Le soulèvement en Syrie contre la dictature d'Assad, qui a débuté en mars 2011, est un mouvement pour les droits démocratiques, sociaux et économiques semblable à ceux qui ont éclaté en Tunisie et en Égypte à la fin 2010 et début 2011. Il fait partie des « soulèvements arabes ».
Le soulèvement en Syrie est un processus révolutionnaire pour le changement politique, pour la démocratie, la justice sociale et contre le communautarisme religieux. Cette révolution politique a sans aucun doute une base de masse, comme le démontre le fait que le régime Assad n'a pas pu vaincre l'opposition militairement ou politiquement, après presque trois ans. Certaines régions du pays sont libérées de la mainmise du régime.
La répression qu'a exercée le régime contre cette révolte est terrifiante. Presque trois ans plus tard, il y a plus de 130.000 morts, 4,5 millions de déplacés internes et 3 millions de réfugiés à l'extérieur (pour un pays de 24 millions d'habitants).
Le contexte social et économique ressemble à ceux de la région : après 40 ans de pouvoir des Assad, c'est le chômage, la pauvreté et la corruption de masse. De grandes nationalisations ont eu lieu dans les années 1960 mais, depuis les années 1990, la libéralisation économique et les privatisations dominent, ce qui a amené une inégalité de richesses dramatique et un grand appauvrissement de la population. Au moment du soulèvement, la croissance et le développement avaient stagné, l'inflation avait grimpé à plus de 100 % par an, et le taux de chômage était probablement de 30 %. La moitié des chômeurs sont des jeunes instruits et qualifiés de moins de 24 ans qui aspirent à un avenir meilleur.
Le régime répressif en Syrie dure depuis 1970, quand Hafez al-Assad a pris le pouvoir avec un coup d'État. Malgré ses prétentions laïcistes, le régime syrien a adopté le favoritisme communautaire, fondé sur les réseaux familiaux, pour consolider son règne.
Depuis les années 1970, il a encouragé l'islam conservateur afin de renforcer sa propre légitimité, y compris en faisant de grandes contributions financières aux écoles islamiques. En 1973, après les protestations de quelques personnalités religieuses sunnites, Hafez al-Assad a présenté un amendement à la nouvelle Constitution, qui déclarait que « la religion du président est l'islam ». Cet article a été maintenu dans la « nouvelle » Constitution adoptée par le régime actuel en mars 2012, en y ajoutant une nouvelle clause : « La jurisprudence islamique est source de toute législation ». Bachar al-Assad a maintenu cette orientation, menant une collaboration accrue avec des associations religieuses en même temps qu'il accélérait les politiques néo-libérales. Ces mesures ont été accompagnées par la censure, la promotion de la littérature religieuse et l'islamisation de l'enseignement supérieur.
Le régime a exercé une forte pression sur la communauté alaouite, poussant beaucoup des jeunes les plus pauvres vers l'armée. Le régime a essayé d'éliminer les voix discordantes au sein de la communauté alaouite, et de la transformer en secte politique liée à son clan, mais il n'y est pas parvenu. Car globalement la communauté alaouite n'a bénéficié d'aucune politique économique spécifique la favorisant. La montagne alaouite est la deuxième région la plus pauvre après celle du nord-est majoritairement kurde. La région et la communauté alaouites ont souffert tout comme d'autres dans le pays de la libéralisation économique, de la fin des subventions et de l'inflation élevée.
Le régime syrien utilise le communautarisme de façon consciente et délibérée, en particulier par la sélection de la garde prétorienne de l'appareil répressif autour d'Assad.
L'occupation impérialiste de l'Irak ainsi que la rivalité entre l'Arabie saoudite et l'Iran ont également contribué au développement de l'intégrisme religieux dans la région, tout comme l'absence de soutien à la révolution en Syrie de la part d'un pan important du mouvement antiguerre à l'échelle internationale.
Bien qu'il se qualifie lui-même de « socialiste », nationaliste et non-aligné, le régime Assad est un allié utile pour l'impérialisme. Il a maintenu une coexistence pacifique avec Israël, réprimé les Palestiniens (il est entré au Liban en 1976 pour participer à l'écrasement de l'OLP) ; en 1990, il a participé à la guerre du Golfe menée par les États-Unis contre Saddam Hussein, et a permis aux États-Unis d'utiliser ses prisons pour la torture dans le cadre de la guerre anti-terroriste.
L'impérialisme est prêt à abandonner Assad devant le soulèvement, mais il cherche désespérément à maintenir l'infrastructure du régime et de l'État. Les États-Unis ont appris de la catastrophe en Irak où, malgré une victoire militaire, les États-Unis et le Royaume-Uni ont été incapables d'atteindre leurs objectifs politiques. Maintenant, l'impérialisme recherche une solution « yéménite », où la figure de proue du régime s'en va, mais le régime lui-même reste, ce qui signifie essayer de forcer l'opposition à accepter un partage des pouvoirs avec le parti Baas syrien. La pire crainte de l'impérialisme est la victoire de l'insurrection populaire contre Assad, ce qui donnerait un nouveau souffle aux soulèvements arabes qui ont marqué un temps d'arrêt en Égypte, en Tunisie et ailleurs. Cette peur se reflète dans la légitimation du régime Assad par l'accord négocié par la Russie pour retirer et détruire les armes chimiques tout en faisant semblant de ne pas voir les autres armes tout aussi destructrices et en même temps cet accord a miné l'insurrection. Les pourparlers de paix constituent également une tentative de diviser l'opposition et de forcer un partage de pouvoirs entre le FSA/SNC et le régime syrien pour lutter contre le « terrorisme ».
