Le 4 juin, l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabe Unis et l’Egypte (suivis, quelques heures plus tard, par Bahreïn, le Yémen, les Maldives, la Mauritanie et le gouvernement dissident libyen) ont rompu leurs relations avec l’émirat du Qatar
pour les liens qu’entretient, selon eux, Doha avec “des organisations terroristes et des groupes confessionnels cherchant à déstabiliser la région, parmi eux les Frères musulmans, l’Etats Islamique, et al-Qaïda », sans oublier le maintien de relations avec la République Islamique d’Iran, malgré des divergences.
La crise intervient en effet une semaine après une vive polémique suscitée par des propos attribués à l’émir du Qatar, le cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, où il aurait critiqué la volonté de Riyad d’isoler diplomatiquement l’Iran tout en prenant la défense du Hezbollah et des Frères musulmans, tous deux considérés comme des groupes terroristes par Riyad. Doha a par été ailleurs exclu de la coalition militaire arabe mené par Ryad contre l’alliance des Houtistes, soutenu par l’Iran et de l’ancien dictateur Ali Abdallah Saleh, tandis la diffusion des médias qataris, comme al-Jazeera, ont été interdits dans la majorité des pays ayant rompu leurs relation avec le Qatar.
Quelques jours après, l’Arabie saoudite et ses alliés, avaient publié une liste de “terroristes” soutenus, selon eux, par Doha. Cette liste répertoriait 59 personnes et 12 entités “liées au Qatar et au service d’un programme politique suspect du Qatar”. Parmi elles figuraient des responsables ou des organisations originaires d’Egypte, du Bahreïn ou de la Libye, comme le leader spirituel des Frères Musulmans et d’une association de religieux sunnites, Youssef al-Qaradawi. Les Etats arabes du Golfe n’ont émis aucune demande publique au Qatar, mais une liste qui a circulé comprend la rupture des relations diplomatiques avec l’Iran, l’expulsion de tous les membres du mouvement palestinien du Hamas et du mouvement des Frères musulmans, le gel de tous les comptes bancaires des membres du Hamas, la fin du soutien aux “organisations terroristes” et la fin de l’ingérence dans les affaires égyptiennes.
L’émir du Qatar, M. Al-Thani, a assuré que son pays pouvait tenir “éternellement” malgré les sévères restrictions aériennes et maritimes imposées par ses voisins et la fermeture par l’Arabie saoudite de sa seule frontière terrestre, par lequel transite 40% de son approvisionnement alimentaire. Le riche émirat a par ailleurs affirmé qu’il était en mesure de garantir ses accords de livraison de gaz naturel liquéfié (GNL) et de pétrole, qui lui procurent plus de 90% de ses recettes. Une semaine après le déclenchement de la crise, le Qatar rejetait à nouveau toutes les accusations et affiché sa volonté de ne pas fléchir sous la pression. Le ministre qatari des Affaires étrangères cheikh Mohammad ben Abdel Rahman Al Thani, en tournée européenne pour “informer” les pays “alliés et amis” de la crise, a dénoncé les mesures “iniques” et “illégales” imposées par des pays du Golfe et l’Egypte à son pays. Le ministre a également nié les allégations de soutien au mouvement des Frères musulmans et ne comprenait pas pourquoi il fallait rompre les relations politiques avec le Hamas, puisqu’il s’agissait d’un mouvement de résistance et non d’un groupe terroriste comme le ministre des affaires étrangères saoudien avait déclaré. Le Qatar cherche néanmoins à trouver des soutiens internationaux pour rompre son isolement et a appelé à “un dialogue ouvert et honnête” avec l’Arabie Saoudite pour sortir de cette crise.
Depuis la campagne d’isolement du Qatar, l’Iran s’est empressé d’envoyer des tonnes de produits alimentaires depuis une semaine à l’émirat du Qatar. Téhéran a envoyé cinq avions chargés de 90 tonnes de fruits et légumes, et 350 tonnes de fruits et légumes ont également été chargées sur trois petits bateaux. La Turquie de son côté a accéléré l’envoi de troupes militaires, augmentant le nombre de soldats dans l’émirat de 100 à 3000 soldats, prévues depuis longtemps dans l’émirat. Le président turc Erdogan a également déclaré le 13 juin que les mesures d’isolements contre le Qatar sont une violation des valeurs islamiques.
Cette crise provoque l’embarras de nombreux pays étrangers, dont les Etats-Unis malgré les déclarations du président états-unien Trump au début de la crise soutenant la position saoudienne contre le Qatar, qui hébergent la plus grande base aérienne américaine dans la région, forte de 10.000 hommes et siège du commandement militaire américain chargé du Moyen-Orient. Cette base est cruciale pour le combat de la coalition internationale menée par les Etats Unis contre le groupe EI en Syrie et Irak. Des efforts diplomatiques impliquant Washington, Paris et Koweït se sont intensifiés pour contenir la crise dans le Golfe.
