Mehmûd Berxwedan est un officier des Unités de protection populaire (YPG), proches du PKK, qui défendent Kobanê face à Daech.
Dans le cadre d’une interview donnée à un journal sympathisant, il lui est certes impossible de paraître pessimiste, et il faut donc rester prudent quant à certaines de ses déclarations triomphalistes. Néanmoins, un certain nombre de ses analyses sont intéressantes, et renforcent l’idée que tout n’est pas perdu à Kobanê.
Ses déclarations reflètent également le nécessaire pragmatisme du combattant dos au mur, prêt à accepter toute aide d’où qu’elle vienne, y compris des puissances impérialistes arabo-occidentales.
L’essentiel de ses déclarations, en six points.
Pourquoi tant de haine ?
Daech a déjà essayé de s’emparer de Kobanê en juillet 2014. La bataille a duré un mois, et s’est soldée par la défaite des djihadistes. Pour Mehmûd Berxwedan, avec cette deuxième tentative, Daech poursuit des objectifs autres que purement géostratégiques. Certes, la ville est enclavée, ce qui facilitait son attaque, mais ce n’est pas seulement pour cela qu’elle a été ciblée : « La révolution du 19 juillet [2012] dans la Rojava a débuté à Kobanê, qui est devenue un symbole de résistance et de liberté. […] Pour cette raison, Kobanê entrave les plans de certaines puissances régionales et internationales, qui redoutent que les Kurdes expriment leur propre volonté. » Une allusion limpide à la Turquie. « Ils pensaient qu’ils pourraient briser la volonté de Kobanê et s’en emparer assez vite. Mais ils n’ont pas atteint leur but. Finalement, ils ont pris conscience que malgré la concentration de leurs forces ici, ils n’y parviendraient pas. […] Nous estimons que Daech a amassé ici près de 70 % de ses combattants. »
- « Nous avions décidé de livrer la véritable bataille dans la ville. Nous voulions que le tournant se joue là. »
La tactique des YPG-YPJ. Mehmûd Berxwedan explique que cette 2e bataille de Kobanê a en fait connu plusieurs phases successives. Dans un premier temps, Daech s’est emparée de dizaines de villages autour de la ville, en attaquant « sur 4 ou 5 fronts simultanément », selon une technique habituelle chez eux, avec des tanks, de l’artillerie, des mortiers et des armes lourdes. « Bien sûr ils pensaient que les choses se passeraient comme à Mossoul [en Irak] et dans les autres régions qu’ils occupent, et que Kobanê tomberait en quelques jours. En fait, ils tablaient sur une semaine. C’est à peu près ce que pronostiquaient aussi la Turquie et d’autres puissances. »
En réalité, il leur a fallu trois semaines pour atteindre les abords de la ville. Les YPG-YPJ ont défendu les villages, le temps d’évacuer la population civile, mais ont préservé leurs forces en se repliant progressivement en bon ordre. « Les djihadistes pensaient détruire l’essentiel de nos forces dans les villages avant d’entrer en vainqueurs dans la ville, en brandissant leurs armes, explique Mehmûd Berxwedan. Nous avions décidé de livrer la véritable bataille dans la ville. Nous voulions que le tournant se joue là. »
Le retour de l’espoir. Durant ces trois semaines, le président turc Erdogan, de nombreux États et le monde entier ont pensé que la chute de Kobanê était imminente. « Pendant que tout le monde se fondait sur cette hypothèse, nous brisions Daech. Un mois a passé. Nous entamons le second mois. Ça a été une résistance historique. […] Cela fait trois jours qu’ils n’ont pas avancé d’un pas. Depuis trois jours, nous n’avons pas reculé, et nous regagnons même du terrain. Daech est fini. Ils sont fatigués. Leurs forces les abandonnent. […] Durant ce premier mois nous avons résisté. Dans ce second mois, nous allons détruire Daech à Kobanê. Nous n’ambitionnons plus seulement la résistance, mais la victoire. »
Le moral des djihadistes. Selon Mehmûd Berxwedan, Daech a d’ores et déjà épuisé ses meilleures troupes, et fait appel à ses réserves, peu formées et d’une moindre valeur sur le terrain. « Nous avons vu pas mal de gamins auxquels ils avaient donné une arme. Récemment ils ont enrôlé des femmes dans ce qu’ils appellent les Unités féminines (Ketibe-i Unsa). A présent ils font appel à des renforts de plus en plus lointains. Malgré tout cela, ces trois derniers jours, nous avons brisé leur moral. […] Ni leurs camions kamikazes ni leurs autres armes n’ont été d’aucune utilité. Et pour cause : cette ville est notre ville. Nous en connaissons chaque rue, chaque avenue. Nous savons d’où ils vont venir, et où les frapper. […] Depuis hier, nous avons repris 5 ou 6 quartiers. Et sur le front ouest, nous les avons repoussé hors de Kobanê. »
L’attentisme de la Turquie. Récemment, des roquettes tirées par Daech se sont abattues sur le territoire turc. Mehmûd Berxwedan pense que c’est un pur accident : « Daech ne frapperait pas volontairement son partenaire. » La non-réaction turque est elle-même très parlante : « Si c’est nous qui avions tiré, ne serait-ce qu’une balle en direction de la Turquie, quel enfer ça aurait été ! »
Les bombardements arabo-américains. La coalition dirigée par Washington pensait que la ville tomberait en une semaine. Au bout de 15 ou 20 jours, la durée de la résistance lui ôtant tout prétexte pour ne pas agir, elle s’est finalement décidé à bombarder les assaillants de Kobanê. Dans un premier temps, elle l’a fait à l’aveugle, ne daignant pas prendre contact avec les YPG-YPJ. A présent, explique Mehmûd Berxwedan, la communication a été établie et, « depuis 10 jours », l’aviation de la coalition « joue un rôle important, en coordination avec les YPG. Ils travaillent très efficacement. Jusqu’ici, il n’y a pas eu d’erreur ni de bavure ». Jouant sur les contradictions entre la Turquie et les États-Unis, le commandant YPG réclame à présent que la coalition aille plus loin, et leur livre franchement des armes : « Si la coalition formée contre Daech veut vaincre, elle doit fournir des armes à ceux et celles qui se battent au sol. Et les forces qui combattent au sol, ce sont les YPG-YPJ. […] Les combattants qui veulent nous rejoindre devraient y être autorisés. Or la Turquie ne l’autorise pas. […] Il faut faire pression sur la Turquie pour qu’elle ouvre un corridor. »
Transcription et commentaire : Guillaume Davranche (AL Montreuil)
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