Les rues sont vides. Les prisons sont pleines. Le 4e anniversaire de la « Révolution du 25 janvier » se déroule dans le plus grand silence, nombre des jeunes militants qui en ont été les chefs de file se trouvant désormais derrière les barreaux.
Pour de nombreuses femmes en Égypte, ce dimanche ravivera des souvenirs particulièrement amers – souvenirs d’un bref moment pendant lequel elles ont cru qu’un avenir meilleur s’ouvrait enfin.
Les femmes se sont tenues aux côtés des hommes tout au long du soulèvement de 2011. Mais depuis, s’abat sur elles une vague de violences et de discriminations.
Et il n’y a pas d’endroit où se mettre à l’abri.
Des témoignages choquants révélés par Amnesty International montrent que les femmes subissent des violences de la part de leurs partenaires, de la population et de la police.
Elles ne sont pas en sécurité chez elles. Une femme a raconté à Amnesty International les violences que son époux lui infligeait :
« Il avait l’habitude de m’attacher au lit et de me frapper avec une ceinture… Un jour, alors que j’étais enceinte, il m’a frappée et m’a poussée dans les escaliers. J’ai fait une fausse couche. »
En Égypte, les lois relatives au divorce empêchent les femmes de partir, sauf si elles renoncent à leurs droits financiers ou se préparent à mener une bataille judiciaire longue et coûteuse.
« Pour une femme, la procédure est inhumaine », a déclaré une journaliste qui a traduit son époux devant les tribunaux pour obtenir le divorce.
Les femmes ne sont pas non plus en sécurité dans les rues. Si la « Révolution du 25 janvier » a fait connaître la place Tahrir du Caire au monde entier, elle est désormais rendue tristement célèbre par les agressions sexuelles collectives dont les manifestantes sont victimes.
L’une d’entre elles a raconté son agression place Tahrir le 25 janvier 2013 :
« J’ai senti des mains qui me touchaient de toutes parts, et j’ai été déplacée, presque soulevée, jusqu’à l’intérieur du cercle pendant que les hommes continuaient de me dire : « Ne t’inquiètes pas ». Ils me disaient ça pendant qu’ils me violaient… »
Les rares femmes qui osent solliciter l’aide de la police ou du bureau du procureur se retrouvent face à des agents méprisants ou peu formés – c’est ce que révèlent les recherches menées par Amnesty International.
« Les policiers n’en ont rien à faire, nous a confié une victime de violences conjugales, selon eux, ce n’est pas un problème si un mari bat sa femme. »
Loin de venir en aide aux femmes qui survivent à ces violences, les forces de sécurité en sont parfois la cause.
Une jeune femme qui a purgé deux ans de prison pour adultère a raconté à Amnesty International qu’un policier l’avait giflée et s’était contenté de regarder lorsque son époux l’avait frappée dans le poste de police.
« Aucune femme décente ne quitterait son mari et ses enfants, femme de mauvaises mœurs », lui a dit le policier.
Elle était enceinte de six mois à l’époque.
Les femmes sont également confrontées aux violences sexuelles et fondées sur le genre dans les prisons et les postes de police. Les manifestantes arrêtées par les forces de sécurité expliquent que, bien souvent, les agents les pelotent et les harcèlent lors de leur arrestation.
Une étudiante nous a raconté qu’un policier antiémeutes avait menacé de la violer après l’avoir arrêtée sur le campus en décembre 2013.
« Je vais te montrer ce que c’est d’être traitée comme une femme », lui a-t-il dit.
Ce sont les militantes égyptiennes, et non les pouvoirs publics, qui se mobilisent pour contrer cette vague d’atteintes aux droits humains.
Des groupes de femmes sont intervenus pour combler le vide laissé par l’inaction des pouvoirs publics, recensant les atteintes aux droits humains et offrant un soutien solide aux victimes. Des militants ont lancé des campagnes de sensibilisation de la population et fait pression sur le gouvernement pour améliorer les lois et le maintien de l’ordre.
Toutefois, les autorités freinent, bloquant des financements vitaux pour des organisations de défense des droits humains et refusant à des ONG l’autorisation d’ouvrir des centres d’accueil pour femmes.
En raison de la répression incessante, de nombreuses associations sont contraintes de réduire leur travail.
Les promesses du président Abdel Fattah al Sissi de faire des droits des femmes une priorité, à la suite d’agressions brutales visant les femmes place Tahrir au moment de son investiture, sonnent creux.
Jusqu’à présent, les autorités ont esquivé les grandes réformes. Elles préfèrent se contenter de mesures partielles et purement symboliques.
Elles hésitent, et les femmes souffrent. La majorité des violences faites aux femmes ne sont pas signalées, ne font pas l’objet d’enquêtes et demeurent impunies. Chacun se renvoie la responsabilité des atteintes aux droits humains dans le cadre d’incessantes disputes partisanes.
Il est temps d’arrêter de se renvoyer la balle.
Plus de « si », plus de « mais ». L’Égypte a besoin d’une stratégie nationale qui s’attaque à la violence contre les femmes. Les autorités doivent modifier les lois afin de protéger les victimes de violences et placer les droits des femmes au cœur du programme politique.
Le président Abdel Fattah al Sissi a fait le serment à Davos de redresser l’économie de l’Égypte. Pour ce faire, son gouvernement doit commencer par reconnaître que les Égyptiennes sont une partie de la solution.
Les femmes ont besoin d’un environnement sûr, dans lequel elles pourront participer en toute sécurité à la vie économique, sociale et politique du pays, sans discrimination ni violence.
Mais aujourd’hui, toute promesse de véritable réforme semble bien lointaine.
Comme nous l’a dit une ancienne détenue : « Si vous avez un problème, plaignez-vous à Dieu. »
Cet article a été publié dans The Huffington Post.
Par Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d’Amnesty International.