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Notes politico-militaires sur la bataille de Kobané (TC Npa)

1. Petit rappel historique

Vous n'êtes pas sans savoir que le PKK a eu ses heures maoïstes et tiers-mondistes. Vous n'êtes pas sans savoir que Hô Chi minh tient une certaine place dans la tête d'Öcalan. Alors je vais effectuer un retour aux sources avec une métaphore d'Hô Chi minh; celle du tigre et de l’éléphant :

L'esprit de l'homme est plus fort que ses propres machines... Ce sera une guerre entre un tigre et un éléphant. Si jamais le tigre s'arrête, l'éléphant le transpercera de ses puissantes défenses. Seulement le tigre ne s'arrêtera pas. Il se tapit dans la jungle pendant le jour pour ne sortir que la nuit. Il s'élancera sur l'éléphant et lui arrachera le dos par grands lambeaux puis il disparaîtra à nouveau dans la jungle obscure. Et lentement l'éléphant mourra d'épuisement et d'hémorragie. Voilà ce que sera la guerre d'Indochine

Cela a résumé la stratégie élaborée par son chef d’État major Võ Nguyên Giáp. Il est mort en 2013. Il fut l'artisan de la défaite française et américaine au Vietnam. Il fut le seul général d’État major qui a su vaincre successivement deux armées impérialistes dans une lutte de libération nationale, dont la première puissance mondiale. Il est considéré comme le principal responsable de la défaite française à la bataille de Diên Biên Phu. Il n'avait pourtant reçu aucune formation militaire. Ses stratégies sont malgré cela parmi les plus étudiées au monde. Je vous recommande vivement de vous y intéresser.

Pourquoi vous parle-je de ce monsieur de l'Extrême-Orient ? Parce que ce qu'il vient de se passer à Kobané est une mise en pratique des tactiques militaires de ce monsieur doublée d'un certain génie d'adaptation de la part des YPG/YPJ (unités de protection armées, hommes et femmes du PYD – parti kurde syrien frère du PKK).

2. L’Éléphant charge, le tigre le touche une première fois

La situation semble catastrophique, n'est-ce pas ? Plus de 70 villages ont été pris aux YPG/YPJ qui sont aujourd'hui acculés dans la ville de Kobané dont ils ont en partie perdu le contrôle. La supériorité écrasante en armes et en nombre des combattants de Daech semble indiquer une défaite inévitable. La Turquie soutenant logistiquement et militairement Daech, ne laisse entrevoir qu'un avenir sombre pour nos révolutionnaires Kurdes aux abois... Cela fait plusieurs jours que les médias annoncent la chute de la ville mais elle ne tombe pas. Une lutte acharnée a été menée maison par maison. Pourquoi et comment une telle résistance ? Petit retour en arrière.

En juillet dernier les troupes de Daech lancent un premier assaut majeur sur les positions des YPG. Daech avait rapporté son armement d'Irak : ses chars lourds russes et américains, ses missiles thermiques dernière génération, ses obusiers lourds face aux kalachnikovs des YPG/YPJ. La première phase de la bataille de Kobané s'était soldée par un échec cuisant des troupes de Daech face aux troupes kurdes qui avait su user d'une extrême mobilité sur le front. Si vous voulez avoir un résumé de la première bataille de Kobané, j'ai réalisé une partie des descriptifs de la première bataille sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Première_bataille_de_Kobané

Le bilan est un échec cuisant pour Daech qui partait avec un avantage de départ criant : les YPG affirment que les affrontements ont fait 685 morts dans les rangs de l'État islamique, dont 5 émirs. Il revendique également la destruction de 6 chars et de 14 bases. Les pertes des YPG sont de 72 morts. Les combats auraient atteint une intensité inédite avec le bombardement par l'État islamique des villages de Zor Mixar et Beyadiyê avec plus de 3 000 obus. Les YPG déclarent également avoir repris plusieurs villages, ainsi que des collines stratégiques. Je vous laisse imaginer ce que coûte le bombardement de ces pauvres petits villages par Daech avec plus de 3 000 obus de dernière génération. Au final, la première bataille de Kobané s'est clairement soldée par un échec de Daech.

