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Pourquoi la « solution à deux États » persiste dans l’imaginaire politique (Ujfp)

Photo : un manifestant palestinien lance des pierres sur les forces de sécurité israéliennes lors d’une manifestation contre l’expropriation des terres palestiniennes par Israël, dans le village de Kafr Kaddum près de Naplouse, en Cisjordanie occupée, le 26 février 2016 (AA).

Les partisans de la solution à deux États doivent fournir des idées pour sa mise en œuvre sur la base de l’égalité des deux peuples

Peu de gens contesteront que la diplomatie israélo-palestinienne semble plus que jamais paralysée. Même la présidence américaine de Barack Obama, qui il y a huit ans a misé énormément sur sa capacité à négocier un accord, a baissé les bras, frustrée.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, après avoir promis lors de la campagne électorale il y a un an d’éviter la création d’un État palestinien, assouplit aujourd’hui opportunément sa position, arguant que ce n’est pas le bon moment pour appliquer la formule des « deux États pour deux peuples ». Il parle désormais de cette « solution à deux États » comme d’une « vision », ou l’accompagne précautionneusement de l’expression « à terme », qui, dans le langage codé des dirigeants politiques, équivaut à « jamais ».

Et si vous lisez entre les lignes, Netanyahou souligne en outre son étroitesse d’esprit en précisant que, si jamais un État palestinien voyait le jour, il faudrait qu’il soit définitivement « démilitarisé » et qu’il ait auparavant reconnu Israël comme un « État juif », malgré la présence d’au moins 1,5 million de Palestiniens à l’intérieur de ses frontières.

Au-delà des mots, il y les actes ; et il se trouve que l’expansion continue de la population des colonies israéliennes, combinée au plaidoyer de plus en plus manifeste pour une solution à un État précédé par l’annexion formelle de la totalité ou de la majeure partie de la Cisjordanie, annonce la couleur ; tout comme le changement dans le discours ambiant en Israël, lequel passe de la « paix » aux craintes d’une « bombe démographique », c’est-à-dire de la perspective d’une population palestinienne majoritaire sous souveraineté israélienne obligeant à choisir entre « démocratie » et le fait de rester « un État juif ».

Sans oublier la « bombe religieuse », moins souvent abordée, qui résulte du taux de fécondité plus élevé au sein de la minorité juive ultra-orthodoxe, laquelle pèse de plus en plus à la fois dans les cercles dirigeants politiques et dans le corps des officiers de l’armée israélienne. Ces réalités sont accentuées par le recrutement de soldats professionnels auprès des colonies les plus idéologiques – on estime que ce taux est de 80 % supérieur à celui des communautés laïques en Israël.

Compte tenu de ces développements, il n’est pas surprenant que, parmi la population juive, on soutienne aujourd’hui plus que jamais l’idée de trouver des moyens pour débarrasser Israël de ses Palestiniens, dernière étape de la dynamique de dépossession sioniste qui a commencé il y a plus d’un siècle, a atteint un pic avec la nakba de 1948, a été renforcée par la naksa associée à la guerre de 1967 et continue tranquillement depuis en manipulant plus subtilement la citoyenneté palestinienne et le statut de résident.

En d’autres termes, à l’heure actuelle, la poursuite du nettoyage ethnique, aussi dramatique qu’elle puisse être, semble beaucoup plus probable qu’une solution diplomatique satisfaisante, et pourtant les médias et le discours politique continuent comme si la solution à deux États restait une option qui mérite d’être explorée. Pourquoi cela ?

L’initiative française

Cette foi dans la solution à deux États a notamment été exprimée par la récente initiative du ministère français des Affaires étrangères d’accueillir une conférence multilatérale visant à rendre une certaine crédibilité à la diplomatie en sa faveur. L’engagement initial a été renforcé par la menace : si la conférence ne parvient pas à atteindre son objectif d’un renouveau diplomatique, la France n’aurait pas d’autre choix que de se joindre aux 136 autres pays qui ont déjà reconnu l’État palestinien.

Israël a expliqué son rejet de ce qu’il a appelé l’« ultimatum » français en soutenant que parvenir à un résultat positif ne présentait aucun intérêt pour l’Autorité palestinienne, car celle-ci retirerait un avantage politique de l’échec de la conférence.

