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Les Etats-Unis et l’Irak, une intervention humanitaire? (Essf)

L’intervention des forces américaines en Irak a été présentée dans les médias occidentaux et autres comme une intervention pour protéger les minorités religieuses et ethniques d’Iraq contres les avancées du groupe jihadiste ultra réactionnaire de l’Etat Islamique, EI, anciennement Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL).

Cette propagande cache les intérêts politiques impérialistes des Etats Unis dans leur intervention militaire, qui n’a aucun objectif humanitaire.

L’EI depuis le mois de juin n’a cessé de faire des avancées militaires dans différentes régions après la prise de la ville Mossoul.

Au début l’EI agissait au sein d’une coalition hétéroclite avec des ex baathistes et des chefs de tribus, mais le groupe jihadiste a rapidement pris le dessus sur les autres composantes. [1] L’EI a réprimé toutes les composantes de la population refusant son autorité, y compris musulmanes sunnites, tout en s’attaquant aux minorités chrétiennes et aux Yezidis (minorité kurdophone dont la religion monothéiste plonge ses racines dans le zoroastrisme pratiqué notamment en Iran). L’EI a vidé la ville Mossoul de sa population chrétienne et a occupé Qaraqosh, plus grande ville chrétienne d’Irak.

Il faut néanmoins noter la solidarité afficher par une partie de la population musulmane de Mossoul contre les exactions de l’EI contre les chrétiens.

Des musulmans se sont en effet joints aux chrétiens pour manifester en brandissant des pancartes portant l’inscription “Je suis chrétien, je suis Irakien”, s’interposant entre leurs compatriotes chrétiens et les jihadistes de l’EI. Mahmoud Am-Asali, professeur de droit à l’Université de Mossoul, sera le premier musulman abattu par les jihadistes pour avoir défendu des chrétiens. Le samedi 19 juillet, jour de l’arrivée à échéance du fameux ultimatum de la terreur (dans lequel les jihadistes avaient proposé trois possibilités aux chrétiens de Mossoul : « l’islam, la dhimma (impôt spécial) et, s’ils refusent ces deux options, il ne reste que le glaive »), les musulmans, à Mossoul, se sont joints à la messe, à l’église, pour prier aux côtés de leurs frères chrétiens. De même le dimanche 20 juillet, à Bagdad, à l’église catholique de Saint George.

Les avancées et la terreur exercé par l’EI ont pour l’instant provoqué la fuite de 100 000 chrétiens qui ont été forcé de quitter leurs maisons, en plus des 20 000 à 30 000 membres de la communauté Yezidis qui sont restés piégés par l’insécurité dû à l’EI dans les montagnes de Sinjar, sans nourriture, sans eau et sans abri, selon le Haut-Commissariat de l’Onu aux réfugiés. Des milliers d’au- tres, épuisés et déshydratés, ont réussi à rejoindre le Kurdistan via la Syrie. Plus de 200 000 personnes ont été déplacés au total à cause des avancées militaires de l’EI, tandis que ce dernier a commis également des massacres contre des civils.

L’EI disposerait d’environ 10 000 hommes en Iraq et à peu près 7 000 hommes en Syrie.

L’intervention militaire américaine se traduit pour l’instant sous forme de frappes aériennes « ciblées » contre les jihadistes de l’EI, envoi de conseillers militaires sur le terrain, ainsi que l’envoi d’armes aux gouvernements irakien et autonomes du Kurdistan irakien. La France et la Grande Bretagne ont égale- ment fourni des armes à ce dernier. Il faut souligner le soutien de l’Iran, soi disant « anti impérialiste », à ces frappes US pour assister le régime irakien allié…

Le régime iranien a également envoyé des pasdaran, des gardiens de la révolution, en Irak pour combattre l’EI, tandis qu’il a livré à l’Irak quelques Soukhoï SU-25, des avions d’attaque au sol et de soutien rapproché dont seuls les pasdaran sont équipés au sein des forces iraniennes. De même l’Iran continue de mobiliser et financer les milices chiites irakiennes, plus de 20 000 miliciens, que la République islamique d’Iran soutient depuis des années en Irak. La présence de membres du Hezbollah libanais est également attestée dans des tâches de commandement et de coordination des opérations. L’un d’eux, Ibrahim al-Hajj, vétéran du conflit de 2006 contre Israël, a récemment été tué dans le Nord, près de Mossoul, que l’EI contrôle depuis les tout premiers temps de son offensive de juin.

