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Egypte : six ans après, la révolution confisquée (Libération)

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Des policiers antiémeute au Caire, le 18 février 2016. Photo Mohamed Abd El Ghany. Reuters

Le 25 janvier 2011, les Egyptiens entamaient leur soulèvement contre Hosni Moubarak, en place depuis trente ans. Aujourd’hui, la protestation semble bien loin : au nom de la sécurité, le président Al-Sissi ne cesse de restreindre les libertés.

Voilà des semaines que les Egyptiens se préparaient à cette journée de célébration sous haute tension. Il y a six ans jour pour jour débutaient les premières manifestations appelant au changement de régime. Le 25 janvier 2011 est donc la date retenue pour célébrer la révolution qui a renversé le président Hosni Moubarak. Mais l’Egypte du président Abdel Fatah al-Sissi, ex-chef de l’armée, a aussi choisi cette date pour instaurer «la fête de la police» - le jour est désormais férié. Pour le pouvoir en place, la nation doit ainsi témoigner de «sa reconnaissance pour les efforts des hommes de la police égyptienne dans le maintien de l’ordre et les sacrifices qu’ils ont consentis». Profitant de cette occasion, les forces armées égyptiennes ont, pour leur part, adressé leurs vœux au chef de l’Etat.

«Quel meilleur symbole de confiscation de nos libertés que celle de transformer la célébration du soulèvement contre la tyrannie en fête des forces de l’ordre !» commente amèrement Nadia. Ancienne étudiante en pharmacie, elle était parmi les dizaines de milliers d’Egyptiens qui ont passé plus de quinze jours autour de la place Tahrir l’hiver 2011. «Le régime actuel est devenu bien plus répressif que celui de Moubarak», note la trentenaire qui ne veut pas que l’on mentionne son vrai nom. Elle est loin d’être la seule. Par peur de la surveillance des services de sécurité et de la délation, les opposants, les intellectuels, voire les chercheurs étrangers, parlent seulement à condition de ne pas être cités. Dans les cafés bruyants du Caire, on doit parfois se chuchoter à l’oreille lorsqu’il s’agit d’évoquer la situation politique ou économique du pays.

Semi-liberté

Les restrictions sur les libertés et les droits de l’homme n’ont cessé de s’étendre en Egypte depuis l’arrivée au pouvoir, à l’été 2013, d’Al-Sissi. Visant dans les premiers temps les Frères musulmans - après la destitution de leur président, Mohamed Morsi, en juillet 2013 -, la répression s’est étendue à tous les opposants démocrates. Des dizaines de militants se sont retrouvés en prison pour des manifestations organisées sans l’approbation des autorités.

Ahmed Maher, un des fondateurs du Mouvement de la jeunesse du 6-avril et icône du soulèvement de 2011, a ainsi purgé trois ans de prison pour des heurts en marge d’une manifestation. Libéré début janvier, il reste soumis à un régime de semi-liberté sous contrôle judiciaire : il doit retourner en détention tous les jours entre 18 heures et 6 heures. Ahmed Maher a été soutenu, pour sa «défense de la justice», par Mohamed el-Baradei, qui a «exprimé l’espoir que la flamme de la liberté ne s’éteigne pas». L’ancien chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique, prix Nobel de la paix, venait d’annoncer dans une interview à une chaîne du satellite arabe son retour sur la scène politique égyptienne après plus de trois ans d’absence. El-Baradei a démissionné de son poste de vice-président de la République pendant l’été 2013 après la répression féroce du sit-in des Frères musulmans par l’armée. Il est aujourd’hui menacé de déchéance de la nationalité égyptienne, une demande urgente en ce sens ayant été présentée officiellement le 9 janvier par un député. Ce dernier accuse l’ancien grand diplomate d’œuvrer à «la destruction de l’Egypte», notamment dans ses commentaires sur Twitter.

«Cette demande reflète le mauvais chemin dans lequel on est engagé. Le fascisme monte», répond l’intéressé sur son compte. Cette passe d’armes n’oppose pas simplement un parlementaire zélé du parti au pouvoir et une figure nationale prometteuse de l’après-Moubarak. Elle est révélatrice d’un état d’esprit qui progresse dans la forteresse assiégée d’Al-Sissi. Au nom de la sécurité nationale et de la lutte contre le terrorisme, le pouvoir égyptien a adopté ces dernières semaines des lois resserrant l’étau, notamment sur les médias et les organisations de la société civile. Un «Conseil de surveillance des organes de presse» a été mis en place fin décembre pour enquêter sur le financement des médias et verbaliser ou révoquer ceux qui seraient considérés comme contrevenant aux exigences de «sécurité nationale». Les membres de ce conseil sont nommés par le Président lui-même.

«Chantage»

La loi sur les ONG, adoptée en novembre par le Parlement égyptien, a été dévastatrice pour les organisations de défense des droits de l’homme et des femmes. Elle oblige chaque association à demander le consentement du gouvernement pour mener ou publier tout travail de recherche ou recevoir des fonds de l’étranger. Les dizaines d’associations ou de centres de recherche subventionnés par des organisations américaines ou européennes sont étranglés, et leurs animateurs poursuivis.

«Le pouvoir exerce un chantage sur la population en prétendant garantir la sécurité et la stabilité, observe la jeune Nadia. Sinon ce serait le chaos, comme en Libye ou en Syrie.» Malgré la crise économique sévère, la population égyptienne semble en majorité convaincue par cet argument et résignée sur son sort. Pour le sixième anniversaire de la révolution, chacun est invité à s’exprimer sur le hashtag #Notre révolution a été capturée. Mais tout en affirmant que la «révolution de janvier» 2011 continue, les partis d’opposition et les mouvements de jeunes n’osent plus appeler à manifester : ils craignent autant la répression que la démobilisation de la population.

Claude Halini Envoyée spéciale au Caire
 
http://www.liberation.fr/
 
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