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Sur la politique et la culture au Liban et au Moyen-Orient (Lcr.be)

Le dernier entretien avec Bassem Chit

Bassem Chit était un socialiste (dans le sens ango-saxon: marxiste) libanais, un militant chevronné et un révolutionnaire fidèle à ses engagements qui a lutté sans relâche pour les droits sociaux, économiques et politiques au Liban et dans cette région troublée. Bassem Chit qui avait joué un rôle essentiel dans la création et le développement d’un certain nombre d’organisations activistes et de recherche au Liban comme Helem (Rêve), Liban Support et le Forum socialiste est décédé prématurément, le 1er octobre 2014, d’une crise cardiaque à l’âge de 34 ans.

Dans cette interview exclusive donnée à TurkeyAgenda qui est aussi sa dernière, il a répondu ouvertement à nos questions sur le Liban, à propos du sectarisme, de la Turquie, de la gauche turque, et de la région en général. Pendant l’entrevue, il a fait des analyses très utiles sur les événements qui se déroulent au Moyen-Orient et a parlé de certains militants de gauche islamophobes turcs. Il a également expliqué la situation politique au Liban en élaborant une analyse de classe plutôt qu’en termes sectaires classiques.

Au même moment que nous exprimons notre tristesse de la perte prématurée de ce militant remarquable, nous souhaitons que nos lecteurs voyageraient à travers les sentinelles chaotiques du Liban en particulier et le Moyen-Orient en général avec cette interview révélatrice.

La classe est le principal moyen de défense pour la société libanaise contre la guerre civile et la barbarie.

TurkeyAgenda : Tout d’abord, pourriez-vous nous parler brièvement de vous-même et du Forum socialiste?

Bassem Chit : Le Forum socialiste est une organisation socialiste révolutionnaire au Liban. Il est apparu de la fusion de deux groupes trotskystes en 2010 dont chacun a sa propre histoire. L’un d’eux a commencé en 2000 et l’autre en 1970. Dans le Forum socialiste, nous avons en principe deux publications. L’une d’elles est Al-Manchour, une édition en ligne. L’autre est une revue périodique en arabe, Al-Thawra ad-Dayma (Révolution permanente). Celle-ci est publiée deux fois par an sous forme d’un cahier, en collaboration avec les groupes de la région, notamment en Egypte, en Syrien, en Tunisie, au Maroc et en Irak.

Notre groupe soutient les révolutions arabes et les révolutions partout dans le monde. Nous considérons que la situation actuelle exige une position qui allie la résistance au capitalisme et contre les dictatures avec la lutte pour la démocratie progressive. L’axe fort de notre stratégie concerne la formation d’un parti politique, un parti révolutionnaire au Liban.

Dans le système politique libanais, où les partis basés sur le système de « zouama »/clientélismedominent la politique, quelles sont les difficultés d’être un socialiste?

Tout d’abord, le système électoral libanais est fondé sur le sectarisme. Mais cela ne signifie pas que les partis politiques sont, par défaut, basés sur le sectarisme. Les partis politiques dominants au Liban sont par contre des partis sectaires. Mais nous avons aussi des partis politiques qui sont en dehors du pouvoir, dont beaucoup parmi eux sont des partis laïques ou non-confessionnels. Nous avons une longue tradition de mouvements de gauche dans le pays. Même dans les années 1960 et les années 1970, encore plus en 1997, nous avons eu des grandes manifestations dans le pays où les gens de l’est et de l’ouest de Beyrouth ont été rejoints par le mouvement syndical. A partir des années 1990 et plus tard, nous avions constamment des mouvements anti-sectaires. En 2011, nous avons eu une grande mobilisation contre le sectarisme dans le pays. Mais cela ne signifie pas qu’il n’est pas difficile de faire de la politique. C’est très difficile. Mais ce n’est pas vraiment à cause du sectarisme.

C’est un problème en soi, mais les difficultés sont principalement causées par les appareils sécuritaires des partis politiques et de l’Etat. Cela signifie donc que les marges d’action militante sont réduites, certaines régions sont contrôlées par certains partis politiques. Elles sont contrôlées avec des armes. Tel est le problème. Il faut prendre en considération que le Liban est un très petit pays. Ainsi donc, nous ne voyons pas par exemple une révolution au Liban sans un mouvement révolutionnaire dans la région. C’est pourquoi nous considérons que le changement au Liban est très lié à un changement en Syrie et vice versa. A cause de la façon dont les puissances coloniales ont installé les frontières, une des tâches de la révolution consiste en la destruction effective de ces frontières. C’est une tâche très ardue puisque nous parlons d’un petit pays de trois millions d’habitants et d’un régime ou un Etat qui n’a pas peur de déclencher une guerre civile juste pour préserver son pouvoir. Pour ces raisons, la gauche révolutionnaire doit s’organiser et s’armer d’une solide stratégie sur la façon de gérer l’Etat et le sectarisme et toutes les autres questions.

Considérez-vous donc les soulèvements dans la région comme une chance pour le Liban ?

