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Libye

  • Nouveautés sur "Amnesty International"

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  • Comprendre la situation en Libye (Anti-k)

    Qu’est-il advenu de la révolution libyenne et plus généralement, de la Libye ?

    Vue d’ici, la situation s’apparente à un gigantesque chaos auquel personne ne semble plus rien comprendre.
    On en aurait presque oublié qu’une révolution a eu lieu, il y a cinq ans, qu’un peuple s’est levé et qu’il a su mettre à bas 40 années de dictature. Depuis 2011, différentes forces – Daesh, des milices régionales, le Gouvernement d’union national,cherchent à contrôler le pays, sans que personne n’arrive à le réunir en une entité commune.

    Pour tenter d’y voir plus clair, nous sommes allés rencontrer un ami qui avait participé à la révolution et continue de se rendre régulièrement dans le pays.
    Il nous explique comment Syrte est tombée aux mains de Daesh, la réalité concrète des interventions de la coalition internationale, la vision qu’ont les libyens de ces interventions, et plus généralement, dégrossit pour lundimatin une cartographie des forces en présence.

  • Suite aux printemps arabes et aux accord de Lancaster, il y a eu en Libye, une intervention militaire – franco-britannique principalement – de l’OTAN. À la lecture des journaux français on a le sentiment d’un grand chaos, il est très difficile d’avoir une visibilité sur ce qui se passe réellement là-bas. Comme toi tu y as été assez longtemps ces dernières années, que peux-tu nous dire de ce chaos, peux-tu nous aider à y voir plus clair ?
  • Déjà, il serait intéressant mais peut-être une autre fois – ce serait long – de revenir sur ce qu’a donné l’intervention de l’OTAN en Libye. En fait, contrairement à ce que beaucoup pensent, ça n’a pas donné un camp révolutionnaire pro-OTAN et un camp Kadhafiste anti-OTAN.
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  • On peut prendre un exemple, que certains connaissent : la ville de Misrata.
  • Misrata est une ville importante en Libye, c’est la troisième ville démographiquement du pays, celle où il y a le tissu économique le plus important, où il y a une vie urbaine assez différente du reste du pays. Mais elle est importante aussi parce qu’entre le début du soulèvement et l’assassinat de Kadhafi, elle a émergé comme le pôle politico-militaire le plus fort militairement. Dans cette ville – qui est la ville où il y a eu l’affrontement le plus long avec l’armée de Kadhafi, avec beaucoup de destructions – les habitants considéraient l’OTAN également comme un ennemi. C’est à dire les Misratis sont persuadés à tort ou à raison – les grands géopoliticiens nous le diront – que l’OTAN est intervenu soi-disant pour faire tomber Kadhafi mais que, en réalité, ils étaient là pour partitionner le pays et qu’ils avaient une sorte de deal avec Kadhafi : ils pouvaient garder jusqu’à Misrata, mais l’Est – c’est à dire la Cyrénaïque – devait devenir une administration internationale. Ils en veulent pour preuve le fait que pendant longtemps le combat contre Misrata était le moins lourd, alors que les forces de l’OTAN n’étaient qu’à quelques encablures maritimes, sans qu’ils interviennent à aucun moment. Cela veut dire que la perception sur place est assez différente de l’extérieur. Sur place les kadhafiens, les pro-Kadhafi, considèrent que c’est une intervention de l’OTAN contre eux, coloniale ; et la principale force qui a émergé du camp anti-Kadhafi considère aussi que l’intervention de l’OTAN était une intervention ennemie.
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  • Quelles sont alors les forces qui ont pesé dans le conflit libyien ?
  • Pendant ces mois-là – du début du soulèvement (à Benghazi d’ailleurs) à l’intervention de l’OTAN, jusqu’à l’effondrement complet et final du régime de Kadhafi – ont émergé des forces qui n’existaient pas auparavant, et qui sont devenues les principaux acteurs de la scène libyenne. Au niveau de la population, cela s’est traduit par l’engagement de beaucoup de jeunes, des brigades de thowars – ça veut dire révolutionnaire en arabe – qui ont été très différentes d’une région à une autre, et surtout très différentes entre les concentrations urbaines et le reste du territoire. Hors des grandes villes, très rapidement – même si au tout début ça ne l’était pas forcément – ça s’est adossé à une solidarité tribale ; dans les grandes villes, beaucoup moins. Et avec des phénomènes très contradictoires, très ambigus, parfois avec des formes d’organisation très à la base qui perdurent aujourd’hui.C’est-à-dire que même avec la coagulation des différentes forces, des forces plus compactes, en Libye, il est très difficile pour n’importe qui de parler avec un représentant de n’importe où – Misrata, Benghazi – et d’avoir un accord avec lui, et que cet accord soit appliqué dans les fait. Je crois d’ailleurs que c’est le principal casse-tête de ce qu’on appelle la communauté internationale. Le représentant peut être réellement envoyé par la plupart des forces, ils l’envoient, ils lui disent « vas-y, parle avec eux », mais après quand il revient, ils peuvent l’engueuler, le virer. Et cela a mis en place une sorte de dé-hiérarchisation de la société assez bizarre, qui continue à exister . Et avec une forte influence des groupes de base, même pas des brigades, des sous-brigades, enfin des petites unités où il n’y a personne qui reçoit un ordre de là-haut et qui l’applique sans discuter.
  • Je ne suis évidemment pas en train de décrire un truc qui est uniquement positif, il peut y avoir des décisions prises de manière très « démocratique » entre guillemets – une démocratie pas du tout représentative – qui peuvent être très préjudiciables y compris aux populations elles-mêmes. Je décris donc pas ça pour dire « ah c’est le paradis rêvé de l’autonomie, ou de la démocratie directe ou de je sais pas quoi ». Mais in fine je dirais que la carte libyenne peut être lue à partir de ce que j’appelle des pôles politico-militaires locaux ou régionaux ; qui peuvent avoir des référents tribaux ou pas, et qui sont devenus les principaux acteurs de la scène libyenne.