3. L’Éléphant s'enrage et s'en prend à un autre mastodonte

En août dernier, Daech fait tomber trois bases de l'armée arabe syrienne : la division 17 basée à Raqqa, la base de la brigade 93 et la plus connue, la base aérienne de Tabqa. Daech a sacrifié des centaines d'hommes dans ces assauts dans l'espoir de libérer plus de troupes et de récupérer des armes. Il n'empêche que le coût en pertes humaines fut très lourd. Cela lui a permis de récupérer du matériel et des hommes pour les concentrer sur un autre front. Un excellent article de The Arab Chronicle en parle bien : http://the-arab-chronicle.com/fall-of-tabqa-airbase-chute-base-tabqa/

A la suite de ces victoires, l’État islamique a gagné un grand prestige. L'OSDH estime qu'au mois de juillet 6 000 hommes l'ont rejoint. En septembre, une grande partie d'entre eux ont reçu une formation nécessaire dans les rudiments du combat permettant à Daech d'envisager un assaut à la mi-septembre. De plus, Daech a engagé en parallèle des négociations avec une veille alliée...

4. L'accord entre la Tulipe et l’Éléphant

Rappelez vous de la prise d'otage des 90 Turcs, lors de la prise de Mossoul par Daech en juin dernier, principalement des routiers et du personnel consulaire. Les Turcs soutenaient Daech depuis un moment dans le but d'écraser Bachar et les Kurdes. Mais la Turquie commençait à se poser des questions sur un soutien devenu trop voyant. Toutefois, Erdogan, dans sa grande subtilité, s'est dit que s'il soutenait Daech il obtiendrait deux choses : la libération des otages turcs (ce qu'il a obtenu) et la chute du berceau de la révolution kurde : Kobané. Il a donc effectué des livraisons importantes de munitions pour renflouer Daech, déjà largement utilisées lors de la première bataille de Kobané. Ces livraisons ont été massives jusqu'a la remise récente des otages le 20 septembre.

Peu de temps après, la Turquie a déclaré rejoindre la coalition anti-Daech mais... en empêchant les Kurdes et les armes de traverser les frontières pour rejoindre leurs frères d'armes. La Turquie a gavé Daech allant jusqu’à faire en train des livraisons d'armes et de tanks derrière les lignes de front d’après des témoins interrogés par  Firatnews. Même Joe Biden, vice-président des États-Unis, grand allié de l'État turc, a balancé l'info[1]. C'est un secret de polichinelle : La Turquie soutien Daech.

5. L’Éléphant charge derechef...

Sûr de lui, Daech a rassemblé toutes ses troupes disponibles, environ 1/3 de ses hommes, probablement autour de 10 000 combattants surmotivés et suréquipés d'armes de dernière génération fraîchement ravitaillées. Mais premier petit bémol que les stratèges remarqueront : l’État islamique a pris plus de 60 villages en moins de 48h... peuplés de seulement 800 habitants ! Le reste avait déjà traversé la frontière turque ! Bah oui, 300 000 réfugiés ont franchi la frontière sains et saufs grâce aux YPG qui avaient prévus de longue date cette charge à tombeau ouvert[2]. D’ailleurs Daech n'a pu se défouler que sur une dizaine de Kurdes exécutés en place publique. Loin du massacre annoncé...

6. Et le tigre frappe une deuxième fois...

Face à cette avancée fulgurante les YPG ont tenu des dizaines d'embuscades dans leur retraite préméditée. Daech fut largement retardé et a perdu beaucoup d'hommes pour en fin de compte  prendre le contrôle de villages agricoles désertés. Mais Daech, sûr de sa victoire prochaine, prit cela comme une avancée majeure et vit la retraite kurde comme une lamentable déroute face à sa supériorité incontestable.

Les Kurdes s'étaient retranchés autour de la ville de Kobané. Cette zone était fortifiée en particulier la colline de Miştenur. Ce fut le début d"une lutte de conquête mètre par mètre pour Daech qui s'attendait à une victoire facile. Le matin du 4 octobre, au 20ème jour de la résistance de Kobané, la colline de Mistenur était jonchée de 150 cadavres de Daech abandonnés aux corbeaux[3]. Un grand nombre de chars furent détruits dans une tempête de feu qui s'abattit sur l’État islamique. Son artillerie vida une quantité colossale d'obus pour repousser de seulement quelques mètres la ligne de front. L'utilisation de missiles Grad[4] pour bombarder Kobané est révélateur : une salve de missiles Grad est capable de raser des quartiers entiers. L'OSDH (Observatoire syrien des droits de l'homme) avait calculé que plus de 90 obus étaient tombés sur Kobané en une seule journée, peu de temps avant que Daech n'y entre.