Non seulement pour le Liban, mais pour la région dans son ensemble. En fait, ce n’est pas un simple soulèvement dans la région. Nous sommes en train de parler de la crise économique internationale, la crise du capitalisme. Si vous examinez les chiffres économiques à travers le monde, vous y découvriez que cette crise va en s’approfondissant. C’est également une crise de l’idéologie néolibérale et une crise des politiques de réformes. De par le monde, les Etats ne parviennent pas à opérer des réformes, même pas des réformes néolibérales. Parce que le niveau de contradictions et des injustices qui traversent le système capitaliste est assez élevé, assez compliqué que chaque réforme mène à davantage de contradictions encore plus graves. Cela signifie que les révolutions actuelles sont le reflet d’une crise internationale dans la région arabe en ce moment. Mais cela ne signifie pas qu’elle va se limiter au Moyen-Orient. Regardez comment en Grèce, en Espagne ou au Chili la totalité de leurs acquis sociaux sont menacés alors qu’aux USA, une gigantesque bataille est engagée entre les démocrates et les conservateurs autour des soins de santé. Dans cette perspective, ceci est juste la première vague, comme les premiers jours de la révolution russe, juste les prémices des révolutions à venir.

Les contradictions qui ont mené aux révolutions dans le monde arabe sont loin d’être résolues. Cela signifie que c’est une première tentative des masses populaires arabes  de combattre l’Etat et le régime. Grâce à ce processus, les gens commencent à apprendre que nous avons besoin de groupes révolutionnaires plus organisés et que nous avons besoin d’une classe ouvrière plus organisée pour vaincre ces régimes, mais aussi les mouvements réactionnaires.

Dans l’un de vos discours vous avez soutenu que « le sectarisme n’est pas une tradition tribale ou féodale, mais qu’il ait été développé par le capitalisme au Liban. C’est plutôt une histoire moderne et non une histoire traditionnelle. Le sectarisme est en fait une lutte de classe déformée, sans rapport avec la tradition ». Pouvez-vous en dire plus sur la conscience de classe au sein d’une société prétendue être sectaire ?

Nous devons faire la distinction entre deux questions : d’une part la lutte de classe comme une existence matérielle, autrement dit une réalité objective au sein de tout système capitaliste et, d’autre part, comment les gens acquièrent les idées pour comprendre cette réalité. Au sein de ces contradictions, par exemple, si l’on regarde le développement de l’économie au Liban, nous découvrons que la France était la première qui a commencé à investir dans les régions chrétiennes du Liban lors de la domination de l’Empire ottoman, grâce à des accords. Cela signifie que la nouvelle économie s’est développée dans une seule région et que les autres régions sont restées dans l’ancienne économie. C’est alors que des usines de soie ont été installées dans les zones chrétiennes du Mont-Liban, donnant lieu au développement d’une nouvelle main-d’œuvre, au rétrécissement de la classe féodale, et à un accroissement de la petite bourgeoise.

En 1860, nous avons eu – ce qu’ils nomment  –  une guerre civile qui était en fait un soulèvement paysan, qui comprenait des paysans maronites, chiites, sunnites et druzes, contre les seigneurs féodaux. Mais la nouvelle bourgeoisie chrétienne et les seigneurs féodaux chrétiens se sont alliés avec les seigneurs féodaux druzes afin d’écraser la révolte paysanne. Ce n’était donc pas une guerre civile, mais plutôt un soulèvement paysan. Plus tard, on a vu les dirigeants de ce soulèvement paysan changer leur rhétorique à propos de la révolte paysanne par un discours sectaire sur la protection des chrétiens. Mais nous devons comprendre que cette première tentative visait à écraser la révolte et qu’elle était un glissement vers une position sectaire des classes dominantes à l’époque.

Donc, dans ce sens, nous devons comprendre qu’il y a deux dynamiques qui se sont produites. D’une part, il y a l’émergence des conditions de la lutte de classe que les gens  commencent à percevoir, bien que leur perception résulte d’une tradition de pensées. Et plus tard, après l’indépendance, une très puissante élite politique chrétienne s’est formée en raison des développements économiques. En même temps, une élite commerciale très puissante s’est créée à l’intérieur de Beyrouth au sein de la communauté sunnite. Entre-temps, la structure féodale s’est considérablement affaiblie dans les montagnes des régions druzes et les zones chiites dans le Sud. Au début de la guerre civile dans les années 1970, en raison de la détérioration des structures féodales qui signifie aussi la détérioration de l’économie paysanne, les gens se déplaçaient de plus en plus vers les villes. C’est dans les villes que l’on pouvait constater l’injustice dans la structure économique. Cela signifiait que l’Etat qui était contrôlé par les kataëb (Phalanges libanaises)[1] ou l’aile droite des partis chrétiens ont tenté de gagner leur légitimité à travers les pratiques sectaires. En faisant bénéficier par exemple  aux travailleurs chrétiens des opportunités du travail tout en rendant les travailleurs chiites moins aptes à en profiter ou vice versa.

