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Mélenchon: la Guerre d'Algérie, une guerre civile ? (Médiapart)

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Quand, en visite en Algérie en février 2013, dans le cadre d'une conférence donnée à l'Institut français d'Alger, Jean-Luc Mélenchon évoqua la "guerre civile", j'ai aussitôt pensé à une référence à la "décennie noire".

Mais non, Mélenchon évoquait la Guerre d'Algérie. C'est pour le moins surprenant et irresponsable de la part d'un responsable politique, surtout quand il s'agit de faire référence à une période chaude de l'histoire, celle du colonialisme. Cette prise de position, qui s'oppose au consensus qui a été obtenu de haute lutte pour qualifier cette guerre de libération nationale de "Guerre d'Algérie", demande quelques développements. D'autant qu'elle fut passée sous silence en France, dans une complicité médiatique à peu près complète. Mélenchon n'a pas tant d'ennemis, dans les médias, qu'il veut bien le dire.

Jean-Luc Mélenchon est dans le même registre que les socialistes de la SFIO qui avaient mené la répression

Sur-le-champ, la presse algérienne francophone réagit vivement à ses déclarations. Si le journal ''Liberté-Alger'' se contente d'évoquer "des propos à l'emporte-pièce" (''Jean-Luc Mélenchon : “La repentance ? Une belle perte de temps”'', in ''Liberté'', 14 février 2013), l'intellectuel progressiste algérien Chems Eddine Chitour souligne dans le quotidien ''L'Expression'' les "ambiguïtés" d'un discours sur la Guerre d'Algérie qui rappelle celui de la SFIO :

Quand M. Mélenchon joue sur les mots en parlant de « guerre civile », il ne fait pas avancer le débat. Pour rappel, une guerre civile est la situation qui existe lorsqu'au sein d'un État, une lutte armée oppose les forces armées régulières à des groupes armés identifiables, ou des groupes armés entre eux, dans des combats dont l'importance et l'extension dépassent la simple révolte ou l'insurrection. Du point de vue du droit de la guerre, on utilise l'expression « conflit armé non international », le mot « guerre » étant réservé au conflit armé international. (...) Jusqu'au début du XXe s., la guerre civile est considérée comme une affaire strictement intérieure qui ressort du domaine réservé de l'État concerné, qui a de fait et de droit toute latitude pour traiter comme bon lui semble les factieux, en considérant par exemple les rebelles en armes comme de simples criminels. (...)

« civile » signifie que la lutte a lieu à l'intérieur d'un territoire national. La violence est le critère suprême: les combattants essaient de s'emparer du pouvoir national ou de le conserver. La vengeance, la revendication de droits, les crimes de masse et les gains économiques ne sont pas, pris isolément ou ensemble, des motifs suffisants. Seuls cinq cas précis peuvent être cités : les conflits anglais (1642-1649), américain (1861-1865), russe (1918-1921), espagnol (1936-1939) et libanais (1975-1990).

Un apartheid avec une classe supérieure et des indigènes.

On le voit, la Révolution algérienne n'est pas cataloguée sous le vocable de guerre civile. De plus, le concept de guerre civile s'adresse à une population homogène. Tel n'était pas le cas, puisque c'était en fait, un apartheid avec une classe supérieure et des indigènes. Nulle part nous n'avons entendu parler de guerre civile s'agissant de la Révolution de Novembre. Jean-Luc Mélenchon est dans le même registre que les socialistes de la gauche (Section française de l'Internationale ouvrière - SFIO) qui avaient mené la répression et désignant ce qui se passait en Algérie d'évènements d'Algérie. Il a fallu près d'un demi-siècle pour que la France reconnaisse qu'il y avait une guerre d'Algérie.

(Chems Eddine CHITOUR, ''Jean-Luc Mélenchon. Certitude et ambiguïté du discours'', ''L'Expression'', samedi 16 février 2013) 

Voir aussi : Yacine Ouchikh, "Algérie. Mélenchon qualifie la repentance de belle plaisanterie", ''Courrier de l'Atlas'', 13 février 2013)

Mélenchon compare la guerre d'indépendance algérienne à une lutte entre deux puissances égales

En France, seul le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) semble avoir réagi à chaud. Il souligne que Jean-Luc Mélenchon est venu en Algérie en tant que responsable politique qui assume le passé de l’État français. Il lui reproche cependant de comparer la guerre d'indépendance algérienne à une lutte entre deux puissances égales, comme si la lutte entre les deux puissances impérialistes rivales était comparable à 132 ans de colonisation, de spoliations légalisées, de soumission d'un peuple réduit au statut « d'indigène musulman ». Mais cela n'entre pas dans le raisonnement du défenseur de la laïcité républicaine, qui d'ailleurs a fini par parler de « guerre civile » à propos de la guerre d'indépendance.

(Algérie : Mélenchon en Homme d'Etat, in ''Hebdo tout est à nous'', n° 184, 28 février 2013.

La revendication de certains groupes pieds-noirs

Qu'est-ce qui motive le positionnement idéologique de Mélenchon ? Nous avons vu qu'il rappelle la position officielle de la SFIO. Mélenchon semble en tout cas rejoindre les revendications de groupes Pieds-Noirs, milieu dont il est lui-même issu. Ceux-ci revendiquent l'appellation de "guerre civile" au motif que les Algériens, avant l'indépendance, étaient tous des citoyens français, y compris les Musulmans. Et d'autre part, de manière assez inique, parce qu'il n'existait pas de nationalité algérienne avant l'indépendance.