D’un autre côté, les combattants kurdes d’Irak, de Syrie et de Turquie ont uni leurs forces dans une rare alliance, mettant leur différents de côté de manière temporaire, pour faire face aux jihadistes dans le Nord irakien dans la région de Rabia et de Sinjar, à l’ouest de Mossoul. Des combat- tants kurdes du PKK turc, du PYD syrien et des peshmergas irakiens ont en effet uni leurs forces dans une collaboration sans précédent.

L’intervention militaire US, malgré sa propagande « humanitaire », s’inscrit néanmoins dans des objectifs politiques clairs qui sont de protéger le personnel diplomatique américain en poste station- né à Erbil, les grandes multinationales du secteur des hydrocarbures, tel que Mobil, Chevron, Exxon et Total qui exploitent le pétrole dans cette région et qui y ont déjà investi plus de 10 milliards de dollars, mais l’objectif premier est surtout de maintenir le régime irakien allié, hérité de l’invasion américaine. Les Etats Unis ne sont pas intervenus lorsque Mossoul est tombé et d’autres régions et que plus de 200 000 réfugiés se sont retrouvés sur les routes en direction du Kurdistan irakien, mais lorsque l’EI mena- çait de conquérir les territoires kurdes du Nord et la capitale Bagdad au Sud.

C’est pourquoi les Etats Unis ne veulent que des changements superficiels au sein du régime irakien, en remplaçant uniquement le premier ministre Maliki, qui a également été lâché par son allié iranien à cause de sa gestion catastrophique du pays. Le nouveau Premier ministre, Haïdar al-Abadi, est loin de représenter une révolution, c’est un proche de Maliki et il est membre du même parti Dawa, tandis qu’il a été ministre des Communications au sein du gouvernement intérimaire mis en place après le renversement de Saddam Hussein en 2003.

Ce dernier a reçu un soutien international, y compris de l’Iran. Le premier ministre Maliki a néanmoins tenté de rester au pouvoir, mais y a renoncé finalement. A la suite de cette annonce les responsables américains ont déclaré qu’ils pourraient accélérer l’aide économique et militaire à l’Irak si le nouveau gouvernement de al Abadi est plus inclusif en direction notamment de la population sunnite d’Irak. Mais c’est oublié que c’est la formule actuelle du régime irakien et ces mêmes forces politiques qui ont mené l’Irak dans cette situation aujourd’hui comme nous l’avons expliqué dans un article en Juin.

La protection des minorités religieuses et ethniques n’est en effet pas du tout une priorité des USA lorsque l’on observe la pratique de ses alliés politiques dans la région, qui au contraire discri- minent et oppressent leurs minorités, comme l’Arabie Saoudite et sa minorité chiite, l’Egypte et sa minorité chrétienne copte ou chiite, ou encore Israel contre la population palestinienne, y compris chré- tienne, qui les réprime et les pousse à l’exil dans les territoires de 1948 (à l’intérieur de l’Etat sioniste) et les territoires occupés de Cisjordanie et de la Bande de Gaza, sans parler de sa politique d’apar-theid, d’occupation et de colonisation. De même les Etats Unis ne faisaient que peu de cas des attaques sur les minorités à la suite de l’invasion américaine et britannique en 2003.

Il faut se rappeler que l’origine de l’EI se trouve en effet dans la constitution d’Al Qaeda à la suite de l’invasion américaine.

Son leader Abu Bagdadi a commencé son expérience du jihadisme après l’invasion américaine en 2003 quand il a rejoint la branche irakienne d’Al-Qaeda sous le commandement du Jordanien al-Zarkaoui. En 2010, il prends la tête de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL aujourd’hui connu sous le nom de l’EI), qui a remplacé el-Qaëda en Irak. C’est néanmoins l’implication dans la révolution syrienne, com- battant plus souvent l’Armée Syrienne Libre que le régime Assad, particulièrement à partir de 2013 qui a permis au groupe de l’EI de devenir ce qu’il est aujourd’hui.

