque dans le débat à l’Assemblée sur la loi de finances 2017, on lui pose la question : pourquoi on ne soumet pas à l’impôt les grosses fortunes ?

Les explosions sociales, émeutes, grèves et mouvements sociaux, qui ont jalonné l’année 2016 et inauguré 2017, sont révélateurs d’un profond malaise politique et social dans la société.

Un éditorial d’un journal qui est une source autorisée du gratin francophone, a estimé que « les derniers mouvements sociaux, émeutes et grèves qui ont ouvert l’année 2017 sont inquiétants à plus d’un titre. Le caractère anonyme et viral (rapidité de la propagation des infos ou rumeurs) paralyse toute action efficace ». Il poursuit son analyse inspirée : « dans le contexte actuel, de prééminence de réseaux sociaux, la moindre rumeur, jumelée à un climat de tension, peut se propager très vite, partout et même mobiliser des acteurs sociaux pour agir dans l’immédiat » (2).

Ce qui semble poser problème pour l’éditorialiste de ce quotidien représentatif d’une certaine élite, ce n’est pas l’ampleur de la crise sociale et la loi de finances 2017, concoctée par le gouvernement pour faire payer la crise économique à des couches et des classes sociales qui ne sont pour rien dans la manière dont le pays et la manne pétrolière ont été gérés depuis plus d’une décennie, mais le rôle joué par les réseaux sociaux pour diffuser la rumeur sur l’appel à la grève générale à l’échelle nationale. C’est pratiquement une règle : tous les médias ou presque et tous les partis liés au sérail ont emboîté le pas à l’explication officielle sur ce qui s’est passé, par « la théorie de la manipulation et du complot », de « la main intérieure » et de « la menace extérieure ». C’est là les astuces que le régime algérien utilise depuis des décennies pour diaboliser tous les mouvements sociaux et pour laisser entendre que le citoyen algérien n’est pas un citoyen comme les autres, capable de discernement. Il y a là tout le mépris qui a toujours caractérisé les gouvernants et tout le paternalisme qui lui est consubstantiel.

Le système algérien ne veut pas s’amender et amorcer les changements politiques et sociaux dont le pays a franchement besoin. La phobie des réseaux sociaux est une obsession depuis 2011. Le pouvoir n’arrive pas à s’en défaire, incapable qu’il est d’avoir un regard objectif et serein sur le monde qui l’entoure. Comme les réseaux sociaux ont été largement derrière la montée des mouvements populaires dans les pays de la région arabe, et surtout en Tunisie et en Égypte, le pouvoir n’arrive pas à se défaire du syndrome du printemps arabe qui lui est resté en travers de la gorge.

Pour qui observe attentivement ce qui s’est passé dans ce mouvement populaire multiforme, les évènements sont riches d’enseignements. La dynamique des printemps arabes a montré ses limites au cours des expériences dans les différents pays et on a fini par comprendre quel était le rôle des réseaux sociaux dans les mouvements de révolte des masses. On peut désormais et avec beaucoup d’objectivité comprendre ce rôle et ce malgré les manipulations et les mystifications de l’Occident et de ses services psychologiques.

Les réseaux sociaux, s’ils arrivent à surfer sur un mouvement social, à mettre en place les médiations qui peuvent servir ce mouvement en aval, sont incapables en amont de se substituer aux forces sociales qui se mettent en mouvement. L’expérience de la révolution égyptienne a montré l’inconsistance politique et sociale qui les caractérise. Donc, pourquoi cette diabolisation des réseaux sociaux, qui apparaît comme surfaite ? Pourquoi cette surestimation de la rumeur comme fonction sociale, alors qu’il est notoire que la société algérienne — et les sociétés maghrébines en général – sont connues pour leur porosité à la rumeur. Les agitateurs de tout acabit et les spécialistes du conditionnement social le savent. Le pouvoir a usé et abusé de cette technique dans sa lutte contre les islamistes dans les années 1990.

La révolution informatique et les techniques de la communication moderne se sont révélées au grand jour, dans les mouvements sociaux et politiques qui ont caractérisé ce qu’on appelle communément les « printemps arabes ». Le politique depuis cette date s’en est trouvé bouleversé. L’apparition des nouvelles techniques et applications, l’échange électronique sur internet, le courrier électronique avec les cellules de dialogues et le renvoi de textes, la programmation du contact direct jusqu’aux nouvelles formules de la presse électronique et les sites complémentaires des différents médias, tout cela avec le développement de l’information, de ce que l’on appelle le journalisme alternatif, les sites individuels et les blogs ont pris un envol fulgurant depuis 1997.

