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Syrie, six ans déjà : “En 2011, nous étions heureux, et pleins d'espoir” (Télérama)

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Réfugiée en Allemagne depuis 2015, la famille Kamil-Kassou s'est engagée corps et âme dans la résistance, avant de fuir quand la mort a fini par frapper trop près, trop souvent.
 
Elle est au cœur du documentaire “Watani - My Homeland”, et l'accompagne parfois lors d'une projection, comme ce lundi de mars à Paris, à l'occasion des six ans de la guerre en Syrie.

Pour la photo, ils se collent les uns aux autres. Les trois filles se sont fait belles. Sara, 9 ans, a une jolie robe et des collants roses ornés de cœurs. Helen, 14 ans, a maquillé ses yeux et lisse sa longue chevelure noire avec des mains ornées de faux ongles. « Helen voudrait être déjà une femme », sourit sa mère, Hala, elle aussi maquillée sous son élégant hijab gris. Farah, 10 ans, au look plus sportif, affiche un tee shirt à la mode « she’s a freak », et Mohamed, l’aîné, couve ses sœurs d’un regard protecteur, du haut de ses « presque 16 ans ».

Aujourd’hui, lundi 13 mars, la famille Kamil-Kassou est à Paris, à l’invitation d’Amnesty International, pour assister à la projection du film Watani – My homeland, à 20 heures au Majestic Bastille, à Paris. Ce documentaire sur la famille, tourné par Marcel Mettelsiefen entre 2013 à Alep et 2015 à Goslar (Allemagne), est projeté dans le cadre du sixième anniversaire de la révolution syrienne.

Il y a six ans, Hala et ses enfants vivaient encore dans leur ville, Alep. Quel souvenir gardent-ils de ce mois de mars 2011 ? « Nous suivions les informations à la télévision, les premières manifestations ont eu lieu à Deraa et à Homs. On s’organisait en secret pour commencer, nous aussi, à nous révolter », raconte Hala, engagée dès les premières semaines dans la rébellion avec son mari, Abu Ali. « Nous étions très heureux, se souvient-elle. Enfin, on pouvait parler, crier, demander la liberté, et espérer un meilleur avenir pour nos enfants. Nous étions pleins d’espoir. Jamais nous n’aurions imaginé une guerre si longue. Ni surtout, que Bachar n’hésiterait pas à bombarder son propre peuple. »

Helen et Mohamed, les deux aînés, avaient alors 10 et 11 ans. Leurs souvenirs de cette période sont aussi très heureux. Abu Ali, leur père, les emmenait souvent manifester – avec des enfants, il était moins menacé d’arrestation par la police du régime. « C’était beau, tous ces gens ensemble, se souvient Helen. Un jour, il a fallu partir en courant vraiment vite parce que la police arrivait. » A la maison, Sara, à trois ans, frappait les images de Bachar avec sa chaussure. Ses souvenirs sont flous, comme ceux de Farah, alors âgée de 7 ans. « Mais elles n'oublieront jamais, dit Hala. Nos enfants ont grandi très vite dans cette guerre. »

Mohamed se rappelle un jour à l’école, où sa maîtresse l’a désigné pour dessiner Bachar al Assad avec une légende affirmant « On t’aime ». Devant le refus catégorique du garçon de 10 ans, l’enseignante a appelé son oncle, qui est venu le gifler devant toute la classe – pour feindre la réprobation. « Si la maîtresse avait appelé la police, toute notre famille aurait été raflée », dit Hala. Helen insiste : « Tous ces moments étaient beaux, parce que nous étions avec mon père, unis, toujours ensemble. C’était mon ami, et j’étais sa confidente. »

Si tous ces souvenirs sont si précieux aujourd’hui, c’est qu'Abu Ali n’est plus avec sa famille. Après des mois de combats acharnés dans Alep dévastée, où il commandait une katiba (un bataillon de rebelles civils), il a été emmené un matin par des hommes de Daech. Depuis, trois ans ont passé, et aucune nouvelle sûre n’est jamais parvenue sur son sort. Dans le film de Marcel Mettelsiefen, on voit Hala recevoir des informations contradictoires, et même des photos de cadavres qu’elle tente d’identifier... Ses enfants eux-mêmes lui disent de ne pas croire ces rumeurs...

