Massacre de Qana, Liban 1997 - Photo : Archives
Shimon Peres, décédé mercredi à l’age de 93 ans après avoir subi un accident vasculaire cérébral le 13 septembre, incarne la disparité entre l’image d’Israël en Occident et la réalité de ses sanglantes politiques coloniales en Palestine et dans la région.
Un acteur de la purification ethnique de la Palestine lors de la Nakba
Peres est né en Biélorussie en 1923, et sa famille a déménagé en Palestine dans les années 1930. Encore jeune, Peres a rejoint la Haganah, la milice première responsable de l’épuration ethnique des villages palestiniens en 1947-1949, au cours de la Nakba.
Alors que le déplacement violent des Palestiniens atteignait un record historique, Peres a toujours insisté sur le fait que les forces sionistes « ont confirmé la pureté des armes » lors de la création de l’État d’Israël. Il a été jusqu’à affirmer qu’avant l’existence d’Israël, « il n’y avait rien ici. »
Une vie au service du colonialisme et de l’apartheid
Dans les décennies qui ont suivi, Peres a servi comme Premier ministre (deux fois) et président, mais il n’a jamais gagné une élection nationale. Il était membre de 12 cabinets et a eu comme mandats la Défense, les Affaires étrangères et les Finances.
Il est peut-être mieux connu en Occident pour son rôle dans les négociations qui ont abouti aux Accords d’Oslo de 1993 et qui lui ont valu, avec Yitzhak Rabin et Yasser Arafat, le Prix Nobel de la Paix.
Pourtant, pour les Palestiniens et leurs voisins du Moyen-Orient, les antécédents de Peres sont très différents de sa réputation en Occident comme « colombe » infatigable, et ce qui suit est loin d’être un résumé complet du dossier Peres au service du colonialisme et de l’apartheid.
Bombes atomiques
Entre 1953 et 1965, Peres a servi d’abord comme directeur général du ministère de la Défense d’Israël, puis comme vice-ministre de la Défense. En raison de ses responsabilités à l’époque, Peres a été décrit comme « l’architecte du programme d’armement nucléaire d’Israël », qui à ce jour, « reste en dehors du contrôle de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). »
Selon des procès-verbaux restés secrets et révélés depuis, Peres a rencontré en 1975 le ministre de la Défense sud-africain PW Botha et a « offert de vendre des ogives nucléaires au régime de l’apartheid. » En 1986, Peres a autorisé l’opération du Mossad où le technicien nucléaire Mordechai Vanunu a été enlevé en Rome.
Cibler les citoyens palestiniens
Peres a joué un rôle clé dans le régime militaire imposé aux citoyens palestiniens jusqu’en 1966, en vertu duquel les autorités volaient massivement les terres et déplaçaient les habitants.
Un des outils [de la dépossession] était l’article 125 qui a permis que la terre palestinienne soit déclarée zone militaire fermée. Ses propriétaires étaient interdits d’accès, les terres devant ensuite être confisquées comme « incultes ». Peres s’est félicité de l’article 125 comme un moyen de « poursuivre directement la lutte pour la colonisation juive et l’immigration juive. »
Une autre des responsabilités de Peres en sa qualité de directeur général du ministère de la Défense était de « judaïser » la Galilée, c’est-à-dire, de poursuivre les politiques visant à réduire la taille de la région où vivaient des citoyens palestiniens et d’étendre celle où vivaient les juifs.
En 2005, comme vice-Premier ministre dans le cabinet d’Ariel Sharon, Peres a renouvelé ses attaques contre les citoyens palestiniens avec des plans pour encourager les Israéliens juifs à s’installer en Galilée. Son plan de « développement » couvre 104 communautés – 100 d’entre elles exclusivement juives.
Dans des conversations secrètes avec les responsables américains la même année, Peres prétendait Israël avait « perdu un million de dunams [1000 kilomètres carrés] de terres du Néguev pour les Bédouins », ajoutant que le « développement » du Néguev et de la Galilée pouvait « soulager ce [qu’il] appelait une menace démographique ».
Soutenir les colonies illégales en Cisjordanie
Alors que le projet de colonisation d’Israël en Cisjordanie est vu comme principalement associé au Likoud et d’autres partis nationalistes de droite, c’est en fait le parti Travailliste qui commencé la colonisation du territoire palestinien nouvellement conquis. Et Peres y a participé avec enthousiasme.
Durant le mandat de Peres comme ministre de la Défense, de 1974 à 1977, le gouvernement Rabin a établi un certain nombre de colonies clés en Cisjordanie, dont celle d’Ofra pour laquelle de grandes sections ont été construites sur des terres palestiniennes volées.
Après avoir joué un rôle de premier plan dans les premiers jours de l’entreprise de colonisation, Peres est intervenu ces dernières années pour contrecarrer toute mesure, aussi modeste soit-elle, pouvant sanctionner les colonies illégales – toujours, bien sûr, au nom de la protection des « négociations de paix ».
