À la tête d’une coalition militaire sunnite, le nouveau roi d’Arabie saoudite, Salmane ben Abdelaziz al-Saoud, s’est lancé dans une opération militaire à haut risque au Yémen...
Àl’heure où les USA et l’Iran semblent parvenir à un accord sur le nucléaire, il veut ainsi réaffirmer le rôle clef de son pays comme gendarme du monde arabe face à l’Iran, accusé de déstabilisation en Syrie et en Irak, et maintenant à sa porte au Yémen, avec la prise de Sanaa par les Houthis et la fuite du président Hadi. Un Yémen qui contrôle le détroit de Bab-el-Mandeb qui mène au canal de Suez, un passage stratégique sur la route des tankers Asie-Europe, gardé par les flottes américaines et la base française de Djibouti. Un Yémen où se développent Al-Qaïda, et maintenant Daesh.
2011, le printemps yéménite
L’opération « Tempête de fermeté » a reçu le soutien de l’impérialisme US, qui ravitaille en vol les avions saoudiens ou égyptiens et organise les frappes de la coalition, mais aussi de la France, à travers notamment le renseignement militaire. Mais la grille de lecture simpliste « sunnites contre chiites » ne doit pas faire oublier que la racine de l’explosion de l’État yéménite plonge surtout dans la manière dont la révolution de 2011 a été confisquée par les élites militaro-tribales qui s’affrontent aujourd’hui pour le pouvoir au Yémen. L’échec d’une transition pilotée par l’axe américano-saoudien.
En 2011, prenant modèle sur les printemps tunisien et égyptien, la jeunesse yéménite s’empare des places de Sanaa, Taez ou Aden. Elle veut « dégager » Saleh, qui monopolise le pouvoir depuis 32 ans, elle dit « non à la corruption, non aux tribus, non aux militaires », et porte à sa tête une femme, Tawakkul Karman, dans un des pays les plus rétrogrades au monde pour les femmes. Mais la révolution yéménite fut aussi une convergence de forces hétérogènes derrière la jeunesse progressiste et démocratique : les forces d’opposition, dont les Frères musulmans, les forces tribales, les Houthis de Saada, les régionalistes du Sud-Yémen, et jusqu’à certains secteurs de l’armée, jetant dans la rue jusqu’à un million de personnes.
L’assise sociale de Saleh s’effondre
En haut, la monopolisation familiale du pouvoir ébranle le fragile équilibre au sein du complexe militaro-tribal qui l’a porté au pouvoir, et lui interdit au sud d’intégrer les élites du parti socialiste yéménite, issues de l’expérience nassérienne de gauche qu’a connue le Sud-Yémen, avant la réunification de 1990. L’agression des anciennes élites religieuses zaydites houthis de Saada au Nord réactive le conflit sunnite-chiite. Ce passage d’un pouvoir militaro-tribal à un pouvoir militaro-familial va même rompre l’alliance de Saleh avec la puissante tribu des Al-Ahmar, qui vertèbre la branche yéménite des Frères musulmans, le parti Al-Islah.
En bas, les étudiants ne trouvent pas de travail. Les pauvres sont victimes de l’arrêt des subventions des produits essentiels, le gaz, le fuel. Les paysans, comme à Jahachine, sont victimes de l’accaparement des terres par les chefs tribaux. Rien ne bouge, si ce n’est la richesse accumulée par le clan Saleh, qui accapare les postes clefs, à l’armée et dans l’économie.
Les USA et l’Arabie saoudite essayent d’organiser une « transition pacifique »... qui fit cependant plus de 2 000 morts. Ils s’appuient sur les Frères musulmans de al-Islah et les membres de l’appareil militaire pour négocier la formation d’un gouvernement d’union nationale où les proches de Saleh gardent beaucoup de places, notamment dans l’appareil militaire, source de futurs affrontements.
Pour le peuple, rien n’a changé
En échange de l’impunité et de quelques millions de dollars, Saleh quitte la présidence. Son vice-ministre, Abd Rabo Mansour Hadi, devient président à la suite d’une élection à un candidat, dénoncée par les révolutionnaires. Mais surtout les Houthis au nord et les forces d’opposition indépendantistes du sud sont écartés de ce fragile compromis.
Bien plus fondamentalement, rien ne change pour le peuple yéménite, d’autant que la rente pétrolière s’effondre et que le nouveau régime refuse d’en renégocier les termes, comme le dénoncent les manifestations début 2014 contre Total et la France, qui selon Tawakkul Karman « ne paient le pétrole yéménite qu’à 10 % du prix du marché mondial et ne reversent que 21 % de la somme à l’État ». Profitant de l’arrêt des subventions aux produits pétroliers en septembre 2014, qui alimente la colère sociale contre le nouveau pouvoir de Hadi et des Frères musulmans, les Houthis s’emparent facilement de Sanaa, avec la complicité des unités de l’armée de l’air favorables à l’ancien président Saleh, celui-là même qui les bombardait depuis 2004 !
Les premières victimes des bombardements massifs sont les populations civiles. Contre cette guerre qui oppose différentes fractions du complexe militaro-tribal et qui risque de favoriser le développement d’Al-Qaïda, notre solidarité va à la jeunesse révolutionnaire yéménite et aux associations de la société civile, qui depuis le début refusent un Yémen aux mains des tribus ou des militaires, alliés ou pas, hier ou aujourd’hui, de l’axe Arabie saoudite-USA.
Frank Cantaloup
Mercredi 15 Avril 2015