  • Avec des cas qui peuvent être extrêmement différents d’un endroit à l’autre, encore une fois si on prend l’exemple de Misrata. Misrata, c’est une ville d’environ 400 000 habitants avec un très fort tissu économique, commerçant, un peu d’industrie, non-reliée au pétrole, ce qui est unique en Libye. Avec une composition disons historico-culturelle très particulière : les Misratis sont réputés – se considèrent et sont considérés – comme étant les descendants de ce que les Libyens appellent les Kouloughlis. Les Kouloughlis, ce sont les administrateurs de l’Empire Ottoman qui se sont mariés à des libyens, et qui ont eu des enfants là-bas, qui peuvent être turcs, bosniaques, albanais, etc. Enfin je ne sais pas si vous connaissez un peu l’histoire de l’Empire Ottoman, qui avait une organisation très particulière de ses administrations, avec des lieux de recrutement très différents selon ce que l’on doit faire, selon si on est émissaires ou administrateurs, mais c’est trop long à raconter.
  • Mais bref, ça, ça fait que les Misratis se considèrent et sont considérés comme un corps un peu étranger au tissu tribal, ordinaire, du reste de la Libye, qui sont censés être les descendants de troncs tribaux originels qui sont les Banu Hilal et Banu S’lim, qui au IXe siècle sont partis du Yémen et d’Égypte pour étendre l’Islam vers l’Afrique du Nord. Et ça c’est vraiment quelque chose qui reste très présent dans la perception. C’est-à-dire que les non-Misratis disent que les Misratis ne sont pas libyens, que ce sont des turcs. Vice-versa les Misratis se considèrent comme étant beaucoup plus évolués que les tribus de bédouins, de montagnards qui constituent le reste du territoire.
  • Et cette ville-là, parce qu’elle a mené peut-être le combat le plus long contre l’armée de Kadhafi, a acquis une pré-expérience militaire, même si elle était très éclatée parce qu’il y avait énormément de brigades différentes, qui se coordonnaient ensemble selon une organisation pas du tout classique pour défendre la ville. C’est une grande ville où il n’y a pas d’affrontement entre les différentes tribus, il y a eu des positions différentes d’un groupe à l’autre mais pas adossées sur un esprit de corps… Donc ils ont eu une expérience militaire assez longue, et ils ont réussi à obtenir pas mal d’armement, principalement en récupérant des armes au régime, et en partie avec un soutien principalement turc et qatari.
  • Et on a parlé à un moment de l’intervention discrète de troupes britanniques ou françaises… non ? Euh… pas… sur Misrata, j’en… J’ai lu ça dans Le Canard enchaîné en passant une fois. Tu parles de 2011 ?
  • Oui. Oui, oui, il y a eu des troupes françaises mais dans la montagne de l’ouest plutôt mais j’y viens…. Et donc voilà cette ville a émergé, cette ville assez unie, assez solidaire, assez grande, avec une grande démographie, avec maintenant une expérience militaire assez importante, avec de l’armement. Avec aussi un très grand nombre de jeunes qui se sont engagés dans les brigades révolutionnaires ; qui vont devenir un des acteurs les plus importants de la Libye post-Kadhafi.
  • Très paradoxalement, une autre ville était aussi devenue un acteur vraiment très important, au point qu’ils ont voulu défier Misrata. C’est une ville qui ne ressemble pas du tout au premier exemple, elle s’appelle Zintan, c’est une ville de 30 ou 40 000 habitants – à comparer avec les 400 000 de Misrata – 30 ou 40 000 habitants mais pouvant aligner jusqu’à 15 000 combattants. C’est une toute petite ville dans la montagne, montagne que les Amazighs, – ceux qu’en France on appelle les Berbères – appellent les montagnes Nefoussa. Les non-Amazighs appellent ça la Montagne de l’ouest. C’est une montagne composée principalement de populations amazighophones donc se revendiquant comme n’étant pas arabes mais Amazighs, avec des petits îlots arabes.
  • Zintan est un des îlot d’arabes dans une montagne Amazigh. C’est une ville comme j’ai dit de 30 ou 40 000 habitants, qui correspond à une seule tribu. Zintan c’est une ville et une tribu, c’est le nom d’une ville et d’une tribu. Une tribu très montagnarde et très tribale, considérée comme des barbares de la montagne par les gens de la plaine.
  • Eux, ils se sont engagés dans le combat contre Kadhafi dans un deuxième temps, c’est assez compliqué de décrire pourquoi. Il n’empêche qu’au moment de leur engagement, ils ont bénéficié du très fort esprit de corps de la ville, de sa capacité à aligner proportionnellement un nombre de combattants énorme par rapport au nombre d’habitants. Et ils ont profité aussi pour des raisons diverses et variées, l’aide et les parachutages d’armes sophistiquées par le Qatar, les Émirats, et la France, se faisaient à quelques kilomètres de leurs villes. Ce qui fait qu’à la sortie de la révolution, Zintan est une autre force importante avec laquelle il faut compter.
  • Enfin bon, les acteurs sont tous différents, qu’ils soient sur une base tribale, soit locale, soit régionale. Et il est en tout cas important de savoir que ce qu’on a appelé les thowars, c’est-à-dire principalement les jeunes qui se sont engagés en masse dans un combat au début assez autorganisé, se sont démultipliés après la chute définitive du régime. C’est-à-dire sur les centaines de milliers de thowars actuels, il y en a peut-être un dixième qui ont réellement combattu pendant la révolution.
  • Il s’est posé à un moment, après la chute de Kadhafi, la question de la gestion ou de l’autogestion de chacune des régions, des villes, des villages, et de la concurrence entre ces différents pôles pour le partage du pouvoir et des richesses. Avec une sorte de couche nouvelle, une classe nouvelle composée de jeunes engagés dans le combat et qui sont devenus des chefs de guerre, ils ont constitué les nouvelles élites et ont acquis une légitimité nouvelle.