Le sectarisme est donc une politique ; une politique de ségrégation de la classe ouvrière. La grande erreur de la gauche lors de la guerre civile était qu’elle considérait la secte elle-même en tant que classe. Alors, ils ont argué que les chrétiens sont tous des bourgeois et les musulmans sont la classe ouvrière, mais tout cela est absolument faux. A cet égard, ils ont tenté d’utiliser la classe comme un moyen de mobiliser sur un plan sectaire plutôt qu’un moyen de désintégrer le discours sectaire. Voilà pourquoi nous parlons de conscience, qui n’est pas quelque chose qui se développe librement. C’est quelque chose qui se développe dans la lutte politique en cours et dans la lutte idéologique. En même temps, les idées dominantes au sein de la société essayent de   moduler la conscience de masse de façon permanente qui sert l’économie capitaliste et la domination de classe. L’une des méthodes utilisées est le sectarisme.

En parallèle, il y a l’expérience humaine des foules vivant ensemble et travaillant ensemble qui présente effectivement une menace pour cette idéologie. Le rôle de la gauche révolutionnaire est de pousser cette expérience humaine encore plus loin et de la théoriser de même que de développer l’idéologie de la classe laborieuse. A titre d’exemple, nous avons eu il y a quelques années au Liban une grève des travailleurs de l’électricité. Elle a duré environ 90 jours. Ils revendiquaient des contrats de travail à durée indéterminée. L’Etat les a attaqués pour être une majorité de travailleurs musulmans. C’est alors que les autres travailleurs se sont levés, et les travailleurs chrétiens parmi eux se sont mis à l’avant-garde pour défendre leurs collègues musulmans contre la milice chrétienne qui les attaquait. Nous avons eu aussi une grève à la centrale électrique de Jounieh en soutien à une grève dans une autre centrale électrique située en zone musulmane. Si les choses restent à ce stade, il n’est pas certain qu’on puisse en tirer quoique ce soit.

Pour cela il faut ramener la bataille à sa juste place, là où il n’est pas seulement question de stratégie défensive, mais de stratégie offensive contre l’Etat. Cela veut dire, certes, qu’il faut lutter contre le système du sectarisme jusqu’à sa destruction totale. Dans la lutte de classe, nous avons l’habitude de recourir à des idées et des mécanismes défensifs. Cependant il faut une compréhension de l’histoire et de toutes les contradictions non seulement à travers une bataille spécifique, mais à travers la lutte générale contre le sectarisme en liant toutes ces expériences ensemble. Parce qu’en ramenant ces expériences ensemble, nous pouvons développer une nouvelle forme idéologique de résistance contre l’Etat et contre le sectarisme. C’est en l’absence de cette nouvelle forme de résistance idéologique que notre conscience de classe elle-même est en passe d’être détournée vers le champ de la conscience sectaire. Comment cela se fait en pratique ? Revenons à la grève des travailleurs de l’électricité.

Le Courant patriotique libre (CPL)[2] disait que l’existence d’une majorité de travailleurs musulmans finira par déstabiliser le quota sectaire au sein de l’entreprise. Mais ce qu’il visait réellement, c’est saper l’unité des travailleurs et la création de rapports sectaires. C’est la solidarité et l’unité entre les travailleurs qu’il voulait attaquer. C’est ce que fait aussi Nabih Berri[3], par exemple, avec certains dirigeants syndicalistes contre les travailleurs. Ils ont essayé de détourner la lutte de classe à partir de sa base unitaire vers une base sectaire. Prenons un autre exemple pour mieux clarifier les choses, le mouvement Amal et le Hezbollah, qui sont des partis politiques chiites, ont adopté une méthode singulière pour interagir avec le mécontentement et les émeutes populaires dans la banlieue sud. Si par exemple un mouvement de protestation se déclenche contre les coupures d’électricité ou contre le chômage, ces partis craignent plus que les manifestants ou les grévistes puissent se rencontrer et tisser des liens avec des protestataires des autres régions. Au lieu de pousser à la mobilisation pour l’amélioration de la couverture électrique au Liban, ils achètent des générateurs électriques et fournissent des fonds aux stations d’essence.

Par exemple, dans le Akkar[4], Saad Hariri[5] donne de l’argent à certains organismes de bienfaisance et à quelques démunis juste pour calmer les contradictions de classe et renforcer la dépendance économique des travailleurs vis-à-vis des capitalistes. Cela signifie aussi que l’argent provenant des régimes les plus cruels dans le monde tels que l’Arabie saoudite, l’Iran ou les Etats-Unis fait son chemin jusqu’ici pour créer une relation de dépendance des travailleurs musulmans ou chrétiens à l’égard des bourgeoisies musulmane ou chrétienne. Cette dépendance crée une illusion de protection. C’est un mythe idéologique. Au lieu de dire que notre problème est la bourgeoisie, ils trouvent qu’il est plus facile de dire que le problème des travailleurs musulmans est la bourgeoisie chrétienne. Ainsi le problème pour les travailleurs chrétiens devient la bourgeoisie… musulmane, et la rivalité finit par s’installer parmi les travailleurs. Entretemps, les médias trouvent réellement populaire auprès des gens de leur dire que les musulmans prennent les emplois des chrétiens ou les chrétiens prennent les emplois des musulmans ! Finalement on crée un environnement de concurrence. Il s’agit en fait d’une lutte au sommeil des forces bourgeoises pour le pouvoir qui est reflétée comme une culture populaire tout au fond de la classe ouvrière. La question principale ici est de lutter contre la stratégie de l’Etat, la stratégie de la bourgeoisie et leurs méthodes pour vaincre la lutte de classe.