7. L’Éléphant repousse le tigre dans ses retranchements

Au prix de centaines de morts, de blessés, de véhicules blindés lourds détruits, de munitions gaspillées, Daesh a fini par entrer dans Kobané il y a quelques jours. Les Kurdes ne s'attendaient pas à un tel déferlement de violence et ils durent se retrancher dans la ville. L'un des révélateurs de ce recul fut l'utilisation de commandos suicide et le sacrifice d'une capitaine kurde qui se fit sauter sur les djihadistes.

Daech n'avait pas prévu une telle résistance de la part des Kurdes. Pour avancer, il dût s'appuyer sur l'arrivée d'armement lourd venu de ses bases arrière notamment de Raqqa, ainsi qu'un bien plus grand nombre d'hommes. Daech commença à déployer toutes les forces syriennes dont il dispose dans la bataille avalant toujours plus de matériels et d'hommes. Un des faits révélateurs que les Kurdes n'avaient pas lâché était que le repli orchestré se fit de façon méthodique. J'y reviendrai.

8. L’Éléphant tente d'éradiquer le tigre affaibli mais se prend un arbre.

Daech fut rempli d'enthousiasme. Posant pied dans la ville tant rêvée, pourtant remplie de quartiers fantômes, ses hommes redoublèrent d'effort. Ayant pris place dans l'est de la ville, un combat brutal a plongé les djihadistes dans une spirale infernale de violence. Chaque maison, chaque coin de rue était un traquenard dans une ville que les djihadistes ne connaissaient pas. Les Kurdes le savaient et les armes lourdes de Daech perdirent en efficacité : les chars rentrés dans la ville étaient à portée de tirs des charges anti-tank, les ligne de tirs de l'artillerie se retrouvèrent obstrués par des bâtiments fantôme. Maison par maison, bombardement par bombardement Daech subissait tout ce que pouvait espérer le PKK : une usure lente, un déchaînement de l’État islamique au prix de pertes énormes. Le PKK obtint un écho international de sa lutte et avait entraîné Daech sur son terrain : la guerilla urbaine qui est favorable à l'infanterie légère.

Daech a beau contrôlé 40% de la ville, mais c'est au prix d'une concentration maximale de ses forces et de pertes importantes. Être capable d'alimenter une telle machinerie de destruction est un défi important pour Daesh. Une défaite de Daesh à Kobané signifierait purement et simplement un recul majeur de l’État islamique, un recul dont il se remettrait très difficilement. Pour vaincre à Kobané, Daesh devra encore anéantir des milliers de combattants kurdes. L'un des éléments marquants de cette nouvelle phase de la bataille est l’emploi de plus en plus systématique d'attentats suicides contre les YPG. Cela signifie que ni les bombardements, ni les chars lourds, ni les assauts de masse n'ont brisé la ligne de défense et que la dernière option est le bourrage d'explosifs d'un camion à faire sauter avec un kamikaze à l'intérieur. C'est un aveu d'impuissance malgré une force de frappe considérable.

9. Le coup de griffe du Tigre

Venons-en au bilan chiffré. Ce ne sont pas les kurdes qui le disent, mais l'observatoire des droits de l'homme[5] :les YPG ont perdu, de façon sûre, 226 hommes et femmes. Ce bilan est proche de la réalité, les enterrements des milices kurdes étant officiels et largement acclamés par la population, les noms des morts diffusés. De plus les YPG déclarent à peu près le même bilan. Vous pouvez d’ailleurs observer dans l'article de Wikipédia, sur la première bataille de Kobané, que L'OSDH déclare moins de morts dans les rangs des YPG que les YPG elles-mêmes (OSDH déclare 72 morts alors que les YPG 74). Pour les Kurdes, le bilan est donc fiable. En terme de pertes matérielles, à part quelque tracteurs et des transporteurs de troupes, pas grand chose à signaler.

Maintenant vous observerez que l'OSDH dans son article en anglais ne cite pas le nombre de morts de Daech, ce qu'il fait en arabe : 298 morts ! Premier constat : Daech a nettement plus de morts alors que son armée est suréquipée. De plus L'ODSH précise dans son article en arabe que le nombre de morts est certainement 2 fois supérieur à ce qui est annoncé ! Cela signifie que sur 550 morts en 25 jours de combat (26 selon les YPG) il y aurait eu 1 100 morts, dont la très grande majorité pour Daech. Cela coïncide avec les déclaration des YPG. Daech a probablement perdu plus de 800 hommes sans parler des blessés et des pertes matérielles considérables.

