Imen Habib, animatrice de la Campagne BDS France, interviewée par Denis Sieffert, dresse un bilan de l’action internationale contre la colonisation des Territoires palestiniens. Si elle connaît des victoires, elle rencontre aussi la répression, notamment en France.
Au moment où la droite israélienne lance une offensive en France contre le boycott des produits israéliens, et tente de faire interdire toute réunion publique sur ce thème, deux pétitions circulent en défense de cette campagne pacifique. L’une initiée par BDS France, dont nous avons rencontré la coordinatrice, l’autre, d’une sensibilité différente, est à l’initiative de l’Association France Palestine solidarité (voir encadré).
Pouvez-vous nous rappeler l’historique de la campagne Boycott, désinvestissement, sanctions (BDS) ?
Imen Habib : La campagne BDS a été lancée en 2005 par plus de 170 associations et organisations de la société civile palestinienne. C’est une campagne non-violente qui s’inspire de la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud.
Dans quel contexte est née cette initiative ?
Cet appel a été lancé un an après l’avis de la Cour internationale de justice recommandant sans succès le démantèlement du mur dont le tracé annexait de nouveaux territoires palestiniens, isolait des villages et détruisait des terres agricoles.
Quels sont les pays qui ont repris immédiatement cet appel ?
La campagne BDS est très vite devenue internationale, aux États-Unis, au Canada, en Grande-Bretagne, en Afrique du Sud, puis en Espagne, au Maroc, et même au Japon, où j’ai eu le plaisir de rencontrer des camarades de BDS Osaka ! En France, il y a eu des actions BDS ici et là, mais c’est en 2009 que s’est créée la campagne BDS France, après l’attaque israélienne sur Gaza « Plomb durci », qui a fait 1 400 morts côté palestinien. Nous nous sommes dit qu’il était temps de créer une campagne unitaire ayant vocation à ne travailler spécifiquement que sur BDS. Aujourd’hui, la campagne BDS France [1] regroupe plus d’une cinquantaine d’organisations nationales, d’associations et de comités locaux. Nous travaillons étroitement avec le BNC (comité palestinien pour le BDS), ainsi qu’avec nos amis anticolonialistes israéliens de « Boycott from within » (Boycott de l’intérieur).
La France a une position particulièrement répressive…
La France est en effet le seul pays démocratique à criminaliser BDS. Tout commence par une circulaire de l’ancienne ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie, demandant aux procureurs de poursuivre les militants BDS. Cette circulaire est tellement « politique » qu’elle ne fait même pas semblant de viser le boycott en général. Il y est précisé que la répression doit concerner les boycotteurs d’Israël. Pas de problème pour ceux qui appellent par exemple au boycott de la Chine par rapport à la situation au Tibet…
Les militants BDS ont fait l’objet d’un harcèlement juridique de la part d’organisations ultra-sionistes portant systématiquement plainte lors d’actions anodines de distribution de tracts. Certains tribunaux ont obtempéré, alors que sans la circulaire ils auraient classé l’affaire. Pire encore, lorsque des militants étaient relaxés, le parquet faisait systématiquement appel. La plupart des responsables politiques, de François Fillon à Manuel Valls, n’ont comme seuls arguments à nous opposer que des mensonges éhontés pour tenter d’arrêter la progression de la campagne en France.
Quelle est l’attitude des tribunaux ?
Il y a eu des jugements contradictoires concernant les procès BDS. Certains procureurs, refusant d’obéir à leur hiérarchie et faisant preuve d’indépendance, ont notamment demandé la relaxe de militants ou de militantes inculpés. Un juge de la cour d’appel de Paris avait précisé que cette campagne BDS relevait de la liberté d’expression. Mais les lourdes pressions politiques ont fait que des militants ont été condamnés, comme c’est le cas pour le procès des « douze » de Mulhouse, condamnés à de lourdes amendes, jugement confirmé par la Cour de cassation. C’est un véritable scandale, qui ne nous arrêtera pas.
Il y a des débats au sein du mouvement français de défense des droits des Palestiniens, pouvez-vous nous en donner les enjeux ?