Nous devons comprendre qu’en luttant contre l’Etat, nous ne menons pas la lutte de classe  uniquement sur le plan économique mais aussi sur les plans politique et idéologique. Cela signifie que notre résistance doit être économique, politique et idéologique, ce que, fort malheureusement la gauche dans la région ne prend pas en considération. Elle n’attaque pas sur le front idéologique. Elle milite seulement sur les plans économique et politique. Mais quand il s’agit d’idéologie, quel genre d’État nous voulons, quelle idéologie révolutionnaire devons-nous adopter, ce sujet n’a pas été discuté. Nous devons avoir l’idéologie de la contre-hégémonie en interprétation des idées de Gramsci dans le sens où puisque la bourgeoisie a l’hégémonie, nous devons créer de vraies organisations pour détruire son hégémonie et créer des contre-hégémonies qui reflètent les intérêts de la classe ouvrière.

Donc nous pouvons dire que la conscience de classe dans la société est une soupape de sûreté contre le sectarisme et la menace d’une guerre civile.

La conscience de classe ne se limite pas à la conscience économique. Même chez Marx et Engels il ne s’agit pas de la conscience économique. Mais il y a en général une tradition au sein de la gauche pour comprendre la classe seulement de point de vue économique. La plus haute forme de la lutte de classe est une lutte politique. En même temps, vous devez combiner les aspects économiques, politiques et idéologiques au cours de la lutte. La partie importante dans tout cela est l’organisation de la lutte de classe. Car il ne faut pas compter uniquement sur des réactions spontanées ou des actions non organisées. Elles sont importantes, mais nous devons les organiser davantage. Voilà pourquoi il est très important que la gauche révolutionnaire dans la région arabe soit organisée. Etant donné que l’Etat et les partis politiques sont efficacement organisés, ont des financements multiples et une tradition politique, ils sont en mesure de pouvoir riposter. Cela signifie que, si vous voulez les combattre, vous devez être aussi organisés et aussi efficaces qu’eux. Mais vous ne devez pas compromettre votre politique ou vos méthodes d’organisation ou vos pratiques et mécanismes démocratiques. Ceci est une question très difficile, mais très importante.

La lutte de classe et la conscience de classe sont des questions centrales car sans elles, vous ne serez pas en mesure de bâtir des ponts entre les travailleurs chrétiens, sunnites et chiites. Et nous avons besoin de ce lien de solidarité et d’affinités pour lutter contre la classe dirigeante. Pour moi, la conscience de classe n’est pas seulement une conscience économique. La conscience de classe est nécessaire pour comprendre le rôle de la classe dans la détermination des paramètres économiques, politiques et idéologiques à la fois.

Pensez-vous que la principale erreur des soulèvements récents dans la région est qu’ils se sont transformés en une lutte sectaire ?

Les révolutions ne déclenchent pas dans des conditions que nous choisissons par avance. Ainsi, les révolutions ont eu lieu dans la région arabe après un recul total de la gauche à cause de nombreuses raisons. Parmi elles, la collaboration active de la plupart de la gauche stalinienne et de la gauche nationaliste avec les régimes. Il y a évidemment des structures syndicales en Egypte, en Syrie, au Liban et dans le reste de la région. Mais il y a un grand recul de l’action politique depuis les années 1980. C’est dans ces conditions que les révolutions ont éclaté. Cependant deux réalités apparaissent : la nécessité et la priorité d’organiser la classe ouvrière. Ce sont les tâches révolutionnaires à accomplir.

L’histoire ne fait pas d’erreurs, elle se produit seulement. La gauche traditionnelle a commis beaucoup d’erreurs. Mais c’est absurde de dire que la nouvelle gauche révolutionnaire aurait pu organiser la classe ouvrière, et s’organiser elle-même dans les vingt dernières années. Les vingt dernières années ont enregistré une progression de la gauche révolutionnaire dans différents pays, particulièrement en Egypte et au Liban. Au fil du temps ces groupes se sont amoindris dans une certaine mesure, mais sont toujours plus efficaces que les organisations de la gauche traditionnelle. Il est donc très important de développer ces organisations.

Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Si l’on compare au niveau du Liban par exemple, le Parti communiste qui avait revendiqué 10 000 membres, en compte maintenant 3 000 ou même moins. A Beyrouth, nous mobilisons plus qu’eux. En Egypte,  les Socialistes révolutionnaires, semblables à notre courant au Liban, font entendre leur voix davantage à gauche plus que le reste de la gauche traditionnelle, pourtant plus nombreuse. Nous avons donc considérablement pu s’améliorer qualitativement, mais pas quantitativement, en termes d’élargissement de notre base. Les gens ont compris l’importance du parti politique dans la révolution, surtout après la défaite de la première phase de la révolution. Cela est très important, car les gens ont compris qu’un mouvement ne peut pas remporter ses batailles en comptant seulement sur ses propres efforts et sur les réactions spontanées. Ce genre de populisme s’est désintégré avec la montée de forces contre-révolutionnaires. C’est une opportunité pour la gauche révolutionnaire. Cependant vous ne pouvez pas d’ores et déjà vous baser sur l’hypothèse d’un possible  front populaire.

