Le Royaume de Bahreïn a annoncé mercredi 6 janvier avoir «démantelé» une cellule projetant des attentats, liée aux Gardiens de la révolution iraniens et au Hezbollah libanais. La cellule, qui projetait «plusieurs attentats à l’explosif» selon le ministère de l’Intérieur, comprenait de nombreuses personnes dont dix ont été arrêtées. Bahreïn et le Soudan ont rompu, après l’Arabie saoudite, leurs liens diplomatiques avec l’Iran. Cela suite à l’exécution du cheikh chiite (voir sur ce site l’article en date du 3 janvier 2016) Nimr al-Nimr, non violent, dans une «charretée» de 47 décapitations qui place le Royaume des Saoud en tête des exécutions capitales.
Depuis le «printemps arabe» la monarchie sunnite des Al-Khalifa n’a cessé de réprimer les manifestants qui revendiquent des droits démocratiques élémentaires. Il n’est donc pas étonnant que le pouvoir monarchique développe des accusations concernant «un complot terroriste piloté par l’Iran». Que des opposants soient poussés suite à des années de répression à prendre des armes, à la différence de Nimr al-Nimr, est du domaine du possible. Mais la main de fer des Al-Khalifa s’abat plus fort dans ce contexte qui doit «tout expliquer». Ce d’autant plus que Bahreïn, voisin de l’Arabie saoudite, abrite la Ve Flotte des Etats-Unis dans la région.
L’article publié ci-dessous porte la lumière sur la répression usuelle à Bahreïn. (Rédaction A l’Encontre)
Mohammed al-Tajer est un homme courageux.
Depuis plus d’une décennie, cet avocat bahreïni défend des activistes dans le royaume insulaire du Golfe, tels que Nabeel Rajab, un défenseur des droits de l’homme réputé. Il a été détenu et torturé. Il a été harcelé et menacé sur les réseaux sociaux. Malgré cela, il continue d’exprimer sa pensée et de maintenir tant bien que mal son équilibre, mélangeant perspicacité et ironie.
Pourtant, même lui a été abasourdi par le sort qui a été réservé à son jeune frère Ali, un homme sans passé d’activiste politique. Arrêté le 4 novembre 2015, sa famille est restée sans nouvelles de lui pendant presque un mois. Après plusieurs semaines d’inquiétude, ils ont été informés de la tenue d’un interrogatoire officiel qui a eu lieu le 30 novembre.
Deux avocats du cabinet de son frère ont été autorisés à représenter Ali, après que Mohammed a lancé une campagne épistolaire à l’intention des autorités pour exiger que celles-ci honorent le droit à une représentation juridique, garanti par la loi mais souvent ignoré. Il a publié les lettres en ligne: «Ils [les autorités] ne pouvaient dès lors pas s’échapper.»
Les avocats sont repartis avec un sombre récit. Ali a raconté avoir été privé de sommeil et forcé à rester debout pendant vingt jours, mais aussi battu à plusieurs reprises autour de la tête, du torse et des parties génitales. Il a expliqué que ceux qui le battaient se moquaient de lui: «Nous n’avons pas ton frère, mais nous sommes heureux d’avoir un [autre membre] de la famille al-Tajer.»
Les vêtements portés par Ali lors de son arrestation ont été restitués. Ils étaient maculés de sang.
Al-Tajer est certain que son travail en tant qu’avocat défenseur des droits de l’homme est ce qui a entraîné l’arrestation de son frère. Il s’agit selon lui d’efforts visant à le faire taire, à le contraindre d’arrêter de défendre les activistes pacifiques qui contrarient les efforts du régime pour étouffer les critiques.
Les autorités ont indiqué que 47 personnes, dont Ali, ont été arrêtées le 4 novembre, et que les personnes arrêtées planifiaient des attentats terroristes imminents.
«L’organisation entretient des liens étroits avec des partis iraniens et des terroristes résidant en Iran», a revendiqué le ministère de l’Intérieur au moment des arrestations, ajoutant que certains membres avaient été formés à l’usage d’armes et d’explosifs dans la République islamique.