Oui, comme dans tout mouvement, il y a des débats et des stratégies différentes quant au champ d’application de cette campagne de boycott. Certaines associations veulent limiter le boycott surtout aux produits des colonies et ne participent pas ou peu au boycott culturel, universitaire et sportif de l’État d’Israël et de ses institutions.
Ce n’est pas le cas de la campagne BDS France, car nous considérons que le problème ne se limite pas seulement aux colonies. Il y a de très nombreuses discriminations à l’encontre des Palestiniens d’Israël, et il y a le droit au retour des réfugiés qui est reconnu par les Nations-Unies. Lors de la campagne contre l’apartheid en Afrique du Sud, il ne s’est pas élevé une seule voix, et à juste titre, pour dire qu’il fallait limiter ce boycott aux bantoustans. C’est le régime d’apartheid israélien qui est visé par BDS, et je crois que c’est très important de le rappeler.
De plus, nous répondons à un appel palestinien avec lequel nous sommes solidaires. Ce sont les Palestiniens qui nous demandent, par exemple, de ne pas boycotter les individus, mais en revanche de boycotter et d’appeler au désinvestissement d’entreprises complices de violations du droit international et/ou des institutions israéliennes. Nous respectons ces demandes.
Quel bilan tirez-vous de cette campagne, en France et dans le monde ?
Malgré les nombreuses attaques auquel elle doit faire face, la campagne BDS continue et progresse en France. Elle obtient ses premiers grands succès avec les campagnes en direction de Veolia ou d’Orange. Elle progresse aussi à travers le monde : des victoires sont remportées chaque jour et, selon un rapport des Nations-Unies, les investissements étrangers en Israël ont chuté de 46 % en 2014. Les auteurs du rapport attribuent cela aux attaques contre Gaza, mais aussi à la campagne BDS. Israël considère les actions de BDS comme une « menace stratégique » et un département spécial doté de plusieurs millions de dollars a été créé pour lutter contre BDS à travers le monde.
Comment percevez-vous l’attitude du gouvernement actuel, et notamment les récentes interventions de Manuel Valls ?
Ces dernières semaines, Manuel Valls est intervenu quatre fois contre la campagne BDS, qui est devenue le nouveau chiffon rouge qu’il agite pour détourner l’opinion de ses errances politiques et sociales. Cette focalisation contre des militants antiracistes en dit long. Ce qui est certain, c’est que nous n’avons pas l’intention de nous laisser intimider : la censure, l’arbitraire et la répression ne nous démobiliseront pas. Nous continuerons à lutter pour la justice, l’égalité et la liberté en Palestine-Israël, et aussi en France, tant qu’il le faudra.
Une pétition pour lutter contre cette répression, « Nous appelons au boycott des produits israéliens », a été lancée et nous avons eu l’agréable surprise de la voir signée par de nombreuses personnalités, et aussi par des milliers de personnes souvent éloignées de BDS mais qui n’en peuvent plus de ces atteintes aux libertés fondamentales. Elle compte aujourd’hui plus de 12 000 signataires [2].
« Une atteinte aux libertés publiques »
Dans un texte initié par France Palestine solidarité (voir Politis.fr), de nombreuses personnalités expriment leur « indignation face à une atteinte aux libertés publiques », à la suite de la condamnation de « citoyens ayant appelé au boycott de produits israéliens ». Les signataires, qui avouent avoir des « positions diverses » sur ce boycott, soulignent que ces actions « ont toujours été considérées par les pays démocratiques comme des formes protégées de liberté d’expression ». « Au nom de
quoi, s’interrogent-ils, en vient-on, en France, à considérer qu’un appel au boycott est une incitation à la discrimination quand il concerne Israël alors qu’il ne poserait aucun problème quand il s’agit d’un autre pays ? » Ils rappellent que « cela fait des dizaines d’années que l’État d’Israël viole les conventions internationales et bafoue les droits du peuple palestinien reconnus par l’ONU, […] sans provoquer de réaction autre que de condamnation verbale de la part de nos gouvernements ».
jeudi 4 février 2016