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« Pourquoi est-​​ce que les enfants meurent à Gaza ? » (Afps)

 Samah Jabr est psy­chiatre et psy­cho­thé­ra­peute à Jéru­salem, et se pré­occupe du bien-​​être de sa com­mu­nauté, au-​​delà des ques­tions de maladies men­tales. Elle écrit régu­liè­rement sur la santé mentale dans les ter­ri­toires palestiniens.

La guerre d’Israël contre la bande de Gaza entre le 7 juillet et le 25 août a causé, selon les rap­ports, 2 133 morts dont 577 enfants, et plus de 11 000 blessés. Plu­sieurs mil­liers res­teront han­di­capés à vie, des dizaines de mil­liers de maisons ont été détruites et des cen­taines de mil­liers de per­sonnes n’ont désormais plus de foyer.

De tels rap­ports ne repré­sentent que la partie émergée de l’iceberg. Les réper­cus­sions sont beaucoup plus pro­fondes, et s’agissant de la santé mentale de la popu­lation et du bien-​​être de la société, elles s’inscrivent dans le long terme. Le dommage psy­cho­lo­gique qui a résulté et qui per­sistera est invi­sible, non exprimé et incommensurable.

Consi­dérez cette mère palestino-​​américaine qui a dû choisir entre fuir Gaza avec deux de ses enfants (ceux qui pos­sé­daient la natio­nalité amé­ri­caine) en laissant der­rière elle les deux autres qui ne la pos­sé­daient pas, ou rester à Gaza sous les bom­bar­de­ments avec ses quatre enfants. Le dommage psy­cho­lo­gique se reflète aussi dans les ques­tions que les enfants posent à leurs parents : « Pourquoi est-​​ce que les enfants meurent à Gaza ? » « Que leur arrive-​​t-​​il une fois qu’ils sont morts ? » « Est-​​ce que vous serez tristes si je meurs moi aussi ? »… Voilà ce qu’ont vécu les familles qui ont reçu l’ordre d’évacuer leurs maisons, avec leur passé et leur avenir réduits en pous­sière. Les sta­tis­tiques ne peuvent appré­hender le chagrin trau­ma­tique chro­nique res­senti par celles et ceux qui pleurent la perte d’êtres aimés dans d’aussi atroces cir­cons­tances, ni la souf­france émo­tion­nelle sup­portée par celles et ceux pour les­quels le pro­cessus de deuil ne peut suivre son cours naturel.

Mémoire traumatique

Mariam a perdu sa petite sœur il y a quelques années, quand les soldats ont fait feu sur la voiture fami­liale en route vers l’école. Aujourd’hui encore, chaque fois que Mariam ren­contre un soldat, elle revit la fusillade et le goût amer de la perte. Elle ne peut se débar­rasser de cette mémoire trau­ma­tique, et cela domine sa vie.

L’impact d’une guerre sur la santé mentale de la popu­lation civile est l’une de ses consé­quences les plus impor­tantes et les plus per­sis­tantes. Les études scien­ti­fiques concluent à une aggra­vation des troubles mentaux consé­cutifs à la guerre. Les femmes, les enfants, les per­sonnes âgées et celles qui vivent avec une infirmité sont les plus vul­né­rables ; le degré du trau­ma­tisme et la pré­sence d’un soutien phy­sique et émo­tionnel ont aussi une inci­dence sur le résultat.

Face à l’atrocité immé­diate d’une guerre, les per­sonnes éprouvent com­mu­nément un état d’hyperexcitation dans lequel elles se sentent capables de lutter contre ou de fuir le danger, mais où elles peuvent aussi se sentir figées dans un état de vul­né­ra­bilité. Dans les années à venir, elles peuvent être tour­mentées par le sou­venir, des cau­chemars et des flash-​​backs des évé­ne­ments traumatiques.

Les mal­heurs for­tuits et les catas­trophes natu­relles sont eux aussi tra­giques, mais ils sont imper­sonnels ; les hor­reurs d’une guerre sont pro­fon­dément per­son­nelles. Les bles­sures trau­ma­tiques infligées dans une guerre causent un dommage profond par­ti­culier parce qu’elles repré­sentent une méchanceté déli­bérée et évi­table. Les sen­ti­ments évoqués, le sens d’une vul­né­ra­bilité et d’une rage impuis­sante sont plus douloureux.

