Dans le sud de l’Algérie, à In Salah, un grand mouvement populaire contre le gaz de schiste se poursuit. Après les violences de ce week-end, le calme est revenu. Récit d’un soulèvement très populaire.
Alger, correspondance
Les heurts violents entre les jeunes d’In Salah et les forces de l’ordre qui ont commencé samedi 28 février dans la soirée et se sont poursuivis le lendemain, ont-ils été le résultat d’un simple « dérapage » de part ou d’autre ? La suite des événements nous le dira.
Pour l’heure, presque tout est revenu à la normale à In Salah. Les affrontements ont cessé et les habitants ont pu réoccuper la place Somoud (Résistance), lieu de leur rassemblement depuis le début de l’année, pour continuer à manifester leur opposition à l’utilisation de la fracturation hydraulique dans le bassin d’Ahnet où Sonatrach a procédé au forage du premier puits-pilote de gaz de schiste en Algérie, et entamé le forage d’un deuxième puits sur les cinq puits d’exploration prévus.
Quelqu’un parmi les responsables a-t-il cru que les gens d’In Salah étaient « moins regardants » sur la question écologique ? Superbe ignorance : au contraire, ils ne voulaient pas entendre parler d’exploitation de gaz de schiste près de chez eux ni même d’exploration, à cause de l’impact sur l’environnement et sur les ressources en eau. Ils n’ont pas tardé à le faire savoir à tout le monde.
Point de départ
C’est, de toute évidence, une visite officielle, de rang ministériel, effectuée à In Salah à la fin 2014 qui a été à l’origine du soulèvement des habitants. En effet, le ministre de l’Energie, Youcef Yousfi, accompagné du ministre des Ressources en eau, Hocine Necib, et de la ministre de l’Environnement, Dalila Boudjemaa, mais aussi de journalistes chargés de couvrir l’événement, sont allés constater le « succès » du forage, puis tous ont repris l’avion pour Alger, sans un regard vers la population riveraine du site qui connaîtra par les médias les détails de la visite et de la déclaration « triomphale » du ministre de l’Energie.
Interprétée comme une marque de mépris, cette maladresse a, semble-t-il, contribué à mobiliser la population et à radicaliser sa position à l’égard de l’opération d’exploration du gaz de schiste menée dans son voisinage. Ce n’était toutefois pas une surprise, leur action couronnait une série d’autres qui avaient été lancées par des associations dans la même région.
Le mouvement associatif avait déjà bougé quelques mois avant, dans le sud du pays, notamment en juin 2014 après le feu vert donné par le Conseil des ministres à l’exploitation du gaz de schiste au Sahara. Mais au début de cette année, fait sans précédent, c’est toute la population d’In Salah qui est sortie dans la rue. Les jeunes animateurs du mouvement ont mobilisé leurs familles au complet : hommes, femmes et enfants. Il faut souligner qu’ils doivent leur crédibilité surtout à leurs compétences dans le domaine. C’est ce qui leur a permis de persuader la population qu’il ne fallait pas accepter de forage de puits de gaz de schiste dans leur région, « absolument pas ! ».
Mouvement expert et soutenu
Leur revendication se résume en une phrase simple : pas de gaz de schiste ! Ils rejettent l’idée que ce choix est incontournable. Le 8 janvier, le ministre de l’Energie est retourné à In Salah, cette fois pour rencontrer les élus locaux et les représentants de la société civile, dans le but de les convaincre d’adhérer au projet gaz de schiste du gouvernement alors que la population attendait du ministre l’annonce de la fermeture du puits de Dar Lahmar, à 28 km d’In Salah, unique revendication des protestataires.
Leurs représentants ont décliné une invitation du ministre à aller à l’étranger, certainement aux Etats-Unis, en mission d’information, en compagnie d’experts, « pour en avoir le cœur net ». Ils ont proposé plutôt de suspendre l’opération sur le puits et d’en rediscuter dans un an, le temps de vérifier toutes les hypothèses.
Pendant que le ministre se trouvait à In Salah, une marche des étudiants avait lieu, à 700 km de là, à Tamanrasset, pour exiger d’« arrêter l’exploitation du gaz de schiste ». Il est indéniable que l’action des habitants d’In Salah bénéficie de la sympathie de toute la population algérienne.
Des experts, algériens et étrangers, ont été sollicités par le gouvernement pour « expliquer » dans les médias que les gens d’In Salah ont tort de refuser l’exploitation du gaz de schiste et que leur opposition n’a pas lieu d’être. Mais cela n’a eu aucun impact sur l’opinion publique qui a maintenu son courant de sympathie pour In Salah.
Les animateurs du mouvement de contestation ne se sont pas laissés démonter par l’avalanche de discours des experts. Ils relèvent les contradictions de tout cet exercice pédagogique et cela les renforce dans leur conviction que la solution est dans un moratoire sur l’utilisation de la fracturation hydraulique. Eux aussi « savent » : outre le flux instantané qui parvient aux internautes algériens, traitant de tous les sujets, y compris le gaz de schiste, les chaînes de télévision satellitaires étrangères offrent des programmes sur l’exploitation du gaz de schiste - reportages, documentaires et débats - qui les alimentent en informations et avis d’experts.
Détermination et alternatives
Les habitants d’In Salah agissent en parfaite connaissance de cause, d’où leur détermination à empêcher l’utilisation de la fracturation hydraulique, spécialité de la compagnie américaine Haliburton.
Les contestataires ont veillé à éviter toute récupération politicienne, ce qui leur a valu des soutiens qui émanent de l’opposition, ce qui est normal, mais également, tout à fait surprenant, de membres de partis qui sont associés au pouvoir. Jusqu’aux violences de samedi et dimanche, la contestation a été pacifique.
Ses animateurs ont su déjouer toutes les manœuvres visant à démobiliser les manifestants ou à casser le mouvement en l’infiltrant ou en le divisant, ou même à l’isoler du reste du pays sous l’accusation de porter atteinte à l’unité nationale. Ils sont convaincus de leur juste cause et ont des alternatives au gaz de schiste.
Samedi 28 février, quelques heures avant le déclenchement des affrontements entre les jeunes et les forces de l’ordre à In Salah, le ministre des Ressources en eau, Hocine Necib, et celui de l’Agriculture et du Développement rural Abdelwahab Nouri, lançaient à Touggourt, dans la vallée de Oued Righ, un important projet de complexe agricole utilisant la géothermie pour chauffer les serres destinées à la production de primeurs. N’est-ce pas mieux pour le sud-algérien ?
M’hamed Rebah (Reporterre)
mercredi 4 mars 2015
Complément d’infos :
Collectif national pour les libertés citoyennes
Association algérienne de l’industrie du gaz
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Source : M’hamed Rebah pour Reporterre