Jeune fille transportée le 15 mars aux ambulances à l’aéroport de Mossoul. D’après ceux qui l’ont amenée, elle a perdu 19 membres de sa famille dans une frappe qui a fait 26 morts, mardi, dans le quartier de Mahatta. © Jérémy André
Après cinq mois de combats, les forces irakiennes appuyées par l’aviation américaine se fraient un chemin coûte que coûte dans l’ouest de Mossoul, vers sa vieille ville étroite et surpeuplée, encore tenue par les djihadistes de l’État islamique.
Mardi 14 mars, une frappe aérienne a tué 26 civils. Ils s’ajoutent à des centaines de victimes « collatérales » déjà documentées, alors que près de 100 000 personnes ont fui la zone. Reportage à Mossoul de notre envoyé spécial.
Mossoul (Irak), de notre envoyé spécial.- Avancer à tout prix. C’est le nouveau mot d’ordre des forces irakiennes à Mossoul-Ouest. Dans le quartier de Mahatta, près de la gare, 26 civils l’ont payé de leur vie, tués par une frappe aérienne mardi 14 mars, vers 4 heures de l’après-midi. « Amad, Mahmoud, Youssef, Marwan, Abdullah Fatah, sa femme, sa mère… », listent les cinq témoins directs interrogés par Mediapart, réfugiés dans des maisons au sud de la ville.
Ce sont des hommes de la seconde division des forces spéciales irakiennes qui ont demandé cette frappe qui a tué 26 civils dans une maison de Mahatta. Miraculé, Khalef Khudair, 50 ans, étale sur le sol d’une maison où il s’est réfugié les cartes d’identité des 18 membres de sa famille tués par l’attaque. « C’était mardi 14 mars, entre 4 heures et 4 h 15, explique-t-il. Un homme de Daech s’était posté sur notre toit. J’étais dans une pièce avec deux autres personnes. Deux énormes missiles sont tombés sur la maison. La pièce voisine, où étaient tous les autres, a été complètement détruite. » Après, le trou noir, jusqu’à ce qu’on le sorte des décombres.
Un voisin, Ahmed Abu Ahmed, 41 ans, a tout vu : « Le combattant de Daech avait installé une mitrailleuse lourde PKC sur l’un des toits. Les forces spéciales irakiennes ont d’abord essayé de venir vers lui, mais il est parvenu à les repousser. Puis deux missiles sont tombés, l’un juste après l’autre. » Ancien policier, Ahmed Abu Ahmed en est persuadé : c’est un avion F16, un bombardier de construction américaine, qui a effectué la frappe. Il s’est précipité pour fouiller les décombres, jusqu’à la nuit tombée. Premier décompte, dix-neuf corps.
Mais le lendemain, des voisins entendent une voix faible qui provient de dessous les ruines : « Maman ! Papa ! » Ahmed Abu Ahmed fouille de nouveau, y trouve une petite fille, les jambes cassées, blessée au crâne, qu’il porte jusqu’à une ambulance. Les fouilles se poursuivent et identifient sept corps de plus, établissant le bilan à vingt-six morts. Les proches des victimes ne réclament qu’une chose : être autorisés à aller enterrer les cadavres, qu’ils ont dû laisser sur place, quand les forces irakiennes les ont évacués de la zone.
Ce n’est pas l’heure d’enterrer ses morts pour les militaires. « Mes hommes ne sont plus qu’à 600 mètres de la mosquée Al-Nouri, celle d’où Abou Bakr al-Baghdadi s’était proclamé calife ! » Le visage soucieux, le colonel Omar Ali martèle cette distance comme un mantra. Dans des rues en principe sécurisées depuis une semaine, l’officier irakien se tient tout de même à couvert sous l’auvent d’une échoppe de Dawwasah, face au parc de la municipalité. Les yeux sévères furètent à droite, à gauche, puis il court jusqu’à son blindé, qui l’emmène rejoindre ses hommes en marche vers le Vieux-Pont.
Quelques minutes plus tôt, les hommes, des palmiers et des immeubles ont tremblé. De l’autre côté du parc, entre la vieille ville et le fleuve, un bulldozer piégé s’est faufilé, slalomant entre deux lignes d’unités de la Division de réaction rapide (Emergency Response Division, ERD en anglais), les sections d’assaut du ministère de l’intérieur irakien, fer de lance de la reconquête de Mossoul-Ouest. Un tir de lance-roquettes l’a désintégré avant qu’il n’atteigne la troisième et dernière ligne de défense. L’explosion a tout de même fait plus d’une dizaine de blessés graves parmi les soldats irakiens.
Il est loin le temps où les sections d’assaut de l’ERD s’emparaient en une demi-journée de l’aéroport, pénétraient le premier quartier d’habitation le surlendemain, remontaient sans encombre vers le quatrième pont de la ville, le tout en à peine dix jours. Les forces de l’ERD voulaient en remontrer aux forces spéciales, la fameuse « Division d’or » qui menait l’offensive à Mossoul-Est. Mais aujourd’hui, à la mi-mars, et comme depuis deux semaines, elles peinent à grignoter un archipel de grands bâtiments aux abords sud de la vieille ville.
Même les offensives nocturnes n’ont pas permis de maintenir le rythme. Les forces irakiennes ont avancé ainsi dans le quartier administratif la nuit du 6 au 7 mars. L’État islamique les a laissées venir et, le lendemain, une contre-attaque massive les forçait à se replier. Il a fallu remettre cela dans la nuit du 9 au 10. Cette fois, les défenses de Daech ont immédiatement riposté. Depuis, l’ERD doit chaque jour combattre dans ces zones en principe déjà conquises.
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PAR JÉRÉMY ANDRÉ