Au nom de la « guerre » contre le terrorisme
Le projet de loi antiterroriste en cours d’examen à l’Assemblée des représentants du peuple pourrait ouvrir la voie à de nombreux abus, ont mis en garde neuf ONG internationales, dont Human Rights Watch et Amnesty International, mardi dans une lettre ouverte adressée aux députés.
Une définition trop large des actes de terrorisme, de l’incitation ou de l’apologie du terrorisme permettant les abus, peu de garanties pour un procès équitable, un recours fréquent à la peine de mort, une violation du secret professionnel et une limitation du droit d’informer... Certaines dispositions liberticides inscrites dans le projet de loi représentent un danger et ne sont pas conformes aux standards internationaux, selon ces organisations.
Manifester, un acte de terrorisme ?
Le projet de loi définit notamment comme des infractions terroristes le fait de « porter préjudice aux biens privés et publics, aux ressources vitales, aux infrastructures, aux moyens de transport et de communication, aux systèmes informatiques ou aux services publics ».
« De simples manifestations pacifistes accompagnées de certains troubles pourraient être qualifiées d’actes de terrorisme », préviennent les ONG.
Après l’attaque sanglante du 26 juin et dans son discours annonçant l’état d"urgence, une semaine plus tard, le Président Béji Caïd Essebsi avait déjà mis en garde contre la multiplication des grèves et des mouvements de protestation qui participeraient, selon lui, à une situation d’instabilité favorable aux terroristes.
En ce sens, le décret daté de 1978 et réglementant l’état d’urgence permet aux autorités d’interdire toute grève ou rassemblement, et donne des pouvoirs élargis au ministère de l’Intérieur. Ce décret est jugé contraire à la Constitution tunisienne, par ses détracteurs.
Liberté d’expression en danger
Par des formulations « vagues » et « imprécises », certaines dispositions du projet de loi sont préoccupantes « en matière de liberté d’expression et (ouvrent) la voie à de possibles dérives arbitraires », mettent en garde les neuf ONG, évoquant la notion « d’apologie du terrorisme ».
« Tout individu, par de simples déclarations touchant de près ou de loin au sujet du terrorisme, pourrait se voir accuser d’une telle infraction », déplorent-elles.
Ministres et président de la République ont tenté de rassurer, répétant aux médias qu’il n’était pas question de porter atteinte aux droits et libertés acquis depuis la révolution et inscrits dans la Constitution.
Pour autant, le gouvernement a élaboré et transmis à l’Assemblée le très controversé projet de loi portant sur la répression des agressions contre les forces de l’ordre, qui avait été largement critiqué pour ces dispositions liberticides, y compris dans les rangs de la majorité.
Opacité
Dans le projet de loi antiterroriste, le gouvernement a prévu de prolonger la durée de garde à vue des prévenus suspectés d’infractions en lien avec le terrorisme, sans droit à un avocat, « ce qui risque d’accroître les violations des droits humains » et est contraire à la Constitution, s’inquiètent les organisations dans la lettre ouverte aux députés.
De plus, le projet prévoit également la tenue d’audiences à huis clos, sans justification claire, et permet la violation du secret professionnel.
D’un autre côté, le gouvernement a décidé de retirer le projet de loi relatif au droit d’accès à l’information, après que la commission de l’Assemblée en charge de son examen y a apporté de nombreuses modifications visant à consolider ce droit.
« Le retrait du projet de loi après son examen par la commission est à considérer comme du gaspillage de l’effort et du temps qui lui ont été alloués », a déploré l’organisation Al Bawsala dans un communiqué publié lundi.
Malgré les messages rassurants, ces décisions et propositions gouvernementales feraient ainsi douter des bonnes intentions annoncées par les autorités tunisiennes.
La Tunisie a été frappée par deux attentats sanglants en mars et juin 2015 et fait face à une montée des violences liées à la mouvance jihadiste depuis la révolution.
Une semaine après l’attaque contre un hôtel le 26 juin dernier, le Président de la République a décrété l’état d’urgence. Une partie de l’opinion publique et de la société civile s’inquiète des menaces sur les droits et libertés qu’une « guerre » contre le terrorisme pourrait engendrer, en l’absence d’un cadre juridique clair et garant des libertés individuelles.
- 13 juillet 2015