Gonflés par la visite de Donald Trump il y a peu à Riyad, où le président américain s’est complètement aligné sur la doctrine saoudienne visant à endiguer l’Iran dans la région, les Saoudiens en profitent pour faire le ménage au sein de leur camp contre tout état ne suivant pas complètement sa ligne politique. Le Qatar a poursuivi sa propre politique régionale depuis longtemps, renforcé par un coup d’état en 1995 par le Sheikh Hamad bin Khalifa al-Thani, agaçant son voisin saoudien, mais ce sont les stratégies politiques différentes dans le cadre des processus révolutionnaires de la région débuté à la fin de l’année 2010 et début 2011 de l’Arabie Saoudite et de son allié des Emirats Arabes Unis d’un côté et du Qatar de l’autre qui ont progressivement fait éclaté ces tensions provoquant une crise sans précédent. L’Arabie Saoudite et ses alliés ont généralement soutenu les anciens régimes contre toute forme de protestation, à l’exception de la Lybie et de la Syrie (à cause de son alliance avec l’Iran et soutenant les formes les plus réactionnaires de l’opposition), tandis que le Qatar a soutenu le mouvement des Frères Musulmans et d’autres mouvements fondamentalistes islamiques contre les anciens régimes, à l’exception du cas du Bahrain où le Qatar comme le reste des monarchies du Golfe s’était opposé à la révolte populaire.
Une première crise avait déjà éclaté en 2014 avec le retrait des ambassadeurs de l’Arabie Saoudite, des Emirats Arabes Unis, et du Bahrain du Qatar en Mars de cette année sous le prétexte que Doha menaçait la sécurité régionale. La crise s’était résolu par un accord entre ces différents états, mais les promesses du Qatar n’ont pas été respecté, comme l’arrêt du soutien au mouvement des Frères Musulmans et d’autres mouvements fondamentalistes islamiques dans la région, comme en Syrie ou en Lybie. C’est pourquoi aujourd’hui, l’Arabie Saoudite et ses alliés exigent un “engagement politique” du Qatar incluant le respect de promesses faites lors d’une première crise en 2014, ainsi qu’une “feuille de route” avec des “mécanismes clairs” de mise en œuvre. Il y avait néanmoins eu une forme d’apaisement entre le Qatar et l’Arabie Saoudite après l’arrivée au pouvoir en janvier 2015 du roi Salmane d’Arabie saoudite, moins hostile que son demi-frère Abdallah aux Frères musulmans. Au nom de l’unité d’un « camp sunnite », par opposition a un « camp chiite » mené par l’Iran, Riyad a arbitré les conflits entre Doha, Abou Dhabi et Le Caire, tandis que le Qatar participait à la coalition saoudienne au Yémen. La continuation de la politique indépendante du Qatar a eu raison de la patience du royaume saoudien.
Dans cette crise politique entre états réactionnaires, il faut bien sûr dénoncer l’opportunisme politique et les mensonges de l’Arabie Saoudite et ses alliés dans leurs campagnes d’isolement et de pressions contre le Qatar. Ces Etats sont des dictatures qui répriment toute forme d’opposition. Ces Etats sont des dictatures qui répriment toute forme d’opposition. L’idéologie réactionnaire wahabite est promeut par le royaume saoudien à travers le monde, inspirant des groupes jihadistes, salafistes et fondamentalistes islamiques. Pour autant, cette réalité ne doit par contre nous mener à une forme d’idéalisation ou d’angélisme envers l’émirat du Qatar, qui est également une dictature promouvant la même idéologie réactionnaire wahabite.
Malgrél ces divergences politiques, toutes ces dictatures ont un agenda contre révolutionnaire par leurs soutiens à des anciens régimes et ou des forces islamiques fondamentalistes. Toutes ces monarchies sont en opposition totale aux objectifs des soulèvements populaires pour la démocratie, la justice sociale et l’égalité et ne cherchent qu’à renforcer leurs intérêts politiques à travers le soutien à différents acteurs. Ryad et Doha soutiennent les deux des politiques impérialistes, néo-libérales et autoritaires, traitent la grande majorité de leurs travailleurs- euses, comme des esclaves modernes, particulièrement étrangers. Sans oublier une diffusion d’un discours confessionnel rivalisant de haine, tout en promouvant une vision rétrograde de la société et des droits des femmes.
Face à cette crise entre états réactionnaires, souhaitons la chute de leurs élites et la libération des peuples de la région.
Joseph Daher