Les weblogs – d’abord moyen d’expression des conflits intérieurs des individus – sont devenus une réalité sociale qui évolue sans la contrainte de la censure et de la surveillance qui caractérise les médias classiques. En dehors du modèle officiel, pour beaucoup de bloggeurs ce cadre est devenu un exutoire et un moyen irremplaçable de réalisation de soi. Cette activité intellectuelle a pris de l’essor en dehors du cadre officiel de communication. De la réalisation de « soi », ces réseaux dans les années 2000 ont abandonné leur caractère subjectif, pour devenir une tribune et des porte-voix variés et ont acquis parfois le statut de « presse populaire » et de critique des faits, des évènements et de l’information en général, produite par les médias traditionnels. Certains n’hésitent pas à qualifier les blogs de « presse participative populaire » ou « presse de la culture populaire critique ». Les blogs sont ainsi devenus un moyen de contrôler les faits rapportés par les médias dominants, qui influencent la vie politique et économique et véhiculent les idées, les opinions des forces sociales dominantes, qui réprouvent la vérité objective, la déforment, la combattent.

L’autre aspect que les médias ont tenté de mettre en avant au-delà de son ampleur : le mouvement de contestation qui s’est développé à Bejaia, Bouira et Boumerdes a dérapé et pris un caractère émeutier qui a été à l’origine de son débordement. Il a ouvert la voie à l’ampleur de la « casse » qui en a résulté par la suite. L’éditorialiste d’El Watan montre combien le mouvement spontané a pris de court le gouvernement et la classe politique qui reproche désormais au pouvoir d’avoir « verrouillé tous les canaux de communication ».

Le gouvernement entame alors une tonitruante campagne, d’abord par l’intermédiaire du ministre de l’intérieur, puis tous les ministres, pour expliquer en ordre d’attaque et de manière laborieuse que les mesures portant loi de finances 2017 ne sont que « quelques taxes qui comptent peu ou prou, à côté des transferts sociaux importants que le gouvernement affecte sur instruction du président, pour soutenir les prix des produits de base ». Abdelmalek Sellal, le chef du gouvernement, monte au créneau à la première occasion pour affirmer que les émeutes du début de l’année 2017 ne sont que le fait d’une « manipulation anonyme de partis hostiles à l’Algérie ». Il ajoute : « nous ne connaissons pas le printemps arabe et le printemps arabe ne nous connaît pas et nous allons bientôt fêter Yennayer (3). »

C’est de cette manière que le chef du gouvernement, qui n’en est pas à sa première dérive verbale, traite l’aspiration au changement qui s’exprime par tous les pores de la société. De son discours, l’éditorialiste du quotidien Liberté retiendra : le déni du mécontentement social et le déni de sa légitimité. Dans la relation qu’ils ont faite de la mobilisation sociale, les porte-parole du pouvoir et leurs médias vont encore une fois user de manipulations puisqu’ils ont tenté de localiser le mouvement de contestation uniquement à la Kabylie.

Le black-out a été mis sur le mouvement de mécontentement qui a gagné d’autres villes et régions du pays, comme Tiaret, Blida, Tipaza, Alger, Constantine. Le pouvoir a perdu toute réserve face à la contagion du mouvement social et va mobiliser aussi les mosquées.

Le ministre des affaires religieuses envoie ses consignes à toutes les mosquées pour le sermon du vendredi 6 janvier, qui sera centré sur l’appel à la sagesse en mettant en avant la dérive de la mobilisation sociale à travers le mouvement des casseurs et des pillards et en occultant la revendication légitime du mouvement de contestation qui est celui de l’abrogation de la loi de finances 2017. Le discours lénifiant et paternaliste du chef du gouvernement reçoit la bénédiction de toutes les mosquées du pays qui essaient de mobiliser l’opinion contre « les ennemis de l’Algérie ».

Le pouvoir, encore une fois, est le premier à violer la Constitution dont il est censé être le gardien, en appelant les mosquées à la rescousse de sa politique et en les utilisant comme tribune.  ■

8 janvier 2017

* Chamil est membre de la direction du Parti socialiste des travailleurs (PST) d’Algérie.

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Notes:

1. Ceux qui convoient l’argent sale, dans des sacs-poubelles : les milliardaires.

2. El Watan week-end, vendredi 6 janvier 2017 : Edito, « Anonymat et viralité : éléments de crises à venir ».

3. Yennayer : Nouvel An berbère.

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La question sociale s’invite au débat sur le nouveau modèle économique du gouvernement Sellal

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