  • Tout ce que je viens de dire ne concerne qu’une partie de la Libye parce qu’il y a une autre partie, très grande, qui ne s’est pas engagée dans la révolution, et qui soit était pro-Kadhafi, soit ne l’était pas, mais était contre le fait de destituer le pouvoir comme ça. Et là aussi les cas sont très différents d’une région à une autre.
  • Je vais parler d’une ville particulière, parce qu’on en parle beaucoup en ce moment : Syrte, qui est devenue le bastion de Daesh en Libye. Syrte, c’était le bastion du pouvoir de Kadhafi. C’était la ville qui devait devenir la ville emblématique sous le régime de Kadhafi, c’était là qu’il faisait ses grands congrès africains. C’est là qu’il s’est réfugié à la période finale des combats, etc.
  • Dans cette ville, il y a plusieurs composantes tribales différentes. Il y a les Khadafa qui sont la tribu de Kadhafi lui-même, mais il y a aussi une autre tribu, les Houara, dont le centre de gravité est la ville de Bani Walid et dont les membres s’appellent les Warfala. Toutes ces tribus – y compris celle de Kadhafi – sont réputées dans les analyses assez rapides, comme des tribus pro-régimes. Mais en réalité, toutes ont été partagées, parmi eux il y avait des gens qui étaient pour, des gens qui étaient contre. Les Warfala – qui sont la tribu la plus nombreuse en Libye, dont le centre est Bani Walid mais il y en a à Syrte aussi – c’est une tribu par exemple qui a choisi de ne pas s’engager, de ne pas prendre position, pour préserver son unité, parce qu’elle voyait qu’il risquait d’y avoir des enfants qui partiraient dans chacun des camps. Mais quand il y a eu des bombardements massifs de l’OTAN, ils se sont battus contre l’OTAN, tous. Et ils ont été défaits, très durement, avec une destruction quasi-complète de la ville, certains parlent de cela comme du « Dresde libyen ».
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  • À quel moment ont eu lieu ces bombardements ?
  • C’est à la fin de l’intervention de l’OTAN. Depuis Syrte se vit comme une ville martyre. Elle a été considérée pour le reste de la Libye comme une ville vaincue et avec ce fait encore plus infamant : Syrte a été le dernier protecteur de Kadhafi. Quand il y a eu le premier gouvernement libyen – dans lequel l’influence des différents pôles dont je parlais était très fort – il y a eu un décret, une résolution qui actait que chaque ville pouvait constituer son conseil militaire. Chaque ville pouvait constituer un conseil pour préserver sa sécurité. Sauf que certaines villes n’avaient pas le droit de porter les armes, dont Syrte. C’était le cas aussi pour Bani Walid, mais Bani Walid c’est encore une autre histoire, ils sont très forts, donc on évite de les faire chier. Syrte s’est alors retrouvée dans la situation d’une ville humiliée, vaincue, défaite ; et il a été décidé par le gouvernement de lui envoyer des milices d’ailleurs pour s’occuper de la sécurité de la ville.C’est ici que l’on trouve l’explication à la question « comment cela se fait-il que Daesh ait pu prendre une ville aussi rapidement ? » Si tu poses cette question-là à Tripoli ou à Misrata, tout le monde te répondra que ce sont les gens de l’ancien régime ; qu’en fait Daesh c’est le masque de l’ancien régime qui veut se venger. Si tu poses la même question à Tobruk on te dit qu’en fait Daesh, c’est l’extension ou la continuité des Frères Musulmans qui gouvernent à Misrata et à Tripoli et que tout ça ce n’est que du partage de travail. Qu’il s’agit de misratis, de tripolitains islamistes qui font semblant de vouloir être démocratiques, mais que dans les fait, ce sont eux qui constituent Daesh.
  • Et la réalité, c’est que les deux récits sont vrais. Quand les vainqueurs de la guerre ont décidé que ceux qui peuvent porter les armes à Syrte ne pouvaient pas être des gens de Syrte, il fallait qu’ils envoient d’autres groupes faire ça. Et ça a été principalement des groupes de Misrata et de Benghazi, des jeunes ; et c’était les jeunes les plus radicaux, les plus turbulents, dont les parents en avaient marre. Parce que « ça y est on a fait la révolution, maintenant il faut qu’on retourne au business, vous cassez les couilles à défiler tous les jours ! » Mais c’est leurs enfants, « Bon vous voulez jouer à la révolution ? Allez à Syrte ! » Et c’est comme ça que beaucoup de jeunes radicaux – soit dont la radicalité s’est tout de suite exprimée par une connexion avec le djihadisme mondial, soit pas – sont allés là-bas.
  • Au départ ces groupes voulaient montrer une gestion exemplaire, donc ils voulaient appliquer la charia mais être très justes. Par exemple, ils punissaient très sévèrement n’importe lequel des leurs qui volait un truc ou qui traitait injustement un habitant de Syrte. Ils voulaient montrer qu’ils étaient capables d’établir un ordre juste et révolutionnaire. Et il y a eu là un phénomène assez étonnant qui ressemble peut-être à ce qu’il s’est passé à Mosul en Irak : les jeunes des tribus vaincues et humiliées de Syrte se sont rendus compte qu’ils avaient l’occasion de rejoindre ces brigades-là, et de passer du statut de vaincu à un statut de combattant qui gérait sa propre ville. Ils ont dû y être encouragés, y compris par leurs tribus, qui voyaient d’un bon œil le fait d’avoir des gens à eux dans les forces armées qui gèrent la ville.
  • Et petit à petit, il y a eu une radicalisation de ces groupes de jeunes qui ont fini par fusionné. Avec cette composition étrange faite des rejetons de tribus considérées comme ayant été un soutien de l’ancien régime par les autres, et des franges souvent très jeunes, les plus radicales, d’autres villes. Et puis là, Daesh a envoyé quelques instructeurs qui ont eu un rôle important pour former ceux qui acceptaient d’être formés.
  • Et donc dans un deuxième temps, après l’envoi de nombreux appels aux combattants, de plusieurs pays différents à rejoindre le bastion de Daesh, les jeunes les ont rejoints. C’est bien plus compliqué que ça évidemment, mais il est vraiment très intéressant de voir comment ça se passe, la chimie interne, comment se reconvertissent ou pas les jeunes qui ont créé les brigades au début. Il y a plein de choses qui seraient très longues à raconter. Il y en a plein par exemple, qui ne savent plus quoi faire, et qui continuent à porter les armes parce qu’ils ne savent pas faire autre chose. Ils sentent que le processus tend à les marginaliser des grandes prises de décision. Ça se fait pas d’un coup, des fois ils pètent un câble et ils vont donner des baffes, voire séquestrer un politicien censé les représenter.