Ali avait rendu visite à son beau-père, universitaire bahreïni officiant à l’université de Téhéran et détracteur du régime de Bahreïn, pour une affaire familiale. Les autorités ont accusé Ali d’avoir reçu lors de cette visite une formation militaire et, bizarrement, des conseils pour répondre aux questions au cours d’interrogatoires, des allégations que Mohammed al-Tajer juge absurdes: «Ils n’ont pas la moindre preuve, seulement des allégations globales et des faux témoignages d’autres personnes extorqués sous la torture.»
Mohammed al-Tajer a vu son frère le 24 décembre: «Mentalement, il va bien, il est très fort, il sourit toujours.» Toutefois, un médecin qui l’a examiné a recommandé de présenter Ali à un urologue et à un chirurgien orthopédique.
«Ceci est dû aux coups qu’il a reçus et au fait d’avoir été forcé à rester debout pendant une si longue période», précise son frère.
Ali n’a pas encore rencontré les spécialistes en question.
Pour les amis et la famille de Mahmoud Jaziri, journaliste à Al-Wasat arrêté le 28 décembre, l’attente continue. Son frère a reçu un appel de Mahmoud, qui lui a seulement indiqué qu’il était détenu dans une unité des enquêtes criminelles. On ne lui a pas donné la raison de son arrestation.
Al-Wasat, seul média d’information indépendant en activité à Bahreïn, venait de publier un article de Jaziri, correspondant pour le journal au Conseil de la Choura, au sujet d’une question à caractère politique sensible liée à la déchéance de citoyenneté, une tactique punitive de plus en plus employée par le gouvernement contre ses détracteurs.
Le 31 décembre 2015, Khalil Marzouk, haut dirigeant de la Société nationale islamique d’al-Wefaq, un parti d’opposition, a été convoqué au bureau du procureur avec un autre responsable du Wefaq. Dans le même temps, le cheikh Maytham al-Salman, ecclésiastique éminent et activiste de renommée internationale pour la paix interconfessionnelle, a été convoqué pour interrogatoire.
Le 2 janvier 2015, immédiatement après les exécutions de masse en Arabie saoudite, le ministère bahreïni de l’Intérieur, citant l’article 168 du code pénal, a averti qu’il «[n’accepterait] aucune forme d’ingérence dans les verdicts de la magistrature saoudienne ou de tout autre pays frère ou ami».
L’article 168 prévoit une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux ans «pour tout individu qui diffuse délibérément des faux rapports, des déclarations ou des rumeurs malveillantes dans le but de nuire à la sécurité publique, de terroriser la population ou de porter préjudice à l’intérêt public».
Cet article, qui fait partie de la législation anti-terroriste draconienne de Bahreïn, a été largement exploité pour accuser des détracteurs du régime, les déclarer coupables de délits et leur infliger des amendes et des peines d’emprisonnement.
Ainsi, tout commentaire critique au sujet de l’exécution par les Saoudiens du cheikh Nimr al-Nimr, un haut dignitaire chiite, a été érigé au rang de crime.
La fin de l’année 2015 a ainsi vu le gouvernement accélérer considérablement sa campagne contre les voix indépendantes et chercher sans relâche à les contraindre au silence sous le prétexte commode de la prétendue guerre contre le terrorisme.
«Nous ne pouvons pas respirer: tout ce que nous disons peut être utilisé contre nous, les murs se referment sur nous», a déploré l’une de ces voix, qui a demandé à rester anonyme par crainte de se faire arrêter.
Dans un tel environnement, il est compréhensible que les gens ne s’expriment pas. Ce qui est incompréhensible et inadmissible, c’est le quasi-silence des alliés occidentaux de Bahreïn. Ces derniers devraient écouter l’avocat Mohammed al-Tajer.
Lorsqu’on lui a demandé s’il avait peur des répercussions pour lui et sa famille au cas où ses propos seraient relayés, il a répondu: «Pas du tout. Nous ne céderons pas. Poursuivez. »
Ce sont précisément les déclarations courageuses de ce type que Washington et Westminster devraient écouter. N’est-il pas honteux qu’ils y restent sourds?
Bill Law est un spécialiste des pays du Golfe. Il écrit dans The Independent et M.EE, article publié le 7 janvier 2016