10. Résumé de la stratégie des YPG/YPJ

Tout leur repli était préparé et prémédité, même si ils ne pensaient pas reculer aussi loin. C'est pour cela que les YPG enregistrent peu de pertes en comparaison aux immenses moyens déployés par l’État islamique. Le but des YPG était d’entraîner Daesh dans une spirale infernale  l'obligeant à utiliser de plus en plus de moyens pour le pousser au-delà de ses limites tout en préservant ses propres forces. C'est chose faite. L’État islamique a misé toute ses forces dans la bataille pour la prise d'un canton kurde sur les trois. Cela signifie que paradoxalement l’État islamique n'a jamais été aussi exposé.

L’Éléphant montre son flanc ! La multiplication des attentats suicides des djihadistes, le bilan des morts des YPG de plus en plus bas (5 morts pour la journée de vendredi 10 octobre) montre que Daech commence à se fatiguer dangereusement. Effet pervers de cet assaut ultramassif : cela a attiré les frappes de la coalition. Toute la machine militaire de l’État islamique est autour de Kobané, c'est pour cela que la coalition frappe et non dans l'espoir de sauver la ville. Bref Kobané est devenu un sac à point pour les chasseurs-bombardiers américain. Toute l'artillerie et les chars lourds de Daech sont exposés. A leur manière les États-Unis sont tombés dans le piège du PKK, obligés de frapper Daesh à Kobané alors qu'ils ont tout fait, dans un premier temps, pour éviter de venir en aide au PKK/PYD.

Autre événement encourageant : désertant les autres fronts, Daech recule sur le front du puissant canton kurde de Cizîre. Il y a perdu plusieurs dizaines de villages ces dernières semaines. En une journée les YPG de Cizîre ont repoussé le front de 10 kilomètres à Sêrékaniyé. A Rabia, poste frontière irakien, une vidéo à fait le tour des médias kurdes[6]. Droit dans ses bottes, un officier kurde explique l'encerclement des djihadistes dans la ville et la prise de trois véhicules blindés de Daech, ceux-ci trônant en arrière fond dans la vidéo accompagnée d'autres prises de guerre.

Conclusion provisoire

Bien que la ville soit réellement en danger, il ne faut pas sous-estimer le PKK, organisation qui lutte militairement contre l’État turc, deuxième armée de l'OTAN, depuis plus de 30 ans. La stratégie employée a tout d'une veille tradition militaire maoïste qui a démontré son efficacité. Il est temps plus que jamais de soutenir le PYD qui a une chance de l'emporter. Nous sommes solidaires de milliers de combattants et combattantes des YPG/YPJ qui risquent leur vie chaque jours dans la lutte contre les théofascistes de Daech. Nous saluons le PYD qui a protégé les populations avec ferveur, laissant le moins de monde possible en arrière. D'après l'OSDH il n'y a eu qu'une vingtaine de civils qui sont morts, la plupart dans des bombardements.

De plus malgré une situation difficile, il n'a pas cédé politiquement à tous les impérialistes du monde entier qui cherche à le faire plier. Il n'a pas cédé au chantage cynique de la Turquie qui a dit : soit vous vous mettez sous la coupe et la direction politique de l'ASL et dans ce cas on peut envisager de ne plus vous mettre des bâtons dans les roues, soit on favorisera votre anéantissement. C'est un enjeu central que le PYD refuse de se soumettre à l'impérialisme et de se mettre sous la coupe de la direction de l'ASL.

Nous avons proposé, lors du CPN du NPA des 20-21 septembre[7], que le NPA propose une campagne unitaire du mouvement ouvrier pour fournir une aide matérielle au PKK/PYD. Cette proposition n'a reçu aucun soutien au CPN. Nous nous en désolons. Nous saluons l'initiative des révolutionnaires suédois[8] (Arbetarmakt) qui ont écrit à l'ensemble des forces socialistes et révolutionnaires pour participer à une campagne unitaire de dons pour fournir des armes au PKK/PYD. Nous saluons la collecte organisée par le groupe allemand « Neue antikapitalistische Organisation »[9]

Il n'est pas trop tard pour Rojava : le NPA doit lancer au plus vite une campagne de solidarité concrète pour aider matériellement et militairement les forces du PKK/PYD à vaincre Daesh.

(13 octobre 2014)

Raphaël, comité Jeunes travailleurs du NPA

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