1. Depuis cet été, la situation en Syrie et en Irak a radicalement changé.
L’organisation de l’État Islamique en Irak et au Levant (EIIL, ou Daesh, en arabe), issu d’Al-Qaïda et de groupes armés sunnites réactionnaires en Syrie s’est renforcée à travers la jonction avec des courants sunnites irakiens armés, des tribus sunnites marginalisées par le pouvoir pro-chiite (sous parapluie étatsunien) de Bagdad et des ex officiers de l’ancien régime baathiste de Saddam Hussein. Dans le contexte de guerre civile syrienne opposant différentes factions bourgeoises au régime de Damas ( ambigu! note du blog! )
et dans le cadre de la guerre civile larvée permanente, sur base communautaire et religieuse, en Irak, Daesh a opéré une percée fulgurante dans le Nord de la Syrie et de l’Irak. Cette offensive est tout autant le symptôme de la déréliction complète du régime fantoche irakien actuel, mis en place par Washington en 2006, que d’un spectaculaire renversement d’alliances au sein de la guerre civile syrienne. Anciennement alliés objectifs des impérialistes contre le régime de Al-Assad, protégé et armé par les monarchies pétrolières du Golfe et par la Turquie, Daesh, à l’image d’Al-Qaïda à la fin des années 1990, entend aujourd’hui défendre sa propre politique, indépendamment de ses anciens tuteurs, à travers la constitution d’un État religieux.
2. Rivalisant en barbarie avec les milices chiites armées par Bagdad en se lançant dans une guerre de nettoyage ethnico-religieux contre les minorités du Nord-est de l’Irak, Daesh a profité de la faiblesse des institutions et de l’armée irakienne pour s’emparer de plusieurs gouvernorats dans le pays. En Syrie, de façon à faire la jonction avec la frontière turque où passent les marchandises et les armes en direction du territoire syrien et irakien et où transitent les hydrocarbures issus des champs pétrolifères qu’il contrôle, Daesh s’est lancé à la conquête du bandeau de terre kurdo-syrien qui est contrôlé, dans les faits, depuis 2012, par le Parti de l’Union Démocratique kurde (PYD), depuis que les forces de Damas se sont désengagées de la zone pour se concentrer militairement sur d’autres fronts où les loyalistes sont opposés à l’Armée Syrienne Libre et à d’autres forces islamistes. Une partie du territoire kurde en Syrie est tombé aux mains des djihadistes et depuis plusieurs semaines Kobanê, l’une des principales villes du Kurdistan syrien autonome (Rojavayê), est sous le feu de l’offensive de Daesh. Malgré la résistance héroïque des Unités de Protection Populaire (YPG), les djihadistes ont envahi depuis 48 heures plusieurs quartiers de la ville qui menace de tomber et de laquelle ont fui près de 300.000 Kurdes.
3. Début août, affolé par la perspective d’une éventuelle chute de Bagdad aux mains des djihadistes ainsi que d’une conquête du Kurdistan irakien, sorte d’État autonome sous tutelle impérialiste et de ses majors du pétrole, Washington s’est lancé dans une nouvelle intervention en Irak, embarquant à ses côtés ses alliés impérialistes, plusieurs pétro-monarchies régionales et, dernièrement, la Turquie d’Erdogan. Les exactions barbares de Daesh ont servi pour couvrir auprès de l’opinion publique internationale les exactions plus policées que sont les frappes aériennes.
En Irak, les avancées des djihadistes ont été stoppées et dans le Kurdistan irakien des armes ont été livrées aux forces kurdes sous contrôle du Parti Démocratique du Kurdistan (PDK) de l’ex-président irakien Massoud Barzani et homme lige des États-Unis et des multinationales du pétrole dans la région.
En Syrie, en revanche, c’est une toute autre musique qui est jouée. Rojavayê, le Kurdistan syrien, à la différence du Kurdistan irakien, n’a pas monnayé son autonomie auprès de l’Occident. Le PYD, lié au PKK, a longtemps entretenu des rapports ambigus vis-à-vis du régime des Al-Assad qui a protégé Öcalan jusqu’en 1998. Néanmoins, à la faveur du Printemps arabe, le PYD a conquis l’autonomie de facto de la région kurdo-syrienne en s’insérant dans la dynamique ouverte par la rébellion populaire qui a caractérisé dans un premier temps le soulèvement anti-Assad et en tirant profit, dans un second temps, du retrait des troupes loyalistes, incapables de maintenir un front militaire ouvert au Nord contre les Kurdes, Damas sachant par ailleurs qu’un Kurdistan syrien autonome serait une épine dans le pied vis-à-vis d’Ankara, l’un des principaux soutiens des rebelles syriens, qu’ils soient « modérés » ou islamistes.