  • Mais, in fine l’histoire depuis la fin 2011, c’était l’histoire de la concurrence entre les différents pôles politico-militaires locaux régionaux pour se positionner sur le partage du pouvoir et des ressources. Ça a duré comme ça jusqu’à il y a deux ans, trois ans. Depuis deux-trois ans, l’élément le plus déterminant de la continuation du conflit, ça a été de moins en moins cette concurrence parce que les rapports de force ont été plus ou moins établis, connus. Il y a eu des batailles qui ont montré qui pèse combien. Et en plus, tout le monde en avait marre de se taper sur la gueule. Toutes les formations armées avaient une pression énorme, bien plus du bas que de la communauté internationale, ça va de « maintenant on a envie de vivre et y en a marre », à « en plus on est un pays riche et on n’a pas l’électricité, on peut pas envoyer nos gamins à l’école ». Donc les bases mêmes exerçaient une pression très forte pour qu’il y ait des arrangements vu que les rapports de force commençaient à être connus, ça pouvait se faire.
  • Sauf que depuis fin 2013-2014, le fioul principal du conflit, ça a été ce que les anglais appellent proxy war, la dimension d’un conflit téléguidé de l’extérieur, soit au niveau régional, soit au niveau international. Quand je dis régional, ça veut dire de pays arabes et musulmans proches, ou pas proches. Avec des acteurs principaux qui sont les Émirats, l’Égypte, le Qatar, la Turquie, la France, la Grande-Bretagne. Les puissances traditionnelles occidentales ont eu très peu d’impact en fait. C’est-à-dire qu’aucune n’a jamais réussi à déterminer vraiment une situation. C’est assez bizarre, c’est-à-dire que les puissances régionales avaient une capacité d’influence beaucoup plus importante que les dîtes grandes puissances internationales. Avec un truc un peu renversé par rapport à d’habitude où les intérêts des puissances traditionnelles se greffaient de manière assez parasitaire sur les stratégies des acteurs régionaux. Alors que d’habitude c’est le contraire.
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  • Qui est soutenu par la communauté internationale, et qui soutient le gouvernement français ?
    Officiellement la communauté internationale, entre guillemet, soutient le gouvernement d’entente nationale, qui est présidé par Sarraj. Et qui contrôle un faible nombre de territoires, voire pas du tout. Qui a d’ailleurs fini par s’allier à ceux qui étaient considérés comme des terroristes il y a deux ans.Enfin, c’est-à-dire que c’est très bizarre, à partir du moment où y a eu deux gouvernements en Libye, un à Tobruk et un à Tripoli, chacun soutenu par des forces régionales et internationales différentes, le processus onusien a considéré que le gouvernement qui siège à l’Est est le gouvernement légitime du point de vue de la communauté internationale.
    Et que ceux qui le combattaient et qui se regroupaient principalement autour d’un nom, qui est le nom d’une opération militaire en fait, Fajr Libya, l’ »Aube de la Libye », considéraient ces gens-là comme étant des spoilers. Vous savez, dans les milieux diplomatiques, on parle principalement anglais, même ceux qui parlent français, ils utilisent des mots anglais, donc c’était considéré comme des spoilers, c’est-à-dire un peu moins que terroriste, c’est presque terroriste mais pas terroriste. C’est ceux qui perturbent les processus de paix mais qu’on n’a pas encore classé en tant que terroristes. Et donc cette coalition était mise à l’index pendant hyper longtemps.
    Aujourd’hui il y a eu un changement d’avis, maintenant c’est cette coalition qui constitue le gouvernement légitime ; et le gouvernement qui était considéré il y a deux ans comme le gouvernement légitime est le gouvernement considéré comme spoiler. Tout est donc très compliqué et très confus.
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    Pourquoi je disais-ça ?Ah oui, à cause de tous les gouvernements qui existent. La France, c’est un peu particulier. La France, comme toutes les autres démocraties occidentales, soutient le processus onusien et le gouvernement Sarraj, ça a été encore confirmé par Jean-Marc Ayrault hier. Donc le Ministère des affaires étrangères français soutient le Gouvernement d’entente nationale. Par contre l’Élysée envoie des troupes qui soutiennent l’adversaire du gouvernement national, le général Haftar. Et je pourrais rajouter que le Ministère de la défense se préoccupe principalement du sud de la Libye et appuie principalement un acteur qui est allié au général Haftar et qui est donc contre le gouvernement soutenu par le Quai d’Orsay.
    Il y a deux manières de lire ça, il y a ceux qui disent que c’est tout simplement n’importe quoi et absurde ; et puis il y a ceux qui peuvent avoir des explications conspirationnistes, ils font cela pour favoriser le chaos et tout faire éclater. Mais il y a aussi une autre explication, qui est de dire que la France se doit d’avoir des œufs un peu partout. Ils disent que c’est pour pouvoir favoriser la paix et pouvoir convaincre les uns et les autres. C’est reconnu ouvertement maintenant, c’était nié jusqu’à il y a quelques temps, jusqu’à ce que trois militaires français meurent…… dans un accident d’hélicoptère. Oui. Enfin les membres de la brigade qui s’appelle la brigade de défense de Benghazi disent qu’il ne s’agit pas d’un accident. Mais je ne sais pas.
    Sinon, moi j’aurais une autre question, c’est sur la partition de la Libye, est-ce que des gens en parlent, ou est-ce que c’est totalement évacué ? Il en a été question à plusieurs reprises, mais surtout hors de Libye en fait. Et les libyens eux-mêmes tiennent à garder leur entité nationale ou … ?

