L’intervention militaire conjointe de la Grande-Bretagne de Cameron et de la France de Sarkozy en Libye n’a pas seulement détruit le pays, elle a aussi déstabilisé toute une région.
Après avoir fait amende honorable, Kadhafi était devenu un partenaire pour Sarkozy, y compris financier, si on en croit les révélations de Mediapart concernant le financement de sa campagne présidentielle. Autre scandale, celui d’Amesys, cette société française qui a fourni le matériel de surveillance d’internet permettant au régime d’emprisonner et de torturer les opposants [1]. Dans le même temps, Kadhafi jouait son rôle de gardien des frontières européennes contre les tentatives d’émigration venant essentiellement d’Afrique subsaharienne.
Le printemps arabe et les révoltes populaires en Libye ont provoqué le changement de politique de la diplomatie européenne et ont conduit la France et la Grande-Bretagne à intervenir militairement sous mandat de l’ONU, officiellement pour éviter un bain de sang... Mais la France et la Grande-Bretagne vont outrepasser leur mandat pour faire tomber le régime au grand dam de l’Union africaine [2].
Une déstabilisation profonde
Cette intervention a ravi aux masses un processus révolutionnaire qui aurait pu permettre l’émergence d’une direction politique et d’unification des combattants forgées dans la lutte. Elle a aussi déstabilisé les pays de la bande sahélo-saharienne. Beaucoup de Touaregs qui avaient fui les différentes répressions au Niger et au Mali avaient trouvé refuge en Libye, et certains s’étaient engagés notamment dans la légion islamique, une sorte d’équivalent de la légion étrangère en France. Ces Touaregs sont revenus dans leurs pays respectifs. Si au Niger, ils ont été tout de suite désarmés, ce ne fut pas le cas au Mali où ils fondent le MNLA et le groupe islamiste Ansar Eddine qui, avec AQMI, vont provoquer la guerre au nord du Mali. Kadhafi savait attiser les rebellions touaregs, mais il savait aussi jouer un rôle de médiation qui désormais n’existe plus.
La Libye est devenue un véritable discount des armes. En effet, la quincaillerie amassée pendant des années par Kadhafi sera vendue à toutes sortes de bandes armées qui sévissent dans la région.
Le pays lui-même est désormais en proie à des violences entre différents groupes souvent à connotation communautaire, djihadiste, ou parfois les deux, qui se combattent avec de lourdes conséquences pour la population civile. Quant à la situation des Africains subsahariens, elle est dramatique. Ce sont souvent des réfugiéEs qui tentent de passer par la Lybie pour ensuite atteindre l’Europe. Ils sont victimes de racket et de mauvais traitements. C’est aussi le cas pour les Toubou, population noire, en butte aux violences racistes.
La France dans une spirale belliciste
Depuis plusieurs mois, la France fait du lobby pour une nouvelle intervention militaire en expliquant la nécessité de casser le « hub » que la Libye constitue pour les djihadistes. Lors du forum de Dakar, le « Davos » de la sécurité en Afrique, les dirigeants du continent ont critiqué l’intervention en Libye : « Les désordres actuels ont pris racine en 2011. Nos amis occidentaux ne nous ont pas demandé notre avis quand ils ont attaqué la Libye ou quand ils ont divisé le Soudan en deux » [3]. Mais ces dirigeants, inquiets des menaces des différents groupes djihadistes à leurs frontières, sont les premiers à réclamer que la France – pour reprendre l’expression de l’un d’eux – « termine le travail » [4]...
Une fuite en avant qui non seulement ne réglera rien mais ne fera qu’empirer la situation. Aucune intervention occidentale n’a amélioré en quoi que ce soit la situation des populations. Souvent présenté comme un succès, le Mali n’échappe pas à la règle. Les attaques se font quotidiennes, les groupes armés se fragmentent et se livrent une guerre sans pitié, les services administratifs sont quasiment absents de cette région.
Avec son cortège de misère, d’injustice et de violence imposées aux peuples, l’ordre impérialiste ne fait qu’encourager les sectes islamistes qui à leur tour entraînent les interventions militaires occidentales. C’est ce cercle vicieux qu’il s’agit de briser.
Paul Martial
[1] Wall Street Journal, 30 août 2011
[2] Jean Ping, Éclipse sur l’Afrique. Fallait-il tuer Kadhafi ?, Michalon Éditeur, 2014, 17 euros.
* « Libye : le risque d’une nouvelle intervention ». Paru dans l’Hebdo L’Anticapitaliste - 272 (15/01/2015). http://www.npa2009.org/