4. Dans un tel cadre, les impérialistes, si prompts à détruire les positions de Daesh en Irak ont soigneusement évité de bombarder les avant-postes combattants de Daesh au Kurdistan syrien. Il suffit de penser que si elles étaient stationnées à 60 km de Kobanê il y a deux semaines, les forces islamistes sont aujourd’hui entrées dans certains quartiers de la ville. D’autre part, aucun armement n’a été livré aux YPG, équipées d’armes légères largement insuffisantes face à l’armement lourd dont dispose Daesh, à la fois pris aux forces irakiennes et syriennes, mais également livrées par la Turquie avec le blanc-seing ou du moins la passivité des États-Unis.
Ce que craignent aujourd’hui les impérialistes, ce n’est pas qu’une intervention résolue de leur part en Syrie favorise Al-Assad, puisqu’ils interviennent déjà dans d’autres zones du pays. Ce que refusent les impérialistes, c’est qu’une force de résistance populaire comme le PYD et ses YPG, qui leur échappe et qu’ils ne contrôlent pas complètement, à la différence des troupes du PDK kurdo-irakien, puissent résister victorieusement face à Daesh, défendant ce faisant le droit des Kurdes à l’autodétermination et à disposer de leur propre État, ce qui leur est nié depuis le démantèlement de l’Empire ottoman et le Traité de Sèvres en 1921, et relançant de cette façon la cause nationale kurde contre Ankara, au Nord, et Bagdad, à l’Est deux régimes alliés des impérialistes, relançant de cette façon une dynamique progressiste dans une situation marquée par le tête-à-tête réactionnaire entre les impérialistes et Daesh.
5. La résistance au Kurdistan syrien a, de ce point de vue, une toute autre portée que la contre-offensive qui a été menée par les peshmergas kurdo-iraquiens dans l’Irak voisin, et pas uniquement parce qu’elle suscite une intense vague de solidarité de l’ensemble de la population kurde de la région, à la fois en Turquie, en Irak et en Iran, mais également en Europe. En ce sens, avec le cynisme qui leur est habituel, les impérialistes préfèrent que Kobanê tombe plutôt qu’elle ne résiste, pour mieux, dans un second temps, soit par l’envoi de troupes turques au sol, soit par la constitution d’une zone d’exclusion aérienne comme le demande Hollande, constituer une zone tampon au Nord de la Syrie. Cela permettrait d’une part de maintenir la pression contre le régime de Al-Assad qu’Obama a renoncé à bombarder à l’été 2013, et permettre à Ankara, d’autre part, de poursuivre sa mise au pas du mouvement national kurde dans une stratégie qui combine répression interne en Turquie comme l’ont encore montré les morts de manifestants sous les balles de la police et l’instauration du couvre-feu à Diyarbakir et dans le Kurdistan turc, appui aux forces islamistes anti-kurdes en Syrie, et enfin négociations avec le PKK en sous-main, le parti d’Öcalan ayant décrété un cessez-le-feu unilatéral depuis mars 2013.
La possibilité d’une zone-tampon ou d’une zone d’exclusion aérienne reste suspendue à un accord au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU qui semble aujourd’hui hors-de-portée pour les États-Unis. En attendant, cependant, si les impérialistes peuvent se débarrasser, par Daesh interposé, de la résistance kurde syrienne, ce sera autant de gagné dans un cadre militaire stratégique qui, a priori, s’annonce long et complexe pour les impérialistes qui sont embarqués dans une guerre en Irak et en Syrie qui pourrait durer des mois, voire des années.
6. Les impérialistes sont les principaux responsables, après deux guerres du Golfe et un siècle de colonialisme et d’impérialisme, de la situation de la région. Ce sont eux qui, historiquement, ont attisé les divisions ethnico-religieuses et qui les ont ultérieurement renforcées après 2003. Ce n’est donc pas une nouvelle intervention qui va venir au secours de populations qui vivent dans une situation encore plus catastrophique aujourd’hui qu’à l’époque de l’embargo sur le pétrole irakien, entre la première guerre du golfe et la seconde.
Face à eux, Daesh n’est qu’une réédition monstrueuse d’Al-Qaïda. Ben Laden, lui aussi ancien allié des États-Unis lors de la guerre contre les soviétiques en Afghanistan, avait cru qu’il était possible de se retourner contre ses anciens maîtres. Daesh n’est pas une force de résistance car au lieu d’unifier les forces nationales contre l’occupant impérialiste et ses marionnettes corrompues, il fragmente davantage les populations, faisant le jeu de l’impérialisme.