Le massacre de Qana
En tant que Premier ministre en 1996, Peres a ordonné et supervisé l’agression militaire « Raisins de la colère », au cours de laquelle les forces armées israéliennes ont massacré quelque 154 civils au Liban et en ont blessé 351 autres. L’opération, largement soupçonnée d’avoir été un spectacle pré-électorale de démonstration de force, a délibérément transformé les civils libanais en cibles.
Selon le site officiel israélien Air Force, l’opération a impliqué « le bombardement massif des villages chiites dans le sud du Liban, afin de provoquer un flux de civils au nord, vers Beyrouth, appliquant ainsi la pression sur la Syrie et le Liban pour qu’ils bloquent le Hezbollah. »
L’incident le plus notoire de la campagne a été le massacre de Qana, quand Israël a bombardé un camp des Nations Unies et tué 106 civils qui s’y abritaient. Un rapport de l’ONU a déclaré que, contrairement aux affirmations israéliennes, il était « peu probable » que le bombardement « ait été le résultat d’erreurs techniques et/ou de procédure. »
Plus tard, les artilleurs israéliens ont dit à la télévision israélienne qu’ils n’avaient aucun regret pour le massacre, puisque les morts étaient « juste un groupe d’Arabes. » Quant à Peres, sa conscience était tout aussi propre : « Tout a été fait selon une logique claire et d’une manière responsable, » a-t-il dit. « Je suis en paix. »
Gaza – défendre le blocus, la brutalité, la violence
Peres a décidé de lui-même d’être un des ambassadeurs mondiaux les plus importants d’Israël au cours des dix dernières années, tandis que la bande de Gaza était soumise à un blocus dévastateur et à trois grandes offensives militaires israéliennes. Malgré l’indignation mondiale devant ces politiques, Peres a toujours soutenu la politique de punition collective et la brutalité militaire.
En janvier 2009, par exemple, malgré les appels lancés par les « organisations israéliennes de défense des droits humains … pour que l’opération ‘Plomb durci’ soit arrêtée », Peres a décrit « la solidarité nationale derrière l’opération militaire » comme « une heure de gloire d’Israël. » Selon Peres, le but de l’agression « était de donner un coup puissant à la population de Gaza afin qu’elle perde son envie de tirer vers Israël. »
Au cours de l’opération militaire « pilier de défense » en novembre 2012, Peres « a pris la tâche de contribuer à l’effort de relations publiques d’Israël, transmettant le récit israélien aux dirigeants de la planète », selon la citation d’Ynetnews. A la veille de l’offensive israélienne, « Peres a averti le Hamas que s’il veut une vie normale pour les habitants de Gaza, alors il doit cesser de tirer des roquettes sur Israël. »
En 2014, lors du bombardement sans précédent de Gaza, Peres s’est escrimé encore une fois pour blanchir les crimes de guerre. Après que les forces israéliennes aient massacré quatre petits enfants jouant sur une plage, Peres savait qui blâmer – les Palestiniens : « C’est une zone où nous avions prévenu qu’elle serait bombardée, » a-t-il affirmé. « Et malheureusement, ils n’ont pas écarté les enfants. »
Le blocus étouffant, condamné internationalement comme une forme de punition collective tout à fait illégale, a également été défendu par Peres – précisément parce qu’il est une forme de punition collective. Comme Peres l’a dit en 2014 : « Si Gaza cesse le feu, il n’y aura pas besoin d’un blocus. »
Le soutien de Peres pour la politique de punition collective s’est également étendu à l’Iran. Commentant en 2012 les rapports selon lesquels six millions d’Iraniens souffrant de cancer ont été incapables d’obtenir le traitement médical nécessaire en raison des sanctions, Peres a déclaré : « S’ils veulent revenir à une vie normale, qu’ils deviennent normaux. »
Fier de ses crimes jusqu’à la fin
Peres a toujours été clair sur l’objectif d’un accord de paix avec les Palestiniens. Comme il l’a dit en 2014 : « La première priorité est de préserver Israël comme un État juif. Tel est notre objectif central, ce pour quoi nous nous battons ». L’année dernière, il a réitéré ces sentiments dans une interview avec l’Associated Press, en disant : « Israël doit mettre en œuvre la solution de deux États dans son propre intérêt, » afin de ne pas « perdre sa majorité [juive]. »
Ce rappel révèle le fond du soutien des Travaillistes pour les Accords d’Oslo. Rabin, parlant à la Knesset peu de temps avant son assassinat en 1995, était clair sur le fait que ce que voulait Israël des Accords d’Oslo était une « entité » palestinienne qui serait « moins qu’un État ». Jérusalem serait la capitale indivisible d’Israël, les colonies clés seraient annexées et Israël resterait dans la vallée du Jourdain.
Il y a quelques années, Peres a calomnié les Palestiniens comme pratiquant « l’auto-victimisation » et il déclara : « Ils se victimisent. Ils sont inutilement victimes de leurs propres erreurs. » Une condescendance aussi cruelle était caractéristique d’un homme pour qui la « paix » a toujours signifié la pacification coloniale.
*
Ben White est journaliste indépendant, écrivain et militant, spécialiste Palestine/Israël. Il est diplômé de l’université de Cambridge.