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Il faut combattre les tabous homophobes en Tunisie (Amnesty)

La condamnation d’un étudiant de 22 ans à un an de prison pour «relations homosexuelles»  aura au moins eu le mérite douvrir enfin le débat sur ce sujet en Tunisie. Lundi 28 septembre 2015, dans une déclaration sans précédent, le ministre de la Justice Mohamed Salah Ben Aissa a appelé publiquement à la dépénalisation des relations homosexuelles.

Le jeune étudiant, connu sous le pseudonyme de Marwan, a été condamné par un tribunal de Sousse le 23 septembre, après avoir subi un examen anal forcé destiné à « prouver » sa pratique de la sodomie.

Le 6 septembre 2015, Marwan avait été convoqué par la police en lien avec le meurtre dun homme commis à Sousse. Il a nié toute implication dans ce meurtre, mais a reconnu avoir eu des relations sexuelles avec la victime, semble-t-il après que les policiers leurent menacé de linculper du meurtre. Il a alors été inculpé de « sodomie » en vertu de larticle 230 du Code pénal, qui prévoit pour cette infraction une peine pouvant aller jusquà trois ans de prison. Ce même article érige aussi en infraction le « lesbianisme », même sil est rarement utilisé pour arrêter des femmes lesbiennes.

Les militants LGTBI (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués) de Tunisie se sont vite emparés du cas de Marwan. Ces groupes sont de plus en plus actifs depuis quelques mois, enhardis par larrivée au pouvoir dun nouveau gouvernement de coalition plus progressiste. Ils font campagne contre la criminalisation des relations homosexuelles entre personnes consentantes, soulignant que celle-ci porte atteinte à deux droits fondamentaux garantis par la nouvelle Constitution tunisienne : le droit au respect de la vie privée et le droit de ne pas subir de discrimination.

Certains groupes ont même lancé une campagne en ligne demandant quil ne soit plus pratiqué dexamens anaux forcés – une initiative sans précédent en Tunisie.

Dans une interview accordée aux médias quelques jours après la condamnation de Marwan, le ministre de la Justice, Mohamed Salah Ben Aissa, a reconnu que larticle 230 violait le droit au respect de la vie privée garanti par la Constitution et devait être abrogé. Les défenseurs des droits humains tunisiens doivent profiter de cette dynamique pour faire évoluer le discours sur lhomosexualité en Tunisie, afin que les paroles se traduisent en actes.

Malheureusement, le cas de Marwan est loin d’être isolé. Dans le cadre de sa campagne contre les violences sexuelles et la violence liée au genre en Tunisie, Amnesty International a récemment recueilli des informations sur plusieurs cas dhommes gays ayant été arrêtés, placés en détention et poursuivis entre 2009 et 2014 – sans compter les nombreux autres cas qui, daprès les militants, ne sont pas signalés.

Des gays tunisiens ont raconté à Amnesty International avoir été interpelés simplement parce qu’ils avaient l’air « efféminés » ou parce quon les avait vus parler à un autre homme dans un quartier connu par la police pour être fréquenté par des gays. Comme Marwan, beaucoup ont été arrêtés sans preuves et contraints de subir un examen anal destiné à prouver la sodomie, bien que la fiabilité de ce type dexamen invasif ne soit pas scientifiquement prouvée. Amnesty International considère que les examens anaux forcés constituent une forme de torture ou dautre mauvais traitement.

Des personnes transgenres ont également dit à l’organisation quelles avaient été arrêtées et poursuivies pour atteinte à la moralité publique simplement parce quelles ne se conformaient pas aux stéréotypes de genre et aux normes sociales en vigueur.

Toutefois, les répercussions de ces lois vont bien au-delà du risque permanent darrestation et de poursuites. Partout dans le monde, la criminalisation des relations entre personnes de même sexe favorise la violence contre les LGBTI et crée un climat permissif qui les rend vulnérables aux violences policières, ainsi quaux actes de harcèlement et dintimidation au sein de leur famille et de leur milieu de vie. Malheureusement, la Tunisie ne fait pas exception à la règle.

Amnesty International a rencontré des personnes LGBTI qui avaient reçu des coups de couteau, des coups de pied dans la tête, des brûlures de cigarette et des menaces de mort en raison de leur identité de genre ou de leur orientation sexuelle. Or, bien souvent, la police a rejeté ou ignoré leurs plaintes à cause des dispositions de larticle 230.

Dans certains cas, au lieu de mener une enquête en bonne et due forme sur ces crimes homophobes et transphobes – conformément à leurs obligations aux termes du droit international – les policiers ont ouvertement adressé des avertissements ou des menaces aux victimes (y compris à des lesbiennes) pour les inciter à retirer leur plainte sous peine dêtre elles-mêmes poursuivies. Dans dautre cas, ils ont profité de la peur des poursuites pour soumettre des personnes LGBTI à du chantage, des manœuvres dextorsion et, parfois, des atteintes sexuelles. Les gays et les personnes transgenres qui ne veulent pas être arrêtés sont souvent obligés de verser des pots-de-vin aux policiers et de leur donner leur téléphone ou dautres objets de valeur.

En conséquence, les victimes LGBTI de viol ou dautres agressions sexuelles sont souvent réticentes à se faire connaître et à signaler ces actes à la police.

Les lois qui érigent en infraction les relations homosexuelles entre personnes consentantes, en Tunisie ou ailleurs, sont contraires au droit international et aux normes internationales relatifs aux droits humains.

Avec cette récente ouverture dun véritable débat public sur les droits des LGBTI, la Tunisie semble enfin faire de petits pas – petits mais essentiels – dans la bonne direction, faisant naître une lueur despoir.

Toutefois, ce nest quen abrogeant larticle 230 du Code pénal et en dépénalisant une bonne fois pour toutes les relations consenties entre personnes de même sexe que les autorités tunisiennes pourront espérer offrir une protection suffisante contre la violence et la discrimination. Elles doivent immédiatement libérer Marwan et sengager dans un processus de réforme législative afin que plus personne ne soit arrêté ni poursuivi en raison de son identité de genre ou de son orientation sexuelle.

Cet article a été initialement publié sur le site du Huffington Post Maghreb.

30 septembre 2015

https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2015/09/challenging-tunisias-homophobic-taboos/

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