Un trem­blement de terre ne « triomphe » pas, mais dans une guerre, un côté vise à triompher de l’autre et à l’humilier. Les pertes subies sont donc par­ti­cu­liè­rement amères et hon­teuses. Dans le cas de Gaza, la proximité de celui qui en est l’artisan est un rappel constant du passé et une menace per­ma­nente pour l’avenir.

Transgénérationnel

Détruire une vie sur le plan phy­sique et matériel, c’est aussi détruire un mode de vie, détruire un point de vue : le conflit phy­sique apporte avec lui le conflit psy­cho­lo­gique. Gaza est l’une des régions les plus den­sément peu­plées sur la terre, un endroit où les civils vivent sous occu­pation et sous un siège depuis des décennies, avec des taux très élevés de chômage et une pau­vreté qui leur sont imposés. Sa popu­lation civile manque d’accès à son propre espace aérien, sa terre, ses voies navi­gables, ses ins­tal­la­tions sani­taires, ses routes et ses fron­tières, et elle a été isolée par la force des Pales­ti­niens de Cis­jor­danie et de Jérusalem-​​Est, un iso­lement séparant des familles et excluant toute crois­sance éco­no­mique, sociale et politique.

C’est parce que Gaza, et toute la Palestine, a été sans inter­ruption dominée par une force mili­taire infi­niment plus puis­sante qui a contrôlé tous les aspects de la vie pendant des géné­ra­tions que la vie de ses civils ne peut être nor­ma­lisée par un simple cessez-​​le-​​feu. La guerre qui fait l’information dans le monde se superpose à un dénuement grave, chro­nique, trau­ma­tique qui n’est plus de l’information. Les Pales­ti­niens ont besoin que cessent les bom­bar­de­ments, mais ils ont aussi besoin que leurs droits perdus leur soient rendus et que les torts sous-​​jacents soient réparés. Sinon le risque existe que la vio­lence per­ma­nente engendre une spirale sans fin de vic­ti­mi­sation et de revanche, de pola­ri­sation et de mytho­logie, et de plus de trau­ma­tismes transgénérationnels.

Les stra­tégies cultu­relles et spi­ri­tuelles d’adaptation sont très impor­tantes pour cette nation. En dépit de l’érosion constante de la com­mu­nauté en raison d’une oppression mili­taire, poli­tique, éco­no­mique, sociale, idéo­lo­gique et psy­cho­lo­gique impla­cable, les pro­blèmes de santé mentale ne sont pas si géné­ra­lisés qu’on pourrait le croire.

Plus de mal que de bien

J’ai écouté des cen­taines de per­sonnes alors qu’elles com­men­çaient à com­prendre la gravité des des­truc­tions et leur impact sur leur vie. J’ai prescrit des trai­te­ments à des Gazaouis admis dans des hôpitaux de Jéru­salem et de Cis­jor­danie. Leur réaction la plus fré­quente a été de dire : « Allah nous suffit, et Il est le meilleur pro­tecteur. » Trahies par la « com­mu­nauté inter­na­tionale, ces per­sonnes ont mis leur confiance dans une puis­sance qu’ils croient plus grande que celles d’Israël, des Nations unies et du gou­ver­nement amé­ricain. Leur foi pro­fonde est plus forte que les mis­siles intel­li­gents d’Israël et le trai­tement psy­cho­lo­gique appliqué par des pro­fes­sionnels. En Palestine aujourd’hui, il y a le chagrin mais pas le désespoir, la déception mais pas l’amertume à l’égard d’un monde dont l’ignorance et la torpeur morale ont permis tant de cruautés.

En dépit des des­truc­tions et des pertes effroyables à Gaza, beaucoup de gens ordi­naires ont pris des risques pour aider les autres à sur­vivre : le per­sonnel médical et la défense civile ; des jour­na­listes, des familles qui ont recueilli des néces­siteux et des sans-​​abri. Les dom­mages causés ne décou­ra­geront pas leur morale ni n’affaibliront leur détermination.