Les combats en Syrie ont offert à l’EI un entraînement et des opportunités d’apprentissage sans précédent. Ensuite le groupe dispose aujourd’hui de chars, hummers, missiles et autres armements lourds pris de ses combats lors de son offensive en Irak. Ce matériel, souvent de fabrication amé- ricaine et notamment abandonné par l’armée irakienne lors de son retrait de Mossoul en juin a considérablement renforcé les capacités militaires de l’EI.

L’intervention états-unienne est mue par des intérêts politiques et impérialistes et rien d’autre. Ces intérêts commandent aujourd’hui de maintenir le régime autoritaire et confessionnel que les Etats Unis ont créé en 2003 et qu’ils soutiennent depuis. L’EI est l’ennemi des Etats Unis parce qu’il menace la souveraineté d’un gouvernement qui collabore avec les USA, et non parce qu’il est un groupe ultra réactionnaire et confessionnel qui s’attaque aux minorités et aux irakiens en général.

De même, si les Etats Unis ne sont pas intervenus en Syrie, ce n’est pas parce qu’ils pensent que le régime Assad protège les minorités religieuses et ethniques, mais parce qu’ils ne veulent pas renverser un régime qui a servi leurs intérêts politiques en de nombreuses occasions dans le passé, notamment en réprimant les résistances progressistes palestiniennes et libanaises au Liban et en Syrie ou qui a participé à la guerre impérialiste contre l’Irak en 1991 avec la coalition dirigée par les Etats-Unis, etc…

Les USA veulent une « solution Yéménite » avec le régime d’Assad, c’est-à-dire maintenir les structures du régime et y incorporer une fraction de la soi-disant opposition qui servirait les intérêts occidentaux. C’est pour cette raison que les USA ne sont pas intervenus en Syrie, et non la protection des minorités. D’ailleurs les exactions de l’EI en Syrie n’ont pas poussé à un changement de politique des USA par rapport au processus révolutionnaire syrien. Les évènements en Irak ont simplement poussé le régime Assad à s’attaquer davantage à l’EI, et sa base dans la ville de Raqqa, pour appa- raître comme combattant le « terrorisme » devant la communauté internationale.

Le régime Assad depuis le début de la révolution syrienne s’est attaché en effet à attaquer les démocrates, les comités populaires et par la suite les groupes de l’armée syrienne libre, tandis qu’il libérait de prisons islamistes et jihadistes et les laissaient se développer. Ces derniers avec le soutien politique et financier de forces régionales comme l’Arabie saoudite et le Qatar ont pu se constituer en des brigades militaires importantes et bien armées.

La protection des minorités religieuses et ethniques, et de tous les citoyens d’Irak ne pour- ra être possible que dans le cadre d’un Etat réellement démocratique, social et débarrassé du confes- sionnalisme politique et des interventions étrangères internationales et régionales.

De la même manière cela ne nous empêche pas de soutenir l’auto-détermination du peuple kurde, et même l’indépendance du Kurdistan irakien si cela est son choix. Ce soutien ne signifie en aucun cas un soutien au chef féodal Barzani allié des USA et de la Turquie, qui au contraire doit être combattu et considéré comme ennemi des classes populaires kurdes par ses politiques autoritaires, néo-libérales et d’alliances avec l’impérialisme occidental et de collaboration régional avec la Turquie et Israel.

C’est pourquoi nous devons nous opposer à l’intervention impérialiste des Etats-Unis et des autres pays régionaux, comme l’Arabie Saoudite et l’Iran, et s’opposer aux jihadistes de l’EI, ses cri- mes, et ses politiques réactionnaires, ainsi qu’au gouvernement autoritaire et confessionnel de Bagdad. Ce sont les interventions étrangères qui sont une des principales raisons de la situation actuelles dans le pays.

La nécessité en Irak, et ailleurs, est de construire un mouvement populaire social, démo- crate, progressiste et laic s’opposant au communautarisme pour permettre aux classes populaires de s’opposer aux différents groupes politiques et Etats étrangers qui cherchent à les diviser sur une base religieuse et/ ou ethnique, les appauvrissent avec des politiques néo-libérales, et les oppriment au moyen de mesures autoritaires et repressives.

Joseph Daher  18 août 2014

Notes:

[1] Pour un background sur les évènements de juin voir "Syrie : une révolution qui persiste, malgré tout“, Joseph Daher], disponible sur ESSF (article 32346).

 

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