Avec l'Iran, la Russie est le soutien principal d'Assad, fournissant les armes nécessaires pour infliger une défaite à l'opposition. La seule base navale de la Russie en Méditerranée est en Syrie, et elle a besoin d'alliés dans la région en mesure de soutenir ses intérêts géostratégiques. Le peuple syrien doit avoir le droit de déterminer son avenir, libre de toute intervention étrangère, et pas seulement celle de l'impérialisme étatsunien et britannique mais aussi celle de l'impérialisme russe.
La nature politique des forces qui s'opposent au régime est extrêmement diverse et contradictoire. Il y a un élément de gauche, progressiste et démocratique, petit mais significatif, organisé surtout par le biais des comités de coordination locaux, et qui connaît une croissance modeste.
Les forces islamistes, soutenues par différentes forces externes (surtout le Qatar et le royaume saoudien) sont en guerre entre eux militairement et politiquement. Un des développements les plus positifs de ces derniers mois a été la résistance d'une grande partie de la population à ces forces islamistes.
Les femmes ont joué un rôle significatif dans le soulèvement, y compris sur la ligne de front, contre les forces intégristes qui cherchent à restreindre les droits des femmes encore plus.
Par contre, les islamistes intégristes sont beaucoup plus forts maintenant qu'au début de la guerre. Ils ont reçu des fonds et ressources des États du Golfe, ce qui a accru leur avantage militaire, et ils peuvent ainsi attirer des volontaires.
Malgré ses déclarations hypocrites en soutien à l'opposition, l'impérialisme étatsunien a empêché la fourniture au Conseil national syrien des armes nécessaires qu'il a réclamées pour se défendre contre l'armée d'Assad.
Le conflit en Syrie pose un dilemme idéologique à l'impérialisme. La guerre contre le terrorisme est le ciment idéologique dont il se sert pour construire un soutien populaire à ses interventions en Irak et en Afghanistan, et imposer une démocratie avec approbation occidentale pour remplacer les tyrans locaux déloyaux. Ce dilemme renforce l'intention de l'impérialisme d'avoir une solution « yéménite » au conflit. Il ne veut donc pas que le conflit dépasse certaines limites. Une victoire de l'opposition, et la chute du régime Assad, serait un autre coup contre l'impérialisme et donnerait l'espoir à des millions de gens que le processus révolutionnaire des soulèvements arabes n'est pas achevé.
Même s'il se prétend atterré par les crimes d'Assad, l'impérialisme agit pour décourager l'aide humanitaire et le soutien militaire au peuple syrien révolté.
Le silence n'est pas possible face aux crimes du régime Assad, et nous ne pouvons pas être neutres dans ce conflit. Nous devons argumenter fermement contre ceux de la gauche qui ont adopté une attitude « campiste » à l'égard du régime Assad. Pour les marxistes révolutionnaires, le choix est clair : la solidarité avec le peuple syrien dans sa lutte pour la démocratie, la justice sociale et contre le communautarisme religieux, jusqu'à la chute d'Assad.
En tant que marxistes révolutionnaires, nous soutenons :
► 1. Assad dehors ! Solidarité avec le soulèvement, notamment avec l'ensemble des forces progressistes, laïques et démocratiques.
► 2. Le droit du peuple syrien de lutter pour ses droits démocratiques et pour la justice sociale et économique. Solidarité avec les femmes syriennes qui se battent pour leurs droits.
► 3. L'opposition à toute intervention militaire étrangère, que ce soit des pays impérialistes occidentaux, de la Russie, des puissances régionales ou du Hezbollah.
► 4. Le droit du peuple syrien de déterminer l'avenir de son pays, libre de toute intervention étrangère.
► 5. Le droit du peuple syrien de prendre les armes contre Assad, et de les obtenir là où il le veut.
► 6. Pour les droits civiques, politiques et sociaux du peuple kurde.
► 7. La nécessité d'un programme massif et immédiat d'aide humanitaire aux réfugiés.
► 8. L'ouverture des frontières européennes pour héberger et assister les réfugiés, où qu'ils veuillent aller.
► 9. La défense des droits démocratiques en Europe et l'opposition aux attaques contre les droits civiques au nom de la « guerre contre le terrorisme ». Aucune criminalisation de ceux qui luttent contre Assad.
► 10. La condamnation de toute attaque aveugle contre la population civile et la poursuite judiciaire de tous ceux qui sont impliqués dans des crimes de guerre.
Nous devons créer des campagnes de solidarité avec les opposants à Assad qui luttent pour la démocratie. La base de telles campagnes est une décision tactique selon les circonstances locales et les forces politiques présentes. Nous devrons agir pour qu'un mouvement large, incluant les syndicats, le mouvement pour la paix et les campagnes anti-guerre, vienne au secours du peuple syrien. ■
* Cette résolution a été adoptée par le Comité international de la IVe Internationale le 25 février 2014 à la quasi-unanimité des présents (1 contre et 2 abstentions).
Synthèse
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