C’était la logique de la gauche traditionnelle dans les années 1960 et 1970. Elle se déclarait avec les mouvements populaires, ce qui signifie avec tout le monde. Or, les récents événements ont prouvé que cette stratégie est totalement fausse. Nous avons besoin d’un front uni, d’un front révolutionnaire, mais pas d’un front populaire. Cela signifie qu’il faut lutter contre la classe dirigeante et en même temps contre les forces réactionnaires, comme Daesh (ou l’Organisation de l’Etat islamique) par exemple ou des groupes similaires. Mais aussi défendre des organisations réformistes, comme les Frères musulmans, contre la répression du pouvoir. Par ailleurs,  il y  a l’expérience du mouvement Ennahdha en Tunisie qui, après avoir compris le sort qui a été réservé aux Frères musulmans en Egypte, a manœuvré intelligemment, permettant à la gauche d’entrer en jeu. Et de prendre part à la bataille institutionnelle libérale. C’est une crise de la gauche. En Tunisie, par exemple, ils mènent à bien des revendications démocratiques, mais c’est dans le cadre d’une nouvelle politique libérale avec l’aval de l’impérialisme capitaliste.

Ce sont les conditions dans lesquelles nous devons travailler. Il y a deux tâches principales qui sont la construction d’une organisation révolutionnaire et en même temps aller vers les travailleurs. La bureaucratie syndicale est une crise. Regardez comment les bureaucraties syndicales en Egypte — y compris celles à la tête des syndicats dits indépendants ­ — ont toutes soutenu Sisi et le régime militaire. Il n’est pas difficile de conclure que ces directions sont inefficaces et inutiles pour la révolution. Quant au mouvement syndical au Liban, il ne cesse de faire des concessions à tel point qu’il n’arrive plus à mobiliser des masses de travailleurs, comme il le faisait auparavant. Actuellement, il mobilise à peine trente ou cinquante personnes[6]. La gauche doit travailler à la base pour conscientiser les travailleurs et les amener à adopter une idéologie et une ligne politique révolutionnaires mais aussi pour installer et dynamiser une tradition au sein de la classe ouvrière, celle de la nécessité de s’organiser davantage. La reconstruction des organisations de la classe ouvrière pour défier l’Etat est une situation complètement différente de ce que nous avions dans les années 1960.

Nous avions à l’époque une petite classe ouvrière, une large couche de paysans et la question de la libération nationale, qui était l’élément principal dans toute la lutte. Aujourd’hui, il ne s’agit pas de libération nationale dans le sens de libérer un territoire occupé, mais d’une libération nationale du joug de l’impérialisme. Il faut donc mettre fin à l’ingérence des Etats-Unis, de l’Europe, de l’Arabie saoudite et des capitaux étrangers dans la région. Cela signifie que nous avons besoin d’une situation révolutionnaire. Ce que nous appelons la révolution permanente. Ceci implique que nous avons les conditions non seulement de réaliser la libération nationale ou les réformes démocratiques, mais aussi l’opportunité d’approfondir cette révolution et de la transformer en une révolution socialiste.

Il est nécessaire de graver dans les esprits l’importante distinction entre libération nationale et Etat capitaliste. Dans les années 1960, le peuple avait appuyé la bourgeoisie nationale contre la bourgeoisie internationale. Aujourd’hui la bourgeoisie nationale, même si elle prétend être anti-impérialiste, est indissociable du libéralisme. Ils font les affaires et ils coopèrent. Par exemple, le Hezbollah reçoit de l’argent de bourgeois libanais installés en Afrique, qui exploitent les travailleurs africains. Il reçoit aussi de l’argent de l’Iran, l’Etat qui exploite des travailleurs iraniens. Saad Hariri reçoit de l’argent de l’Arabie saoudite qui exploite aussi les travailleurs.

L’entrecroisement des rapports capitalistes est évident. Donc, ces mouvements de « résistance » ne peuvent pas lutter contre l’impérialisme. Tout ce qu’ils peuvent atteindre, c’est une sorte de libération physique, à l’image de ce qui se passe au Liban. Mais ils s’arrêteront là où ils commencent à nuire aux relations capitalistes dans lesquelles ils sont impliqués. C’est ce qui est arrivé lorsque la révolution a éclaté en Syrie. Le Hezbollah est allé en Syrie pour protéger le régime Assad, sous le commandement de l’Iran, qui veut aussi protéger ses propres intérêts. Ce mouvement de résistance s’est transformé en une armée qui combat pour servir les intérêts des capitalistes en Syrie. Ceci est une contradiction parce qu’il ne s’agit pas d’une petite armée, mais d’une armée énorme dans l’Etat. Lorsque le Hezbollah décide d’engager une bataille, il ne suffit pas de fanfaronner au sujet de ses faits d’armes, mais il faut être capable de gagner les gens qui soutiennent le Hezbollah à une position révolutionnaire différente. Telle est la question la plus importante.