    Il y a dans l’Est de la Libye un courant fédéraliste, mais dont l’écrasante majorité ne veut pas d’une partition, mais c’est principalement du fait que eux, ils considèrent que leur région a toujours été défavorisée par Tripoli, alors que c’est une région importante, où il y avait l’université la plus importante de Libye, et ils voulaient donc un système fédéraliste pour réparer ce qu’ils considéraient comme une injustice historique. Mais il y avait aussi de petits groupes, mais très petits, très minoritaires avec très peu d’impact qui allaient jusqu’à la question de la partition historique, mais c’est une question qui s’est posée principalement à l’extérieur de la Libye, qui n’est pas prise au sérieux, ni voulu par les libyens eux-mêmes. Mais qui sait ? Parfois, il y a des choses qui arrivent même si les gens n’en veulent pas …

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    Il y a deux autres questions que j’aimerais te poser par ailleurs.
    La première, c’est qu’on parlait beaucoup de la place un peu démesurée de l’intervention française, ou en tout cas de la place que prenait Nicolas Sarkozy au moment de la révolution en Libye, et il était raconté dans les médias que les libyens en étaient très contents de ces interventions et qu’ils aimaient beaucoup les français ; voilà ce que nous disaient les journaux français …La deuxième question, c’est que tu parles beaucoup de forces révolutionnaires, mais il est très difficile de voir à quoi cela renvoie. Y a t-il des positions politiques qui s’expriment derrière tout ça ? Quelles sont les différentes idées de société qui sont portées par les différents acteurs politico-militaires ?
    Il n’y a pas de grandes divergences proprement politiques qui sont exprimées. Chacun des acteurs et chacun des camps affirme être celui qui peut le mieux gouverner la Libye, la stabiliser, lutter contre le terrorisme et vivre harmonieusement avec le concert des nations. Après, il y a des backgrounds différents, il y a des gens dont on n’a pas beaucoup parlé, il y a les fortes défaites … Il y a eu ceux qui ont fait les morts, profil bas, ou bien qui se sont exilés. Et qui aujourd’hui comptent opérer un retour sur la scène politique. Ce qui a commencé à travers une claire alliance entre l’armée nationale libyenne dirigée par le général Haftar et des figures de l’ancien régime dont sa femme qui est revenue en Libye, d’exil, et qui est protégée par sa tribu, dans une ville qui s’appelle Bayda à l’est de la Libye, qui est un des bastions de l’armée nationale libyenne.En ce qui concerne la force révolutionnaire ou l’armée nationale, moi j’appelle tout le monde de la manière dont eux s’appellent. C’est-à-dire que les brigades de révolutionnaires, les thowars ils s’appellent comme ça, donc moi je les appelle comme ça. Mais si tu va voir leurs adversaires, ils te diront que c’est des milices de terroristes. L’armée nationale libyenne, je l’appelle « l’armée nationale libyenne », si tu vas à Misrata, ils te diront que c’est une milice terroristo-dictatoriale. Donc là, je suis en train d’utiliser les noms officiels des uns et des autres, je ne suis pas en train de donner un certificat de révolutionarité à l’un ou à l’autre. Et l’autre question c’était… ?
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    Sarkozy, il est aimé ou il est pas aimé ?
    Pendant et après le premier conflit, moi j’ai beaucoup bougé en Libye, et quand on parlait avec des libyens du camp qui était soutenu par la communauté internationale, la réponse la plus répandue que j’ai trouvée, à chaque fois, c’est un proverbe libyen qui veut dire « celui qui n’a plus de protecteur appelle le chien, tonton », même le chien, on l’appelle tonton. Voilà, ça veut dire que quand t’as pas de protection, mais un chien – c’est une grande insulte en Libye – tu lui dis « salut tonton ». Ça m’a frappé, c’est unanime ! Mais peut-être qu’il y avait des amoureux de Sarkozy ou de BHL, ou de Berlusconi, … Mais du coup, si je comprends bien, les brigades révolutionnaires, elles n’ont pas tellement de désaccords politiques. Du coup ce que ça veut dire, c’est que les rivalités se posent plus sur des zones d’influence, de …
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    Après il y a aussi le clivage islamistes / pas islamistes.
    Je voulais revenir là-dessus, parce que si il y a disons une absence de désaccord réellement politique en ce qui concerne un projet de société à construire, ceci est à mettre en lien avec ce que tu disais tout à l’heure sur la jeunesse de Misrata qui ne voulait pas arrêter le processus révolutionnaire, et que l’on envoyait donc faire la sécurité à Syrte, parce que c’était eux qui restaient déterminés. Ce que ça produit du coup pour eux comme seul perspective, pour cette jeunesse-là, c’est le djihadisme.
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    Pas seulement. Maintenant il y a un phénomène d’addiction à la drogue énorme dans les rangs des anciens djihadistes.
    Il y a du désœuvrement un peu bizarre… Et même les djihadistes, c’est hyper compliqué. Dans une ville comme Benghazi, qui traditionnellement était très islamiste, qui aujourd’hui est plus au main de Haftar, il y a un groupe de jeunes qui ont fait parti des premiers groupes de jeunes thowars et qui regroupaient des jeunes de quartiers de Benghazi. Et quand le clivage de ce qu’on a appelé le deuxième conflit libyen, c’est-à-dire à partir du lancement de l’opération Karama par le général Haftar, et suite à ça de l’opération militaire « l’aube de la Libye » pour récupérer l’aéroport international qui était contrôlé par Zintan dont je vous parlais toute à l’heure, la ville dans la montagne, qui est sans doute la seule force importante à l’Ouest qui est alliée au gouvernement de l’Est. Quand il y a eu ce clivage donc et que le conflit a éclaté à Benghazi – parce qu’au départ Benghazi était partagée entre pro Karama et anti – les principales brigades de jeunes ont refusé de participer au combat. Ils ont dit « nous on veut pas rentrer dans un combat au sein de notre population ». Mais très rapidement, ils ont été petit à petit obligés de rejoindre un camp.Mais là encore tout est très compliqué.
    Par exemple, une des trois figures les plus populaires, c’était un type assez bien considéré par tous les camps, par tout le monde à Benghazi, mais qui maintenant n’appartient vraiment qu’à un seul camp, c’est lui qui dirige l’offensive dont les journaux ont parlé un peu, mais assez rapidement je crois, qui s’appelle Brigade de défense de Benghazi et qui est en train d’avancer vers Benghazi pour la reprendre au général Haftar. Le type donc qui est à la tête de cette brigade, il a été blessé par un très grand nombre de balles, il y a eu un attentat contre lui, on ne sait pas de qui, mais ses amis pensent que ça vient de Daesh, ou de ceux qui voulaient que la Brigade de défense rejoigne Daesh. Une fois je l’ai rencontré ce type, il est allé se soigner à Istanbul, et je l’ai vu dans son appartement, et c’était très drôle, parce que dans son appartement il y avait une vingtaine de jeunes personnes, et en fait c’était les copains des quartiers, et dedans, y avait un fan de Haftar, un autre qui trouvait Daesh pas trop mal. Et en fait c’est des copains de quartier, et qui en allant à Istanbul se reposaient, parce qu’Istanbul ça a été un peu le repos du guerrier pour ces gens-là pendant longtemps. Ils se retrouvaient et ils oubliaient qu’il y avait deux camps au pays … Je ne sais pas si je réponds a ta question …
    Si, parce que tu disais que le djihadisme, c’est beaucoup plus complexe, et je pense que tu répondais à ça.
    L’autre groupe djihadiste le plus important, à part Daesh, et dont une grande partie des cadres les plus radicaux ont rejoint Daesh s’appelle Ansar al-Charia, ils sont devenus importants dans certaines villes libyennes parce qu’au départ leur seule activité, c’était de faire fonctionner les hôpitaux, c’est eux qui ont remis en marche les hôpitaux et qui s’occupaient de travail social et hospitalier. Selon certaines analyses, ce groupe-là menait en même temps, de manière clandestine, un travail de préparation, et d’assassinats ciblés, surtout de figures militaires. Ça, c’est une des analyses qui existent, et d’autres analyses disent que c’est dans un deuxième temps qu’une partie d’entre eux ont basculé dans ce type d’activité, et d’autres se sont dispersés ou ont rejoint d’autres forces. Moi je ne sais pas – enfin pas avec un micro…
    Moi j’ai juste une dernière question qui est quand même anecdotique : est-ce qu’il y a de petits groupes, qui ne se posent pas la question révolutionnaire à travers la constitution d’un État, ou la constitution d’un gouvernement et de qui en prendra la direction mais qui pensent que c’est plutôt une opération de destitution et qui cherchent à valoriser plutôt une affirmation autonome qu’un conflit au niveau du gouvernement ?
    De fait, l’écrasante majorité des libyens en ont très peu de choses à foutre du gouvernement et ils comptent principalement sur leur ancrage local, régional ou autre, ce qui donne pas forcément des trucs moins …
    … coercitifs ? Moins coercitifs parfaitement. Mais tous pensent que « on a quand même besoin d’un gouvernement, même si ce serait bien qu’il soit faible et qu’on ai le plus de poids dedans » parce qu’en Libye la principale ressource, c’est le pétrole, et il faut le vendre et recevoir l’argent. Et que pour le vendre et recevoir l’argent, il faut une instance avec laquelle la communauté des nations accepte de traiter. Voilà, ça se pose comme ça.