Le trai­tement du trau­ma­tisme se concentre souvent sur des tech­niques qui aident la per­sonne à se rap­peler et à relater les détails effroyables de ce qu’elle ou il a connus dans un envi­ron­nement sûr. Mais la réalité pales­ti­nienne com­prend non seulement le stress post-​​traumatique interne, mais aussi le stress trau­ma­tique externe actuel et qui se poursuit. Les évé­ne­ments trau­ma­tiques ne peuvent être bannis de la conscience quand ils ne sont pas bannis de la réalité collective.

Recon­naître cette réalité est un pro­cessus social, qui dépasse les limites de la psy­cho­thé­rapie indi­vi­duelle. Ainsi, le trai­tement qui fait fi de la réalité poli­tique peut faire plus de mal que de bien. Tout comme la victime d’un crime n’a pas seulement besoin d’une sym­pathie indi­vi­duelle mais aussi que justice soit rendue, la com­mu­nauté pales­ti­nienne a besoin d’être vue ; que sa souf­france soit entendue et reconnue. Les torts qu’elle a subis doivent être réparés. Les com­mis­sions d’enquête et de vérité, les mémo­riaux et les céré­monies peuvent aussi aider à ce pro­cessus de guérison.

L’unité nationale, la cohésion sociale et la soli­darité inter­na­tionale sont d’autres remèdes poten­tiels pour la douleur et l’aliénation psy­cho­lo­giques causées par la déshu­ma­ni­sation impi­toyable des Pales­ti­niens par Israël et l’apathie, le déni et la dénon­ciation inter­na­tionaux en résultant. La soli­darité peut favo­riser la gué­rison, réduire la soif de revanche et ouvrir la voie pour une récon­ci­liation future ; elle prend en compte le sou­venir per­sonnel et la recons­truction de la société qui aideront fina­lement tant les Pales­ti­niens que les Israé­liens dans la période de l’après-guerre.

La sécurité favorise la confiance ; la recon­nais­sance prévoit la recon­nais­sance mutuelle ; la com­passion ouvre la voie au pardon ; et la justice apporte la paix.

L’Orient le Jour, jeudi 4 décembre 2014

http://www.france-palestine.org/Pourquoi-est-ce-que-les-enfants

 

Plus de 400 000 enfants de Gaza ont un besoin immédiat « de soutien psychologique et de protection de l’enfance » suite à l’assaut dévastateur d’Israël, selon le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF).

Les données sont contenues dans un rapport d’octobre produit par l’Office des Nations Unies pour la Coordination des Affaires Humanitaires (OCHA).

Il est confirmé qu’au moins 538 enfants palestiniens ont été tués par les attaques militaires israéliennes durant l’opération appelée « bordures protectrices » rapporte l’UNICEF. Plus des deux-tiers des enfants décédés, 68 pourcents, avaient 12 ans ou moins.

L’Agence de l’ONU rapporte que presque 425 000 enfants à Gaza ont un besoin immédiat de soutien psychologique et de protection de l’enfance, dont au moins 3373 enfants blessés (certains avec des handicapes permanents) et 1500 enfants devenus orphelins.

Tous ont besoin d’un soutien urgent « afin de gérer des niveaux critiques de détresse et de vulnérabilité psychologique à une période où plusieurs voisinages et villages de la bande de Gaza sont toujours en ruines. »

Le rapport inclus l’histoire de Shaima, âgée de 10 ans, de Shuja’iyya dans l’est de la ville de Gaza, qui, comme beaucoup d’autres, est régulièrement visitée à la maison par un conseiller.

Son quartier est « maintenant principalement réduit à une vaste étendue de décombres » avec « la menace de restes explosifs à chaque coin de rue. »

Durant l’offensive israélienne, la famille de Shaima a trouvé refuge dans l’appartement de son grand-père, pour que finalement l’éclat d’un obus israélien tue son père, Adel, et sa sœur Dima âgée de 2 ans.

« J’ai vu mon oncle porter ma sœur. J’ai réalisé que sa tête avait été coupée lors du bombardement. Je n’ai pas regardé le corps de mon père parce que j’ai eu peur que ses blessures soient aussi horribles. Je me suis enfuie… Je ne peux plus chanter. Je pense à mon père et ma sœur qui sont morts. Je me sens coupable. »

Traduction: Julie V. pour l’Agence Média Palestine

Source: Middle East Monitor

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