L'Etat français a donné le qualificatif de "guerre" à l'ensemble des actes criminels, et à leur répression par des autorités politiques françaises, qui se sont déroulés dans les départements français d'Algérie du 31 octobre 1954 au 2 juillet 1962 (La loi N°74.1044 du 9 décembre 1974). Les débats à l'Assemblée nationale, au Sénat et dans les médias n'ont pas qualifié correctement cet ensemble de faits violents baptisés du seul mot "guerre". L'analyse des faits historiques démontre qu'il s'agit en réalité d'une suite de guerres civiles franco-françaises. Dans le contexte algérien, le terme de "guerre" doit être effectivement accompagné de "civile" car tous les intervenants avaient de facto jusqu'au 3 juillet 1962 la nationalité française, la nationalité algérienne n'ayant jamais existé auparavant. L'Algérie est une création purement française, l'ensemble de territoires correspondant à cette dénomination n'ayant jamais porté ce nom auparavant. L'Algérie indépendante est aussi une création française, la décision d'abandon de nos départements algériens ayant été prise par le Chef de l'Etat d'alors, le général de Gaulle.

(http://jeunepiednoir.pagesperso-orange.fr/jpn.wst/GuerreAlg%E9rie.htm)

Cette dénomination repose donc sur une farce "juridique" présupposant que, comme la Palestine avant 1948 selon le point de vue israélien, l'Algérie n'existait pas avant la colonisation.

Nationalité française face à statut civil de droit local

En réalité, les Musulmans ne disposèrent que tardivement (après la Libération) d'un "statut civil de droit local" qui leur permettait d'accéder à certains droits selon un principe dérogatoire. Une citoyenneté qui s'est progressivement élargie au fur et à mesure que la France perdait le contrôle du territoire.

C'est d'ailleurs sur la base d'une telle fable que certains descendants de Musulmans d'Algérie ont tenté d'obtenir la nationalité française, arguant de la "nationalité française" de leur parent (rappelée effec- tivement en toutes lettres dans les papiers officiels). Or, même en brandissant des certificats militaires (de nombreux Musulmans d'Algérie ayant été enrôlés dans les guerres européennes), ils se sont heur- tés à un refus ; sauf dans les cas, assez rares, d'acquisition de la nationalité française par décret. Il est évident qu'un statut civil de droit local n'offre pas une citoyenneté pleine et entière.

Il est facile de montrer que l'Algérie était en situation d'apartheid et qu'il existait une séparation de fait entre les Algériens d'origine européenne, les Musulmans et les Juifs. Suggérer qu'il existait un ensem- ble commun réunissant des citoyens français égaux entre eux au sein des fameux départements algériens, qui se seraient opposés dans une "guerre civile", est donc une imposture.

Quand la SFIO vante le colonialisme

Les Français furent d'ailleurs de bien mauvais colonisateurs au Maghreb, en dépit des envolées lyriques universalistes sur la mission civilisatrice de la colonisation  (qui ne sont pas sans évoquer un certain discours européiste admettant la supériorité de l'Allemagne, par exemple en matière de gestion budgétaire) : 

« Nous admettons qu'il peut y avoir non seulement un droit, mais un devoir de ce qu'on appelle les races supérieures, revendiquant quelquefois pour elles un privilège quelque peu indu, d’attirer à elles les races qui ne sont pas parvenues au même degré de culture et de civilisation » (Léon Blum, Débat sur le budget des colonies à la Chambre des députés, 9 juillet 1925, J.O., Débats parlementaires, Assemblée, Session Ordinaire (30 juin-12 juillet 1925), p. 848).

En guise de mission civilisatrice, dans les faits, la France ne scolarisa les enfants musulmans qu'en infime quantité, les Pieds Noirs s'étant fermement opposés à l'ouverture d'écoles pour les "Arabes". Et ce n'est pas l'assouplissement de la position des colons, contraints par les circonstances dans les dernières années, qui change quelque chose à cette réalité de longue durée.

60 élus pour 900 000 électeurs européens / 60 élus pour 9 millions de Musulmans

La France avait de même mis entre parenthèses le principe de laïcité, organisant par exemple des élections où les communautés était représentées séparément, selon un principe fortement inégalitaire : le premier collège (constitué de 900 000 électeurs européens) élisait 60 représentants à l’Assemblée algérienne, le second collège (constitué de 9 millions de Musulmans) élisait de même 60 représentants à cette assemblée.

Comme le suggère M. Chitour, évoquer une "guerre civile" à défaut des "événements" d'Algérie au lieu de conserver l'acquis reconnaissant encore trop tardivement une "guerre" d'Algérie est le signe d'une régression, qui dénote l'incapacité de Mélenchon à prendre de la distance vis-à-vis d'un passé familial pro-"Algérie française". Mélenchon a parfois bien du mal à rester en cohérence avec une famille politique, normalement anticolonialiste, qui a rompu avec la SFIO depuis des décennies et dont il semble se réclamer sur le tard.

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