     21 décembre 2016

    http://www.anti-k.org/

    Interview – décryptage

    Paru dans lundimatin#72, le 14 septembre 2016
  • Nouveautés sur Europe Solidaire Sans frontières

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  • Nouveautés sur le site du NPA

    Libye : Cinq ans après l’intervention, le désastre

    Irak: Mossoul, la guerre comme horizon

    A bas la répression contre les salariés des chantiers navals égyptiens !

    Arrestations et censure : non à l’offensive anti-démocratique en Egypte !

  • Nouveautés sur le site du NPA

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    Israël : l’héritage de Shimon Peres

    Un mouvement national palestinien éclaté

    Territoires palestiniens : une occupation normalisée ?

    Syrie : Poutine, de Grozny à Alep...

     

    Lire aussi:

    Londres fait son autocritique sur la Libye, Paris persiste et signe (Anti-k)

     

    Sur Europe Solidaire sans frontières:

    Tunisie : Jemna, ou la résistance d’une communauté dépossédée de ses terres agricoles

    Challenging the Nation State in Syria – Lessons from “those who are creating new ways of organizing in the most difficult of circumstances and those who are currently facing annihilation”

    Sur "Révolution Permanente"

    La carte de la guerre en Syrie

     

    Sur "Lutte Ouvrière"

    Syrie : massacres et hypocrisie

    Yémen : les terroristes alliés de la France

     

  • Nouveautés sur "Amnesty International"

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    Libye. Des civils bloqués à Benghazi se trouvent dans une situation désespérée du fait des affrontements

    L'absence de réaction au niveau mondial favorise la destruction d'Alep

    Le meurtre d'un journaliste jordanien représente une attaque contre la liberté d'expression

    De jeunes réfugiés syriens arrêtés pour avoir porté des pistolets jouets auraient été maltraités par des policiers grecs

  • Guerre civile et crise politique en Libye (Algeria Watch)

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    40% de la population vit une tragédie humanitaire

    La crise touche 2,4 millions de personnes en Libye. Le nombre d’immigrés et de réfugiés s’élève à 250 000, alors que les déportés sont encore à 417 000. La situation humanitaire sombre davantage dans ce pays en guerre.

    La Journée mondiale de l’aide humanitaire, célébrée hier à travers le monde, a été une occasion pour Ali Zaâtari, le coordinateur des affaires humanitaires de l’ONU en Libye, pour revenir sur la situation catastrophique vécue par ce pays en quasi-guerre civile.

    Dans une déclaration aux médias, Ali Zaâtari a mis l’accent sur le fait que les Libyens vivent la pire situation depuis le début de la crise, en raison du chaos sur le terrain, de la détérioration des services et de la fragmentation de l’autorité. «Regardez l’intensité du conflit Est-Ouest et, parfois même, avec le Sud, ce qui crée d’importants besoins humanitaires fondamentaux, comme l’eau, l’électricité et l’hygiène, aussi bien pour les Libyens que pour les immigrés et les réfugiés», a remarqué le responsable onusien.

    Manque d’intérêt

    Malgré l’attention internationale focalisée sur la Libye, l’aide réelle arrivant dans ce pays est loin des attentes des organisations humanitaires, notamment celles qui relèvent de l’ONU. Ainsi, les 100 millions de dollars annoncés par les bailleurs de fonds internationaux depuis juin dernier, n’ont pas été débloqués, selon M. Jaâfari. «Ces fonds sont destinés au maintien des infrastructures de base (eau, électricité et santé) et devaient passer par les mairies. Mais rien n’a été fait dans ce sens», déplore l’expert onusien.