En comparaison avec d’autres organisations de « gauche », vous avez soutenu la révolution populaire en Syrie. Comment expliquez-vous l’éloignement entre les organisations de gauche ?

Au Liban, nous avons la gauche nationaliste qui comprend les nationalistes arabes et la gauche stalinienne comme le Parti communiste. Ces groupes ont adopté une vieille stratégie qui considère la libération nationale comme une condition sine qua non de la révolution. Ils ont adopté une autre stratégie pour le changement démocratique. Cela signifie deux choses : la première, s’il y a un conflit entre la bourgeoisie nationale et la bourgeoisie internationale, ils se mettront du côté de la bourgeoisie nationale ; la seconde, ils ne cherchent pas à défier l’Etat, mais ils essayent de gagner dans les élections et d’accéder au pouvoir.

Cette conception des choses les met dans une position de non-confrontation ni contre bourgeoisie internationale, ni contre la bourgeoisie nationale, or la confrontation de ces deux bourgeoises est un élément important pour être un groupe révolutionnaire. En Syrie donc, selon cette logique, soutenir le régime signifie soutenir l’anti-impérialisme dans la région dont il se réclame, alors que c’est complètement faux. Nous avons pu constater comment la révolution syrienne a causé une défaite, au moins morale, de l’impérialisme. La crise économique croissante est une opportunité en ce sens qu’elle force de nombreuses puissances impérialistes à se retirer. Cela ne veut pas dire qu’elles n’ont aucune présence, mais elles se sont affaiblies.

Au lieu d’exploiter cette donne pour pousser vers une situation révolutionnaire contre la bourgeoisie arabe et l’impérialisme, certaines de ces organisations de gauche s’allient avec les régimes pour plusieurs raisons. Une des principales raisons est qu’elles sont préoccupées de savoir comment gagner une représentation au pouvoir ou comment accéder au pouvoir sans devoir prouver leur crédibilité ou légitimité. C’est l’erreur des partis réformistes dont l’idéologie est en crise. L’idéologie nationaliste elle-même est en crise. Nous constatons un affaiblissement de l’identité nationale et l’émergence d’une perspective pour développer une idéologie révolutionnaire qui transcende l’illusion et outrepasse la peur d’une séparation entre le Liban, la Syrie, l’Egypte et la Palestine.

Car il s’avère impossible de révolutionner la région sans la destruction des frontières qui ont été fixées par le colonialisme, puis consolidées par les régimes arabes qui ont été contraints eux-mêmes à séparer la lutte palestinienne et les luttes libanaise, syrienne, irakienne, égyptienne et des pays du Golfe. Ces frontières ont aidé les régimes arabes à écraser les mouvements populaires qui se sont développés dans les années 1960 et même avant. Mais les partis réformistes ne peuvent pas concevoir leur existence en dehors de l’Etat-nation. Ils ont besoin des frontières nationales pour exister. Par ailleurs, ils n’ont pas de stratégie pour changer le caractère capitaliste de l’Etat et ont une compréhension mécanique de l’histoire. Pour eux, une révolution n’est pas une révolution tant que les gens n’ont pas revendiqué le socialisme dès le premier jour. Pourtant ni pendant la révolution russe ou la révolution française les gens n’ont réclamé le socialisme dès le premier jour. Pendant la révolution russe, une manifestation a été dirigée par un pasteur, et de nombreux paysans ont été tués lors des protestations ! Après de nombreuses années, les gens ont compris qu’on ne peut pas négocier avec l’Etat. C’est ce qu’a appris le peuple arabe.

On ne peut pas négocier avec les Etats arabes. Cependant le Parti communiste et les partis staliniens ont choisi de se mettre du côté des régimes arabes. Ceci implique qu’ils n’appartiennent plus à la gauche. Ils font partie de l’appareil d’Etat… l’appareil d’Etat bourgeois qui se défend contre les mouvements populaires. D’ailleurs ça ressemble à ce qu’à fait la gauche réformiste en Allemagne lors de la montée d’Hitler. Cette position de la gauche a permis ou au moins était favorable à l’essor de Daesh et des groupes similaires. La laïcité est devenue synonyme d’alliance avec les régimes arabes despotiques. C’est pourquoi il faut faire la distinction entre d’une part ces Etats prétendument laïques qui n’ont rien à voir avec la laïcité, et qui consacrent le sectarisme, et d’autre part la laïcité révolutionnaire basée sur la justice sociale et l’égalité.

Certains partis politiques outre le Forum socialiste ont aussi un discours anti-impérialiste et «  résistant ». Quelles sont vos similitudes et les différences ? Et quelles sont les différences entre les définitions du terme « résistance » ?