Dans ce tête-à-tête réactionnaire dont les peuples sont les victimes, la seule tendance progressiste qui émerge et qui soit en capacité de renverser cette opposition asymétrique entre l’impérialisme, leurs alliés locaux et l’État irakien d’un côté, et Daesh de l’autre, pourrait venir d’une victoire de la résistance kurdo-syrienne. Une telle victoire ne viendra ni d’un soutien impérialiste, qui n’a manifestement aucune intention de bombarder les positions combattantes de Daesh au Kurdistan syrien, et encore moins d’une intervention terrestre d’Ankara, qui souhaite rayer de la carte toute idée de Rojavayê autonome.
Cette victoire ne pourrait venir que d’une unification de la résistance kurde et des forces populaires contre l’ensemble des puissances réactionnaires de la région, alliées ou non de l’impérialisme, contre le gouvernement turc notamment, qui empêche l’arrivée de combattants kurdes pour soutenir Kobanê, mais également contre le gouvernement irakien actuel qui est soutenu par le PDK. Une telle victoire serait non seulement un pas réel pour le droit à l’autodétermination de tous les peuples de la région, contre les occupations impérialistes et les régimes qui leur sont alliés, mais également une bouffée d’oxygène pour relancer les printemps arabes en plein reflux depuis l’intervention impérialiste en Libye, la contre-révolution des militaires et Égypte et la tournure guerre-civiliste qu’a pris la révolte anti-Assad en Syrie. Cela signifierait lutter authentiquement pour l’unité arabe contre l’impérialisme dans le respect des minorités, la seule alternative au panarabisme sunnite réactionnaire qu’est le califat de Daesh, et pour la véritable justice sociale pour laquelle sont descendues dans la rue les masses égyptiennes, tunisiennes et arabes, bien différente du discours sur une répartition plus juste des richesses dont parle Daesh pour critiquer les régimes arabes corrompus et vendus à l’impérialisme. De ce point de vue, l’extrême gauche devrait se situer résolument sur le terrain du soutien militaire du PYD et des YPG, et ce par-delà la politique suivie par les directions du PYD et de son parti-frère et tuteur du Kurdistan-Nord, le PKK, habituées à subordonner la cause nationale kurde à des accords et des négociations avec telle ou telle puissance régionale et malgré les transformations politiques du PKK qui a abandonné la perspective d’un Kurdistan indépendant et socialiste au profit du « confédéralisme démocratique », orientation officialisée par Öcalan en mars 2005 et qui ne remettrait pas même en cause les frontières et les structures héritées du démantèlement de l’Empire ottoman par les puissances impérialistes européenne, France et Grande-Bretagne en tête.
A l’inverse, une victoire des djihadistes contribuerait à jouer contre cette dynamique, sachant que la coalition essaiera de reprendre la main une fois que le sale boulot aura été réalisé par Daesh contre la résistance kurdo-syrienne. Plus encore, une installation dans la durée de l’intervention impérialiste, une victoire à court terme étant improbable, cadenasserait davantage encore la situation, enterrant peut-être définitivement ce qui reste de la dynamique des Printemps arabes, compromettant toute possibilité de retournement progressiste de la situation actuelle à travers un retour sur le devant de la scène des masses de la région qui sont celles qui ont un temps tracé les contours, après janvier 2011 et les soulèvements tunisien et égyptien puis la révolte contre Erdogan au printemps 2013, un horizon d’espoir. Une consolidation des positions impérialistes, enfin, pousserait à terme des pans entiers des populations locales dans les bras des forces sunnites réactionnaires qui seraient vues comme une résistance alors qu’elles ne le sont en rien.
Pour la défense de Kobanê et de tout le Kurdistan-Ouest, vive la résistance des combattant-e-s kurdes de Rojavayê contre Daesh !
A bas l’intervention des impérialistes en Irak et en Syrie !
Non à l’intervention de l’armée turque au Kurdistan-Ouest !
A bas la répression qui s’abat sur les Kurdes d’Europe qui manifestent en solidarité avec leurs frères et sœurs en lutte !
Pour le retrait de toutes les organisations populaires kurdes de la liste des organisations « terroristes » par le gouvernement français, à commencer par le PKK !
Pour la libération des prisonnier-e-s politiques turc-que-s et kurdes incarcéré-e-s en France !
Liberté pour Abdullah Öcalan, détenu dans une prison de haute sécurité turque depuis 1999 !
Soutien aux manifestations de solidarité avec la résistance kurde de Kobanê organisées en France le 11 octobre !
09/10/14 Courant Communiste Révolutionnaire du NPA
Manifestations organisées dans toute la France
Le vendredi 10 octobre
Bayonne, Place de la mairie, 18h / Baionako udaletxeko plazan
Le samedi 11 octobre, notamment à
Mulhouse, Maison des Kurdes, 3, rue Watwiller, 13h
Paris, Place de la République, 15h
Toulouse, Place du Capitole, 15h
http://www.ccr4.org/Pour-la-defense-de-Kobane-et-de-tout-le-Kurdistan-Ouest