    L’évaluation des Libyens rejoint l’approche de l’ONU. Le politologue Ezzeddine Aguil reproche aux autorités libyennes et aux organisations internationales de n’accorder qu’un intérêt restreint aux citoyens dans les multiples manœuvres qu’ils ne cessent de faire concernant la Libye. «Les gouvernements des deux bords trouvent de l’argent pour les armes et les munitions. Mais pas de fonds pour les médicaments et la réparation des installations d’eau et d’électricité. Même la communauté internationale n’accorde aucun intérêt significatif aux soucis des citoyens», s’insurge le politologue.

    La situation ne se limite pas aux Libyens. Dans ses rapports sur la situation dans ce pays, l’ONU indique que la situation de guerre n’a pas empêché que 150 000 étrangers se trouvent encore en Libye et sont considérés comme des immigrés. En plus, 100 000 autres étrangers sont dans ce pays, à la recherche de refuge ou veulent émigrer en Europe, la Libye étant un pays de transit depuis l’époque d’El Gueddafi.
    La situation a empiré avec l’effondrement des frontières du Sud. Ezzeddine Aguil reproche à la communauté internationale de «ne chercher qu’à limiter la migration vers l’Europe, en essayant de contrer les vagues de bateaux vers les côtes européennes, mais ne fait rien pour ceux qui sont déjà en Libye».

    Et la guerre

    Présentée sous cet angle, la guerre ne représente, certes, qu’une partie de la crise en Libye. Mais «la crise politique est toutefois la raison fondamentale de ce chaos», explique le professeur Abdelkader Kadura, membre de la commission des 60 chargée de rédiger la Constitution libyenne. «Tout le problème réside dans l’absence d’un véritable dialogue national qui prenne en considération les réalités sur le terrain», ajoute le Pr Kadura, qui croit que des prémices de solution sont en train de surgir entre les belligérants de la crise libyenne.

    Entre-temps, l’opération «Bloc uni» contre Daech à Syrte se poursuit avec le soutien de l’aviation américaine. Les troupes de Daech sont actuellement retranchées dans les quartiers résidentiels II et III à Syrte, avec tous les risques pesant sur la population locale. Les milices de l’EI procédent avec des voitures piégées, comme ce fut le cas hier avec deux explosions entraînant une dizaine de morts et une quarantaine de blessés parmi les forces loyales au gouvernement d’union nationale de Fayez El Sarraj.

    A Benghazi, la situation est similaire à celle de Gaouercha, à 20 km à l’ouest de la ville, où les troupes de Daech et de ses alliés sont cernées dans un petit carré de quelques kilomètres. Quelques centaines de citoyens, notamment des Soudanais, seraient avec les milices dirigées par Wissam Ben Hmid. Les troupes du général Haftar essaient de s’emparer de cette zone depuis plus de deux mois.
    La crise libyenne n’est pas près de finir et ce sont les citoyens qui paient un lourd tribut.

    Mourad Sellami El Watan, 20 août 2016

    http://www.algeria-watch.org/fr/article/pol/libye/tragedie_humaine

  • Des réfugié(e)s parlent avec leurs propres mots des violences subies en Libye (Anti-k)

    Amnesty International a reçu des témoignages de graves violences fréquemment infligées aux personnes réfugiées et migrantes qui traversent la Libye pour se rendre en Europe, où elles espèrent trouver la sécurité et la stabilité ; il s’agit notamment de violences sexuelles, de torture et d’exploitation.

    Voici les récits de deux réfugiés qui racontent avec leurs propres mots les graves violences qu’ils ont subies.

    Amal, 21 ans, Érythrée

    Amal a fui l’Érythrée et traversé le Soudan à la suite de l’emprisonnement de sa mère. Elle voulait échapper au service militaire d’une durée indéterminée qui l’avait empêchée d’aller à la fac et de voir sa famille pendant un an et demi. Mais alors qu’elle espérait refaire sa vie et trouver la sécurité en Europe, elle a été enlevée non loin de Benghazi, en Libye, par le groupe armé qui se fait appeler État islamique (EI) et soumise à l’esclavage sexuel.

    « EI nous a capturés fin juillet 2015. Ils nous ont séparés, d’un côté les chrétiens, de l’autre les musulmans, puis les hommes d’un côté et les femmes de l’autre. Ils nous ont fait monter dans deux véhicules qui se sont dirigés vers Tripoli, et emmenées dans un grand bâtiment ressemblant à un palace.

    Ils nous ont retenues au sous-sol ; nous n’avons pas vu le soleil pendant neuf mois.

    Ils nous ont alors dit qu’ils nous libéreraient à condition que nous nous convertissions [à l’islam], ce que nous avons fait.

    Après notre conversion, ils nous ont dit qu’ils allaient faire de nous leurs esclaves et leurs domestiques.

    Ils nous ont battues pendant trois mois, parfois avec leurs mains ou un tuyau ou des bâtons. Ils nous terrifiaient parfois avec leurs armes, ou menaçaient de nous tuer avec leurs couteaux.

    Ils nous considéraient comme leurs femmes et nous forçaient.

    Nous avons subi cela pendant quatre mois. C’était un très grand bâtiment et il y avait beaucoup d’hommes. Chaque jour certains d’entre eux abusaient de nous.

    En février [2016], ils nous ont séparées et nous avons chacune été données à un homme. Je suis restée avec cet homme […] qui ne venait que le soir, sans nourriture.

    [Au bout d’une semaine] j’ai réussi à trouver une clé pendant qu’il était absent, et je me suis enfuie. J’ai alors compris que je me trouvais en fait à Syrte.

    Je suis arrivée ici le 5 mai, à Taranto. Ils m’ont demandé pourquoi je venais en Italie, puis ils m’ont dit qu’ils pouvaient m’aider. »

    Abdurrahman, 23 ans, Érythrée

    Abdurrahman était mécanicien. Il a fui l’Érythrée à cause du service militaire d’une durée indéterminée, et a vécu pendant sept mois au Soudan. Quand il est arrivé en Libye, en juin 2015, des trafiquants l’ont remis à une bande criminelle qui l’a retenu en captivité afin d’obtenir de sa famille le paiement d’une rançon.

