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Un homme, une double Révolution et des zones d’ombre (El Watan, Alger)

 

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Samy Allam (au centre) dans le rôle de Krim Belkacem

Samy Allam (au centre) dans le rôle de Krim Belkacem

Le film d’Ahmed Rachedi sur Krim Belkacem aborde avec prudence l’assassinat de Abane Ramdane en 1957.

Mission accomplie.» Krim Belkacem, le négociateur en chef des Accords d’Evian, aurait eu ces mots à la conclusion de l’accord avec Louis Joxe, en mars 1962. Le film d’Ahmed Rachedi consacré à ce grand homme de la Guerre de Libération nationale, présenté jeudi en avant-première à la salle El Mouggar d’Alger, n’est pas allé au-delà de l’indépendance de l’Algérie, n’a pas suivi l’itinéraire de celui qui allait s’opposer au régime militaire de Boumediène.

Une opposition qui le conduira à la condamnation à mort en 1967, puis à l’assassinat en 1972. «Il faudrait faire un autre film, avoir tous les éléments constitutifs d’un scénario sur Krim Belkacem après 1962», a expliqué Ahmed Rachedi lors de la conférence de presse qui a suivi la projection.

«Nous avions peur de soulever encore une fois les polémiques», a confié, pour sa part, le commandant Azzeddine qui a co-écrit le scénario avec Boukhalfa Amazit. L’histoire contemporaine de l’Algérie a retenu, même si cela n’est pas encore visible, que Houari Boumediène, qui gérait le pays sous un pseudonyme, avait éliminé, neutralisé, éloigné et marginalisé toutes les grandes personnalités de la guerre de libération : Ahmed Ben Bella, Hocine Aït Ahmed, Mohamed Boudiaf, Benyoucef Ben Khedda, Ferhat Abbas, Krim Belkacem, Saâd Dahlab, Kaïd Ahmed...

Un hasard ? Krim Belkacem (Samy Allam), nommé vice-président au gouvernement provisoire (GPRA) en 1958 derrière Ferhat Abbas, s’étonnait, dans le film d’Ahmed Rachedi, de la volonté de Abdelhafid Boussouf (Kamel Rouini) de «nommer» Houari Boumediène à la tête de l’état-major de l’armée. Le cinéaste et les deux scénaristes ne sont pas allés loin. Le commandant Azzedine, qui était au cœur de l’action durant la guerre, a confier, lors de la conférence de presse, que Abdelhafid Boussouf et Lakhdar Bentobbal (Younès M’rabet) refusaient que Krim Belkacem prenne le ministère de la Défense et l’armée.

«Ils ne voulaient pas que l’armée leur échappe», a-t-il dit. Le rapport ambigu entre Krim Belkacem et Abane Ramdane (Mustapha Laribi) est montré dans le film mais pas assez pour savoir ce qui se passait réellement. Jalousie ? Guerre de leadership ? On comprend bien que Abane Ramdane se battait pour la primauté du politique sur le militaire et l’intérieur sur l’extérieur, mais la position de Krim Belkacem était restée assez floue.

Se comportait-il comme un chef de guerre ? Il est vrai qu’Ahmed Rachedi a osé évoquer l’assassinat de Abane Ramdane au Maroc, en 1957, à travers le personnage de Frantz Fanon qui en faisait le reproche à Krim Belkacem. «Il était notre ami», lui dit-il. Frantz Fanon montrait la une honteuse d’El Moudjahid du 28 mai 1958 : «Abane Ramdane est mort au champ d’honneur».

C’est le mensonge le plus célèbre de la Guerre de Libération nationale ! «Il est vaste le champ d’honneur !», a répliqué Frantz Fanon. «Il n’existe aucun document qui confirme que tel ou tel était présent lors de l’assassinat de Abane Ramdane. On ne sait pas quand cela a eu lieu et où», a soutenu Ahmed Rachedi, qui a tenté de mener sa petite enquête à Tétouan, au nord du Maroc.

Abdelhafid Boussouf, Lakhdar Bentobbal, Mahmoud Cherif et Krim Belkacem avaient fait le déplacement au Maroc avec Abane Ramdane à la fin de l’automne 1957. Arrivés à l’aéroport, les hommes se sont séparés. Ce voyage et les questionnements qui l’entourent ne figurent pas dans le film d’Ahmed Rachedi. «Abane Ramdane n’était pas opposé à un ou deux chefs, il avait un projet de société différent des autres.

Le premier à avoir condamné le Congrès de la Soummam était Ben Bella, parce qu’il avait son propre projet», a souligné Boukhalfa Amazit, évoquant le souci de redonner à la Révolution algérienne une dimension humaine. Le commandant Azzedine a rappelé que Krim Belkacem était présent à tous les rendez-vous de la lutte d’indépendance. «J’ai connu tous ces hommes. Ils se sont sacrifiés pour le pays. Lorsqu’ils arrivaient à des postes, à un moment donné, chacun voulait devenir chef de la Révolution. C’est humain. Un homme politique doit avoir une ambition nationale.