Les Palestiniens ont de leur côté accueilli favorablement la proposition française, mais, fatigués par des décennies de vaines négociations, ont exigé une résolution préalable du Conseil de sécurité décrétant un arrêt de toute activité de colonisation israélienne. Aussi radical que cela puisse paraître, ils ne chercheraient que tardivement et bien après les faits le respect par Israël de l’article 49 (6) de la quatrième Convention de Genève, lequel rend les colonies illégales.

Cela soulève plusieurs questions. Pourquoi la France a proposé un scénario aussi peu prometteur ?

La réponse la plus constructive est que les Français pensent que les négociations de paix pourraient finalement avancer si le monopole américain sur la diplomatie prenait fin et qu’il était remplacé par les auspices plus impartiaux d’un site européen pour la conférence et d’une participation multinationale.

Comme le montrent les réactions susmentionnées, Israël a longtemps bénéficié du rôle joué par les Américains, lui donnant le temps de faire progresser ses objectifs expansionnistes d’un grand Israël, et il n’a aucun intérêt à ce qu’un cadre diplomatique plus équilibré soit créé. L’Autorité palestinienne, qui lutte pour se défaire des doutes sur sa légitimité en tant que représentant du peuple palestinien dans son ensemble et enfin consciente que les négociations passées étaient un piège, cherche à s’assurer à l’avance du sérieux d’Israël, ce qui n’est pas le cas.

Il semble donc que l’initiative française est vouée à l’échec même en tant qu’opération de relations publiques. La France a peut-être estimé que, ayant fait un travail aussi largement acclamé pour élaborer un accord mondial sur les changements climatiques en fin d’année dernière, elle pourrait réaliser un deuxième miracle politique.

Compte tenu de la sophistication de la diplomatie française, les obstacles doivent avoir été anticipés, mais l’idée était peut-être qu’en l’absence de miracle alors elle pourrait gagner au moins un peu de crédit pour avoir vaillamment essayé. Ainsi qu’une base politique pour un soutien formel à un État palestinien voué à provoquer la colère d’Israël, déclarant qu’en effet la diplomatie de type « Oslo » n’est plus viable pour parvenir à une solution.

Dans les faits, la Palestine et Israël seraient deux États, même avec la reconnaissance silencieuse que ce que les Palestiniens obtiennent est « un État fantôme » avec aucun des attributs salvateurs de la souveraineté.

Il reste à se demander pourquoi Israël s’offusque autant quand un gouvernement étranger, en particulier européen, accorde son soutien à un État fantôme pour la Palestine. Au lieu d’être en colère, pourquoi Israël n’accepte-t-il pas l’évolution et ne se détend-il pas en se prévalant de l’argument selon lequel le consensus de deux États a été mis en œuvre ?

Pourquoi Israël ne peut-il pas vivre avec la Palestine comme État fantôme tant que ses plans d’expansion se réalisent et que le peuple palestinien reste assujetti sous contrôle administratif israélien, un régime de plus en plus vu dans l’optique de l’apartheid ?

Bien sûr, il n’existe pas d’explication officielle, mais la meilleure hypothèse est que la simple reconnaissance d’un État palestinien comme une réalité existante rend problématique l’option israélienne d’un seul État.

Le plaidoyer sincère pour la solution à deux États

En dépit de toutes les considérations avancées ci-dessus, il reste une explication des raisons pour lesquelles des gens et des organisations de bonne foi refusent d’abandonner l’approche à deux États. Des deux côtés, ces partisans considèrent que la création d’un État palestinien reste, malgré tout, la seule possibilité pour la paix et la fin du conflit.

Pour l’Autorité palestinienne, un quelconque État palestinien est la seule façon possible de maintenir son rôle en tant que moteur de l’autodétermination du peuple palestinien. Une issue à un seul État éliminerait sa raison d’être.

Du côté israélien et sioniste, on est convaincu que la création d’un État palestinien reste le seul moyen de résoudre le problème de la paix, de l’État juif et de la démocratie en Israël. L’alternative est une occupation permanente lourde et abusive et une résistance violente qui couve.