Hala, Mohamed, Helen, Farah et Sara se sont réfugiés à Goslar, en Allemagne. Depuis le printemps 2015, ils y construisent une nouvelle vie, sans pourtant cesser leur combat contre l’oubli de leur pays. Grâce au film de Marcel Mettelsiefen, qui a concouru aux Oscars, Hala a voyagé à Los Angeles, à New York au siège des Nations Unies, à Londres à l’invitation du Parlement, aujourd’hui à Paris. « Je veux raconter, parler, dire la vérité que j’ai vue et vécue. Mais c’est difficile car souvent, on ne veut pas m’entendre. Ainsi aux Nations-Unies, on m’a demandé dans mon discours de ne pas parler du régime, mais seulement des atrocités commises par Daech... », s’indigne-t-elle. « Je pensais que le monde ne savait pas, et qu’en sachant il ne pourrait rester silencieux. Mais en réalité, tout le monde sait ce qui se passe, mais personne ne fait rien. Our blood is very cheap », dit-elle en anglais, la voix vibrante. « Notre sang ne vaut pas grand-chose... »

A Goslar depuis deux ans, la famille est désormais bien installée. Les enfants parlent un très bon allemand ; Hala, elle, révise ses prochains examens mais trouve la langue « difficile ». Les filles ont des amis allemands, Mohamed, lui, s’est surtout lié avec des Turcs ou des Syriens. De nombreux réfugiés sont arrivés après eux, et « aujourd’hui on entend parler autant arabe qu’allemand à Goslar », s’amuse le jeune homme. Pourtant, « le bruit des bombes nous manque à tous », affirme-t-il. « C’est le son de la vie quand leur père était avec nous », souffle Hala.
En décembre, le terrible siège d’Alep les a replongés dans l’enfer. « Je n’ai pas dormi pendant des nuits entières puis, quand la ville est tombée, je suis restée enfermée à la maison deux semaines entières. Je ne pouvais pas m’arrêter de pleurer. Tout espoir m’avait quittée. J’ai tout perdu : mon mari, ma maison, ma patrie », dit Hala.

Mohamed, lui tremble de colère en évoquant les fidèles au régime qui « dansaient dans les rues d’Alep-Ouest et faisaient la fête pendant qu’à l’est, les gens mourraient sous les bombes. Mon pays n’existe plus, il s’est vendu aux Russes. La Syrie n’est plus la Syrie. » Plus tard, il se voit vivre en Allemagne, ou peut-être en Turquie. Helen, elle, rêve de Californie… mais « après Trump », lui conseille sa mère en riant. Farah se sent désormais chez elle en Allemagne, mais Sara, elle, imagine s'installer plus tard à Istanbul… Les trois plus âgés veulent devenir journalistes, pour « aider ceux qui souffrent », « témoigner de ce qui se passe dans le monde », « voyager ». Sara, elle, espère surtout avoir des enfants et s'occuper d'eux « aussi bien que ma mère ».

Aujourd’hui, même s’ils sont excités de découvrir Paris (et rêvent par-dessus tout d’aller à Disneyland), accompagner le film de Marcel Mettelsiefen est douloureux. Ils ne veulent pas voir sa première partie, tournée en 2013 alors que la famille vivait presque seule dans un quartier déserté, à quelques centaines de mètres de la ligne de front. Abu Ali, bel homme portant fièrement son treilli, ses armes, et ses rêves de démocratie, y est trop présent. « C’est trop difficile de voir ces images », disent-ils en chœur.

Abu Ali Kassou et Hala Kamil ont toujours vécu « les yeux ouverts ». Mariés jeunes, ils vivaient bien à Alep. Elle était ingénieure en mécanique, lui travaillait pour l’administration de la ville. Ils avaient une belle maison, des enfants joyeux, des amis, une famille. Ils s'aimaient. Aujourd’hui, Hala sait que son mari est probablement mort. La belle-mère d’Hala a perdu trois de ses quatre fils – Abu Ali, et deux de ses frères tués dans des bombardements. La vieille dame espère pouvoir passer bientôt en Turquie. « La guerre nous a tout pris, témoigne Hala. Il me reste une mission : expliquer ce que signifie n'avoir qu'un seul choix, partir ou mourir. Dire, encore et encore, que personne n’a envie d’être réfugié, mais que chacun doit agir pour ses enfants. Vos enfants à vous ont droit à l’air frais des parcs, au jeu, à une éducation, à un avenir. Les nôtres respirent la fumée des armes chimiques, et meurent sous les bombes… Que pouvons-nous faire, sinon chercher à fuir ? Quand tu pars de chez toi, tu perds tout. Tu deviens une machine. Tu dois seulement survivre. Et donner un futur à tes enfants. Quand nous avons accepté ce film, ce n’était pas pour montrer notre vie. Mais pour envoyer un message, montrer combien nous avions besoin d’aide. Aujourd’hui, je continue, parce que je dois agir, témoigner. Et si personne ne m’entend, moi j’aurai fait ma part. »

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http://www.telerama.fr/

 

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