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Les trois B étaient les piliers de la Guerre de Libération nationale. A chaque fois que la Révolution allait exploser, la cohésion revenait», a-t-il noté, rappelant la fameuse réunion des dix colonels pendant cent jours à Tunis pour «sauver» la Révolution (les maquis étouffaient en raison du manque d’armement et de ravitaillement). «Il y a parfois des personnalités qui cachent l’histoire du pays. Krim Belkacem était de ceux là. Il fallait donc faire le choix, parler de ce personnage passionnant mais également de l’histoire de l’Algérie. C’est une fiction.

Il y a la vie et l’œuvre de Krim Belkacem, mais il y a aussi l’apport de ceux qui ont écrit le film et surtout celui qui l’a réalisé», a précisé Boukhalfa Amazit. «Krim Belkacem a commencé la Révolution sept avant le déclenchement de celle de 1954. Il avait précédé tout le monde. Après 1954, il a accompagné toutes les périodes de la Guerre de Libération nationale. Les impératifs cinématographiques imposent de se limiter à certaines choses. Nous avons axé sur les aspects politiques parce qu’ils sont importants», a estimé Ahmed Rachedi. Selon lui, le cinéma pose des questions, mais ne peut pas apporter de réponses.

«Nous nous attendons à un grand débat sur ce film. Krim Belkacem est lui-même une double Révolution. Il a été de toutes les étapes de la guerre de libération jusqu’à la signature des Accords d’Evian. Il y a des questions qui suscitent encore la polémique. C’est tout à fait normal. Après tout, c’était une action menée par des hommes», a souligné Djamel Yahiaoui, directeur du Centre national d’études et de recherches sur le mouvement national et la Révolution du 1er Novembre 1954, qui a produit le film (la production exécutive a été assurée par Arfilm Télécinex).

Ahmed Rachedi, qui a relevé qu’il était tenu par le respect du scénario, a survolé «la crise berbère» et n’a pas beaucoup insisté sur les fissures au sein du PPA-MTLD. Messali Hadj, qui avait rencontré Krim Belkacem, n’a été montré qu’une seule fois dans un long métrage de 153 minutes.

L’action militante de Benyoucef Ben Khedda, de Ferhat Abbas et de Tayeb Boulahrouf a été mise de côté dans le film. Il y a donc des blancs. Mais également des zones d’ombre, peu éclaircies donc. Le cinéaste a choisi la langue médiane pour élaborer ses dialogues, chargés parfois d’un surdosage idéologique. Les scènes de bataille, qui sont difficiles à tourner du propre aveu du réalisateur, ne sont pas toutes réussies. Le recours aux effets spéciaux n’a parfois pas servi la construction de l’image.

Le cinéaste aurait pu mieux utiliser les moyens aériens, convoqués pour la reproduction des scènes de bombardements notamment lors du Congrès de la Soummam, en 1956. L’exploitation des archives a été minimaliste. Pour les Accords d’Evian, Ahmed Rachedi n’a utilisé que la célèbre image de Krim Belkacem avec les autres négociateurs algériens entrant dans le bâtiment abritant les discussions. Un effort a été toutefois fourni pour représenter la salle où étaient réunis les négociateurs d’Evian, un lieu désormais historique.

Le casting est à moitié réussi. Samy Allam a fait tout ce qu’il pouvait pour camper le personnage complexe de Krim Belkacem. Il en est de même pour Mustapha Laribi qui n’a pas totalement réussi à jouer le rôle de Abane Ramdane, contrairement à Ahmed Rezzak qui a su rendre à l’écran la détermination patriotique de Amar Ouamrane. Ferhat Abbas a été maigrement représenté par Djamel Hamouda, alors que Djamel Dekkar a sombré dans les gestes inutiles dans l’interprétation du rôle de Saâd Dahlab aux négociations d’Evian.

Même s’il s’agit d’une fiction, ce n’est pas du tout une raison pour en rajouter des couches qui cachent la peinture fraîche ! Le jeune Younes M’rabet est resté effacé dans l’incarnation du personnage, pourtant important, de Lakhdar Bentobbal. Farid Aouamer, qui a composé la musique originale, a su créer une certaine ambiance historique alors que Hamid Aktouf, directeur de la photographie, a été quelque peu avare en images montrant les décors naturels de Kabylie et de l’Est algérien.

Djamel Yahiaoui a précisé que le ministère des Moudjahidine a décidé de réaliser une série de films sur les personnalités qui ont marqué la Guerre de Libération nationale. Après Mustapha Ben Boulaïd et Krim Belkacem, un film sera bientôt consacré à la vie du colonel Lotfi. Le lancement du tournage d’un long métrage sur Ben M’hidi est également prévu, il sera suivi par d’autres sur Si El Haouès, Zighout Youcef et M’hamed Bouguerra. 

 

Fayçal Métaoui

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