    « Ils nous ont tous enfermés dans une maison à Ajdabya et ils nous ont fait appeler nos familles pour leur demander de l’argent. Il y avait un homme éthiopien qui nous surveillait, et si quoi que ce soit se passait, les Libyens arrivaient et nous frappaient ; à Ajdabya ils étaient une dizaine [de Libyens]. Il y avait à peu près 250 personnes dans cette maison. Nous dormions tous sur le sol, les hommes et les femmes dans la même pièce […] On nous retenait jusqu’à ce que l’argent arrive. J’y suis resté pendant une semaine. »

    Avant de pouvoir tenter une première fois la traversée jusqu’en Italie, en janvier 2016, Abdurrahman a été forcé de travailler pour des trafiquants afin de payer son voyage.

    « Notre bateau est parti de Sabratah en janvier. C’était un canot pneumatique prévu pour 50 personnes, mais nous étions 120 à bord. Au bout de deux heures, un grand bateau libyen est arrivé avec à son bord des fonctionnaires ou des policiers, et ils nous ont ramenés sur la côte.
    Ils nous ont tous frappés près du rivage pour savoir qui était le capitaine.
    Et puis ils ont tiré une balle dans le pied d’un homme. C’était le dernier à être descendu du bateau et ils lui ont demandé où était le capitaine ; il a répondu qu’il ne savait pas, et ils lui ont alors dit que c’était donc lui le capitaine, et ils ont tiré sur lui.

    Ils nous ont ensuite emmenés dans une prison à Al Zawiya, où je suis resté pendant un mois.

    Il y avait peu de nourriture et on nous battait tous les jours. Ils utilisaient des bâtons et parfois des pistolets à décharge électrique.

    C’était une grande prison, avec 30 à 40 personnes dans chaque pièce, mais seulement un WC. Il n’y avait pas de médecins ni de médicaments et beaucoup de gens avaient la gale.

    Finalement, les trafiquants ont négocié avec les gardiens de prison et ils ont pu nous faire sortir. On nous a ramenés au même endroit exactement que là où on nous avait retenus. Deux d’entre nous sont morts de faim dans cette ferme parce qu’ils n’avaient pas eu assez à manger quand nous étions en prison.

    Le 15 mars, je suis finalement remonté dans un bateau, à huit heures du matin, et au bout de trois heures un bateau allemand est venu nous secourir.  »

    Les centres de détention en Libye sont cauchemardesques. Ce sont de véritables donjons. Et comme ils dépendent du ministère de l’Intérieur, toutes ces violences qui nous sont signalées sont commises dans des lieux de détention se trouvant sous le contrôle des autorités libyennes. Quand ils ne souffrent pas dans des centres de détention, les réfugiés et les migrants sont à l’extérieur victimes des trafiquants, maltraités, exploités, violés ou tués, étant privés de toute protection de la part des autorités.

    Quand on pense que des dizaines de milliers de personnes ont traversé – et vont traverser – la Libye dans l’espoir de trouver la sécurité, on réalise alors avec horreur quelle peut être l’ampleur de ces violences. Des milliers de personnes ont déjà perdu la vie en tentant de traverser la mer pour rejoindre l’Europe – au moins 2 742 pour cette seule année.

    Ces gens ne sont pas seulement des réfugiés et des migrants, ce sont des personnes. Ils méritent notre compassion, notre admiration, et notre aide.

    http://info.amnesty.be/adserver2/petition_17508_19103_forteresse-europe.html?petitionOptin=yes

    Les personnes réfugiées qui traversent la Libye sont très souvent victimes de violences sexuelles, à tel point que des femmes nous ont dit qu’elles prennent des contraceptifs avant de partir, car elles savent qu’elles risquent d’être violées et elles veulent éviter de tomber enceinte à la suite d’un viol. Les femmes risquent constamment de subir des violences sexuelles aux mains des passeurs, des trafiquants, des groupes armés ou encore dans les centres de détention pour migrants, et toutes les femmes avec qui Amnesty International s’est entretenue ont elles-mêmes subi de tels actes ou connaissent des femmes qui en ont subis.

    Pour en savoir plus :

    http://www.parcoursdemigrante.be/

    http://www.anti-k.org/2016/08/17/des-refugiers-parlent

     
  • Libye : l’armée française engagée (Lutte Ouvrière)

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    Le ministre de la Défense Le Drian a annoncé le 20 juillet que trois sous-officiers des services de renseignement français étaient morts dans l’est de la Libye, lors de la chute de leur hélicoptère. Cela confirme ce qui était un secret de polichinelle : l’armée française intervient activement dans la guerre civile qui depuis 2011 ravage la Libye.

    La guerre a débuté en février 2011, entre Kadhafi et ses opposants, et aurait fait 15 000 morts. Mais depuis l’élimination de l’ancien dictateur en octobre 2011, suite à l’intervention des armées occidentales dont celle de la France, elle n’a guère connu de trêve et aurait encore tué plus de 5 000 personnes.

    Divers gouvernements et de multiples milices s’affrontent et se partagent le pays.

    Les impérialistes, les États-Unis bien sûr mais aussi la France et l’Italie, l’ancienne puissance coloniale, interviennent plus ou moins ouvertement. Leur but affiché est de restaurer la paix, mais elles visent surtout à défendre les intérêts de leurs trusts pétroliers. Et pour cela, elles n’hésitent pas à soutenir simultanément des camps opposés.

    Ainsi la France se range officiellement derrière le GNA, le gouvernement de Tripoli, dans l’ouest du pays, reconnu par la communauté internationale. Cela ne l’empêche pas d’appuyer à Benghazi, dans l’est, le général Haftar, qui ne reconnaît pas l’autorité du GNA. Mais il lutterait contre les milices de Daech qui dans cette région tentent de s’emparer des puits de pétrole.

    Double jeu ? Sans doute, mais surtout défense tout-terrain des intérêts pétroliers et gaziers de Total et de GDF Suez.

    Et pour le gouvernement, tant pis si quelques agents secrets ou commandos y laissent leur peau. Mais c’est ce genre de politique qui provoque les retours de bâton ici en Europe. C’est surtout la population libyenne qui en permanence paie le prix fort, en morts, en dévastations et pillages, elle qui n’a rien demandé et qui a tout à perdre à cette guerre civile.

    Vincent GELAS 27 Juillet 2016