Lorsque le Hezbollah se battait contre Israël, nous avons soutenu la résistance. Nous soutenons quiconque résiste contre l’impérialisme. Mais quand le Hezbollah va en Syrie pour combattre contre la révolution populaire, ce n’est plus de la résistance. Il est devenu une milice du régime autoritaire et de la puissance régionale, qu’est l’Iran.

La question se pose ainsi : est-ce que des groupes comme le Hezbollah ou le Hamas peuvent libérer la Palestine ou écraser l’impérialisme? La réponse est non, ils ne le peuvent pas. Mais en même temps, en l’absence d’organisations capables de résister à l’offensive israélienne chaque fois qu’Israël attaque, nous soutenons quiconque prend les armes et combat l’entité sioniste. Mais cela ne signifie pas que nous soutenons leur politique. C’est la différence majeure entre nous et les autres segments de la gauche. Ils soutiennent le Hezbollah dans tout ce qu’il fait. C’est le principal problème. Ils sont d’accord avec la politique intérieure du Hezbollah basée foncièrement néolibérale, économiquement parlant. Ils appliquent une politique contre les intérêts de la classe ouvrière du fait de leur alignement sur les politiques sectaires. C’est ce qui explique leur silence sur toutes les questions. En s’abstenant de critiquer le Hezbollah à propos de ces questions, ils ont contribué à approfondir la conscience sectaire au sein de la classe ouvrière. C’est ce qui a affaibli leur position au sein de la classe ouvrière et dans la lutte de classe en général.

Nous sommes en train de concevoir une compréhension alternative de la résistance. Nous appelons à une résistance laïque, et non pas à une résistance nationale sectaire. Toutefois elle n’est basée uniquement sur la résistance armée, mais aussi sur la résistance politique contre le capitalisme. Parce que nous avons observé, en 2006, comment certains ont profité de la misère des autres pendant la guerre. Même après la fin de guerre en 2006, plusieurs dirigeants du Hezbollah ont amassé beaucoup d’argent. Peut-on considérer ceci comme un acte de résistance ? Etait-ce une action anti-impérialiste ? Le Hezbollah et le Hamas ne sont pas anti-impérialistes. L’anti-impérialisme signifie aussi faire face à tous les Etats, se positionner contre l’intervention des milices en Syrie et contre l’intervention de l’Arabie saoudite dans d’autres pays. Nous ne pouvons pas par exemple soutenir l’intervention de la Russie en Ukraine. C’est ça l’impérialisme, comme vous le savez.

La gauche nationaliste choisit de soutenir des segments de la bourgeoisie contre d’autres. Cette attitude pourrait être une stratégie intéressante dans le début du siècle dernier, lors de la naissance du capitalisme, avec l’existence de la bourgeoisie nationale. Dans le même temps, il y a une grande illusion quant à l’Etatisme de ceux qui se disent : lorsque nous atteindrons l’économie industrielle, nous aurons le socialisme. L’économie capitaliste est une économie mondiale et non une économie nationale. La bourgeoisie nationale ne réalisera jamais les réformes démocratiques dans les pays qu’elle domine parce qu’elle profite de l’absence de démocratie. Pour cette raison, toutes les revendications démocratiques et socialistes et anti-impérialistes doivent être comprises dans une même stratégie. C’est toute la différence entre eux et nous. Nous considérons la résistance comme un élément de la lutte révolutionnaire, et pas une phase à part avant la révolution.

Certains groupes de gauche en Turquie ont pris une position suspecte contre les révolutions populaires au Moyen-Orient, en particulier en Syrie. Comment expliquez-vous cela ?

La majorité de ces groupes de gauche sont soit nationalistes ou staliniens fascinés par le fétichisme de l’Etat. Les révolutions ne sont pas quelque chose de joli. Elles sont très laides. Si nous revenons à l’histoire, la révolution française et la révolution russe n’étaient pas jolies du tout. Parce que la société elle-même est laide. Et pour se débarrasser de cette laideur, nous devons lui faire face. Je pense que cette position négative de la gauche turque découle de l’idéologie nationaliste. Elle est en partie le reflet de l’idéologie nationaliste au sein de la gauche turque, nourrie des idées de Mustafa Kemal, et qui soutient l’armée.

En même temps, si vous avez une haute dose d’islamophobie, vous ne soutiendrez pas les Frères musulmans. Cependant il faut comprendre les contradictions des Frères musulmans qui font constamment des choses à gauche comme à droite. Leur mouvement est loin d’être une armée organisée. Cela ne signifie pas que vous devez soutenir les Frères musulmans contre l’armée. Vous devez plutôt garder vos repères et considérer que l’armée turque,  égyptienne ou syrienne peut potentiellement se développer vers un régime fasciste. Cela c’est passé auparavant en Turquie et se passe maintenant avec Assad en Syrie et Sisi en Egypte. Les Frères musulmans, à cause de leurs contradictions multiples, ne sont pas capables de rester au pouvoir. C’est un signe de leur grande faiblesse. Vous pouvez les critiquer, vous pouvez mobiliser contre eux, mais vous ne pouvez pas les qualifier de fascistes.

