Mercredi 7 décembre, l’armée syrienne a pris le contrôle de toute la vieille ville d’Alep, au pied de sa célèbre citadelle dont les occupants ont résisté ou ont été vaincus à maintes reprises au cours des siècles passés.
Cette chute marque un tournant dans la guerre en Syrie, car nul ne peut nier l’importante percée du régime. Il aura vu la défaite de ses adversaires qui ont tenu une partie de la capitale économique et deuxième ville du pays, coupée en deux depuis 2012. Si l’on ne sait pas ce qui se passera demain, on peut faire le triste constat d’une victoire de la realpolitik, une victoire des canons sur le droit humanitaire, et une défaite des diplomaties occidentales.
Ce sera aussi une victoire de la Russie qui s’est imposée sans état d’âme comme une alliée sûre du régime syrien, un acteur primordial au Proche-Orient et en Méditerranée, tout en se jouant des puissances occidentales.
C’est toute l’espérance d’un soulèvement pacifique contre une dictature, semblable à celui qui a secoué d’autres pays du monde arabe depuis l’hiver 2010 qui s’est brisée face à la brutalité inouïe du régime, aux ingérences multiples des puissances régionales, du Qatar à l’Iran en passant par l’Arabie saoudite, à l’inanité de « la communauté internationale ».
Commencée le 15 novembre, l’offensive de Damas et de Moscou contre Alep aura duré moins d’un mois.
Les incessants bombardements aériens menés pour l’essentiel par les Russes, et le déluge de feu de jour comme de nuit ont eu raison de la détermination des rebelles toutes tendances confondues, inférieurs en nombre et en équipements. Divisés et affaiblis, ils ont proposé le 7 décembre un cessez-le-feu immédiat de cinq jours à Alep et l’évacuation des civils, tout en refusant de remettre leurs armes — ce qui aurait signifié une capitulation. Le même jour, un appel à la trêve a été lancé par six capitales occidentales, dont Washington, Paris et Londres, devant la catastrophe humanitaire. Damas, comme on s’y attendait, a répondu par un non cinglant, tant que les mouvements qu’il a toujours dénoncés comme des « organisations terroristes » n’auraient pas évacué le secteur. L’annonce par la Russie le 8 décembre d’un cessez-le-feu unilatéral n’a été que de la poudre aux yeux.
Le bilan pour Alep est particulièrement terrible sur le plan humain, sur fond de pénuries, de gens affamés, d’épreuves et d’un quotidien très dur, de morts de civils, d’hôpitaux, de centres médicaux et d’écoles détruits pendant quatre ans. Au moins 80 000 personnes ont fui l’est d’Alep depuis le début de l’offensive. On ignore le sort des hommes jeunes en fuite qui ont été contrôlés à des barrages de l’armée. Les organisations internationales humanitaires sont absentes. Depuis le début de l’offensive, plusieurs centaines de personnes ont été tuées à Alep-Est. La majorité d’entre eux sont des civils, dont beaucoup d’enfants, ainsi que de nombreux médecins et du personnel médical. Sans se lancer dans des comparaisons macabres, il faut rappeler aussi que la partie contrôlée par le régime n’a pas été épargnée par les tirs quotidiens des groupes rebelles, avec une centaine de tués.
La triste ironie est qu’Alep, avec ses quelque trois millions d’habitants — et une forte activité commerciale et industrielle — a été la dernière grande ville syrienne à se joindre à la rébellion, un an après le début des premiers troubles au printemps 2011. Puis elle a été emportée dans la fièvre de la révolution qui avait commencé pacifiquement au sud de Damas, dans la ville de Deraa. Craignant pour sa survie, le régime a aussitôt dénoncé un complot venu de l’étranger, fomenté par les monarchies sunnites du Golfe et la Turquie, et a réprimé avec férocité. Ainsi, les revendications citoyennes qui ont fait descendre les Syriens dans la rue se sont transformées en révolte, puis en soulèvement, avant de finir dans un chaos où des groupes rebelles se disputent ou s’entretuent, des puissances régionales entretiennent le feu, et des populations sont prises au piège de la guerre.
Dans ce contexte de guerre totale, le régime a été accusé de crime contre l’humanité, un « honneur » qu’il partage avec l’organisation de l’État islamique (OEI) dont il faut rappeler que les combattants avaient été chassés depuis longtemps d’Alep-Est par les rebelles, contrairement au Front Al-Nosra (qui a changé de nom pour devenir Fatah Al-Cham après avoir rompu ses liens avec Al-Qaida).
Au plan politique, Damas n’a pas tardé à réagir à sa victoire à Alep.
Bachar Al-Assad s’est ainsi empressé de déclarer qu’il s’agit là d’une « étape majeure vers la fin de la guerre », tout en ajoutant : « mais soyons réalistes, cela ne signifie pas la fin de la guerre ». La chute d’Alep « constituerait une immense défaite pour l’opposition syrienne — militaire et politique —, mais je ne pense pas que cela mettra fin à la guerre civile », a indiqué de son côté Robert Ford, le dernier ambassadeur des États-Unis à Damas, dans une déclaration à Syria Direct le 6 décembre. Et l’Occident a beau donner des leçons, il n’a fait que démontrer l’ampleur de son impuissance, de ses divisions et des limites de sa diplomatie, faute d’avoir compris que l’humanitaire ne peut se substituer au politique. Les gouvernements occidentaux ne peuvent s’exonérer de leur responsabilité dans ce conflit. Et en particulier la France, qui a longtemps refusé que l’Iran ait une place dans les négociations de paix.
S’il est trop tôt pour savoir quelles conséquences aura la chute d’Alep sur l’avenir de la Syrie, le président syrien peut espérer s’être gagné un nouvel allié objectif avec l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis. Un homme qui voit dans Bachar Al-Assad ou dans le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi des partenaires dans la « guerre mondiale contre le terrorisme ».