Avoir du courage. De la détermination.
Ne jamais baisser les bras, même face à l’indifférence. Les Syriens, les activistes, les réfugiés et leurs soutiens, qui se réunissent régulièrement sur la place de la République, tentent de rester « debout » pour dénoncer la guerre qui ravage le pays depuis 2011, mais surtout pour rappeler que leur révolution n’est pas encore enterrée.
« Ni Bachar, Ni Daech en Syrie ».
Ils sont une petite trentaine à braver le froid hivernal un samedi après-midi sur la place de la République, scandant pendant près d’une heure divers slogans. Ce n’est pas première fois qu’ils se réunissent ici. Gazette Debout a déjà relayé certains de leurs précédents rassemblements au printemps dernier. Une commission Syrie Debout a même été créée par des militants de plusieurs associations syriennes et françaises vivant à Paris. Delphine, l’une des initiatrices de la commission, a vécu presqu’une décennie là-bas. Elle nous confie son sentiment d’urgence : « les Nuitsdeboutistes et la révolution syrienne devaient se rencontrer et travailler ensemble sur des questions de droits humains. Il fallait faire un lien. Ce qui les différencie, c’est la situation d’urgence et le degré de barbarie que subissent les insurgés Syriens aujourd’hui ».
Syrie Debout n’a pas eu la vie facile, régulièrement alpaguée par des militants pro-Bachar el Assad. « C’était des Français plus ou moins affiliés aux « Soraliens » mais aussi parfois des Maghrébins, souvent biberonnés au jus anti-impérialiste, qui cautionnent n’importe quelle dictature, pourvu qu’elle soit anti-américaine ou anti- occidentale. Certains ne supportaient pas de voir le drapeau de l’indépendance syrienne flotter sur la place. Leur argumentaire est toujours le même : « mieux vaut Bachar que Daech » ! Ils nient que ce sont les deux faces d’une même médaille», se désole Delphine.
Elle croit également que beaucoup de Syriens craignaient la police, omniprésente sur la place de la République. Une appréhension qui n’est pas sans fondement, les CRS ayant tenté d’expulser la commission de la place début juillet, sous prétexte que leur lutte ne rejoignait pas celle contre la loi Travail…
Ni Bachar, Ni Daesh en Syrie
Les membres de Syrie Debout reviennent inlassablement manifester ici pour transmettre leur message : « ni Bachar, ni Daesh en Syrie ». Ils tentent de faire preuve de pédagogie envers les passants, afin de leur expliquer les enjeux à la fois simples et complexes de ce conflit.
Ahmad Darkazanli, un Syrien militant très engagé qui a fuit son pays depuis de nombreuses années, estime que les Français sont désinformés. « Il y a beaucoup d’articles qui ne reflètent pas la réalité du terrain. Il s’agit d’une véritable dictature de la désinformation », regrette-t-il. « Entre Bachar, Daech, Al Nostra, l’armée libre, les gens se mélangent un peu les pinceaux ». Et on les comprend. Car les journaux ont beau multiplier les graphiques et articles explicatifs, le néophyte peine à s’y retrouver. Seules restent les images des populations civiles baignant dans leur sang, au beau milieu de villes en ruines.
Ce soir là, rares sont les badauds qui s’arrêtent pour écouter les slogans ou échanger avec les militants. Malgré cette indifférence, les membres réussissent à garder le moral. « On n’a pas de choix . C’est une lutte qui s’annonce longue. Si nous arrivons à chaque fois à convaincre quelques personnes, c’est déjà ça », tente de se rassurer Delphine. Elle insiste également sur l’expérience d’Alep, véritable laboratoire d’une Syrie démocratique. « Il y a eu un processus d’élections libres avec un conseil municipal élu et renouvelé chaque année. Aujourd’hui, c’est Brita Hagi Hassan qui est le maire d’Alep Est et qui vient régulièrement à Paris pour sensibiliser sur ce qui se passe là-bas ».
De son coté, Ahmad Darkazanli reste persuadé que plus personne en Syrie ne soutient Bachar el-Assad. « Si je compte 5% de sympathisants, je suis encore très large. Les populations qui fuient dans les zones contrôlées par le régime cherchent simplement à se mettre à l’abri. Elles n’ont pas le choix ». Mais face au soutien Russe dont bénéficie le « boucher de Damas » la vie humaine ne pèse pas bien lourd. « Bachar n’est pas un homme courageux, s’il sent que ses soutiens internationaux l’abandonnent, il partira de lui-même », assure Ahmad Darkazanli. D’autant que l’armée Syrienne Libre pourrait en venir à bout si elle était équipée correctement. « Nous ne demandons pas une intervention internationale dans notre pays. Nous demandons simplement que le véto sur les armes soit levé. L’armée syrienne libre doit avoir les moyens de se battre ».
Quelques jours plus tard, le maire d’Alep Est, Brita Hagi Hassan, est de passage sur la place de la République. L’homme est épuisé : cela fait des mois qu’il ne trouve plus le sommeil. Mais par amitié pour Ahmad Darkazanli, il fait l’effort de venir prononcer un émouvant discours, dont on peut retrouver les principaux éléments dans une interview sur France Culture. Il rappelle la violence, égraine les chiffres des morts, des barils de TNT. « Sous prétexte de combattre le terrorisme, le régime commet encore plus d’actes terroristes ».Pour lui, la seule force apte à combattre Daesh, c’est l’armée libre syrienne.
Il insiste aussi sur ces 30 000 d’enfants qui sont privés d’école depuis des années.
« Ils ne connaissent que la guerre, que les tueries, sans autre référence. Faute d’éducation, ils pourront se faire embrigader par les groupes terroristes. C’est un danger non seulement pour nous mais aussi pour vous en Europe ».
Toutes ces paroles prennent une étrange résonance, alors que le régime de Bachar el Assad a annoncé vendredi 23 décembre avoir repris le contrôle total de la ville d’Alep après un vaste bain de sang. Face à tant d’horreur, il est facile de détourner les yeux. D’oublier le massacre qui se joue à des milliers de kilomètres de notre territoire. Et pourtant, certains refusent d’oublier et organisent dans toute la France des rassemblements pour soutenir les Syriens : devant la mairie de Paris le 10 décembre dernier à Limoges, à Fougère ( Bretagne) à Angers, La Rochelle, Dijon, Lyon, Lille, Marseille et Strasbourg. Parce que “vivre sans espoir, c’est cesser de vivre.” (Dostoïevski).
L-A