Parce qu’ils ne sont pas une organisation fasciste. Aussi ils ne peuvent pas détruire tous les acquis démocratiques quand ils arrivent au pouvoir. En réalité ils les utilisent à leur profit. L’armée, en revanche, détruira tous les acquis démocratiques. A mon avis, la gauche nationaliste en Turquie soutient le fascisme contre le réformisme islamique, et ce, à cause du mot « islam ». Tout ceci a un nom : l’islamophobie. Il faut regarder les dernières 20 ou 30 années pour comprendre les énormes erreurs de gauche nationaliste et stalinienne. Pour comprendre ce qui a poussé les gens à aller chercher autre chose. Certains l’ont trouvée chez les mouvements islamiques. Donc pour les vaincre, il faut tout d’abord anéantir un type de conscience en agissant à  deux niveaux. Le premier consiste à balayer la défaite du mouvement nationaliste, ce qui signifie que le nationalisme en soi n’est pas une arme contre l’islamisme. Le second intervient à lumière de la défaite en cours du projet islamique, qui était présenté comme alternative.

Pour nous, il n’y a qu’une alternative : le socialisme. Le projet nationaliste et le projet islamique sont deux projets bourgeois. Et la gauche doit prendre position contre les projets bourgeois. Voilà comment je vois ce gros problème. C’est à cause de tout cela que les révolutions arabes sont vues avec tant de suspicion. Maintenant avec l’approfondissement de la crise du nationalisme mais aussi l’approfondissement de la crise des projets islamiques, ils essaient de sauver le nationalisme en tentant de faire face à l’islamisme. Daesh, par exemple, se sert de la crise profonde des partis islamiques réformistes. Depuis la défaite des Frères musulmans en Egypte, celle d’Ennahdha en Tunisie, et la crise des Frères musulmans en Syrie, Daesh représente un modèle réaliste pour les gens qui sont de surcroit potentiellement mobilisables. Cette organisation terroriste tente alors de recruter parmi les bases des partis islamiques réformistes sur des positions plus radicales. Sa présence est une preuve de la crise de l’islamisme réformateur. Ce que fait la gauche nationaliste, c’est mettre tous ces mouvements dans le même sac. Mais ce délire est doublé aussi d’une forte dose d’hypocrisie. Pour la gauche nationaliste au Liban par exemple ­— qui fait pourtant la même lecture des mouvements islamistes —, le Hezbollah n’est plus une force islamiste.

Quant à la gauche turque, qui soutient Bachar al-Assad, l’allié de l’Iran et du Hezbollah, elle s’abstient de toute critique à l’égard de l’Iran ou du Hezbollah ! Alors elle soutient les chiites contre les sunnites. C’est la véritable nature du nationalisme. Le nationalisme dans le monde arabe, comme en Turquie, a toujours été sectaire dans le sens où il a constamment manipulé la religion. Il ne s’est pas dissocié de la religion. Atatürk a fait de l’islam une religion turque. Gamal Abdel Nasser s’est servi de la Mosquée al-Azhar (la plus haute autorité de l’islam dans le pays, (NdT)) pour affronter les Frères musulmans. Bachar al-Assad a sans doute construit plus de mosquées en Syrie que la confrérie des Frères musulmans dans la région. Ils ont tous utilisé la religion pour vaincre l’opposition. Donc, en fait, ils ne furent jamais laïques. Ils ont utilisé la religion officielle ou institutionnelle pour apparaître comme laïques, mais ils n’ont jamais instauré une séparation entre la religion et l’Etat.

Traduction de l’anglais par Rafik Khalfaoui
17 août 2015

Source : http://www.turkeyagenda.com/interview-with-the-late-bassem-chit-on-the-politics-and-culture-in-lebanon-and-the-middle-east-1302.html

Notes:

[1] Les Kataëb ou Phalanges libanaises sont un parti politique nationaliste et militarisé, essentiellement chrétien, fondé en 1936 (Note du traducteur).

 [2] Le Courant patriotique libre (CPL) est un parti politique de l’opposition chrétienne libanaise qui a été fondé en 1992 par le général Michel Aoun. Le CPL est représenté au parlement libanais sous le nom de « Bloc du changement et de la réforme » et est devenu le plus puissant parti chrétien au Liban (NdT).

[3] Nabih Berri est un homme politique libanais‪. Il est le président du parlement libanais depuis 1992 et le chef du mouvement chiite Amal (fondé en1975 et‪ devenu l’une des plus importantes milices musulmanes pendant la guerre civile libanaise. Le mouvement Amal est bien représenté au Parlement (NdT).

[4] District montagneux du nord du Liban et l’une des régions les plus pauvres du pays (NdT).

[5] Homme politique et homme d’affaires, Saad Hariri est un ancien Premier ministre. Il est le fils de Rafiq Hariri, ancien Premier ministre assassiné le 14 février 2005. Saad Hariri est le chef du parti politique Courant du Futur, sunnite (mais officiellement laïc) et le chef de la majorité au parlement libanais. Il vit actuellement entre Paris et Riyad (NdT).

[6] Référence à la Confédération générale des travailleurs du Liban (CGTL), (NdT).

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