«Come you masters of war, … I can see through your masks… You lie and deceive, a world war can be won, you want me to believe, but I see through your eyes, and I see through your brain. … You’ve thrown the worst fear that can ever be hurled, fear to bring children in to the world.» (From Bob Dylan’s «Masters of War»)
«Venez, les seigneurs de la guerre… Je peux vous voir sous vos masques… Vous mentez et trompez en prétendant qu’une guerre mondiale peut être gagnée, vous voulez que je vous croie, mais je vois ce qu’il y a dans vos yeux et dans vos cerveaux… Vous avez créé la pire des craintes, celle de mettre au monde des enfants.»
Et voilà, ils sont de retour nos seigneurs de la guerre. Les va-t-en-guerre arrivent. Ils ne manquent pas une occasion de saisir un micro pour proférer des menaces concernant le déclenchement d’une nouvelle guerre. Et pourtant personne ne leur pose les questions évidentes: Pourquoi? Pour quoi? Le Nord est tranquille, comme le Sud aussi, relativement.
Mais deux ans et demi se sont écoulés depuis la dernière guerre contre Gaza, et l’ADN israélien exige une nouvelle série de carnages. Et leurs postes respectifs – ministre du Logement ou ministre de l’Education – sont ennuyeux pour des gens comme eux. Le fait d’encourager des gymnasiens à aborder des mathématiques avancées ou construire de nouveaux logements publics est mortellement ennuyeux. Ils ont besoin d’une nouvelle guerre, qui leur permettra peut-être d’atteindre les postes qu’ils convoitent.
La Bande de Gaza se meurt. Un rapport des Nations Unies a prédit qu’en 2020 Gaza ne serait plus capable d’assurer la vie humaine, il ne resterait donc à ses habitants que trois ans à vivre. Il y a longtemps que Gaza est devenue une cage impropre à la vie. Mais lorsqu’il n’y a pas de tirs de Gaza vers Israël, personne ne s’intéresse au sort des Gazaouis. Le Hamas arrête ses tirs, mais il a suffi que des rebelles tirent deux fusées depuis la Bande pour susciter 19 (!) attaques aériennes israéliennes et faire sortir tous nos va-t-en-guerre de leurs trous.
Lorsqu’il a parlé de Gaza, les yeux de Yoav Galant, ministre du Logement, se sont allumés et son visage a semblé reprendre de la couleur. «Je pense que nous devrions être prêts d’ici le printemps», calcule ce seigneur de la guerre, qui rêve de retourner à Gaza pour tuer encore, comme il l’a si bien fait lors de l’opération «Plomb durci» il y a huit ans. Pourquoi au printemps? Il ne faut pas poser la question. Il y a certainement une raison que vous ignorez. C’est peut-être parce que Charles Aznavour a chanté au sujet du retour au printemps.
La semaine dernière, Galant a saisi toutes les opportunités médiatiques – sauf sur la chaîne de musique classique Kol Hamusica – pour attiser les flammes et pousser vers une guerre. Il est vrai que personne ne prendrait la peine d’interviewer ce ministre du Logement barbant – que son collègue de parti Moshe Kahlon, ministre des Finances, déteste également – si ce n’est pour parler de Gaza. Comme il n’a pas brillé dans la construction, Galant, un ex-militaire, tente de revenir aux destructions. Le parti du Likoud l’attend.
Le ministère de la Défense est aussi convoité par Naftali Bennett, ministre de l’Education. Mais pour y parvenir il faut attiser les flammes. Puisque le rapport officiel sur l’échec à gérer les tunnels du Hamas à Gaza n’a pas suffi, Bennett rêve lui aussi d’une nouvelle guerre. «La prochaine séquence de guerre approche», a-t-il déclaré, et c’est une prédiction qui se réalise toujours en Israël. Il n’a pas caché à quel point il est pressé de retourner sur les champs de la mort de Shujaiyeh [massacre de civils en juillet 2014] et les briefings confidentiels avec des officiers de l’armée.
Et puis il y a évidemment l’actuel ministre de la Défense, Avigdor Lieberman, qui. même dans son rôle actuel de modéré, ne manquera pas non plus une occasion. «Nous n’arrêterons que lorsque l’autre côté crie “Oh Dieu, à l’aide!” (gevalt)», a déclaré avec arrogance le ministre. Il y a de nouveau eu les promesses creuses d’une victoire décisive qui ne se réalisera jamais, et pourtant tout le monde est d’accord d’accepter l’argument.
Une fois de plus tout le monde attend l’année prochaine, comme s’il s’agissait d’un destin transmis par le tout-puissant s’il ne l’est pas par Gaza. En fait, Gaza crie gevalt. Mais aucun des va-t-en-guerre n’écoute. Gaza constitue pour eux une possibilité d’avancer leurs carrières, de mobiliser les forces et pour conceptualiser une guerre contre l’ennemi qui n’est qu’un assaut contre une population impuissante, et «une armée de hooligans». Gaza leur permettrait de faire à nouveaux les grands titres, de connaître à nouveau la gloire, et de retourner au bon vieux temps des vestes de combat. Sinon il n’y aurait aucune raison de se lancer dans une nouvelle attaque contre Gaza.
La dégradation de la situation pourrait être rapide. Il suffirait à peine de quelques nouvelles déclarations de guerre, de quelques réponses «disproportionnées» de l’armée israélienne à chaque pétard ou cerf-volant lancé depuis Gaza, pour que nous nous y rendions. C’est Israël plutôt que Gaza qui avait également provoqué la guerre en 2008 et en 2014. L’armée peut se trouver à Gaza avant de pouvoir dire «cigares et champagne».
Et il n’y a personne pour crier «stop», personne pour dire que ceux qui ne veulent pas une guerre à Gaza devraient arrêter le blocus plutôt que de détruire la Bande pour la troisième, la quatrième, la cinquième fois. Mais pour le dire il faudrait du courage, une qualité qui fait défaut parmi nos seigneurs de la guerre qui, comme l’expriment les paroles de Dylan, ne seront jamais pardonnés. (Article publié dans Haaretz en date du 12 février 2017; traduction A l’Encontre)