En outre, une résolution du conflit ouvrirait de plus larges opportunités régionales pour Israël, qui bénéficierait économiquement et politiquement de la normalisation de ses relations avec le monde arabe.

Et si aucun accord de paix n’est conclu, la course à l’armement dans une région aussi instable pourrait facilement évoluer et passer de la coexistence avec Israël à une reprise de la belligérance avec de possibles perspectives dangereuses.

Cet argument prudentiel est renforcé par les affirmations selon lesquelles un État palestinien n’est pas devenu, comme le professent ses opposants, « une impossibilité pratique », mais que seule une petite partie des colons sont « idéologiques » ou « religieux » et qu’ils pourraient être réinstallés si Tel Aviv en avait la volonté politique.

Ce qui est avancé ici, c’est qu’ils ne seraient pas plus de 100 000 colons à devoir être déplacés de force quoi qu’il arrive, les 600 000 autres environ seraient autorisés à rester dans les colonies le long de la ligne verte ou à Jérusalem-Est. En outre, le mur de séparation situé à l’intérieur de la Palestine pourrait être démantelé et une nouvelle frontière établie.

Il manque deux éléments à ce scénario à deux États : une quelconque résonance réelle en Israël et un quelconque sens qu’un tel État palestinien serait fondé sur l’égalité des deux peuples, ce qui devrait au moins comprendre la fin de la discrimination au sein d’Israël de la minorité palestinienne et une résolution juste du problème des réfugiés, ce qui implique les Palestiniens qui vivent dans la misère dans les camps en Palestine ou dans les pays voisins.

Ce sont des défis de taille, mais à moins qu’ils soient relevés, le plaidoyer en faveur de cette approche à deux États n’apportera pas la paix et ne fournira pas de solution satisfaisant chaque côté.

Le réalisme de la société civile

Seul l’activisme de la société civile et son mouvement de solidarité mondiale croissant affirme une solution qui repose sur l’égalité des peuples juif et palestinien, en reconnaissant que la réalisation et la réconciliation de revendications d’autodétermination qui se chevauchent est une porte étroite qui doit être ouverte pour parvenir à une paix juste et durable.

La difficulté est que cette campagne, de plus en plus soutenue par le peuple palestinien, n’a que de faibles chances d’obtenir l’influence politique nécessaire pour modifier le climat de l’opinion en Israël de sorte qu’émerge une atmosphère de compromis suffisante.

En attendant, le débat et la discussion sont rendus confus par l’interaction de plaidoyers cyniques et authentiques en faveur de la solution à deux États.

Les partisans cyniques croient que cela ne se produira jamais, mais que conserver cette possibilité apaise l’opinion publique sans inhiber Israël par rapport aux colonies, Gaza et l’annexion de facto. Les partisans sincères, y compris des groupes tels que J-Street aux États-Unis, reprendront leur vieille rengaine de la solution à deux États, mais ne seront plus en mesure de tenir la note.

Il appartient à ces défenseurs sincères de donner des idées de la façon dont la solution à deux États peut être mise en œuvre dans les conditions actuelles sur la base de l’égalité des deux peuples. Sans une vision concrète de ce à quoi ressemblerait une solution à deux États et comment y arriver, la sincérité n’est qu’une couverture masquant l’inutilité naïve.

L’impasse actuelle est réelle et semble susceptible de perdurer dans un avenir prévisible. Cette perspective se traduit par la souffrance oppressive et continue du peuple palestinien dans son ensemble, qu’ils vivent dans les limites de la captivité gazaouie en tant que réfugiés, exilés involontaires, sujets de l’administration israélienne d’occupation ou minorité en Israël.

Il ne faut pas oublier que l’ONU a repris la tâche de la Grande-Bretagne coloniale de ramener la paix dans la Palestine historique et que sa passivité au cours des années l’a rendue davantage partie du problème que solution. dimanche 6 mars 2016 par Richard Falk

- Richard Falk est un spécialiste en droit international et relations internationales qui a enseigné à l’université de Princeton pendant 40 ans. En 2008, il a été nommé par l’ONU pour un mandat de six ans en tant que Rapporteur spécial sur les droits de l’homme dans les territoires palestiniens.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

 

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